Les vitraux de Marc Chagall pour le déambulatoire nord de la cathédrale de Metz. I : la Baie n° 9. 1958-1962.
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Voir aussi dans ce blog :
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PRÉSENTATION.
Lorsqu'il franchit le bras nord du transept pour accéder au déambulatoire qui contourne le chœur , le visiteur de la cathédrale trouve un panneau d'information n° 10 (le n° 9 est celui qui décrit la verrière de la Création) ; il y lit ceci :
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"Chagall, sur les deux fenêtres de l'abside nord, ouvre en couleurs quelques pages de la Bible, une histoire continue qui mène de la tragédie de l'Exil à la Shoah.
Tout en haut, la lumière arc-en-ciel, au temps de Noé, éclate en bleu et en rouge devant vous. Le sacrifice d'Isaac lié sur l'autel annonce celui du Christ en Croix. Au centre, deux épisodes de la vie de Jacob : le songe et la lutte avec l'ange, un monde tout en rouge qui tranche avec celui de la manifestation de Dieu à Moïse devant le buisson ardent tout en bleu.
A la fenêtre suivante, l'histoire se poursuit. Sur le Sinaï en flammes, Moïse comme aspiré vers Dieu, reçoit les tables des dix paroles. Au centre, David chante s'accompagnant d'une lyre ; enfin Jérémie, le prophète préféré de l'artiste, nous invite à méditer sur le sens d'une histoire qui interpella Chagall : « Plus notre temps refuse de voir le visage entier du monde pour n'en regarder qu'une toute petite partie de sa peau, plus je deviens inquiet en considérant ce visage dans son rythme éternel. »
S'il lève les yeux, il sera ébloui par la lumière d'une vingtaine de spots montés sur un vilain luminaire dans une volonté, sinon de desservir l'œuvre du peintre, du moins de privilégier le culte. Il cherchera en vain à contourner ces odieux lumignons pour bénéficier d'un regard d'ensemble. L'une avec ses trois lancettes, se trouve au nord de la porte d'accès à la tourelle octogonale de la Boule d'Or (baie n°9), et la seconde, à quatre lancettes, surmonte la porte de la Grande Sacristie (baie n°11 ) .
Donc :
— Baie n° 9 : 3 lancettes lancéolées (Moïse recevant les Tables de la Loi, David jouant de la harpe , le prophète Jérémie ), deux médaillons à quatre-feuilles, une rose à dix ajours centrée par le Christ. Verrière réalisée par Charles Marq de Reims en 1962, d'après les cartons de Marc Chagall, 1958-1961.
—Baie n° 11 : 4 lancettes lancéolées bigéminées (le sacrifice d’Abraham, la lutte de Jacob avec l’ange, le songe de Jacob et Moïse devant le buisson ardent) surmontées de deux mouchettes ; tympan de deux mouchettes et un soufflet, encadrés par deux ajours latéraux. 1962, Verre, 362 x 92 cm pour les lancettes, Metz, Cathédrale Saint-Étienne.
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Les baies n° 9 et 11 de la cathédrale de Metz, sur un plan de Dehio 1902.
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"La première réalisation importante de vitraux pour une église que Chagall entreprit fut celle des fenêtres de la cathédrale Saint-Étienne de Metz. En 1958, lorsque Robert Renard, architecte en chef des Monuments Historiques, lui demanda de créer deux petites fenêtres du déambulatoire du chœur, il hésita à s’engager formellement, de peur de ne pas y réussir [Robert Renard écrivit, dans son rapport du 21 août 1958 envoyé au Directeur Général de l’Architecture, que « M. Chagall n’a jamais voulu s’engager formellement, disant qu’il ne pouvait être sûr de réussir et qu’il ne voulait rien promettre ». Archives, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris. ]. Mais le résultat satisfaisant de ces premières fenêtres dût l’encourager. Ainsi, jusqu’en 1968, il réalisa successivement les fenêtres de l’abside nord, du transept nord et du triforium est et ouest. " ( Chan Young Park, 2008)
Le choix de Robert Renard s'explique par la participation de Chagall à l'aménagement (une mosaïque et deux vitraux) de l'église du Plateau d'Assy (1937-1946), véritable manifeste du renouveau de l'art sacré inauguré en 1950 sous l'impulsion du dominicain Marie-Alain Couturier,et qui a suscité une vive polémique connue sous le nom de "querelle de l'Art Sacré".
"Après la Seconde Guerre mondiale, le chantier le plus urgent est celui de la repose des 50000m2 de vitraux anciens déposés par sécurité. Or, l’architecte en chef des Monuments historiques, Robert Renard [de 1946 à 1974, mais nommé à Metz en 1951] considère que les seuls vitraux intéressants et représentatifs de notre époque sont les œuvres de grands peintres: Léger, Matisse, Manessier… En 1955, la cathédrale de Metz est donc le premier édifice classé Monument historique à recevoir les vitraux des artistes contemporains. Accepter les créations proposées pour Metz fut une décision audacieuse qui a ouvert la porte à de nombreuses créations dont celles de Sima à l'église Saint-Jacques de Reims, de Gérard Lardeur à la cathédrale de Cambrai ou encore de Bazaine dans l’église Saint-Séverin de Paris. " (Journal de l'exposition Chagall Soulages Benzaken 2015). Je note aussi le soutien apporté par Jacques Dupont (1908-1988), Inspecteur général des Monuments historiques.
Robert Renard fait appel à deux autres artistes contemporains pour les vitraux de Metz : Jacques Villon et Roger Bissière (1960).
Le déambulatoire de Metz est éclairé par ailleurs par des vitraux du XVIe siècle, à petites scènes ; Chagall doit intégrer ses créations avec eux. Il a le choix de ses sujets et ce choix se porte sur des thèmes tirés de l'Ancien Testament, tels qu'il les avait illustrés par les gouaches préparatoires puis par 105 gravures pour Bible, édité par Tériade en 1956 et par les lithographies pour Dessins pour la Bible édité les éditions Verve en 1960.
Pour la baie n°9, il choisit deux Patriarches (Moïse et Jacob), un Roi (David), et un Prophète (Jérémie), mais il ré-emploie d'autres planches.
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LA BAIE N°9 DU DÉAMBULATOIRE NORD.
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" L’artiste représenta alors Moïse recevant les Tables de la Loi, le roi David et le prophète Jérémie pour les trois lancettes, et il figura le Christ dans la rosace centrale. Cette composition avec trois personnages importants de l’Ancien Testament à la base convergeant vers le Christ est étonnante. Car, comme Sylvie Forestier l’écrivit, (Sylvie Forestier, Chagall – Les Vitraux, p.181), ces figures de Prophètes et du Roi poète sont considérées dans le christianisme comme annonciatrices de celle du Christ, selon l’idée fréquente que l’Ancien Testament comporte des préfigurations du Nouveau Testament. Néanmoins, au regard de la judéité de l’artiste, l’interprétation selon ce point de vue chrétien devrait être considérée avec précaution. Quant au choix de ce programme iconographique, nous ignorons comment Chagall fut amené à le faire. Mais les correspondances de Robert Renard nous informent que l’artiste avait établi ses maquettes avant qu’il fût officiellement engagé. Robert Renard écrivit dans sa lettre du 10 mai 1961 adressée à l’artiste : « Pour vos précédentes fenêtres, mon Administration m’a reproché de n’avoir pas attendu ni obtenu d’autorisation officielle. J’aimerais donc, pour la troisième fenêtre, avoir une lettre officielle de commande ». (Archives, Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, Paris. ). Par conséquent, nous pouvons croire que Chagall avait librement réalisé ses maquettes, sans avoir d’influences extérieures. Tout de même, les maquettes furent soumises aux examens de la Commission Supérieure des Monuments Historiques. Elles furent également présentées à Monseigneur Heintz, Évêque de Metz, qui les apprécia beaucoup, et reçurent ensuite l’approbation de la Commission d’Art Sacré de la Moselle. Cet ensemble d’informations nous montre que l’œuvre de Chagall avait satisfait l’Église et les Monuments Historiques, qui, par la suite, continuèrent à collaborer avec l’artiste." ( Chan Young Park, 2008)
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Les maquettes.
Nous trouvons en ligne trois maquettes datant de 1958-1959 :
a) L'une conservée au Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle : Papiers découpés, aquarellés, gouachés, collés sur papier 114 x 94 cm.
https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/c4yXde/razgkoX
b) les 2 autres conservées au Musée National Marc Chagall de Nice
— Celle de 1959, où Bethsabée est absente de la lancette B :
http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/marc-chagall_cathedrale-de-metz-david-et-jeremie-de-la-serie-vitraux_crayon-dessin_encre-de-chine_crayon-de-couleur_1959
— celle-ci, en couleur, datant de 1958, (image) : Marc Chagall, maquette pour la baie 9, baie nord du déambulatoire de la cathédrale Saint Etienne de Metz (Moselle). © Adagp, Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Adrien Didierjean .
Elle fait clairement apparaître pour les lancettes une construction autour d'un point central (le siège de David) délimitant par deux diagonales quatre triangles opposés par leur pointe :
- Un triangle rouge (Moïse), à droite , opposé/ s'inversant en :
- un triangle violet à droite (Jérémie)
- Un triangle bleu, en bas répondant à
- Un triangle bleu, rompu par le vert, le jaune et le rose, en haut.
Cette construction se retrouve bien-sûr dans le vitrail, .
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Maquette pour la baie n°9, baie nord du déambulatoire de la cathédrale Saint Etienne de Metz (Moselle). © Adagp, Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Adrien Didierjean .
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Le vitrail.
Chagall le surnommait "le blessé", car sa partie gauche a été amputée lors de la création de la tourelle, ce qui lui donne un air boiteux. L'axe médian de la rosace est décentré vers la gauche de l'axe médian actuel des lancettes.
J'y ai tracé les deux diagonales incontestables opposant, nous allons le voir, l'alliance contractuelle conclue par Dieu avec son peuple et la rupture de cette alliance prophétisée par Jérémie. J'y place aussi un axe vertical qui part de la mère à l'enfant, passe par le trône de David, et s'achève par le Christ de la rosace.
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Marc Chagall et Charles Marcq, baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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LA LANCETTE A. MOÏSE RECEVANT LES TABLES DE LA LOI. L'ALLIANCE MOSAÏQUE.
