Vierges allaitantes I :
Notre-Dame de Tréguron à Gouezec.
A : Tout sur la chapelle, à l'exclusion des Vierges allaitantes.
La chapelle de Tréguron, fondation seigneuriale aux XVI-XVIIème siècles des familles Poulmic, La Bouexière, Coetanezre et Kervern, se trouve à 3 Km au NO de Gouezec (Finistère). Bâtie au XVIéme siècle, reconstruite au XVIIème avec la construction en 1653 d'un chevet Beaumanoir (du nom d'architectes morlaisiens du début du XVIè), elle comprend une nef avec collatérale nord, un transept et une abside, et un clocher gothique. La sacristie octogonale, reliée à l'abside, est datée de 1758. A une centaine de mètres en contrebas, une fontaine du XVIè abrite une statue de Vierge allaitante.
Le pardon a lieu le deuxième dimanche de septembre.
Si la reine épanouie et radieuse de cette chapelle est, bien-sûr, Notre-Dame de Tréguron, je ne vais pas aller à dame recta mais je vais m'attarder, muser, scruter les détails, nourrir ma curiosité de tout le miel que je pourrai récolter en cette chapelle, et je présenterai les statues de Vierges dans un second article.
Toutes les images sont signées du père Lavieb, alias bibi.
I. Le territoire, les dates et les hommes : blasons et inscriptions, seigneurs et paysans.
L'étude des inscriptions lapidaires ou sur bois, et celle des armoiries procure un certain nombre de dates et de patronymes : les dates vont de 1584 (socle de St Éloi) à 1758 (sacristie), soit la période historique correspondant aux règnes de Henri III, Henri IV (1589-1610), Louis XIII, Régence, Louis XIV (1643-1715), et Louis XV (1774-1774).
Durant cette période, la paroisse de Gouezec, située en Cornouaille intérieure dans la vallée de l'Aulne lorsque celle-ci traverse les Montagnes Noires, a connu, comme le reste de la Bretagne, une période d'expansion économique et démographique qui cumula vers 1670, lors de ce que Jean Meyer a appellé le grand Siècle breton, de 1550 à 1680. Le nombre annuel des baptèmes passe ainsi de 37,5 à 53,3 entre 1625-1634 et 1665-84, pour diminuer à 47,9 entre 1696 et 1715. Dans la période 1625-1728, le nombre maximal de baptèmes survient entre 1641 et 1664, et le nombre maximal de mariages en 1690. (Jean Tanguy, Ann. Bret. 1975,82) :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1975_num_82_4_2790
Dans le même temps, les comptes de fabrique (du Léon, ou de Plogonnec, à défaut de ceux de Gouezec) montrent une augmentation des recettes, et donc des offrandes qui culmine également vers 1670.
Depuis 1664 (Louis XIV), la création de 12 impots royaux nouveaux incite les seigneurs locaux à exiger plus rigoureusement le respect de leurs droits seigneuriaux, ce qui provoque l'exaspération des paysans, et leur révolte en 1675 (Révolte des bonnets rouges). Déjà, pour un tout autre motif,en 1591, un soulévement avait fait 90 morts parmi des nobles au château de Roszannou lors de la "boutade" ou jacquerie des paysans contre les partisans de Henri IV lors des guerres de la Ligue.
La population de Gouezec était estimée par Ogée en 1780 à 1350 "communiants", puis évaluée à 1154 habitants par le premier recencement de 1793. Elle s'accrue au XIXéme siècle, avec le développement de la production d'ardoises et l'ouverture du Canal de Nates à Brest ; puis elle déclina, et elle était de 1063 en 2007.
Croissance économique et démographique jusqu'en 1670, conflit religieux en 1591 puis entre paysans et seigneurs en 1675, tels sont les éléments où situer les dates et noms relevés ici. Il faut y ajouter un conflit vers 1738 entre les paroissiens, qui veulent continuer à enterrer leurs morts à l'intèrieur de l'église du bourg ,et le recteur qui s'y oppose : les patronymes des paroissiens rétifs sont retrouvés directement ou non à Tréguron.
1. Les dates relevées dans la chapelle :
1584 : Socle de la statue de Saint-Éloi.
1654 : Socle de la statue de Notre-Dame de Tréguron: H. Kreprat
1667 : inscription sur une poutre: François Le Ligour
1737 : inscription sur la porte : Jean Leaber , Jun Merien
1748 : inscription sur une poutre : Jean Leap et Yves Le Seach
1749 : calvaire : trois blasons
1758 : sacristie : Cl. le Paige et Jean Richart.
