Les quatre sirènes et les deux anges musiciens (calcaire, 1520) du pavillon de l'horloge de la cathédrale de Chartres.
Sur Chartres, voir :
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Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.
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La baie 40 ou Chapelle de Vendôme des vitraux de la cathédrale de Chartres.
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La baie 118 du transept sud de Chartres : Protais et Gervais, Côme et Damien.
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Les Mois, le Zodiaque et le Temps de la cathédrale de Chartres: sculpture et vitrail. .
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Vitrail de Chartres : Grisaille du Miracle de saint Nicolas Baie n° 10.
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Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.
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"Juchés sur les épaules des géants" : Moélan et la rose sud de la cathédrale de Chartres.
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Les vitraux Pré-Renaissance et Renaissance de l'église Saint-Aignan de Chartres.
PRÉSENTATION.
https://pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA28000006
Le pavillon de l'Horloge, établi au flanc nord de la cathédrale, est commandé par le chapitre de la cathédrale à Jehan de Beauce pour abriter le mécanisme d'horlogerie qui actionne le timbre à marteau sonnant les heures, placé dans la lanterne du clocher nord, et l'horloge de la façade du pavillon. Le mécanisme était relié aux cloches par une tringlerie. Sa construction est achevée vers 1520. Il est consolidé en 1862 puis restauré en 1864. En 1991, la pierre est nettoyée et les chiffres du cadran sont redorés à la feuille d'or. En 1887, le mécanisme qui a cessé d'être utilisé vingt ans plus tôt, est remplacé par une horloge comtoise installée par l'horloger chartrain Albert Renouf (1848-1895). En 1990, le mécanisme d'origine est restauré, et bien que vraisemblablement incomplet, est toujours en état de marche.
On accède à cet édifice en calcaire de Berchères au plan rectangulaire de 5 m sur 3 m 50 , —dont le mur méridional est partiellement scellé à la tour nord de la cathédrale — et au toit en pavillon couvert de bardeau par un escalier en vis, en maçonnerie.
Le cadran polychrome, d'un diamètre de 2,58 mètres encadré de pilastres, est divisé en 48 rayons alternativement droits (marquant les heures) et flamboyants (marquant les demies) sur fond étoilé . Il porte les deux séries de chiffre gothique I à XII , selon la mode ancienne italienne en 24 heures ; il est entouré d'une frise de fruits et légumes enrubannés par un ruban marqués de traits en I, et ce décor végétal de type figue ou courge, typiquement Renaissance se retrouvera largement sur les stucs de la Galerie François Ier à Fontainebleau.
Les deux anges musiciens des écoinçons supérieurs.
L'un joue de la chalémie (chalémie-hautbois), l'autre de la harpe.
https://www.instrumentariumdechartres.fr/les-instruments/les-vents-1/ch-ur-chalemie-8eme-travee.php
https://www.instrumentariumdechartres.fr/les-instruments/cordes-pincees-1.php
Sur le Tour de chœur de la cathédrale (1529), des anges musiciens ou des putti jouent de la viole, du luth ou de la flûte. Ailleurs, sur la huitième travée, un bas-relief montre une chalémie et une flûte entrecroisées dans un décor de ruban plissé.
Luth, chalémie et flûtes se retrouvent sur un autre panneau de la huitième travée.
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Les deux sirènes porte-lanterne des écoinçons inférieurs.
Elles sont comparables et tiennent d'une main une lanterne allumée ou torchère à l'extrémité d'une longue hampe , et de l'autre, par son enroulement, un cuir découpé en forme d'écu losangique, peint d'une croix noire sur fond jaune.
Elles sont ailées. Le haut de leur corps est celui de femmes, nues, aux traits fins, à la bouche entrouverte, aux cheveux bouclés, aux petits seins ronds et au ventre projeté en avant, simplement ceint d'une ceinture de ruban nouée sur le côté et dont les longues extrémités flottent.
Leur queue n'est pas celle d'un poisson (*), mais d'un serpent, couvert d'écailles et formant une boucle. mais cette queue n'est pas représentée de manière naturaliste, et elle s'orne d'appendices en forme de feuilles à l'extrémité de tiges en volutes, tandis que l'extrémité s'achève par un bouquet de feuilles et de fruits.
(*) stricto sensu, ce ne sont pas des "sirènes" ou femmes poissons, mais des créatures semi-humaines de type femme-serpent".
Leur corps, si on en juge par la queue, est orientée vers l'extérieur de l'horloge, mais elles se tournent pour nous faire face, et leurs regards se tournent encore pour s'observer réciproquement.
Un décor première Renaissance.
Les cuirs découpés à enroulement, ces créatures hybrides et ces queues feuillagées témoignent de la pénétration à Chartres de l'influence de la Renaissance italienne, comme déjà en Normandie au château de Gaillon ou à Rouen sous l'influence du cardinal d'Amboise vers 1509, ou à Dol-de-Bretagne sous celle de l'évêque James en 1507.
Cette influence précoce s'épanouira après l'aménagement du château de Fontainebleau en 1535, et les exemples de cuir découpé à enroulement y abondent.
La sirène porte-torche de l'écoinçon de gauche.
Mais en 1529, ce décor Première Renaissance se développe largement à Chartres tout au long des 100 mètres du Tour de chœur de la cathédrale, construit par le même architecte que l'horloge, Jehan de Beauce.
On y voit l'influence du décor en bas-relief de l'escalier de l'aile de Longeville du château de Châteaudun, terminée en 1520 :
On remarquera notamment le bas-relief du pilastre de jonction entre les deux sections, sixième travée sud : deux femmes ailées et élancées dont le corps de termine en rinceaux portent des vases dont les fruits sont picorés par des oiseaux situés au dessus.