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Chagall l'a préparée depuis 1931 par la planche 37 de Bible. (Sur 105 gravures de ce recueil, 17 traitent de Moïse et portent les n° 26 à 42) . Ce sujet est également traité dans une huile sur toile sur fond jaune conservée au Musée Marc Chagall et datée de 1960-1966.
http://musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/chagall/objet/c-moise-recevant-les-tables-de-la-loi
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"Chagall conclut sa série sur les patriarches avec dix-sept planches entourant la vie de Moïse, le nombre le plus important d'illustrations consacrées à un personnage dans son recueil. Pierre Schneider voit chez l'artiste un trait commun avec ce personnage biblique puisque tous les deux éprouvaient des difficultés d'élocution. Pour Moïse, ses problèmes de langage débutèrent lors de sa confrontation avec la voix de Dieu et sa mission de rapporter par la suite le message divin au peuple hébreu. Chagall, pour sa part, développa ce trouble plus jeune, lorsque son professeur lui demanda de réciter sa leçon devant sa classe. Alors petit juif du héder hébraïque transplanté dans une école russe, il ne put articuler un seul mot, bien qu'il connut son récital par cœur. La cause du blocage de ces deux hommes était en quelque sorte la même; l'incapacité de surmonter l'écart entre les exigences de l'expression et celles de la communication. L'artiste disait sans détour avoir « une âme douloureuse de gamin bégayant » . Son problème perdura avec les années puisqu'un peu plus tard, lorsqu'il tentait en vain d'expliquer les raisons qui l'avaient poussé à se rendre à Paris, il confiait dans ses écrits : « À ma bouche affluaient des mots venus du cœur. Ils m'étouffaient presque. Je bégayais. Les mots se poussaient à l'extérieur, anxieux de s'éclairer de cette lumière de Paris, de se parer d'elle. » Son affinité avec Moïse expliquerait alors en partie le nombre important de planches qu'il lui a consacré, mais une autre raison pourrait être envisagée : Moïse est l'homme qui a conduit le peuple hébreu hors de l'esclavage vers la terre promise. Ce conducteur représente ainsi l'aspiration profonde de l'artiste, juif et expatrié de surcroît, qui souhaite ardemment un monde nouveau et idéal pour tous les hommes de notre terre." (R. Massé, 2010)
C'est la planche n° 37 qui est intitulée Moïse, au Sinaï, reçoit des mains de Dieu les tables de la Loi. Les planches n°38 ( Les Hébreux adorant le veau d'or ) et n°40 (Aaron devant le chandelier d'or à sept branches ) sont aussi intégrées à la première lancette, en périphérie du sujet principal. Aussi peut-on dire que pour ses débuts dans la réalisation d'une verrière (et d'une façon qu'il maintiendra désormais constamment) Chagall puise dans un travail biblique réalisé sans relâche depuis 30 ans, en le découpant, en le recomposant et en le modifiant. Les planches bibliques, puisqu'elles illustraient quelques versets, ne représentaient qu'une seule scène (centrées sur un personnage). Les vitraux vont au delà de cette fonction d'illustration et de l'aspect narratif (que les planches dépassaient en fait ) et composent une saisissante méditation biblique, une grande variation poétique qui s'enrichira, vitrail après vitrail, par le jeu des collages et par celui des couleurs.
Car son but n'est pas d'apporter un énième commentaire biblique, mais de témoigner du sens et de la poésie aux personnages bibliques par la couleur. Qui est, pour lui, une expression visible de l'amour.
Justement, la lancette est divisée en trois plages de couleur : deux en haut et en bas sont bleues, et elles sont pénétrées par un triangle rouge dont le sommet est dirigé vers la droite. Ce triangle correspond, par confrontation à l'étude et au tableau du MNMC, au Sinaï. Mais cette construction doit être replacée dans le schéma global du vitrail.
Au sommet du mont, Moïse, le front irradié par son contact avec la divinité, reçoit les Tables de la Loi. Dieu est représenté par une seule main, la main gauche, sortant des nuées bleuâtres. Le corps du Patriarche forme l'axe diagonal principal, axe souligné par les nombreuses lignes parallèles tracées par les plombs. Ainsi se crée un grand mouvement d'aspiration vers le Divin. Mais au sein de ce mouvement, le corps de Moïse, loin d'être linéaire, tourne et danse comme s'il perdait pied. Le bas de sa robe forme des vagues, emporté par le grand cercle rouge-feu qui se gonfle devant lui. Toute la montagne est embrasée. Chagall fait une lecture soigneuse du texte biblique d'Exode 24:16-18.:
"La gloire de l'Éternel reposa sur la montagne de Sinaï, et la nuée le couvrit pendant six jours. Le septième jour, l'Éternel appela Moïse du milieu de la nuée. L'aspect de la gloire de l'Éternel était comme un feu dévorant sur le sommet de la montagne, aux yeux des enfants d'Israël. Moïse entra au milieu de la nuée, et il monta sur la montagne. Moïse demeura sur la montagne quarante jours et quarante nuits."
La réception des Tables par Moïse a lieu, dans le Livre de l'Exode, à deux reprises. Voici un résumé d'un texte qui mérite d'être lu ou relu :
a) Moïse, ayant conduit son peuple au pied du mont Sinaï, y monte s'entretenir avec Dieu. Cela commence au chapitre 19, et Dieu met déjà en scène sa théophanie de manière très spectaculaire pour que le peuple prenne Moïse au sérieux. "La montagne de Sinaï était tout en fumée, parce que l'Éternel y était descendu au milieu du feu; cette fumée s'élevait comme la fumée d'une fournaise, et toute la montagne tremblait avec violence. " (19:18). Seul Moïse a le droit de s'approcher, puis Moïse et son frère Aaron, puis Moïse et son guide Josué. Dans les chapitres 20 à 23, il reçoit les commandements et lois, que Dieu énonce oralement. C'est très long, très précis, cela dépasse largement les "Dix commandements". Moïse offre alors un sacrifice en signe de l'alliance conclue entre Dieu et son peuple : il exerce la fonction de prêtre.
En Ex 24:12, Dieu s'engage à laisser une trace écrite de ce "Code de l'alliance" :
"L'Éternel dit à Moïse: Monte vers moi sur la montagne, et reste là; je te donnerai des tables de pierre, la loi et les ordonnances que j'ai écrites pour leur instruction."
Moïse gravit une fois de plus le Sinaï, mais c'est pour entendre un long exposé divin (chapitre 25 à 31) sur les données cultuelles ou liturgiques du judaïsme. Il désigne Aaron et ses fils comme ses prêtres. Ce n'est qu'à la fin du chapitre 31 que nous lisons :
" Lorsque l'Éternel eut achevé de parler à Moïse sur la montagne de Sinaï, il lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu. " (Ex 31:18).
Puis :
"Moïse retourna et descendit de la montagne, les deux tables du témoignage dans sa main; les tables étaient écrites des deux côtés, elles étaient écrites de l'un et de l'autre côté. Les tables étaient l'ouvrage de Dieu, et l'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les tables." (Ex 32:15-16)
Le vitrail de Chagall correspond à ce moment.
Cette scène est fondatrice pour le judaïsme, puisque elle institue l'Alliance de Dieu avec Israël, ses lois, son culte, ses rites (le sabbat), ses objets rituels (tabernacle, arche d'alliance ), sa caste sacerdotale, et les vêtements liturgiques, soit le passage d’une identité tribale et généalogique (les douze tribus d'Israël correspondant aux douze fils de Jacob) vers une identité « nationale ». Dans cette lancette, Chagall illustre-t-il seulement les éléments de son identité juive ?
Ou bien met-il l'alliance mosaïque (précédée par celle de Noé et d'Abraham) comme une préfiguration de la Nouvelle Alliance qui, pour l'apôtre Paul (Corinthiens 1 1:25 et 2 3:6) s'ouvre par la Croix du Christ à tous les hommes ?
b) Chagall mentionne déjà dans sa peinture la suite du Livre de l'Exode et ses chapitres 32 à 34 : en effet, le peuple d'Israël est représenté par une double colonne verticale dont chaque case reçoit un visage ; et tout en haut, on discerne le Veau d'Or. Poursuivons la lecture.
En redescendant, Moïse voit les Hébreux, sous la conduite de son frère Aaron, adorer un veau d'or et enfreindre le 3e commandement ! Pris de colère, il fracasse les Tables de la Loi sur un rocher (Ex 32, 25-29). Il doit alors retourner au sommet du mont Sinaï afin de recevoir de nouvelles Tables ( Exode, 34, 18 ) . Après les chapitres témoignant de l'élection d'Israël comme nation sacrée et royaume de sacrificateurs, ceux-ci décrivent le péché, la faute, la rupture du pacte contracté par Moïse, le pardon de Dieu, et le renouvellement du pacte.
L'ange de la tête de lancette.
J'y vois l'ange qui, durant l'Exode, guida la marche du Peuple d'Israël, selon la promesse divine : Ex 23:20, "Voici, j'envoie un ange devant toi, pour te protéger en chemin, et pour te faire arriver au lieu que j'ai préparé. ", Ex 23:23 " Mon ange marchera devant toi, et te conduira chez les Amoréens, les Héthiens, les Phéréziens, les Cananéens, les Héviens et les Jébusiens, et je les exterminerai. " et Ex 32:34 : "Va donc, conduis le peuple où je t'ai dit. Voici, mon ange marchera devant toi, mais au jour de ma vengeance, je les punirai de leur péché. ".
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Marc Chagall, Moïse recevant les Tables de la Loi, (1931), planche n°37, eau-forte, de "Bible" édition Tériade 1956. Illustration in R. Massè, 2010.
Marc Chagall, lancette A : Moïse recevant les Tables de la Loi. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
Marc Chagall, lancette A : Moïse recevant les Tables de la Loi. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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Le peuple d'Israël. La signature "Marc Chagall".
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Signature Marc Chagall, sur la lancette A . baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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Aaron et le chandelier d'or.
Je l'ai dit, Chagall reprend ici la planche n°40 des gravures de Bible (1931-1956). Cette association est propre à l'univers de Chagall. Aaron est le premier grand prêtre d'Israël :
Exode 28:2-5 " Tu feras à Aaron, ton frère, des vêtements sacrés, pour marquer sa dignité et pour lui servir de parure. Tu parleras à tous ceux qui sont habiles, à qui j'ai donné un esprit plein d'intelligence; et ils feront les vêtements d'Aaron, afin qu'il soit consacré et qu'il exerce mon sacerdoce. Voici les vêtements qu'ils feront: un pectoral, un éphod, une robe, une tunique brodée, une tiare, et une ceinture. Ils feront des vêtements sacrés à Aaron, ton frère, et à ses fils, afin qu'ils exercent mon sacerdoce."