2 : La noblesse : armoiries.
On les observe à l'intérieur de l'église, sur les poutres, les sablières, les vitraux ou dans le choeur, et à l'extérieur sur le calvaire. Ce sont les armes des familles:
- De Poulmic, Sr de Rosvéguen, Trogurun et Kerguélen : échiqueté d'argent et de gueules, le premier échiquier chargé d'un annelet de sable. Devise "De Bien (alias Espoir) en mieux". Il s'agit donc d'un échiquier noir à carrés rouges, avec un petit anneau dans le premier carré.
- de La Bouexière, Sr de Rosvéguen : de sable au sautoir d'or, devise "Vexillium regis". L'armoirie est donc noire frappée d'une croix de Saint-André (ou "sautoir") jaune.
- De Coetanezre, de gueules à trois épées pointes en bas rangées en bande, donc rouge avec trois épées
A la réformation de 1536 sont mentionnés :http://www.tudchentil.org/spip.php?article103 : je mets en gras ce qui m'intéresse :
Gouézec : Nobles et maisons
- Hervé Poulmic, noble, Sr de Rosguegue et de Tréguzon, de Kerguelan
- Le Sr du Fouet, le métayer de Kerriou et de Laurigeau
- Allain de Kerguern, Sr du dit lieu
- Le manoir de Coetnahenec appartenant au Sr du Fou
- Jean de Lesmays noble sr de Roscannou
- Olivier Kbescal noble Sr de lesmaez
- Gilles Pierys noble Sr de Kyzegeguel
- La maison noble de Taquiririou qui fut à Jean le saux charpentier qui faisoit des anvires, issu d'extraction noble.
- François Le Doeul, Seigneur de Coetioural et de Kaulan
- Pierre de Kdrehennec sr dud lieu
A la montre de 1562 sont mentionnés pour Gouezec :http://www.tudchentil.org/spip.php?article491
Les nobles de Beuzec ou Gouezec
- Jehan de Lesmaes, Sr de Roscanvo, presant, dict qu'il faict arquebusier à cheval.
- Hervé de Poulmic, default
- M.tre François de la Boëssiére, Sr de Rosveguen et du Troïleur, dict qu'il est exempt pour raison de son office de seneschal du Châteauneuf, et a cependant baillé sa déclaration pour acquebusier à cheval
- Olivier Kerguern, Sr dudict lieu, default.
- raoul de Piré, Sr de Kerjézequel, presant, dict être sous l'esdict.
- GuilMe Peulchon, presant pour son fils aîné dict faire pique sèche
a) Le calvaire :
Sous la date de 1759, les branches du calvaire portent selon J.M. Abgrall de face et au revers les écussons en alliance des familles des Poulmic et des Bouexiere.
Je m'interroge sur cette lecture; une armoirie "en alliance" est définie ainsi : "Tout gentilhomme a le droit de porter, en les écartelant avec les siennes, quelques-unes ou toutes les armoiries des quartiers d'alliances directes contractées par sa famille" (http://www.blason-armoiries.org/heraldique/a/armoiries-d-alliance.htm.
-Un échiqueté d'argent et de gueules est un échiquier de carrés rouges et blanc : c'est bien ce qui compose la partie droite des deux blasons.
- Mais les deux parties gauches des blasons montrent l'un trois bandes, l'autre trois barres obliques à deux traverses, mais pas de croix de Saint-André, armes des Bouexière.
- Enfin, un troisiéme blason, au milieu, non mentionné par Abgrall et Peyron, me semble être celui des Poulmic.
La famille de Poulmic tire son nom du lieu-dit le Poulmic, paroisse de Crozon. Sa devise est : De bien (alias :Espoir) en mieux.
On distingue :
-Poulmic de Kernévenez, paroisse de Crozon.
-Poulmic de Langallic, paroisse de Telgruc
-Poulmic de Rosveguen, de Trogurun et de Kerguélen, paroisse de Gouezec.
- Poulmic de Toulquélennec, paroisse de Lopérec -Poulmic de Kerdilez, - de Kerlaouënan, -de Grande-Isle, - de Trohuel, -de Louméral, -de Kérénot.
