Parmi le riche corpus des peintures murales de l'église de Sillegny, datées de 1540, un gigantesque saint Christophe traversant le gué, l'Enfant-Jésus sur ses épaules, accueille sur cinq mètres de haut le fidèle, dès l'entrée à gauche de la nef, sur la tour ronde de l'escalier et sur le mur adjacent à l'est.
Cette peinture est donc en partie courbe, et d'autre part répartie sur deux volumes, ce qui rend difficile son analyse en un seul cliché photographique.
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Le saint, conformémént à la tradition, franchit le gué en portant l'Enfant figuré en Sauveur du Monde, bénissant et tenant le globe terrestre, et il est peint au moment où, se sentant menacé par le poids considérable qui pèse sur ses épaules, il se retourne vers l'Enfant qui révèle son identité : il fonde sa confiance en lui (Christophe est qualifié de "Champion de la Foi), le poids s'allège, et il parvient à reprendre sa progression, d'autant qu'il est alors guidé par un ermite qui, sur la rive,
Saint Christophe est représenté comme un géant, selon une tradition très attestée en Espagne, mais plus rare en France, à l'exception de la peinture murale de Louviers et de celle de Wissembourg (et d'autres exemples possibles que je n'ai pu documenter). A l'église Saint-Jean de Malines, en Belgique, sur des peintures évaluées vers 1400, il mesure aussi plus de 4 mètres de haut.
Dans la même tradition, rare en France hormis sans doute à Louviers, il porte dans la besace de sa ceinture des "pèlerins", soit captifs de cet ogre, soit transportés gracieusement. Ce détail iconographique sera étudié.
Bien d'autres détails sont à examiner : les poissons (dont l'un est couronné), la sirène, l'ermite et sa lanterne, et un nid de quatre cigognes.
Par contre, le bâton n'est pas feuillu, en signe de reverdie. Et on ne voit pas la pierre de meule q'il porte ailleurs en Espagne.
Vue générale vers l'ouest, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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La taille gigantesque.
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La taille gigantesque de saint Christophe est attestée dès les premières versions de la légende, tant orientales qu'occidentales, et, selon Jacques de Voragine qui en écrit l'histoire dans sa Légende dorée du XIIIe siècle, c'était "un Cananéen d’énorme stature, qui avait douze coudées de hauteur et un visage effrayant." Soit près de 6 mètres de haut.
Ce géant au visage repoussant témoigne de "l'imprégnation de certains éléments mythologiques païens dans la tradition chrétienne" : on le relie, entre autre, à Anubis, divinité égyptienne psychopompe, à Enée portant son père Anchise, à Hercule, à Charon passeur du Styx, etc. Ce gigantisme est bien attesté dans l'iconographie avant le Concile de Trente, puis s'atténue dans les représentations plus tardives.
Il confère au saint une vertu apotropaïque, conjurant le mauvais sort, et protectrice de la mort subite lors des traversées : passages de seuils (portes) et voyages. Au Moyen Âge, on croyait que -par le contact visuel d'une image de Saint Christophe, éventuellement associé à la récitation d'une formulette - le danger de mort subite sans sacrement serait évité ce jour-là : Christophorum videas postea tutus eas : "Vois Christophe et puis va en sûreté". (inscription du début XIIIe siècle) . La mort subite était particulièrement redoutée, car on croyait que de mourir sans pouvoir se confesser, ou bénéficier de l'assistance d'un prêtre allongerait le séjour au Purgatoire, voire conduirait à l'Enfer en cas de péché capital non expié.
Saint Christophe était également l'un des quatorze saints auxiliaires invoqués pour se protéger des malheurs : il était chargé de protéger de la peste , véritable terreur pour les hommes médiévaux.
Il était également le protecteur des voyageurs, des pèlerins et des professions nécessitant des déplacements fréquents , comme celui de charretier ou de vendeur ambulant.