Chagall a représenté Aaron coiffé, non de la tiare ou du turban de lin ( Mitznefet), mais du migbahat des prêtres, en forme de cône. Il porte le pectoral qui est longuement décrit en Exode 28:15-30 et qui porte les 12 pierres des 12 tribus :
" Tu feras le pectoral du jugement, artistement travaillé; tu le feras du même travail que l'éphod, tu le feras d'or, de fil bleu, pourpre et cramoisi, et de fin lin retors. Il sera carré et double; sa longueur sera d'un empan, et sa largeur d'un empan. Tu y enchâsseras une garniture de pierres, quatre rangées de pierres: première rangée, une sardoine, une topaze, une émeraude; seconde rangée, une escarboucle, un saphir, un diamant; troisième rangée, une opale, une agate, une améthyste; quatrième rangée, une chrysolithe, un onyx, un jaspe. Ces pierres seront enchâssées dans leurs montures d'or. Il y en aura douze, d'après les noms des fils d'Israël; elles seront gravées comme des cachets, chacune avec le nom de l'une des douze tribus. […] Lorsque Aaron entrera dans le sanctuaire, il portera sur son coeur les noms des fils d'Israël, gravés sur le pectoral du jugement, pour en conserver à toujours le souvenir devant l'Éternel. Tu joindras au pectoral du jugement l'urim et le thummim, et ils seront sur le coeur d'Aaron, lorsqu'il se présentera devant l'Éternel. Ainsi, Aaron portera constamment sur son coeur le jugement des enfants d'Israël, lorsqu'il se présentera devant l'Éternel. "
Dans l' iconographie, Aaron est figuré tenant soit la verge de son élection, soit l'encensoir de sa fonction sacerdotale, mais non le chandelier.
Ce chandelier à sept branches (la Menorah) est décrit longuement encore dans Exode 25:31-40, en des termes très poétiques qui ne peuvent qu'inspirer Chagall, d'autant que sa forme, inspirée dit-on de la Sauge Salvia palaestina évoque l'Arbre de vie qui lui est cher.
" Tu feras un chandelier d'or pur; ce chandelier sera fait d'or battu; son pied, sa tige, ses calices, ses pommes et ses fleurs seront d'une même pièce. Six branches sortiront de ses côtés, trois branches du chandelier de l'un des côtés, et trois branches du chandelier de l'autre côté. Il y aura sur une branche trois calices en forme d'amande, avec pommes et fleurs, et sur une autre branche trois calices en forme d'amande, avec pommes et fleurs; il en sera de même pour les six branches sortant du chandelier. A la tige du chandelier, il y aura quatre calices en forme d'amande, avec leurs pommes et leurs fleurs. Il y aura une pomme sous deux des branches sortant de la tige du chandelier, une pomme sous deux autres branches, et une pomme sous deux autres branches; il en sera de même pour les six branches sortant du chandelier. Les pommes et les branches du chandelier seront d'une même pièce: il sera tout entier d'or battu, d'or pur. Tu feras ses sept lampes, qui seront placées dessus, de manière à éclairer en face. Ses mouchettes et ses vases à cendre seront d'or pur. On emploiera un talent d'or pur pour faire le chandelier avec tous ses ustensiles. Regarde, et fais d'après le modèle qui t'est montré sur la montagne."
C'est en Exode 27:20-21 que se trouve mentionné le lien entre Aaron, et la lumière (Norah)
Tu ordonneras aux enfants d'Israël de t'apporter pour le chandelier de l'huile pure d'olives concassées, afin d'entretenir les lampes continuellement.. C'est dans la tente d'assignation, en dehors du voile qui est devant le témoignage, qu'Aaron et ses fils la prépareront, pour que les lampes brûlent du soir au matin en présence de l'Éternel. C'est une loi perpétuelle pour leurs descendants, et que devront observer les enfants d'Israël.
Veiller sur cette lumière, en entretenir les lampes, incombe donc aux enfants d'Israël par l'intermédiaire du grand prêtre.
Néanmoins, Aaron porte la responsabilité de l'épisode du Veau d'or, ce qui explique peut-être qu'il soit représenté en être fautif, accroupi dans un coin.
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Marc Chagall, Aaron et le chandelier d'or, planche n°40, eau-forte, de "Bible" édition Tériade 1956. Illustration in R. Massè, 2010.
Marc Chagall, lancette A : Moïse recevant les Tables de la Loi. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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LA LANCETTE B. LE ROI DAVID IMPLORÉ PAR BETHSABÉE. L'ALLIANCE DAVIDIQUE.
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Je rappelle la construction en X du vitrail : ce panneau B est certes central, mais il est aussi situé en entre-deux, à l'intersection des deux triangles horizontaux rouge et parme, ce qui imposerait de sans cesse resituer la description dans sa globalité. A gauche, Moïse et son Alliance. A droite, Jérémie prophétisant la rupture de l'Alliance. Face à cet enjeu quasi cosmique, ce récit qui s'inscrit dans le Plan divin, que fait David ? Il joue de la musique, prépare un banquet et compte fleurette avec la belle Bethsabée. Et à l'étage inférieur (le triangle bleu), le peuple élu fait la fête à Jérusalem. Il s'agit de voir cela de plus près.
Trop de nos cathédrales affichent dans leur fenêtres hautes des successions de Patriarches, les uns après les autres, puis de Prophêtes, puis d'Apôtres, ou de Saints, en simples et pieuses et souvent superbes énumérations, pour ne pas laisser passer la chance de disposer d'un vitrail cohérent, construit sur une pensée artistique et spirituelle, sur un "message biblique", et de tenter de le déchiffrer.
C'est la planche n°75 gravée pour Bible qui me révèle le sens de cette scène : son titre est "Bethsabée vient rappeler à David la promesse qu'il lui a faite de désigner son fils Salomon comme roi d'Israël après lui". Elle se réfère au Livre des Rois :
« Bath Schéba se rendit dans la chambre du roi. Il était très vieux; et Abischag, la Sunamite, le servait. Bath Schéba s'inclina et se prosterna devant le roi. Et le roi dit: Qu'as-tu? Elle lui répondit: Mon seigneur, tu as juré à ta servante par l'Éternel, ton Dieu, en disant: Salomon, ton fils, régnera après moi, et il s'assiéra sur mon trône. Et maintenant voici, Adonija règne ! Et tu ne le sais pas, ô roi mon seigneur ! Il a tué des boeufs, des veaux gras et des brebis en quantité; et il a invité tous les fils du roi, le sacrificateur Abiathar, et Joab, chef de l'armée, mais il n'a point invité Salomon, ton serviteur. O roi mon seigneur, tout Israël a les yeux sur toi, pour que tu lui fasses connaître qui s'assiéra sur le trône du roi mon seigneur après lui. » (1 Rois 1 : 15-20) .
Cette scène, au début du Livre des Rois, se rapporte à la lutte pour la succession de David, question laissée en suspens à la fin du Livre de Samuel : parmi les fils du roi, Amnone et Absalom sont disparus, et Adonias, fils d'Haggith, rentre en lice. Mais le prophète Nathan s'oppose à cette investiture :
"Alors Nathan dit à Bath Schéba, mère de Salomon: N'as-tu pas appris qu'Adonija, fils de Haggith, est devenu roi, sans que notre seigneur David le sache? Viens donc maintenant, je te donnerai un conseil, afin que tu sauves ta vie et la vie de ton fils Salomon. Va, entre chez le roi David, et dis-lui: O roi mon seigneur, n'as-tu pas juré à ta servante, en disant: Salomon, ton fils, régnera après moi, et il s'assiéra sur mon trône? Pourquoi donc Adonija règne-t-il? Et voici, pendant que tu parleras là avec le roi, j'entrerai moi-même après toi, et je compléterai tes paroles." (1 Rois 1:11-14)
Le vieux roi David, informé par Bethsabée, désigne Salomon comme successeur, et ordonne à Nathan de l'oindre.
" Ainsi que je te l'ai juré par l'Éternel, le Dieu d'Israël, en disant: Salomon, ton fils, régnera après moi, et il s'assiéra sur mon trône à ma place, -ainsi ferai-je aujourd'hui. Bath Schéba s'inclina le visage contre terre, et se prosterna devant le roi. Et elle dit: Vive à jamais mon seigneur le roi David! [...] Vous sonnerez de la trompette, et vous direz: Vive le roi Salomon! Vous monterez après lui; il viendra s'asseoir sur mon trône, et il régnera à ma place. C'est lui qui, par mon ordre, sera chef d'Israël et de Juda.[...] Tout le peuple monta après lui, et le peuple jouait de la flûte et se livrait à une grande joie; la terre s'ébranlait par leurs cris." (1 Rois 1:30-40)
Ce passage est donc le moment crucial par lequel la dynastie de David (celle qui est illustrée dans les Arbres de Jessé comme l'élément royal de la Généalogie de Jésus) se forme et mène, par Salomon puis Roboam et les autres Rois de Juda jusqu'à Jechonias et l'exil à Babylone, avant que douze autres générations ne conduisent, pour les chrétiens, à Joseph, père légal de Jésus (Mt 1:7-16).
Ce passage est également crucial puisqu'il illustre, après l'alliance de Dieu avec Moïse, l'alliance davidique. On connaît comment David tomba amoureux de Bethsabée, femme de Urie, coucha avec elle, apprit qu'elle était enceinte, et ordonna la mort de Urie. Et comment Dieu le punit par la mort du premier enfant de David et de Bethsabée, puis accorda son pardon et permit la naissance d'un second enfant, Salomon. Ce récit figure dans le Livre de Samuel 2 Sa 11 à 12.
Or, on lit en note de 2 Sa 11:3 la note suivante dans la Traduction Officielle Liturgique :
« Bethsabée » : en hébreu Bat-Shéva, c'est-à-dire « fille de l'Alliance » : Dieu a fait surabonder sa grâce là où le péché avait abondé, et Bat-Shéva va entrer dans l'Alliance en enfantant Salomon." .
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L'alliance davidique.
Cette alliance se fonde sur la prophétie transmise par Nathan à David :Samuel 7:11-16
"Et l'Éternel t'annonce qu'il te créera une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j'élèverai ta postérité après toi, celui qui sera sorti de tes entrailles, et j'affermirai son règne. Ce sera lui qui bâtira une maison à mon nom, et j'affermirai pour toujours le trône de son royaume. Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils. S'il fait le mal, je le châtierai avec la verge des hommes et avec les coups des enfants des hommes; mais ma grâce ne se retirera point de lui, comme je l'ai retirée de Saül, que j'ai rejeté devant toi. Ta maison et ton règne seront pour toujours assurés, ton trône sera pour toujours affermi."