Cette famille donna Hervé, Abbé de Daoulas en 1351 ; Yves, abbé de Landevennec , mort en 1426; Jean, capitaine de Quimper, conseiller du duc, tué au siège de Saint-James de Beuvron le 6 mars 1426 et enterré aux Cordeliers de Guingamp ; Jean, lieutenant en 1451 de l'amiral de Bretagne Jean du Quellenec , époux de Charlotte de Beaumanoir .
La branche ainée est fondue aux Chastel en 1459 par le mariage de Marie de Poulmic, héritière du fief, avec Olivier du Chastel.(armoiries écartelées du Chastel/Poulmic , vitrail cathédrale de Quimper, Baie 119). En 1492, Tanneguy du Chastel, sire du Poulmic, et Louise de Pont-L'Abbé son épouse, fille d'Hélène de Rohan.
Puis le fief passe succesivement à Vincent de Pleuc, sr de Tymeur, puis à Jean de Goulaine, baron de Faouet, à Jehan du Ham, à René de la Porte, président au Parlement de Bretagne, à N. Rousselet de Château-Renaud, maréchal de France en 1723. Emmanuel Rousselet, Marquis de Château-Renaud, comte de Crozon, lieutenant-général de Bretagne a comme héritière Marie-Sophie qui transmet les seigneuries de Poulmic et de Crozon par son mariage en 1746 à Jean-Baptiste Charles comte d'Estaing, vice-amiral de Bretagne. Ce dernier est décapité en 1793.
La Branche des Poulmic de Rosvéguen qui nous interesse ici, est issue d' Hervé de Poulmic; son fils Jean épouse Catherine Salliou ; son arrière petit-fils Jean est signalé en 1666 comme sieur de Kerguern. La montre de 1536 mentionne pour Gouezec Hervé de Poulmic, noble, Sr de Rosgueguen (sic) et de Tréguzon, de Kerguelan. (Hervé de Poulmic rend aveu pour Kerguelan en 1540). source :Tudchentil.net :
http://www.tudchentil.org/IMG/pdf/Reformation_de_1536_en_Cornouaille.pdf
Famille de Coetanezre : http://www.laperenne-zine.com/articles.php?lng=fr&pg=487
"Anne de Coetanezre épouse en premières noces Louis de la Bouexière sieur de Rosnéguen (fils de Louis et Anne Marigo) puis en 2èmes noces en 1583 Maurice de la Bouexière son frère"
b) armoiries de l'intérieur de la chapelle :
- dans le choeur : on trouve deux anges porteurs de blasons au dessus des statues qui encadrent l'autel, et deux autres à la croisée du transept :
A droite au-dessus de Saint-Corentin, les armoiries des Bouexières sont écartelées avec celles de ?
A gauche au dessus de Saint-Joseph, les armoiries des Bouexières sont écartelées avec celles des ? (macles et hermines ? )
A la croisée du transept, présentées par un ange, les armoiries écartelées des Bouexiéres et des Poulmic.
Présentées par un boeuf doté d'un fer à cheval, à nouveau les armoiries écartelées des de Bouexières et de Poulmic.
Il serait plus amusant d'y voir une tête de vache laitière, pour rappeller que certaines saintes que les nourrices venaient prier pour obtenir du lait étaient aussi protectrices des vaches et favorisaient leur lactation. C'est le cas de sainte Brigitte, christianisation de la déesse irlandaise Brigit, déesse-mère dont la forme bretonne est Berhet.
Frappant le pied du grand crucifix de la nef, le blason des Bouexière :
A la voute de la croisée du transept, le blason écartelé des Bouexière et des Coetanezre
2) les autres paroissiens : fabriciens et prêtres
-Le socle de la statue de Notre-Dame de Tréguron porte l'inscription L : 1654 H:KPRAT :F
que je lis comme L'an 1654 H : Kerprat : Fabricien.
Il apparaît qu'au XVIème siècle les patronymes Prat, Le Prat, Kerbrat et Kerprat soient proches, et qu'on ait affaire ici à Hervé Kerbrat, né vers 1612 à Gouezec, marié vers 1635 à Anne Bauquion. Il est né de Jean Le Prat (ca 1580-1670) , et il a eu une fille, Anne Kerbrat (1638-1696) qui épousa en 1660 Denis Merrien (ca 1635-1690).
Hervé Kerbrat eut six petit-enfants : Marie, Jean, Pierre, François, Michel et Catherine Merrien.