Ainsi, d'immenses peintures de saint Christophe étaient placées soit à l'extérieur près de la porte des églises (35 exemples en Italie dans le Trentin et le Frioul-Vénétie (*)), soit à l'intérieur juste après l'entrée (en Espagne dans les cathédrales de Séville, Tolède, Burgos, Leõn). En France, la plus grande fresque du saint atteint 11,50 m, sur le transept de l'abbaye de Wissembourg, dans le Bas-Rhin : elle date du XIVe siècle. Celle de Louviers est placée à droite de l'entrée. En Allemagne, dans la cathédrale de Cologne la statue du saint, datant de 1470, mesure 3,73 m.
(*) Voir site Il capochiave avec nombreuses illustrations : Cathédrale de Trente : fin du XIIIe , Église de San Vigilio à Molveno, Église de Sant'Alessandro à Sanzeno, seconde moitié XIIIe ; Église de San Tommaso in Cavedago, XVIe ; Église des Saints Pietro et Biagio de Cividale del Friuli (Udine), début du XVIe siècle ; Église de San Vigilio à Pinzolo, Cathédrale de Spilimbergo (Pordenone) : probablement du XVe siècle. Baptistère de Parme, etc.
En Espagne, pour montrer sa force herculéenne, saint Christophe est représenté portant en guise de bracelet une lourde pierre de meule.
Mais à Sillegny, Christophe n'est pas représenté frontalement et fixant le fidèle "droit dans les yeux" dans un regard hypnotique avec des yeux aggrandis, comme dans les figures géantes de la région de Trente et en Espagne au XIIIe-XVe siècle.
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Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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Le passage du gué.
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Saint Christophe est représenté les jambes de profil, s'appuyant sur son bâton, dans la posture de celui qui franchit un gué, dans sa fonction de passeur. Mais par une rotation du tronc et de la tête, il se tourne vers le Christ, au moment où il se sent fléchir, ou plus exactement au moment où il reconnaît la puissance de l'Enfant et trouve la Foi.
Les deux rives très escarpées, le sol caillouteux, et les poissons abondants soulignent le danger du passage.
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Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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L'ermite le guidant de sa lanterne.
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Le bon ermite symbolise la fonction clericale guidant le peuple. C'est lui qui a incité Christophe à devenir passeur afin de mettre sa force au service du Christ :
"Enfin il rencontra un ermite qui lui dit : « Le maître que tu désires servir exige d’abord de toi que tu jeûnes souvent. » Et Christophe : « Qu’il exige de moi autre chose, car cette chose-là est au-dessus de mes forces ! » Et l’ermite : « Il exige que tu fasses de nombreuses prières. » Et Christophe : « Voilà encore une chose que je ne peux pas faire, car je ne sais pas même ce que c’est que prier ! » Alors l’ermite : « Connais-tu un fleuve qu’il y a dans ce pays, et qu’on ne peut traverser sans péril de mort ? » Et Christophe : « Je le connais. » Et l’ermite : « Grand et fort comme tu es, si tu demeurais près de ce fleuve, et si tu aidais les voyageurs à le traverser, cela serait très agréable au Christ que tu veux servir ; et peut-être consentirait-il à se montrer à toi. » Et Christophe : « Voilà enfin une chose que je puis faire ; et je te promets de la faire pour servir le Christ ! » Puis il se rendit sur la rive du fleuve, s’y construisit une cabane, et, se servant d’un tronc d’arbre en guise de bâton pour mieux marcher dans l’eau, il transportait d’une rive à l’autre tous ceux qui avaient à traverser le fleuve." (Légende dorée)
Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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Les pèlerins transportés dans une besace ou aumônière suspendue à la ceinture.
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Parmi les 32 œuvres de la liste Wikipedia des peintures de saint Christophe aux XVe-XVIIIe siècle, seul une montre ce détail (qui n'appartient pas à la Légende dorée) : le retable (v.1480) de Juan Sanchez de Castro pour le couvent San Benito de Calatrava, exposé au Musée des beaux-arts de Séville, et que j'ai décrit en 2015.