L'oracle joue sur le mot bayit « maison », appliqué tantôt à la dynastie, tantôt au Temple qu'édifiera l'héritier, Salomon. Les fautes de l'héritier (l'idolatrie qui marque la fin du règne de Salomon) sont prévues, mais Yahvé promet son pardon.
Cette alliance s'exprime encore dans le Psaume 89 versets 27-38 :
«Et moi, je ferai de lui le premier-né, Le plus élevé des rois de la terre.
Je lui conserverai toujours ma bonté, Et mon alliance lui sera fidèle;
Je rendrai sa postérité éternelle, Et son trône comme les jours des cieux.
Si ses fils abandonnent ma loi Et ne marchent pas selon ses ordonnances,
S'ils violent mes préceptes Et n'observent pas mes commandements,
Je punirai de la verge leurs transgressions, Et par des coups leurs iniquités;
Mais je ne lui retirerai point ma bonté Et je ne trahirai pas ma fidélité,
Je ne violerai point mon alliance Et je ne changerai pas ce qui est sorti de mes lèvres.
J'ai juré une fois par ma sainteté: Mentirai-je à David?
Sa postérité subsistera toujours; Son trône sera devant moi comme le soleil,
Comme la lune il aura une éternelle durée. Le témoin qui est dans le ciel est fidèle. "
L'alliance n'est plus conditionnelle ou contractuelle, elle est scellée éternellement quelque soit la conduite des fils de David. Or après la scission du royaume en deux, Jéroboam roi d'Israël éleva des sanctuaires à Bethel et à Dane au dieu Baal, et, pour le royaume de Juda, tous les rois furent idolâtres sauf Ezechias et Josias.
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Marc Chagall, Bible (1956), planche n°75 : "Bethsabée vient rappeler à David la promesse qu'il lui a faite de désigner son fils Salomon comme roi d'Israël après lui". (in R. Massé 2010)
Marc Chagall, lancette B, David jouant de la harpe. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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1. Panneau inférieur. Le peuple d'Israël dansant.
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a) Note technique. Le verre soufflé plaqué et gravé.
Sur le plan technique, l'atelier Simon Marcq de Reims a utilisé les verres soufflés fabriqués près de Saint-Etienne, à Saint-Just -sur-Loire dans une filiale de Saint-Gobain. Regardez sur le site en lien la vidéo de You Tube "Le verre soufflé à la bouche par la Verrerie de Saint-Just", conté
par Monsieur Claude Girard qui revient sur le passage d'artistes de renom et son travail à la Verrerie, de 1945 à 1979.
Le panneau est globalement bleu, sa tenue est renforcé par des barres horizontales ou vergettes. Il résulte de l'assemblage par les plombs d'une quarantaine de pièces de verre. Chaque pièce est d'une couleur donnée, ici, bleue ; puis elle est peinte à la grisaille. une peinture vitrifiable composée d'un fondant et d'oxydes métalliques, de couleur noire ou brune, plus ou moins opaque selon sa dilution. La grisaille se lie au verre après cuisson. Elle est néanmoins l'objet d'altérations.
Puisque nous constatons ici que le verre serti dans un plomb n'est pas uniformément bleu, mais qu'il présente des plages blanches et des taches jaunes, c'est qu'il y a un truc. Un verre plaqué est gravé à l'acide fluorhydrique.
Le verre coloré dans la masse est surcolorié par placage en surface. Le verre aisi constitué de deux couches d'épaisseur différente : la première est fine et coloriée tandis que la seconde est blanche ou légèrement teintée.
La gravure à l'acide du verre coloré plaqué éclaircit les couches de couleur ou les élimine pour laisser apparaître les teintes inférieures. Ce procédé permet d'obtenir des nuances plus variées dans un même registre de couleur et de composer finement des motifs à plusieurs teintes.
Les deux taches jaunes (main du musicien et son chofar) sont obtenues par application de jaune d'argent, procédé de cementation entrainant des échanges entre les ions metalliques (cuivre, argent, platine et le verre durant la cuisson.
La gravure à l'acide permet le chatoiement des couleurs que nous allons découvrir dans les autres panneaux.
b) Description,
Ce panneau B est également signé : "Chagall" en bas et à gauche.
Cette scène est,à mon sens, l'illustration de la joie du peuple d'Israël à l'investiture de Salomon en 1 Rois 1:39-40.
"Vous sonnerez de la trompette, et vous direz: Vive le roi Salomon! […] Le sacrificateur Tsadok prit la corne d'huile dans la tente, et il oignit Salomon. On sonna de la trompette, et tout le peuple dit: Vive le roi Salomon! Tout le peuple monta après lui, et le peuple jouait de la flûte et se livrait à une grande joie; la terre s'ébranlait par leurs cris."
L'instrument joué par les deux musiciens pourrait être une clarinette, instrument indispensable de la musique klezmer, mais on se plait à y voir un chofar, instrument rituel israélite fait d'une corne de bélier. Sa forme devrait alors être serpentine. D'autre part, le chofar est toujours joué seul.
Si on insère ce panneau au sein du triangle bleu inférieur, on y voit aussi la boule blanche au sommet de laquelle danse une chêvre, boule qui est sans doute un astre (terre, lune ou soleil ?) au dessus des toits de la ville (Jérusalem) .
A gauche, un homme de profil, le front ceint, se tient à coté d'une mère tenant son enfant. Ces deux-ci nous regardent. David, Bethsabée et Salomon enfant ? Dans la photographie du vitrail sur laquelle j'ai tracé les lignes de force que j'y trouvais, j'ai souligné la ligne qui part de ce couple, suit la courbe du trône de David et s'achève avec le Christ en croix. Une ligne pleine de sens pour les chrétiens, pour lesquels le Christ accomplit ce qui est préfiguré dans l'Ancien Testament, et scelle la Nouvelle Alliance. Mais une ligne signifiante aussi pour celui qui, "simplement", suit la trajectoire de l'Amour jusqu'au don de sa vie pour l'humanité, vocation de l'artiste-prophète.
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Marc Chagall, lancette B. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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2. Deuxième panneau : Bethsabée.
Bethsabée vêtue d'une robe rouge, tient un bouquet. Le motif du bouquet est, chez Chagall, toujours relié à celui du couple d'amoureux. D'ailleurs, le couple David-Bethsabée tient, pour la mythologie personnelle de Chagall, le même rang qu' Adam et Ève : couple paradigmatique sinon primordial. Si David est l'un des alter ego du peintre, derrière David-Bethsabée se devinent Chagall-Bella et Chagall-Vava, ou tous les couples qui s'offrent des bouquets de fleurs. Rappellons que le frère de Chagall mais aussi le fils que Chagall eut de Virginie Haggard en 1946, se prènommaient David, ce qui signifie en hébreu "bien-aimé".. Et que Chagall avait 58 ans lorsqu'il connu — dans une relation adultérine— Virginie qui en avait 30, et qu'il avait 65 ans lorsqu'ils rompirent, en 1952. Il épousa alors Valentina Brodsky, qui avait 47 ans.
Quoiqu'il en soit du pouvoir d'évocation du couple David-Bethsabée pour Chagall, sa présence dans ce vitrail parle de la filiation et de la fondation d'une lignée enracinée dans l'amour, mais aussi dans une triple infraction envers les sixième, septième et dixième commandements du Décalogue : Tu ne tueras point, Tu ne commettras point d'adultère, et Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. Mais David n'apparaît pas ici comme pécheur (comme dans tous les livres d'Heures chrétiens où les enluminures le représentent introduisant aux Psaumes pénitenciels avec le verset Domine ne in furore tuo arguas me) mais comme chef de la Maison de David. Pour Chagall, et pour le texte biblique, le principe premier au nom duquel Bethsabée rappelle à David son engagement vis à vis de son fils n'est pas une dette contractée par une faute, mais c'est la puissance de leur amour.
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Bethsabée dansant, lancette B. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
Marc Chagall, David et Bethsabée au double profil, 1951. Collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition Chagall et la poésie, Landerneau 2016.
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3. Troisème panneau. David sur son trône écoutant Bethsabée.
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David est assis de trois-quart sur son trône royal et tient sa harpe. Derrière lui, une table est dressée, portant une coupe de fruits, une cruche et un verre, mais il s'en détourne. David a 70 ans dans la scène représentée ici. A peu près l'âge de Chagall lorsqu'il peint ce vitrail. Le roi d'Israël, après les coups d'éclat de sa jeunesse (sa victoire contre Goliath), a connu durant son règne beaucoup de vicissitudes, peintes et gravées par Chagall pour la plupart dans Bible (gravures n° 66 à 75) : outre la mort du premier-né de Bethsabée, citons la mort de son tendre et intime ami Jonathan, le viol de sa fille par son fils aîné Amnon, le meurtre du-dit Amnon par son 3e fils Absalon, la rébellion d'Absalon l'amenant à fuir nu-pieds Jérusalem dans la Colline des Oliviers, le pardon qu'il accorde à Absalon, la trahison de ce dernier qui le chasse de son royaume, la mort accidentelle d'Absalon retenu par les cheveux à un térébinthe, son desespoir en apprenant cette mort ( "Le roi s'était couvert le visage, et il criait à haute voix: Mon fils Absalon! Absalon, mon fils, mon fils! " : 2 Samuel 19:1-4).
Chagall, en peignant le visage du roi à la fin de son règne, la tête penchée, le front ridé, connait tout cela, et en tient compte.
Sur le plan technique, c'est le panneau idéal pour admirer comment l'art du peintre et celui de son verrier se déploient. A gauche, c'est un panneau blanc à motifs de grisaille rehaussé de deux valeurs différentes de jaune d'argent. David et sa harpe, ainsi que le fond, doivent être peints sur un verre bleu, décoloré pour la moitié du visage et pour la harpe, et teinté en vert par du jaune d'argent. Quelques rares touches de jaune évoquent des reflets d'or, alors qu'un verre rouge à demi décoloré sur la manche droite laisse imaginer un joyau. L'application de la grisaille diluée sur le visage est subtile.
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La harpe de David est aussi nommée sa lyre. Le lyrisme de Chagall.
Chagall voit dans le roi David un double de lui-même, un artiste (il a selon la tradition composé les psaumes sur sa harpe) qui, en chantant les louanges de Dieu, et en offrant ces chants à la liturgie, incite son peuple à la joie, aux chants et aux danses, à l'exultation de l'allégresse : une mission à laquelle le peintre n'a cessé de se vouer par ses couleurs et ses motifs.
