Vitrail de la grisaille de l'Annonciation de la cathédrale de Chartres.
Voir aussi :
Le vitrail de la Passion de la cathédrale de Chartres.
Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.
Les Mois, le Zodiaque et le Temps de la cathédrale de Chartres: sculpture et vitrail. .
La Vierge allaitante de l'oculus des vitraux de Chartres.
Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.
Il s'agit ici de la baie 26 selon la numérotation du Corpus Vitrearum : chœur, coté sud.
Ce pur chef d'œuvre est, dans son émouvante simplicité, l'une des plus belles choses que l'on puisse admirer à Chartres ; mais cette verrière est la proche voisine du fameux vitrail de la Belle Verrière (n°30) et de celui des Mois et du Zodiaque (n°28), et le visiteur risque de passer devant sans y prendre garde.
On la qualifie de "grisaille", comme si elle était composée de verres blancs peints de grisaille, mais cette lancette à arc brisé divisée en trois colonnes de douze panneaux, si elle est bien décorée par un réseau de losanges tracés à la grisaille et dont chacun est centré par une fleur rehaussée au jaune d'argent, possède bien une scène en verres colorés dans sa partie inférieure, et un encadrement également coloré.
La grande clarté de cette verrière est intentionnelle, et elle a sans-doute remplacé, au XIVe siècle, une vitre narrative du XIIIe siècle, entièrement colorée, afin d'éclairer le déambulatoire.
1. L'Annonciation.
L'ange Gabriel se tient à droite et tient une banderole avec l'inscription AVE MARIA GLORIA PLENA. Mais la calligraphie de chaque lettre de cette inscription est une merveille. L'artiste s'est arrangé pour que le nom de Marie soit au sommet du phylactère savamment plié. J'admire aussi le dessin de la main et de l'index annonciateur.
A cette calligraphie répond celle des traits du visage, chacun dessiné comme pour lui-même : arc des sourcils, prunelles, virgule de l'aile du nez, délié de la bouche, six ou sept traits de pinceaux pour créer cette expression décidée mais souriante, celle de quelqu'un qui se réjouit à l'avance de ce qu'il a à dire.
Ailes qui porte les couleurs d'Iris ; manteau rouge, robe blanche, et le pied encore vibrant de la hâte d'arriver.
Entre lui et la Vierge, le vase ou fleurit un lys, symbole de virginité. Placé sur l'axe médian, il sépare l'espace du divin et l'espace humain, mais les fleurs, comme de petites mains gantées de blanc, se tendent pour rapprocher ces deux espaces, et leurs protagonistes. C'est, comme dirait Winnicott, "l'objet transitionnel" dans l'espace intermédiaire où va fleurir le jeu des échanges verbaux, cet espace qui, dans des Annonciations plus picturales, est traversé par le rayon fécondant du Saint-Esprit.
La Vierge à peine détournée de sa lecture pieuse (on interprète les éléments architecturaux de l'extrême droite comme figurant sa chambre, et son prie-dieu), à peine frappée par la surprise de l'Annonce, est déjà revenue à son intériorité, mais sa tête inclinée, ses yeux et se lèvres closes expriment l'intensité de son Fiat par lequel elle accepte déjà le pire, comme un préalable à la Rédemption. Toute son éloquence se trouve dans sa main aux longs doigts (5 phalanges !) qui ferme l'arc tendu par Gabriel.
2. La bordure d'encadrement.
Elle est composée d'une alternance d'une fleur de lys et d'une sorte de damier qui ne retient pas forcément l'attention. Pourtant, la fleur se blasonne d'azur semé de fleurs de lys d'or, et ce sont les armes d'un roi de France. Intéressons-nous au "damier".
Si on veut trouver une comparaison plus juste avec un jeu de pion, cela ressemble à ce carré que ma sœur traçait en défi sur la plage de Carolles (50) et sur les diagonales ou les droites duquel je tentais d'aligner trois petits cailloux de galets. Nous le nommions "le Drapeau anglais" mais son nom officiel —avec un tracé différent— est "le jeu de Mérelle" (ou Jeu du Moulin, de Charett, Morris, etc.). On y jouait au Moyen-Âge dans les tavernes ou à l'école. Or, je découvre dans un vieux dictionnaire "En terme de blason, on dit que les anciens rois de Navarre depuis Sanche le Fort ont porté pour armes des chaînes mérellées, qui représentent des mérelles, quoique plusieurs Hérauts les aient pris pour des chaînes et des raies d'escarboucle." (1743)
Cet indice me suffit pour découvrir que le motif sur fond rouge qui alterne avec la fleur de lys correspond aux armes de gueules aux chaînes d'or posées en orle, en croix et en sautoir, chargées en cœur d'une émeraude au naturel des rois de Navarre.
Il s'agit donc de trouver les donateurs de ce vitrail, auxquels ces blasons appartiennent : chacun trouvera comme moi les réponses, dont la première est Jeanne II de France, reine de Navarre, née le 28 janvier 1311 et morte le 6 octobre 1349, fille du roi de France et de Navarre Louis X le Hutin et de Marguerite de Bourgogne. Elle fut reine de Navarre de 1328 à1349. Son époux est Philippe d'Évreux.
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Le chanoine Yves Delaporte suggère aussi qu'il puisse s'agir de leur fille la belle Blanche de Navarre (1333-1398) et son mari Philippe de Valois. Elle fut reine de France 6 mois et 23 jours, en 1350, ayant épuisé son mari, son aîné de quarante-et-un ans.
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3. Les trois fleurs au dessus de l'Annonciation.
Elles méritent un rapide examen car elles sont chacune différentes. Deux d'entre elles sont au centre de quatre feuilles de houx, et celle du milieu au centre de quatre feuilles de chêne. Peintes en grisaille, elles sont rehaussées au jaune d'argent plus ou moins dense, du jaune jusqu'à l'orange.
Le jaune d'argent, cette "couleur de cémentation " obtenue par des sels métalliques qui pénètrent dans le verre pendant la cuisson, a été introduite en occident au début du XIVe siècle, et l'exemple français le plus ancien date de 1313 (Le Mesnil-Villeman). C'était donc, pour ce vitrail du XIVe, une nouveauté.
On en profitera pour regarder les différentes fleurs au centre de chaque losange, pour constater une diversité étonnante.