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J'avais écrit dans ma description de ce retable :
"La ceinture du saint attire aussi l'attention : en cuir noir, elle est régulièrement cloutée de pièces métalliques en forme de demi-sphères et se termine par un passant doré ; mais, bien-sûr, ce sont les deux personnages qu'elles retient fermement qui nous intéressent. Ils semblent bien vivants, et, comme la pierre meulière, ils soulignent la taille gigantesque du saint, qui atteint douze coudées dans une légende carolingienne, soit plus de cinq mètres (une coudée = 45 cm). Les commentateurs les désignent habituellement sous le nom de "pèlerins", et je reprends volontiers ce qualificatif, qui supposerait que Christophe les a passés ainsi à sa ceinture pour les protéger ou leur faire profiter de sa foulée digne des bottes de sept lieues des contes de Perrault. Pourtant, ils gesticulent avec impatience : l'un (qui porte le même bandeau que le saint) se penche comme s'il appelait à l'aide, et l'autre, qui repousse la meule d'un bras, tient un récipient de fer blanc ou d'étain qu'il semble agiter. tandis qu'il maintient son chapeau sous le coude. Quel est le sens de cette mascarade de marionnettes ? Il me semble probable que ce détail cocasse n'est pas seulement destiné à souligner le gigantisme de Christophe, où à illustrer combien ce saint protège les pèlerins et autres voyageurs, mais qu'il est relié aux anecdotes d'une légende populaire ; néanmoins, je n'ai pas retrouvé d'éléments en faveur de cette notion."
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Or, c'est en Espagne que ce détail se retrouve fréquemment, associé à la grande taille des peintures, et à leur situation au seuil des églises. Il est souvent associé à une pierre de meule, portée par le saint, pierre qui est absente à Sillegny.
Au total, sur 23 peintures et 2 statues de Saint Christophe en Espagne du XIV-XVIIe siècle, 12 présentent des "pèlerins" à la ceinture..
— León (Castille-et-Léon), cathédrale, haut relief, roue de moulin et trois pèlerins à la ceinture.
—León (Castille-et-Léon), Musée d'Art Sacré de la cathédrale et du diocèse de León, Retable de saint Christophe venant de Nuestra-Señora del Mercado ancienne paroisse de Santa-Maria del Camino (cité par L. Grau-Lobo) "Tabla protogótica de san Cristóbal, pintada al temple, recientemente descubierta en la Iglesia del Mercado,oculta debajo de un Ecce Horno del siglo XVI.". Roue de moulin, trois pèlerins à la ceinture et deux dans une poche.
— Barcelone, Musée Mares, statue de saint Christophe venant de San Cristóbal de Entreviñas (province de Zamora, Castille-et-Léon), cité par Grau-Lobo.Meule, trois pèlerins.
— Ségovie (Castille-et-Léon), église San Millán, peinture murale de saint Christophe à tête cinocéphale, quatre pèlerins à la ceinture.
— Cotillo-Anievas (Cantabrie), Eglise de Saint-André , statue en pierre du XIVe siècle. Position frontale ; meule de moulin ; quatre pèlerins à la ceinture.
—Au Musée du Prado de Madrid, un retable anonyme du XIVe siècle, 2,66 x 1,84 m.
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Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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L'Enfant en Christ Sauveur du monde.
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Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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Le nid de cigognes.
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Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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Le fleuve, ses poissons, ses barques et sa sirène.
Ce fleuve est dangereux, et, comme l'a affirmé l'ermite, "on ne peut le franchit sans danger mortel". Symboliquement, l'élément aquatique est relié aux forces profondes et incontrolables. C'est le sens qu'il faut donner à ces poissons qui s'entre-dévorent, à cette anguille proche du serpent, et, sans doute, à ce poisson couronné, maître du royaume aquatique.
Ces poissons sont néanmoins en partie dominés par les hommes, qui les pêchent dans leur barques.