Parmi tous les points de rencontre entre David et Chagall, l'un d'entre eux est donc le lyrisme. " Le lyrisme est l'expression d'une émotion personnelle intense. La poésie lyrique traite des sentiments du poète (les thèmes récurrents sont l'amour, la mort, la nostalgie, la fuite du temps, la communion avec la nature, le destin, le sacré, etc.)" (http://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/lyrisme.php).
" Les faits et les choses ne sont pas vus pour eux-mêmes, mais à travers une résonance intérieure dans l'âme humaine. " (Anne Souriau, Vocabulaire d'esthétique, P.U.F 1999 p. 965).
Mais Rébecca Massé souligne qu'ici, :
"Ce lyrisme devient alors l'expression puisée dans le processus de la lutte de Chagall pour connaître le message de Dieu. Il fait par conséquent partie d'une modalité de connaissance du divin. Ce lyrisme n'est donc pas seulement une expression du sentiment intérieur, mais une ascension de l'âme. C'est avec celui-ci qu'il parvient à s'approprier le message biblique. "
Le lyrisme de Chagall n'est pas un vain mot, qu'on distribuerait sans discernement à tout artiste. Au contraire, c'est la caractéristique propre de son génie, précocement reconnue par Malraux. Celui-ci écrivait à son propos, dans la longue lettre datée de 1976, devenue la préface de Et sur la terre... :
« Votre surprise, toujours initiale, est toujours féconde, parce qu’elle exige la métamorphose. Non seulement celle-ci l’accompagne, mais encore votre création picturale affirme, d’une manière naïve si l’on y tient, mais d’une naïveté invulnérable comme la naïveté religieuse, que les choses (et pas seulement celles que vous représentez) ne sont pas ce qu’on croit, ce qu’elles croient. Si vous êtes devenu le plus grand coloriste vivant, c’est évidement pour des raisons spécifiques, mais elles me semblent inséparables de ce que tout réel, tout imaginaire est appelé par vous à sa métamorphose en peinture. »
Cette métamorphose concerne les éléments narratifs bibliques, mais surtout les personnages qui se retrouvent ici apothéosés, au même titre que la lumière du jour lorsqu'elle traverse les couleurs du verre. Et j'emprunte le terme "apothéosé" à cette définition du lyrisme par Baudelaire :
"Tout poète lyrique, en vertu de sa nature, opère fatalement un retour vers l’Éden perdu. Tout, hommes, paysages, palais, dans le monde lyrique, est pour ainsi dire apothéosé." (Baudelaire, l'art romantique) .
C'est à Chagall que s'applique aujourd'hui les lignes écrites par Baudelaire sur le trait de génie particulièrement lyrique, c’est-à-dire amoureux du surhumain de Banville :
"L'hyperbole et l'apostrophe sont des formes de langage qui lui sont non seulement des plus agréables, mais aussi des plus nécessaires, puisque ces formes dérivent naturellement d'un état exagéré de la vitalité. Ensuite, nous observons que tout mode lyrique de notre âme nous contraint à considérer les choses non pas sous leur aspect particulier, exceptionnel, mais dans les traits principaux, généraux, universels. La lyre fuit volontiers tous les détails dont le roman se régale. L'âme lyrique fait des enjambées vastes comme des synthèses. […] Il y a, en effet, une manière lyrique de sentir ...ces sortes d'impressions, si riches que l'âme en est comme illuminée, si vives qu'elle en est comme soulevée. Tout l'être intérieur, dans ces merveilleux instants, s'élance en l'air par trop de légèreté et de dilatation, comme pour atteindre une région plus haute. Ici, le paysage est revêtu, comme les figures, d'une magie hyperbolique ; il devient décor. La femme est non seulement un être d'une beauté suprême, comparable à celle d'Ève ou de e Vénus ; non seulement, pour exprimer la pureté de ses yeux, le poète empruntera des comparaisons à tous les objets limpides, éclatants, transparents, à tous les meilleurs réflecteurs et à toutes les plus belles cristallisations de la nature, mais encore faudra-t-il doter la femme d'un genre de beauté tel que l'esprit ne peut le concevoir comme existant dans un monde supérieur."
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Par ce lyrisme, les personnages bibliques, les animaux et chimères, et les objets de son identité sont projetés par Chagall en véritables astérismes d'un Zodiaque qui nous régit, et sur lesquels ils tournent, ré-apparaissant cycliquement à chaque œuvre, mais dans des conjonctions différentes.
Mais ce qui est bien avec la Bible, c'est que les figures apothéosées ne sont jamais idéalisées. Adam et Éve sont magnifiés comme couple primordial, mais sont les héros de la Chute. Cain a tué Abel, Noé s'est enivré, Sarah a ri de Dieu, et Moïse est grandiose mais bègue ; et indigne de pénétrer en Terre Promise. Aaron est le premier grand prêtre, mais il a ordonné le Veau d'or. David est le plus grand roi d'Israël, son plus grand poète, mais son amour est coupable. Le lyrisme de Chagall porte aux nues ces grandes figures mais loin d'occulter leurs failles, il les glorifie comme de vénérables blessures propres à l'humain de l'Homme. Les élus de Dieu qu'il fait entrer dans son Panthéon sont des êtres blessés.
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Marc Chagall, David jouant de la harpe, lancette B. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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La tête de la lancette B.
Elle est divisée en une moitié bleue où est dessiné un croissant de lune entouré d'étoiles (surtout sur la maquette), et une moitié rouge où deux visages, l'un masculin, l'autre féminin à la longue chevelure, sont peints tête en bas. (j'ai inversé la photo pour mieux les voir). La femme porte un demi-disque argent sur l'épaule.
En définitive, toute cette lancette ne trouve sa cohérence que dans l'amour et le plaisir des sens : ouïe (musique), odorat et vue (bouquet), goût (vin et fruits), et les autres !
Je vois ici l'illustration du Psaume 89 versets 36-37 où Yahvé dit de David :
"Sa postérité subsistera toujours; Son trône sera devant moi comme le soleil,
Comme la lune il aura une éternelle durée."
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Marc Chagall, tête de lancette B (inversée). baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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LA LANCETTE C. LE PROPHÈTE JÉRÉMIE ET L'EXIL.
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L'analyse des lancettes précédentes a été longue. Mais l'étude de la dernière lancette s'est avérée bien plus complexe.
Elle poursuit la construction en X horizontal de l'ensemble du vitrail, un grand triangle mauve ou parme s'ouvrant vers le coté droit à travers un fond bleu. Deux motifs sont bien visibles, Jérémie en bas, de profil, accroupi et recroquevillé sur lui-même, et, en haut, un oiseau (un coq). Le triangle mauve est traversé de lignes verticales qui dessinent un damier. Deux séries de cases de ce damier, qui se croisent, sont de couleur bleue et rouge, et on y distingue quelques silhouettes.
Pour comprendre le sujet de cette lancette, je me réfère comme je l'ai fait aux peintures et gravures bibliques de Chagall concernant Jérémie afin de trouver le titre du modèle le plus proche :
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a) Le volume de Bible (Tériade 1956) contient 4 eaux-fortes consacrées à Jérémie.
C'est dans Jérémie jeté dans une citerne que je retrouve une posture proche de celle de notre lancette, mais la citerne n'est pas représentée ici. Cette planche n'est pas le modèle que je recherche.
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Marc Chagall, Bible, Planche gravée n° 102. Jérémie jeté dans une citerne par les gens du roi Sédécias.
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b) Au bord droit de la toile du Message Biblique Moïse recevant les Tables de la Loi, au dessus d'Aaron, Chagall a représenté Jérémie se lamentant, entouré d'un couple, alors qu'un ange lui amène des rouleaux. Des rayons verticaux descendent du ciel, comme les lignes verticales du vitrail. Au dessus, se trouve le roi David. Cette présence montre le lien que Chagall fait entre les trois scènes qu'il a représenté, à Metz, en trois lancettes distinctes, et incite à penser que leur thème commun est celui de l'Alliance entre Dieu et son Peuple, par les Patriarches, les Rois, les Prêtres et les Prophètes, et celui de l'amour divin irradiant comme une lumière d'espérance et de soutien le peuple élu.
Malgré des interprétations divergentes, l'ange n'apporte pas ici les rouleaux de la Torah, mais ceux des prophéties dictées par Dieu. (Jr. 36).
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Moïse recevant les Tables de la Loi, huile sur toile (1960-1966) © Musée national Marc Chagall © cliché RMN Gérard Blot.
http://musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/chagall/objet/c-moise-recevant-les-tables-de-la-loi
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Marc Chagall, Moïse recevant les Tables de la Loi (détail), annotation sur cliché RMN © Gérard Blot
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c) De même, dans le tableau La Lutte de Jacob avec l'ange du même corpus du Message Biblique (1960-1966), le bord droit du tableau montre en bas un personnage tourné vers la droite, accroupi et voûté, surmonté d'un groupe de personnes (Joseph sorti du puits) , et, en haut, d'un coq présenté par un ange, soit un motif très proche de celui de la lancette C. Mais l'homme replié sur lui-même n'est pas Jérémie, mais Jacob pleurant sur la tunique de son fils.
Marc Chagall, La Lutte de Jacob avec l'ange (détail), Message Biblique, Musée Marc Chagall, Nice
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d) "Pleurs de Jérémie", 1956.
Jusqu'à présent, je n'ai pas avancé beaucoup. De toute façon, les tableaux du Message Biblique, datant de 1960-1966, n'ont pu servir de source à Chagall pour le vitrail de Metz, qui date de 1958.
Par contre, une lithographie en couleur de la série Dessins pour la Bible (Verve, 1956) montre, sous le titre " Pleurs de Jérémie", le prophète dans la même posture que sur le vitrail. (Voir aussi "Le prophète Jérémie", 1968, Centre Pompidou). Cette lithographie est précieuse car elle montre l'objet que le prophète tient dans ses bras : le rouleau qu'il a dicté à Baruc, le texte de l'oracle si embarrassant que Dieu lui a fait connaître et qu'il doit désormais révéler, au risque de sa vie ou de sa liberté. Autour et derrière le prophète, une foule, un âne, et Jérusalem. Le ciel est mauve comme dans la lancette de Metz. Le titre Pleurs de Jérémie ne se réfère pas à un épisode précis du Livre de Jérémie, mais la présence de ce rouleau renvoie par contre à Jérémie 36:1-3.