La belle-mère de Pierre Merrien se nomme Jeanne Le Gadal, et celle de Jean Merrien Marie Le Gadal ; Jean Le Gadal est parrain de Jean Merrien, Alain Le Gadal le parrain de Marie: nous allons retrouver bientôt ce patronyme. De même, nous retrouverons le patronyme le Seach: Charles Le Seach est témoin au mariage de Pierre, et Yves Le Seach témoin de son decès.
Les familles Kerbrat/Merrien, Le Gadal et Le Seach sont donc très proches.
La porte d'entrée, au sud, porte l'inscription 1737 IANLEAbER f IUNMERIEN fab donnant le nom d'un fabricien : Jean (Ian) ou Julien (Jun) Merien ? Un Denis Merien est signalé par les généalogistes : né le 25/02/1671 et décédé le 03/04/1742 à Gouezec, il eut cinq fils prénommés Pierre, François, Michael, Guillaume et Denis.
Pour IANLEAbER, faut-il lire Jean Le Leap (voir infra) ?
Première poutre de la nef :
IEANLEAP 1748 IVESESEACH
que je propose de lire comme Jean Le Leap 1748 Yves Le Seach.
On retrouve un Yves Le Seach, né le 30/10/1721 à Gouezec, décédé le 18/05/1762 à Kergoal, Gouezec, fils d'un Yves le Seach numéro deux (10/11/1697 à Kerabri, 06/01/1770 à Kerhervé, Gouezec) et de Anne le Bozec. Cet Yves le Seach est lui-même le fils d'un premier Yves le Seach né à Lothey en 1642 et décédé en 1719. En 1719 ? :
Le chanoines Abgrall et Peyron mentionnent (Bull Dioc. Hist. Arch. 1910) qu'en 1719, un certain Yves le Seach s'oppose au recteur qui veut inhumer un défunt de sa famille, non pas dans le sol de l'église, mais à l'extèrieur. Pour cela, le prêtre fait creuser une fosse, mais Yves Le Seach y place par dérision une grosse pierre et rebouche la fosse. Le recteur fit donner lecture des arrétés interdisant les inhumations à l'intérieur des églises, mais les paroissiens en colère tirent alors des coups de fusil et brisent une fenêtre du recteur.
On signale aussi un Jean Le Leap, 30/10/1700, Gouezec_20/07/1769, Kervern, Gouezec, époux de Françoise le Gadal qu'il a épousé le 01/06/1713. Or cette Françoise Le Gadal est la soeur de Laurent le Gadal, "héros" de la seconde partie de l'histoire mouvementée des inhumations de Gouezec : en effet, celui-ci, voulant faire enterrer sa femme Jeanne le Kergoat (1696-1738) dans l'église, charge ses valets d'y creuser une fosse : ceux-ci retirent alors un occupant réemment inhumé, et en violentent le cadavre.
On voit que Jean le Leap, beau-frère de Laurent le Gadal, et Yves le Seach ont en1748, dix ou trente ans après ces affaires, des souvenirs familiaux en commun.
Poutre du bras du transept : F:F:P:FSOIS LE : LIGOVR F: LORS 1667
je traduis Fait fait par François Le Ligour Fabricien lors 1667
C'est le nom d'un fabricien, peut-être François Le Lijour, né le 26 février 1635-36 à Gouezec, époux d'Isabelle le Seach (décédée le 27 octobre 1724).
L'inscription fondatrice de la sacristie se dispose en deux pierres jumelles séparées par un moellon, à proximité de la date 1758 placée au dessus de la fenêtre:
F:F.P:M.R./ ET P:IAN
C L:PAIGE :R / RICHART.F:
ou, selon J.M.Abgrall en 1910: F:F:P:M:R ET :P:JEAN:CL:PAIGE:R:ET:P:JEAN:RICHART:F . Le chanoine a lu les deux pierres en continu, alors que je pense qu'il faut lire: F.F.P.M.R C. L PAIGE.R, et d'autre part ET P. IAN RICHART . F:
ce que je peux traduire par Fait fait par Messires C Le Paige (Recteur ?) et par Jean Richart fabricien(s). Le patronyme LE PAIGE, variante de Le Page (Le Paige, Plougasnou 1427) est parfaitement attesté à Gouezec du XVI au XVIIIè siècle, comme à Pleyben et Lennon. J.M.Abgrall fournit la liste des recteurs de Gouezec, mais avec des lacunes, et ne donne pas le nom du recteur en poste en 1758.