À partir du début du XVIe siècle, peut-être sous l'influence de Jérôme Bosch, on observe que les eaux prennent une connotation de plus en plus inquiétante. Habitée par des monstres marins et des sirènes, l'eau, désormais placée sous le signe de la tentation sous toutes ses formes, devient le lieu de l'épreuve et de la souffrance. Chez Alaert du Hamel, par exemple, la traversée du fleuve, décrit comme un espace de confusion et de vice, correspond très clairement à cette confrontation à la tentation, qui est aussi propre à l'iconographie de saint Antoine. Voir : Alaert du Hamel, vers 1500, Saint Christophe portant l'Enfant, estampe, Londres, British Museum.
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Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
Saint Christophe, peintures murales (1540) de Sillegny. Photographie lavieb-aile 2024.
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La sirène se peignant devant son miroir.
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Cette sirène ou femme-poisson souligne le lien classiquement établi entre la féminité et le monde aquatique. Elle personnifie la beauté, et c'est aussi une figure associée à la luxure, ou, du moins, à la frivolité et à la coquetterie, surtout lorsque, comme ici, elle se coiffe devant un miroir grâce à son peigne.
La présence d'une sirène dans l'iconographie de saint Christophe, pour animer le fleuve traversé et en souligner les dangers (moraux...) est rare mais néanmoins attestée.
-Le premier exemple que j'en donnerai est le volet d'un retable daté de 1516, provenant de la chapelle de l'Ossuaire à Baden (Suisse) et conservé au Musée des beaux-arts de Dijon. Ce volet montre Saint Christophe et un donateur, Niklaus Eberler figurant avec ses armoiries, tandis qu'un autre volet montre Saint Jérôme et une donatrice, sa femme , née Engelhardt , de Zurich. Niklaus Eberler , dit Gruenenzweig , qui vécut de 1460 à 1520 environ , appartenait à une famille riche et puissante de Bâle , mais dans sa jeunesse ( 1476 ) il avait émigré avec son père à Baden , en Argovie , où il possédait le domaine le plus important de la contrée , et il devint maire de la ville . Les panneaux internes de ce retable, des reliefs de tilleul sculptés, sont conservés à Düsseldorf, ainsi que le revers peint et daté 1516.
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-Le deuxième exemple est celui du San Cristóbal du transept sud de l'église Santa María del Azogue de Benavente (Zamora), datant de la première moitié du XVIe siècle. J.L. Hernando Garrigo a consacré un bel article à la sirène qui, comme à Sillegny, se peigne tout en se contemplant dans un miroir.
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- Au pied d'un haut-relief de Saint-Christophe (ca. 1331-32), à l'entrée de la cathédrale de Gémona del Friouli, une sirène est sculpté près du pied gauche. Elle tient les deux parties de sa queue bifide.
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- Sur une gravure du Maître E.S. réalisée vers 1450-1467 le Maître E.S., et conservée au Louvre, une sirène se baigne dans les eaux traversées par saint Christophe.
— GRAU LOBO, Luis (1994-1995): “San Cristóbal, Homo Viator en los caminos bajomedievales: avance hacia el catálogo de una iconografía particular”, a Brigecio, 4-5, p. 167-184.
— GRUMEL (V.) 1938, "Rosenfeld (Hans-Friedrich). Der hl. Christophorus, Seine Verehrung uns seine Legende. Eine Untersuchung zur Kultgeographie und Legendenbildung des Mittelalters" Échos d'Orient Volume 37 Numéro 191-192pp. 464-470
— HERNANDO GARRIDO (José Luis), 2013, "San Cristóbal y la sirenita: aviso para peregrinos y navegantes", Fundación Santa María la Real-TEMPLA, Codex Aquilarensis 29/2013.
— MANZARBEITIA VALLE (Santiago), Universidad Complutense de Madrid, 2010, "El mural de San Cristobalón en la iglesia de San Cebrián de Muda. Pintura medieval y devoción popular: del mítico Cinocéfalo al Polifemo cristiano" Anales de Historia del Arte 293 2010, Volumen Extraordinario 293-309.