"La quatrième année de Jojakim, fils de Josias, roi de Juda, cette parole fut adressée à Jérémie de la part de l'Éternel, en ces mots: Prends un livre, et tu y écriras toutes les paroles que je t'ai dites sur Israël et sur Juda, et sur toutes les nations, depuis le jour où je t'ai parlé, au temps de Josias, jusqu'à ce jour. Quand la maison de Juda entendra tout le mal que je pense lui faire, peut-être reviendront-il chacun de leur mauvaise voie; alors je pardonnerai leur iniquité et leur péché."
Yahvé est très irrité par l'inconduite du roi Joachim (Jojakim) et la corruption générale et il a fait dire par son porte-parole Jérémie ceci (qui va être recopié dans le rouleau, avec beaucoup d'autres choses) :
"Malheur à celui qui bâtit sa maison par l'injustice, Et ses chambres par l'iniquité; Qui fait travailler son prochain sans le payer, Sans lui donner son salaire; Qui dit: Je me bâtirai une maison vaste, Et des chambres spacieuses; Et qui s'y fait percer des fenêtres, La lambrisse de cèdre, Et la peint en couleur rouge! Est-ce que tu règnes, parce que tu as de la passion pour le cèdre? Ton père ne mangeait-il pas, ne buvait-il pas? Mais il pratiquait la justice et l'équité, Et il fut heureux; Il jugeait la cause du pauvre et de l'indigent, Et il fut heureux. N'est-ce pas là me connaître? dit l'Éternel. Mais tu n'as des yeux et un coeur Que pour te livrer à la cupidité, Pour répandre le sang innocent, Et pour exercer l'oppression et la violence. C'est pourquoi ainsi parle l'Éternel sur Jojakim, fils de Josias, roi de Juda: On ne le pleurera pas, en disant: Hélas, mon frère! hélas, ma soeur! On ne le pleurera pas, en disant: Hélas, seigneur! hélas, sa majesté! Il aura la sépulture d'un âne, Il sera traîné et jeté hors des portes de Jérusalem." (Je 22:13-19)
La sépulture d'un âne ! Baruc écrit le rouleau et va le lire dans la "maison du Seigneur, aux oreilles de tout le peuple". Il est alors convoqué par les scribes et les princes qui, pris de frayeur à l'audition du prophète de malheur, conseillent à Jérémie et à Baruc de se cacher. On amène le rouleau au roi Joakim, fils de Josias, qui, furieux, en déchire les morceaux avec son canif et les brûle au feu du brasero !
"La parole de l'Éternel fut adressée à Jérémie, en ces mots, après que le roi eut brûlé le livre contenant les paroles que Baruc avait écrites sous la dictée de Jérémie: Prends de nouveau un autre livre, et tu y écriras toutes les paroles qui étaient dans le premier livre qu'a brûlé Jojakim, roi de Juda. Et sur Jojakim, roi de Juda, tu diras: Ainsi parle l'Éternel: Tu as brûlé ce livre, en disant: Pourquoi y as-tu écrit ces paroles: Le roi de Babylone viendra, il détruira ce pays, et il en fera disparaître les hommes et les bêtes? C'est pourquoi ainsi parle l'Éternel sur Jojakim, roi de Juda: Aucun des siens ne sera assis sur le trône de David, et son cadavre sera exposé à la chaleur pendant le jour et au froid pendant la nuit. Je le châtierai, lui, sa postérité, et ses serviteurs, à cause de leur iniquité, et je ferai venir sur eux, sur les habitants de Jérusalem et sur les hommes de Juda tous les malheurs dont je les ai menacés, sans qu'ils aient voulu m'écouter." (Jr 1:27-31)
Sédécias, autre fils du roi Josias, succède alors aux rois Joakim et Joïakin. C'est Nabuchodonosor, roi de Babylone qui l'établit roi de Juda (le royaume d'Israël a été détruit), mais Sédécias ne tarde pas à se tourner vers l'ancien suzerain, le Pharaon. Les "Chaldéens" (Nabuchodonosor) assiègent Jérusalem. Jérémie ne cesse de prêcher la soumission à Babylone qu'il considère comme envoyée par Dieu pour châtier Jérusalem l'infidèle. Mais il se fait traiter de traître et accuser de collusion avec l'ennemi. Jérémie est arrêté au moment où il tente de sortir de Jérusalem pour toucher une part d'héritage, et on le conduit en prison pour motif de trahison. Sédécias le protège mais est assez impuissant face aux scribes et princes pro-égyptiens. Il demande à Jérémie son conseil, et le prophète, parlant au nom de Yahvé, lui prédit que s'il ne se rend pas aux Chaldéens, la ville sera brûlée, le Temple détruit, et lui et les siens seront tués alors que le peuple sera emmené à Babylone. Les scribes s'emparent de Jérémie et l'enferment au fond d'une citerne. Sédécias lui apporte secrètement son aide, mais Jérémie continue à lui annoncer la punition prévue par Yahvé. En effet, en 588, l'armée de Babylone envahit Juda et assiège Jérusalem. Après un siège d'un an et demi, en juillet 587, la ville est prise. Sédécias en fuite est repris et déporté. Le temple et la ville sont incendiés (Jr. 39). Les habitants aisés sont déportés, seul un "reste" de paysans pauvres est admis à rester en Juda pour cultiver les champs et la vigne. Jérémie est parmi eux, lorsque des factieux organisent la fuite de ce "reste" en Égypte. Jérémie leur annonce la colère de Yahvé, la victoire de Nabuchodonosor contre le Pharaon, et la destruction des exilés judéens, et, une fois de plus, il est honni pour ces prophéties jugées défaitistes. Le Livre de Jérémie se poursuit par les Lamentations, cinq poèmes alphabétiques où le royaume de Juda est assimilé à une femme, "Juda", désormais dépravée et avilie en punition de ses fautes.
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Marc Chagall Pleurs de Jérémie 1956 (C) ADAGP, Paris Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/marc-chagall_pleurs-de-jeremie_lithographie_1956
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La posture frappante de Jérémie, souffrante voire souffreteuse (nos "jérémiades"), incitant à l'apitoiement, est l'inverse de celle de Moïse rayonnant, dressé et happé par son exaltation sinaïque. Au chef guidant la nation succède le prophète accablé par la parole divine dont il est la bouche, et comme honteux de sa tâche, comme frappé de culpabilité devant l'agonie de son peuple. Déchiré entre son appartenance au peuple, et son ministère prophétique. Il récapitule en son corps l'humanité, les souffrances et les fautes de son peuple, mais cette participation, paradoxalement, l'isole dans la solitude et le confronte au rejet. Il ne peut lâcher le rouleau des exigences divines.
Cette lancette C est l'inversion de la lancette A. C'est la seule où ne figurent pas d'instruments de musique.
Jérémie est le contraire de l'Artiste inspiré, prométhéen. Aucune inspiration créatrice, aucune dimension de démiurge. Yahvé est obligé de le secouer depuis le début :
Je répondis: ---Hélas, Seigneur Eternel, je ne sais pas m'exprimer, car je suis un adolescent. Mais l'Eternel me répondit:---Ne dis pas: «Je suis un adolescent»; tu iras trouver tous ceux auprès de qui je t'enverrai, et tu leur diras tout ce que je t'ordonnerai. N'aie pas peur de ces gens, car je suis avec toi pour te protéger, l'Eternel le déclare. Alors l'Eternel tendit la main et me toucha la bouche, et il me dit: ---Tu vois: je mets mes paroles dans ta bouche. [...] "Toi donc, mets ta ceinture et lève-toi, tu leur diras tout ce que je t'ordonnerai. Ne te laisse pas terrifier par eux, sinon c'est moi qui, devant eux, m'en vais te terrifier." (Jérémie 1: 6-7 & 17)
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La quasi-totalité des personnages et des animaux de Chagall sont ses avatars, ses hétéronymes, mais s'il s'est dépeint ici, c'est dans les moments les plus sombres de son existence.
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Les pleurs de Jérémie, lancette C. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
Lancette C. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
Lignes directrices de la lancette C. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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e) La maquette.
Une autre aide à l'interprétation de la lancette C, c'est, tout bêtement, la maquette en couleur ! Elle va me permettre de comprendre que la rangée horizontale de cases de damier bleues sont des maisons, mais que celles-ci sont dessinées à l'envers, avec le toit vers le bas. J'en conclue qu'il s'agit d'une figuration de la destruction de Jérusalem.
Maquette de la baie 9, détail : la lancette C à l'endroit, puis inversée.
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Si ces maisons sont renversées, abattues, les bulles mauves sont sans-doute là pour illustrer l'incendie de la ville et les volutes de fumée. Dans l'une d'elle, on distingue un homme à l'envers, et, lorsque je le recherche sur le vitrail, je découvre, à peine perceptible, un être , peut-être ailé, à tête cornue, debout mais tenant des sortes de canne. Je regrette de ne plus être devant le vitrail, avec de bonnes jumelles !
La rangée de cases verticales est composée d'une quinzaine d'hommes, de femmes et d'enfants figurés de face. Est-ce le peuple de Juda emmené en exil ?
La lancette montre donc en bas Jérémie accablé par la terrible réalité qui lui tombe dessus alors qu'il n'avait cessé, au nom de Dieu, de l'annoncer pendant quarante ans à cinq rois successifs, Josias, Joachaz, Joakim, Joïakin et Sédécias.
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Le sujet de l'ensemble de la verrière est-il l'Alliance entre Yahvé et son peuple ?
1) Dans la lecture hébraïque découpée en parashat, le texte de l'Exode 21-24 (Moïse au Sinaï) est relié à Jérémie 34:8-22. Ces versets parlent de l'esclavage des Juifs entre eux, aboli au Sinaï, puis repris dans le royaume de Juda : Yahvé annonce sa punition :
" C'est pourquoi ainsi parle l'Éternel: Vous ne m'avez point obéi, en publiant la liberté chacun pour son frère, chacun pour son prochain. Voici, je publie contre vous, dit l'Éternel, la liberté de l'épée, de la peste et de la famine, et je vous rendrai un objet d'effroi pour tous les royaumes de la terre. Je livrerai les hommes qui ont violé mon alliance, qui n'ont pas observé les conditions du pacte qu'ils avaient fait devant moi, en coupant un veau en deux et en passant entre ses morceaux; je livrerai les chefs de Juda et les chefs de Jérusalem, les eunuques, les sacrificateurs, et tout le peuple du pays, qui ont passé entre les morceaux du veau; je les livrerai entre les mains de leurs ennemis, entre les mains de ceux qui en veulent à leur vie, et leurs cadavres serviront de pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre. Je livrerai Sédécias, roi de Juda, et ses chefs, entre les mains de leurs ennemis, entre les mains de ceux qui en veulent à leur vie, entre les mains de l'armée du roi de Babylone, qui s'est éloigné de vous. Voici, je donnerai mes ordres, dit l'Éternel, et je les ramènerai contre cette ville; ils l'attaqueront, ils la prendront, et la brûleront par le feu. Et je ferai des villes de Juda un désert sans habitants."