Avant de présenter les vitraux et les statues, prenons d'abord du recul pour découvrir la chapelle , vue du portail ouest:
II les vitraux :
La datation estimée par le Corpus Vitrearum est de 1570, postérieure aux Passions de Plogonnec, d' Ergué Gaberic ou de Guengat, de la Roche-Maurice, la Martyre, Tourch ou saint-Mathieu de Quimper. L'idée d'un carton copié de Jost de Necker, suggérée par René Couffon, a été définitivement abandonnée. Le chevet de la chapelle ayant été reconstruit en 1653, la maîtresse-vitre a du être adaptée au nouveau choeur. A la fin du XIXéme, les meneaux ont été supprimés pour créer une seule vitre soutenue par deux barlotières verticales et trois barlotières horizontales ; seuls les trois panneaux centraux ont été conservés au sein d'une vitrerie d'ornement avec dais supérieur frappé d' armoiries pontificales et verre blanc aux médaillons en grisaille et jaune d'argent. Cette vitre a été déposée en 1983 et restaurée en 1988 par l'atelier de Jean-Pierre Le Bihan de Quimper.
Au nord, les baies 3 et 5 à deux lancettes ont conservé quelques panneaux du XVIème siècle.
Baie 0, Maîtresse-vitre : Crucifixion.
Une lancette de 3,20m de hauteur.
Le Christ en croix est représenté au moment où Longin perce le flanc droit de Jésus, conformément non aux évangiles canoniques, mais à l'évangile dit de Nicodéme, ou Actes de Pilate, oeuvre qu'on attribue à un écrivain de langue juive du Vème siècle. On y trouve, chapitre X, 15 : "Or les soldats se moquaient de lui et, prenant du vinaigre et du fiel, ils lui présentaient à boire et lui disaient ; si vous êtes le roi des Juifs, délivrez-vous vous-même. Mais le soldat Longin, prenant une lance, ouvrit son coté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l'eau."
Le corps de Jésus porte les marques de la flagellation. Il est ceint du perizonium. Au dessus de sa tête, une auréole est réalisée en verre rouge gravé.
En s'approchant, on peut admirer le travail du verre blanc où se conjugue la grisaille et la sanguine et différentes valeurs de jaune d'argent. La tête du cheval avec le détail de son harnachement est parfaite, pleine d'expression, mais c'est en examinant le visage de Marie-Madeleine qu'on trouve réunies toutes les subtilités du travail du pinceau, trait principal, ombres dégradées des orbites, carmin des lèvres, jaune paille et jaune d'or de la fameuse chevelure de la Sainte. Sans oublier la courbe de sa posture, saisie dans ce mouvement de stupeur douloureuse qui la tord en un spasme plus éloquent qu'un cri.
Baie 5 : Nativité et Annonciation.
datés vers 1570 :
Baie 3:
3e quart du XVIe ? On y trouve deux écus entourés chacun d'un phylactère qui semble porter la même inscription : NIHIL : TIMEO (avec le M et le E conjoint) : DEO DUC. : cela ressemble à une devise qui serait NIHIL TIMEO DEO DUCE correspondant à JE NE CRAINS RIEN DIEU ME MÉNE. Mais je ne retrouve aucune devise bretonne semblable.
Selon Peyron et Abgrall repris par Corpus Vitrearum, l'écu qui est divisé en deux est un écu parti de La Bouexière, "d'argent à l'arbre de sinople". Je trouve comme armoiries pour les Bouexière de Kermorvan "d'argent à un buis arraché de sinople", avec la devise NEC PERTIMESCIT HYEMEM. (Euraldic.com)
II Les Statues de la chapelle de Tréguron:
- Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant (XVIè) :
Sainte Anne est fêtée le 26 juillet.
Cette représentation serait, selon le site Topic topos, inspirée par des gravures d'origine mosane ou flamande du XVIe et XVIIe siècles en Bretagne par des marchands d'image.
La présence de Sainte Anne n'est pas surprenante, mais son sens se renforce lorsqu'on rappelle qu'elle fait partie des saintes qui sont invoquées par les nourrices, puisqu'elle a nourri de son lait la Vierge Marie.
Parce que c'est la Mamm Goz, la Grand-mère, elle fait aussi figure de déesse mère, même sans aller reprendre les théories qui y voient une reprise du mot indo-européen Ana (grand-mère) ou de la déesse celte Ana.