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Autre panneau comparable à nos sirènes, celui de la treizième travée nord montre un décor de candélabre avec des amours en pied dansant, portant des torches allumées et tenant un cuir découpé losangique.
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On trouvera assez rapidement se diffuser ensuite, notamment sur les sablières ou les stalles de Bretagne, le même vocabulaire de candélabres, de chutes d'objets suspendus à des rubans, etc., et des dragons qui se caractériseront par ces queues feuillagées. La Guerche de Bretagne v. 1518-1525, Champeaux v.1530, Pont-Croix v. 1544.
La sirène porte-torche de l'écoinçon de droite .
Les chapiteaux.
Alors que la corniche supérieure ornée d'éléments végétaux, la corniche inférieure est ornée d'oves et de denticules, alternance de modillons à feuille d'acanthe et coquille Saint-Jacques.
Les pilastres encadrant le cadran s'appuient sur des chapiteaux ornés de figures fantastiques.. et de sirènes.
Le chapiteau de droite.
Il est orné au centre d'un mufle de lion, ailé, tenant dans sa gueule l'anneau d'un médaillon perlé. Sur les côtés, deux supports anthropomorphes coiffés de bonnets en limaçon, la bouche ouverte, les bras tronqués en appendices feuillagés, portent, sous une jupette de feuillage, une queue serpentine.
Notez aussi la frise supérieure avec ses spires de banderole.
Le chapiteau de gauche.
Il est orné au centre d'une tête d'angelot. Les deux créatures féminines qui l'encadrent, bouche ouverte, perdent également leurs bras au profit d'appendices feuillagés, et leurs queues de serpent écaillées et débutant par une jupette de feuille, viennent s'entrecroiser au centre en volutes de feuillages. Ce sont des femmes-serpents, cousines des sirènes femmes-poissons (ou des sirènes grecques femmes-oiseaux).
L'architecte Jehan Le Texier, dit de Beauce.
Ce petit pavillon a été érigé entre 1519 et 1520 par l’architecte (ou plutôt "Maître des maçons de l'Oeuvre") Jehan Texier plus connu sous le nom de Jehan de Beauce. C'est lui qui a reconstruit dans un style gothique flamboyant la flèche nord de la cathédrale haute de 115 mètres (après sa destruction par la foudre en 1506), et, nous l'avons vu, son Tour de chœur, commandé par les chanoines en 1513, débuté en 1516 et dont la décoration renaissance est datée par inscription de 1529, mais fut introduit dès 1521 (*). Il rénova aussi l'église Saint-Aignan de Chartres de 1513 à 1525.
(*) Tour de chœur "Très tôt et jusqu'au début des années 1530, une équipe de sculpteurs cisèle le décor du soubassement et de la claire-voie. Vingt-neuf dates, gravées dans des cartouches, parfois très discrètement, rappellent leur passage et permettent de suivre la conduite des travaux. 1521 portée à la quatrième travée méridionale est la date la plus ancienne ; 1532, à la treizième travée nord, année qui rappelle le déplacement de la porte d'accès au choeur, constitue la date extrême."
Auparavant, il avait reconstruit la façade de l'abbaye de La Trinité de Vendôme.
Il est décédé à Chartres le 29 décembre 1529.
Est-il responsable de l'introduction du décor Renaissance du Pavillon de l'horloge et du Tour de chœur? Le chapitre des chanoines a-t-il eu de l'influence? Ou bien, moins probablement par son conflit avec les chanoines, l'évêque Erard de la Marck ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jehan_de_Beauce
On notera que la clôture de chœur de l'abbaye de la Trinité de Vendôme réalisée en 1528, porte un décor Renaissance, complétant le jubé, les stalles, et le tombeau livré par Jean Juste en 1530. Voir mon article :
[Ce n'est pas le cas des stalles de Vendôme (1522-1529) qui restent de style médiéval.]
https://pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM41000643
CONCLUSION.
Ces quatre sirènes aux queues feuillagées témoignent, au même titre que le cuir découpé à enroulement, de l'introduction à Chartres de la Première Renaissance française, consécutive aux guerres d'Italie de Charles VIII et de Louis XII et de l'arrivée des premiers artistes italiens au château d'Amboise en 1495.
J'ai cité le château de Gaillon (1506-1509) et le cénotaphe de Thomas James à Dol-de-Bretagne (1507) par la famille Juste, ou l'escalier de l'aile Longueville du château de Châteaudun (1520). Les historiens mentionnent aussi , pour ce style Louis XII, l'allée Louis XII du château de Blois (1498-1503), le Pilier Saint-Jacques de Gisors, ...
Les sirènes des écoinçons réunissent quatre "règnes" (à défaut d'autre termes) :
L'humain artificieux et ses artefacts, produits de son industrie : les torches, et les cuirs — qui découlent de l'évolution dans l'art ornemental des peaux de tanneurs— découpés.
L'humain au naturel : le buste des femmes.
L'animal : la queue de serpent.
Le végétal : les appendices feuillagés évoluant en rinceaux.
Elles sont régies par le principe de métamorphose, cher à l'antiquité grecque et romaine — et à Ovide—, principe qui règne en maître dans l'art grotesque de la Domus Aurea de Néron, dont les pièces excavées ou "grottes" sont découvertes par les artistes italiens de la fin du XVe siècle (Michel-Ange, Raphael et Ghirlandaio). Ce principe de métamorphose introduit à la légereté, à l'onirisme et à la fantaisie.
SOURCES ET LIENS.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9b/Chartres_-_Cath%C3%A9drale_Notre-Dame_-_Horloge_astronomique_01.jpg
https://pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/IM28000455
https://www.patrimoine-horloge.fr/as-chartrescath.html