Ce n'est pas la rupture de l'Alliance, mais la conséquence de la violation de cette Alliance par les hébreux.
En 1958, quatorze années à peine après la fin de la Seconde Guerre Mondiale et de la Déportation des Juifs par le nazisme, l'attitude de Jérémie peut faire penser à celle de Chagall apprenant de 1936 à 1944 les persécutions de son peuple, la destruction de sa ville Vitebsk, la fuite des populations hors de leurs villages en flammes.
De manière plus surprenante, un article de Bella Meyer (Chagall et la musique, 2015, page 280) nous apprend que " une grande partie de l'intelligentsia juive et hassidique de l'Europe de l'Est succomba aux progroms meurtriers de cette époque, ainsi qu'à l'holocauste, dans la croyance ferme que l'Amérique, et le "Nouveau Monde" était un endroit démuni de toute spiritualité et de toute religion, pareil à l'ancienne Babylone". Chagall, qui se décida difficilement à partir en exil en Amérique, déclara lui-même à sa fille en 1941 : "Babylone, c'est New-York" ! Bella Meyer, petite-fille du peintre, se demande si il "n'exprima pas là un malaise envers un monde maudit par les rabbins hassidim ?"
On voit la complexité des interprétations de cette lancette...
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2). J'évoquerais à peine la lecture chrétienne selon saint Paul, La prophétie de Jérémie relative à une nouvelle alliance (Jérémie 31:31-34) est reprise textuellement dans l'Épître aux Hébreux He 8:12
"Voici, les jours viennent, dit l'Éternel, Où je ferai avec la maison d'Israël et la maison de Juda Une alliance nouvelle, Non comme l'alliance que je traitai avec leurs pères, Le jour où je les saisis par la main Pour les faire sortir du pays d'Égypte, Alliance qu'ils ont violée, Quoique je fusse leur maître, dit l'Éternel. Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, Après ces jours-là, dit l'Éternel: Je mettrai ma loi au dedans d'eux, Je l'écrirai dans leur coeur; Et je serai leur Dieu, Et ils seront mon peuple. Celui-ci n'enseignera plus son prochain, Ni celui-là son frère, en disant: Connaissez l'Éternel! Car tous me connaîtront, Depuis le plus petit jusqu'au plus grand, dit l'Éternel; Car je pardonnerai leur iniquité, Et je ne me souviendrai plus de leur péché." Jr 31:31-34
Pour saint Paul, cette Alliance Nouvelle rend caduque l'Ancienne Alliance : "Par le simple fait d'appeler cette alliance-là nouvelle, le Seigneur a rendu la première ancienne; or, ce qui devient ancien et ce qui vieillit est près de disparaître" He 8:13. Le Christ est le grand-prêtre et sacrificateur de cette Nouvelle Alliance scellée par le sang de la Croix, il est un nouveau Melchisédech, un nouvel Aaron.
Jérémie 31:31-34 est à nouveau cité dans Hébreux 10:17.
Voir François Tonon, « L’« Alliance nouvelle » dans l’épître aux Hébreux et son commentaire par Thomas d’Aquin », Revue des sciences religieuses [En ligne], 82/2 | 2008, document 82.203, mis en ligne le 05 mai 2013, consulté le 10 septembre 2016. URL : http://rsr.revues.org/2149 ; DOI : 10.4000/rsr.2149
3) Je passe aussi rapidement (on n'en finirait pas) sur les références faites à Jérémie dans les Évangiles : "C'est à Jérémie, messager fidèle et persécuté, que l'on songera plus tard à comparer Jésus (Matt 16.14). Mais surtout Jésus lui-même, à la veille de sa mort, partageant la Cène avec les siens, déclarera réalisée la « nouvelle alliance » annoncée par Jérémie (Luc 22.20; 1 Cor 11.25). (Société biblique française).
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Plus haut encore, la maquette me permet de comprendre que le coq, que je croyais soutenu par un ange, est en réalité chevauché par un homme qui, comme pour un rodéo, lève les deux bras et agite un bouquet. Non content de cette acrobatie, il s'est tordu complètement la tête vers le bas. Mieux encore, je constate maintenant que le coq tient devant lui un livre grand ouvert ! Mais est-ce un homme ?
Après l'affligeante peinture de Jérémie, ce coq glorieux, jubilatoire et gaulois est une explosion d'énergie vitale pour ne pas dire sexuelle.
Certes, selon le dossier du Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, le coq ...
" ...peut être perçu comme un souvenir de l’enfance du peintre : « Je me suis servi des vaches, des filles de ferme, de coqs et de l’architecture de la province russe comme de sources formelles, parce qu’ils font partie de l’environnement dans lequel j’ai grandi et qui a sans doute laissé une empreinte plus profonde dans la mémoire visuelle que j’ai gardée de mes expériences » (Marc Chagall). Le critique Franz Meyer met la présence du coq en relation avec les Kapparot (cérémonie de purification qui a lieu la veille de Yom Kippour, et durant laquelle on procède au sacrifice rituel d’un coq), l’animal évoquant dès lors la repentance et la demande de grâce à Dieu. Chez Chagall, le coq peut enfin exprimer l’espoir.
Il peut être intéressant de noter – même si l’on ignore si Chagall avait connaissance de ces significations –, que ce sens se retrouve conjointement dans l’iconographie chrétienne et la tradition folklorique russe. Le chant du coq est associé chez les chrétiens à l’attente du Dernier Jour tandis que le folklore russe voit dans cet animal le symbole de la victoire du bien sur le mal "
Mais le coq est surtout la forme (encore une) par laquelle Chagall se peint en amoureux. Aussi, je suis porté à penser que le personnage brandissant son bouquet est une femme. Et que cette figure d'écuyère saluant le public n'est pas étrangère au sentiment de liberté et de bonheur retrouvés par Chagall de retour de son exil américain, dans ces années d'après-guerre où il s'est installé en Provence.
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Sommet de la lancette C. baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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Quelques coqs de Chagall en diaporama:
- L'Homme-coq au dessus de Vitebsk, 1925
- Le Coq, 1928, Madrid.
- Le Coq, 1947, Centre Pompidou, Paris
- La Danse (détail), 1950-1952
- Le cirque sur fond noir, 1967, Centre Pompidou, Paris.
- La table devant le village, 1968, Collection privée.
Photographies lavieb-aile prises lors de l'exposition Chagall et la poésie, Fondation Leclerc, Landerneau, 2016.
Quelques Coqs de Chagall, photographie lavieb-aile.
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LE TYMPAN (1964).
LE TYMPAN (1964).
La maquette conservée par le Musée Marc Chagall de Nice, et datée de 1964, donne une meilleure vision du tympan que celle que réserve la visite sur place du vitrail. Voir : Le Christ entouré des symboles, vitrail d'étude pour la rosace de la cathédrale de Metz, 1964. (C) ADAGP, Paris. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Adrien Didierjean
http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/marc-chagall_le-christ-entoure-des-symboles-vitrail-d-etude-pour-la-rosace-de-la-cathedrale-de-metz_verre-matiere_plomb-metal_vitrail-technique_1964
Pour le tympan, une seule couleur de verre semble avoir été utilisée, le bleu. Mais la gravure par acide l'a éclairci par endroits, ou a ôté complètement la couleur pour dégager des plages blanches, alors que les rehauts de jaune d'argent ont créé des touches de lumière (nimbe, lune, mains) ou d'or (chandelier), et que le même jaune d'argent, sur un bleu clair, a créé ce vert de jade pour le corps du Christ.
La rosace est composée d'une fleur centrale, de cinq trilobes latéraux et de cinq demi-trilobes en périphérie
Au centre, une fleur à cinq pétales montre le Christ en croix. Il est encadré par David jouant de la harpe (à sa gauche) et par Aaron portant la menorah (à sa droite), soit deux des triples fonctions du Christ comme Prêtre, Roi et Prophète. Les autres trilobes contiennent une échelle (celle de Jacob), des feuillages, des oiseaux et des croissants de lune. Pour les trilobes périphériques, ces éléments décoratifs sont repris, sauf pour les deux ajours inférieurs qui contiennent l'un une colombe (du Saint-Esprit, ou plutôt de Noé) et l'autre une clarinette .
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Le Christ entouré des symboles, vitrail d'étude pour la rosace de la cathédrale de Metz, 1964. (C) ADAGP, Paris. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Adrien Didierjean
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Sous et autour de cette rose, le tympan comporte aussi neuf ajours : quatre écoinçons négligeables, une forme triangulaire avec l'agneau pascal, et surtout deux quatrefeuilles. Celui de gauche montre un ange jouant de la trompe, et celui de droite un élément cosmique mêlant le soleil, les étoiles et l'arc-en-ciel.
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Tympan de la baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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Le Christ en croix.
La tête est légèrement inclinée, les yeux sont fermés, les lèvres dessinent l'esquisse d'un sourire. La Vierge, à sa droite, pose la main sur la plaie du flanc droit.
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Tympan de la baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
Tympan de la baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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L'ange sonnant de la trompe.
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Tympan de la baie n°9 , déambulatoire nord, cathédrale de Metz. Photographie lavieb-aile.
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CONCLUSION.
Je pensais décrypter cette verrière mais malgré mes efforts laborieux, cette œuvre polysémique ne se conclue ni en un message chrétien (les alliances mosaïque et davidique, puis la nouvelle alliance annoncée dans le Livre de Jérémie sont accomplies par le Christ dans sa triple fonction sacerdotale, royale, et prophétique), ni en un récit biblique (Israël, peuple élu par un Dieu jaloux qui le punit s'il se tourne vers d'autres divinités), ni en un témoignage autobiographique d'un peintre à la vision prophète militant pour l'avènement de l'Amour et de la Paix.