L'existence de Sainte Anne et de son mari Joachim ne repose sur aucun texte canonique, mais sur la tradition des premiers siècles et sur la Légende dorée de Jacques de Voragine au XIIIe siécle. Son apparition en 1623 à un paysan breton nommé Nicolazic, puis la découverte de sa statue par le même Nicolazic en 1625 sont à l'origine de sa dévotion à Saint-Anne d'Auray.
Sainte Anne est souvent vêtue d'un manteau vert, couleur d'espèrance, alors que, bien-sûr, la Vierge porte une robe bleue. Le Jésus paraît ici un peu benet, sa mère louche, et la pauvre Anne va avoir du travail pour apprendre à lire à son petit-fils. Mais personne n'a jamais soutenu que le fils du charpentier savait lire, sauf lorsqu'il était avec les Docteurs de la Loi. Son truc à lui, c'est l'enseignement oral, les formules targoumiques, les bonnes histoires des paraboles. Ou bien, il écrit dans le sable, lorsqu'il préfère ne rien dire. (Jean 8,8 : "et, se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol"). On ne voit jamais Sainte-Anne apprendre à Jésus à écrire, c'est peut-être Grand-père Joachim qui lui a appris à écrire par terre.
Post-scriptum : Une fidéle lectrice, Delphine, de Vannes, nous fait remarquer notre profonde méconnaissance des textes saints en citant Luc, 4, 16 : Jésus vint à Nazareth, où il avait grandi. Comme il en avait l’habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui présenta le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit.
La preuve est faite que nos statues de campagne disent toujours la vérité, et que Sainte-Anne a pris en charge l'éducation de son petit-fils, sans-doute pour soulager la maman surbookée et le beau-père : Ah, ces familles recomposées ! que feraient-elles sans les grands-parents !
Sainte Marguerite :
Il s'agit de Sainte Marguerite d'Antioche, reconnaissable à son dragon. Elle est fêtée le 20 juillet. Si sa présence n'est guère originale dans une chapelle bretonne ( le recensement de René Couffon dans Répertoire des églises et chapelles du diocèse de Quimper la place en cinquiéme position , juste avant St Éloi et après Ste Barbe parmi les 53 différents saints, avec une centaine de statue en Cornouaille et Léon), son voisinage avec Notre-dame de Tréguron est pleine de sens lorqu'on sait que cette cette martyre du IVe siècle est invoquée par les femmes enceintes pour une bonne délivrance, mais aussi par les méres et les nourrices désirant beaucoup de lait. Si son intercession est ainsi sollicitée, c'est qu'elle-même, ayant été avalée par un dragon, est parvenue à sortir miraculeusement du ventre du monstre : cela la prédispose à aider les enfants à sortir du ventre maternel, ou à aider le lait à sortir des poitrines.
Elle a une drôle de tête, avec ses yeux bleus levès vers le ciel et ses pommettes rosies par l'émoi extatique. Elle est vêtue d'un manteau rouge bordé or et noir et doublé d'hermine, d'une robe au décolleté rectangulaire à l'encollure et aux manches rehaussées d'or avec un liseré noir. Ses cheveux ramenés en arrière sous un voile sage dégage un large front épilé selon la mode du Moyen-Âge . Elle est chaussée de sandales. Assise sur le dragon dont elle est sortie, elle n'a pas peur du tout du terrible monstre vert à la gueule rouge et à la queue en tire-bouchon, et elle doit se dire in petto "nihil timeo deo duce", si elle baragouine en latin.
Lavieb-aile vous conseille : pour réussir une belle épilation du front comme Marguerite, appliquez un mélange d'orpiment et de chaux vive ou de chaux bouillie dans l'huile. Puis, si vous souhaitez empêcher la repousse du cheveu, faites préparer un mélange de sang de chauve souris (rhinilophe, par exemple) ou de grenouille bien verte (passer au chinois), de suc de ciguë et de cendre de chou diluée dans du vinaigre.
Marguerite a aussi épilé les sourcils pour tracer une jolie ligne convexe vers le haut qui la fait apparaître encore plus spirituelle. Essayez !
Sainte Catherine :
Sainte Catherine d'Alexandrie est aussi (entre autre) patronne des nourrices car du lait jaillit de son corps lorsqu'on la décapita. Elle est représentée avec la roue de son premier supplice, celui qui échoua à la fois à la faire renoncer à sa foi chrétienne, et à la mettre à mort.
Sainte Barbe :
C'est, elle-aussi, une sainte à qui les nourrices venaient demander un peu de lait pour remplir leurs mamellles, pour la raison évidente que, lors de son martyr, les bourreaux lui avaient arraché les seins avec des tenailles. Elle était peut-être plutôt consultée à dessein en cas de mammite, de gercures, de crevasses, de lymphangite, d'engorgement ou de mastite, ou pour les douleurs qui tenaillent. L'allaitement maternel, c'est bien, mais les problèmes, c'est la barbe.
Saint Corentin :
Il semble surpris en pleine période oratoire d'un prêche, et les franges de sa cape vibrent et s'agitent en voulant suivre les méandres et les caprices de cette déclamation. Un sermon, cela ne s'improvise pas, et c'est même parfaitement codifié : Il faut débuter par un exorde qui cite l'Écriture, puis énonce la proposition du sujet, et la division, en trois points. L'exorde se termine par l'invocation à l'Esprit-Saint, invocation non superflue puisqu'il va falloir attaquer le corps du sermon, et développer les trois points annoncés dans la division. Enfin, la péroraison se livre à une brève récapitulation avant d'entamer l'affection, morceau lyrique d'action de grâces pour les vérités énoncées. Le tout, en latin, au moins pour l'exorde. Ah, Bossuet, comme tu nous manques!
Pris par son sermon, Corentin en a oublié son poisson.
Saint Joseph :
Pour une fois, il est à son avantage, avec une vrai carrure de charpentier : je ne l'aurais pas reconnu si je ne l'avais pas lu sur la notice.
Saint François d'Assise
en tenue de franciscain, avec le froc de laine de couleur sombre, le capuchon court et arrondi, la ceinture de corde aux trois noeuds rappellant les trois voeux de pauvreté, chasteté et obéissance, et les sandales de cuir. La coupe est faite "au rasoir d'Occam", coupant tout ce qui dépasse
Saint François présente ses stigmates :
- Christ en croix (XVIè) :
- Saint Éloi (XVIè) :
La statue polychrome en pierre est placée dans une niche d'ornementation gothique très comparable à celle qui abrite la statue de Notre-Dame de Trèguron, sans néanmoins être similaire. Comme elle également, cette niche en bois est posée sur un solide socle en pierre qui porte la date de 1584 ; et comme elle enfin, elle est peinte en rouge, bleu et or à l'extérieur, et en bleu étoilé de blanc dans le fond.
Saint Éloi est en tenue de maréchal-ferrant, ou plutôt il en tient les instruments, car s'il faut comparer au vitrail des Saints de Plogonnec Les vitraux de Plogonnec IV : Vitrail de la Résurrection. on constate qu'ici, le saint ne porte pas le tablier propre à la profession, mais celui du forgeron (qui n'est pas fendu sur les cuisses) et que la tunique dorée paraît bien élégante pour un artisan au travail.
Un tablier de maréchal-ferrant marque Excelsior, ceinture et sanglons de cuisses sont en cuir de buffle pleine fleur :
Il tient un marteau, il a passé les tenailles dans sa ceinture, et il est en train de ferrer le morceau de patte qu'il a miraculeusement prélevé sur le cheval qui attend gentiment dehors. De faux ex-voto sont sculptès sur son billot, et un vrai fer à cheval est accroché sur le devant de la niche.
Plusieurs détails vont m'intriguer :
-sa coiffure capillaire et sa coiffure-chapeau, une sorte de chapka dont les éléments latéraux se rabattent sur les oreilles.
-sa moustache dite Royale à la Louis XIII, mais où la touffe de poils du menton est taillée non pointe vers le bas, mais en écusson pointe vers le haut, et où la moustache elle-même est courte, et interrompue au milieu.
- l'outil en zig-zag sculpté sur l'établi. Il s'agit du boutoir, utilisé pour couper la corne et égaliser le dessous du sabot. La grosse tenaille à déferrer porte le nom de tricoise, alors que le marteau utilisé pour enfoncer les clous de ferrage se nomme le brochoir.
Le nom de maréchal-ferrant ou maréchal ferrant vient du bas-latin marescalcus, "valet d'écurie" issu lui-ême de l'ancien allemand marahskalk, composé de marh, "cheval", (proche du marc'h breton) et de skalk, "valet" ou "celui qui soigne". Il apparait en français en 1086 sous la forme marescal avec le sens d'artisan charger de ferre les chevaux et les anilmaux de trait. Ce n'est que secondairement qu'il prend le sens d'officier chargé du soin des chevaux, puis en 1213 celui de grand officier chargé de commander une armée. Il fallut alors, en 1611, introduire le terme de maréchal-ferrant pour désigner le métier de "maréchal".