Les photographies de Marc Chagall le montrent souvent habillé de rayures, ou de chemises à carreaux. C'est le peintre de la bigarrure, de la diversité, qu'aucune chapelle ne peut séduire, et dont la palette ne se résout jamais à la monochromie d'un système. Exilé à Babel, il en devient citoyen, en adopte toutes les langues et tous les styles et tente, pour la Paix, d'en être un habitant éclectique. Il mêle l'accent yiddish et l'accent russe, l'art de l'icône et les avant-gardes parisiennes du cubisme et de l'orphisme, la Bible avec Daphnis et Chloé, le klezmer et le jazz avec la musique de l'Opéra, les poupées kashinas des Indiens hopi et les animaux des Fables de la Fontaine, dans un panthéisme de la Joie.
Marc Chagall a fait don à l'état français de l'ensemble des œuvres du Message Biblique exposées à Nice. J'emprunterai à Bella Meyer les lignes suivantes, qui concernent les costumes et décors d 'Aleko et de l'Oiseau de Feu créés en 1942 et 1945 en Amérique, mais qui s'appliquent sans-doute mutatis mutandis aux vitraux de Metz :
"C'est dans ces peintures murales que Chagall réussit, dans un geste monumental de gratitude pour le pays qui l'avait accueilli dans l'un des pires moments de l'humanité, en unissant les merveilleuses libertés du profane avec le spirituel du sacré, propre aux discours bibliques de Babylone, à transcender la réalité des couleurs vers une vision de mystère et d'amour."
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ANNEXE I.
Le texte de l'Exode chapitres 19 à 40 (le séjour au Sinaï) : résumé.
Exode 19. Arrivée au Sinaï / Alliance / Théophanie
Exode 21. Lois divines.
Exode 22. Lois : Si et Tu ne.
Exode 23. Lois divines, suite.
Exode 24. Montée de Moïse. Sacrifice . Dieu s'engage à donner des tables de pierre. Moïse monte sur le Sinaï 40 jours er 40 nuits.
Exode 25. ordonnances cultuelles : Tabernacle. Arche d'alliance. Chandelier.
Exode 26. Consignes pour le tabernacle.
Exode 27. L'autel d'acacia
Exode 28. Aaron et ses vêtements sacerdotaux. un pectoral, un éphod, une robe, une tunique brodée, une tiare, et une ceinture.
Exode 29. Aaron et les prêtres comme sacrificateurs.
Exode 30. Ordonnances rituelles.
Exode 31. Betsaleel, artisan de Dieu. 31:18 Don des arches de pierre.
Exode 32. le Veau d'or. Le peuple au cou roide. Moïse brise les Tables. Punition d'Israël. Moïse implore le pardon de Dieu
Exode 33. La Terre Promise.
Exode 34. Les secondes Tables. L'Alliance. Les dix paroles. Moïse au visage rayonnant doit se voiler.
Exode 35. Ordonnances de Dieu. Betsaleel sculpteur, orfèvre et tisserand des objets du culte.
Exode 36. Fabrication du tabernacle par Betsaleel et Oholiab
Exode 37. Betsaleel fait l'arche et le chandelier.
Exode 38. Fabrication de l'autel par Betsaleel.
Exode 39. Confection des habits sacerdotaux .
Exode 40. Consignes divines pour le sanctuaire. L'Eternel descend sous forme de nuées sur le tabernacle.
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ANNEXE II.
Chagall et la lecture publique rituelle de la Bible.
La Torah est lue publiquement par les Juifs lors de chaque Sabbath, donc une fois par semaine, de façon à lire toute la Torah entre la Sim'hat Torah (la fête de la joie de la Torah) d'une année et celle de l'année suivante. Le texte est donc découpé en 54 passages nommés Parashiyot (pluriel de Parashat) Hashavoua, " La Parasha de la semaine ", soit la portion hebdomadaire de la Torah.
D'autre part, à chaque Parasha correspond une haftarah, passage des Livres Prophètiques (Nevi'im) partageant une thématique commune à la section lue.
Or, dans ce découpage, on trouve d'abord 12 parashiyot pour le texte de la Genèse (Bereshit) , puis 11 parashiyot pour le texte de l'Exode (Shemot).
Le texte de l'Exode qui concerne Moïse et les Tables de la Loi s'étend en fait des chapitres 19 à 40 (voir en annexe I mon résumé de leur contenu). Il correspond aux parashiyot hebdomadaires de :
- Yitro, Exode 18:1-20:23 ; couplé avec la haftarah Isaïe 6:1-7:6 & 9:5-6
- Mishpatim : Exode 21:1-24:18 ; couplé avec la haftarah Jérémie 34:8–22 & 33:25–26
- Teroumah, : Exode 25:1 27:19 ; couplé avec la haftarah 1 Rois 5:26–6:13 (construction du Temple par Salomon)
- Tetzave : Exode 27:20-30:10 ; couplé avec la haftarah Ézechiel 43:10–27
- Ki Tissa, : Exode 30:11-34:35 ; couplé avec la haftarah 1 Rois 18:1–39 (le sacrifice d'un taureau par Elie)
- Vayaqhel, : Exode 35:1-38:20 ; couplé avec la haftarah 1 Rois 7:40–50
- Peqoudei, : Exode 38:21-40:38 ; couplé avec la haftarah 1 Rois 7:51–8:21
J'ignore si Marc Chagall assistait à cette lecture à l'âge adulte. Il y a été initié dans son enfance. Moïse recevant les tables de la Loi correspond à Ex 31:18 et donc à Ki Tissa, mais la montée de Moïse sur le Sinaï et son séjour de 40 jours débute en Ex 24:18, soit Mishpatim.
Mon hypothèse est que la correspondance entre l'Alliance établie par Moïse sur le Sinaï (lancette A) et la prophétie de Jérémie (lancette C) trouve peut-être sa source dans la correspondance entre Mishpatim et sa haftarah en Jérémie 34. Mais le peintre a pu retrouver lui-même cette relation d'opposition entre les textes (voir lancette C).
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SOURCES ET LIENS.
— http://vitrail.ndoduc.com/vitraux/htm5/eg_StEtienne@Metz_Chagall.htm
— Exposition Chagall et la Bible au Musée d'art et d'histoire du judaïsme 2011.
http://www.mahj.org/documents/Chagall-et-la-Bible-dossier-pedagogique.pdf
http://vdujardin.com/blog/marc-chagall-metz-paradis-terrestre/
http://hoffmangkor.fr/albums/metz-illuminee-de-jour/
http://www.mesvitrauxfavoris.fr/cathedrale%20metz%20%20chagall.htm
—"La symbolique des vitraux de Chagall" - Robert Fery
https://www.youtube.com/watch?v=sEYDDgkLbBQ
— BLANCHET-VAQUE (Christine), Les enjeux de la création contemporaine dans la restauration d'un monument classé. Les premiers vitraux de peintres à la cathédrale de Metz, 1952-1965 In Nicholas Bullock,Luc Verpoest Living with History, 1914 - 1964: la Reconstruction en Europe Après la Première Et la Seconde Guerre Mondiale Et Le Rôle de la Conservation Des Monuments Historiques, Leuven University Press, 2011 - 390 pages
https://books.google.fr/books/about/Living_with_History_1914_1964_la_Reconst.html?id=P84es4zwTiAC&redir_esc=y
— CAQUOT ( André), 1961, . Remarques sur l'Alliance davidique. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire 1962-1963. 1961. pp. 3-31; doi : 10.3406/ephe.1961.17750 http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1961_num_74_70_17750
— GAUTRON (Jean-Claude), site kerdonis.fr
http://kerdonis.fr/ZCHAGALL/page5.html
— MALRAUX (André), 1972, préface aux Céramiques et sculptures de Chagall (Charles Sorlier (éd), éditions André Sauret, Monaco, 1972) .
— MALRAUX (André), 1976, lettre-préface écrite pour l'édition de luxe de Et sur la terre…, texte inédit, immédiatement postérieur à L'Espoir, que Chagall enrichit de quinze eaux-fortes (Edition originale limitée, Maeght éditeur, 1977).
— MASSÉ (Rebecca), 2010, l'illustration de la Bible par Marc Chagall comme témoignage de sa position théologique personnelle. Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire de l'art pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.) Département d'histoire Faculté des Lettres Université Laval Québec. Les 105 planches de gravure de Bible figurent en annexe. En ligne :
http://www.theses.ulaval.ca/2010/27339/27339.pdf
— MEYER (Bella), 2015, "Chagall à New-York à la rencontre de la monumentalité", in Chagall et la musique, Gallimard/ Philharmonique de Paris / La Piscine-Roubaix, pages 280-283.
— MEYER (Franz), 1995, Marc Chagall, Paris, Flammarion.
— PARK (Chan Young), 2008, La Bible illustrée par Marc Chagall (1887-1985) : un dialogue interculturel et son évolution , Thèse en Histoire de l’art , Université Paris IV Sorbonne sous la direction de Bruno Foucart.
http://www.theses.paris-sorbonne.fr/thesepark.pdf
— PACOUD-RÈME (Élisabeth) ), 2000, « Chagall et le renouveau de l’art sacré en France après-guerre », dans Marc Chagall maquettes de vitraux, catalogue d’exposition, Paris, Réunion des Musées nationaux, 2000,
—PINTELON (Véronique), 2004, Les conditions artistiques, administratives et historiques de la réalisation des vitraux de Marc Chagall à la cathédrale de Reims.
http://www.cathedrale-reims.culture.fr/documents/chagall-pintelon.pdf
— SAINT-CHÉRON (Michaël de) : «Marc Chagall – André Malraux : un dialogue sur les hauteurs» © Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org / 01.01.12
http://malraux.org/wp-content/uploads/2012/01/images_docs_msc_chagall.pdf
— SCHMITT-REHLINGER, Geneviève, 2006 Jésus le Christ dans l’œuvre de Marc Chagall : le motif du crucifié, Thèse de doctorat de Théologie catholique sous la direction de PierreMarie Baude, Université Paul Verlaine de Metz, .
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/UPV-M/Theses/2006/Schmitt_Rehlinger.Genevieve.LMZ0607_1_2.pdf
— ZELLER (Madeleine), 2009, Marc Chagall et le Message Biblique, in Françoise Mies, Bible et art: L'âme des sens, Presses universitaires de Namur, 2009 - 190 pages
— Marc Chagall et les vitraux de Metz : Rouen, Musée des beaux-arts : 22 mai-15 septembre 1964 /Marc Chagall / [Rouen] : Le Musée , [1964]
— L'atelier Simon-Marcq :
http://www.ateliersimonmarq.com/public/site/parutions/141101%20VMF/ASM%20VMF%20FULL%20site.compressed.pdf
— La Bible bilingue hébreu-français avec le découpage des paracha :
http://www.sefarim.fr/