En 2001, un charcutier à la retraite, Charles Rannou, né en 1913, racontait ceci à un journaliste qui l'interrogeait :
"A l' heure actuelle ,de plus en plus de gens prennent part aux pardons .Mais ils ne s'y rendent pas pour les mêmes raisons que leurs aieux.Autrefois c'était le moment de célébrer un saint, pour le prier d'intercéder dans toutes sortes de domaines ;chacun avait sa spécialité ,ses pathologies à soigner.Pour beaucoup ils étaient les saints patrons veillant sur les bêtes :Saint Herbot pour les bêtes à cornes , Saint Eloi pour les chevaux. Et dans chaque chapelle où l'on pouvait s'adresser à Saint Eloi on organisait chaque année le Pardon des chevaux .Dans la paroisse de Gouezec ,c'est à la chapelle Notre Dame de Treguron que l'on se rendait."
Le pardon des chevaux :
Un cheval ou une vache constitue pour une ferme un bien prècieux, qu'il s'agit de placer sous la protection des "saints vérérinaires", lors du pardon.Il se déroule à peu-près de la même façon partout : le cheval est endimanché, sa queue et sa crinière sont tréssées, les sabots sont cirés, et le cavalier et sa monture se présentent tôt à la chapelle pour entendre la messe matinale. La première chose à faire est de faire trois fois le tour de la chapelle dans le sens de la rotation du soleil, le chapelet dans une main, le chapeau dans l'autre, en récitant des prières. Cette circumduction rituelle est chargée de puissance magique, qui se renforce à chaque tour, avec un arret en passant devant la porte de la chapelle et en faisant faire à son cheval un salut au saint patron. En même temps, le ferlier récite la prière à Saint Éloi : Sant Alar viniget, A zo mestr ar c'hezeg, Ro dezhe bouet ha yec'hed, Ma vo kresk al loened ( "St Éloi béni, Toi qui es maître des chevaux, Donne leur pâture et santé, et tâche d'augmenter le prix des bêtes "!)
Le maître s'acquitte alors d'une offrande, souvent constituée de dons de crins, mais aussi de blé ou d'autres offrandes en nature en remerciement pour une guérison, un accident évité, un beau poulain. On offre aussi des ex-voto, et notament un fer à cheval où est inscrit le nom du cheval , du fermier ou de la ferme. Après l'office a lieu la bénédiction des chevaux par le recteur, puis on descend à la fontaine et le cheval est arrosé à grand renfort de seaux d'eau ou bien baigné dans un bassin ou un étang.
Le travail de référence est celui de Bernard Giraudon :http://danielgiraudon.weebly.com/uploads/3/1/6/3/3163761/pardons_des_chevaux_kernault.pdf
Ici, le vitrail de l'église de la commune de Saint-Éloy :
Les volets de la niche.
A la différence de celle de la Dame de Tréguron, celle de St Éloi a conservé ses volets peints de huit personnages identifiés par Abgrall et Peyron en 1901. Celui de droite représente en bas "une sainte abbesse, portant crosse, peut-être Sainte Scholastique ou Sainte Candide", à coté de Saint-Jean Baptiste portant l'agneau, et en haut "Saint Guillaume d'Aquitaine, en robe brune, le corps couvert de chaînes de fer, tenant un bourdon de pélerin, aux cotés de Saint Laurent tenant le grill de son martyr, et que les deux chanoines omettent de décrire. Le volet de gauche présente en bas Saint Herbot en tenue de franciscain (identifié par eux comme un Saint François d'Assise) et "Michel le Nobletz, vêtu du même surplis qu'il a au Conquet dans sa statue tumulaire" puis en haut "Saint Yves ayant robe rouge, camail et barrette de même couleur, avec surplis moucheté d'hermines" et " Saint Dominique ", que des experts ont identifié lors d'une restauration ultérieure comme Saint Vincent.
Il serait interressant de dégager la logique qui réunit ces personnages, avec une majorité de membres du clergé : cela ressemble à une conception issue d'un théologien de la Réforme. Il serait aussi curieux de connaître la datation attribuée à la statue indépendamment de son socle. Michel le Nobletz est né en 1577 et mort en 1652.
Le Mobilier :