—RIGAUX (Dominique), 1996, "Une image pour la route. L'iconographie de saint Christophe dans les régions alpines (XIIe-XVe siècle)", Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public Année 1996 26 pp. 235-266
— VORAGINE (Jacques de) 1261, ou IACOPO DA VARAZZE, Legenda aurea, traduite en français par JEAN DE VIGNAY sous le titre de Légende des Sains au plus tard en 1348.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE. QUELQUES COPIÉS-COLLÉS DE DOCUMENTATION.
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Théodore Henri Mansson, La chapelle de l'hôtel de Cluny, aquarelle sur papier cartonné, 1845, Musée national du Moyen-Âge.
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Le collège de Cluny dépendant de l'Ordre de Cluny, très grand ordre bénédictin, fut fondé en 1269 par Yves de Vergy dit de Beaumont, abbé de Cluny, désireux d'établir un logement propre pour les novices de son ordre envoyés étudier à Paris. Un immeuble et un terrain appartenant à l'Hôtel-Dieu furent alors acquis pour implanter l'enclos destiné à abriter plusieurs nouveaux bâtiments.
La parcelle, située non loin de la partie méridionale de l'enceinte de Philippe-Auguste, au nord de la porte Gibard (ultérieurement nommée porte d'Enfer ou porte Saint-Michel) était contiguë à l'enclos du couvent des Jacobins de la Grand'rue (rue Saint-Jacques). Elle était alors délimitée au nord par la rue Thomas-d'Argenteuil (ultérieurement rue des Poirées, disparue), à l'ouest par le jardin des Jacobins, au sud par la rue des Grès et à l'est par les abords de la rue Saint-Côme-et-Saint-Damien (ultérieurement rue Saint-Côme puis réunie à la rue de la Harpe).
Yves de Vergy fit cerner le terrain d'une clôture de murailles et y fit construire un réfectoire, une cuisine, un dortoir et un cloître dont seul une moitié était achevée lorsqu'il mourut, en 1275. La construction se poursuivit sous son successeur et neveu Yves de Chasant (1275-1289), qui fit édifier la chapelle, la salle capitulaire, l'autre moitié du cloître2 et la bibliothèque. Construit d'une traite au cours de ces années, le bâtiment resta ensuite dans son état initial jusqu'au xixe siècle. Le site correspond à l'actuel côté sud de la place de la Sorbonne, entre cette place et la rue Cujas, il bordait le côté sud de la rue des Poirées aujourd'hui disparue.
Il devait y avoir dans ce collège vingt-huit boursiers, le prieur y compris. Vingt-quatre prieurés de l'ordre de Cluny étaient taxés pour financer ces bourses. Jacques d'Amboise, abbé de Cluny fit faire les réparations de ce collège. (Wikipedia)
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"La chapelle est située au premier étage du corps de logis, en retour d'équerre du corps principal. Elle est de plan allongé, presque carré, se terminant par une abside semi-circulaire. La petite abside de l'autel est construite hors œuvre, elle est portée par un cul-de-lampe sur pilier donnant sur le jardin.
Le mur Ouest et son pignon Nord prennent appui sur les maçonneries romaines appartenant aux thermes antiques de Lutèce.
L'accès à la chapelle se faisait soit, à l'étage, par un parcours en enfilade des salles d'apparat et par l'escalier d'honneur du corps de logis ; soit depuis le jardin par un escalier à vis : cette relation entre le jardin et la chapelle est significative, la chapelle conserve son autonomie par rapport au fonctionnement de l'hôtel, et le jardin, faisant office de cloître, prend une fonction symbolique et cultuelle.
La chapelle constitue un véritable chef d'œuvre du gothique flamboyant avec une voûte d'ogives enrichie de liernes et de tiercerons (on peut la comparer à celle de la Tour Jean sans Peur de l'hôtel de Bourgogne). Sur les murs, les douze consoles surmontées de dais qui sont de véritables dentelles, devaient abriter les membres influents de la famille de Jacques d'Amboise. Les trois têtes présentées sur l'autel sont les seuls vestiges de cet étonnante galerie familiale sculptée."
"La chapelle, contemporaine de l’hôtel médiéval, a été édifiée à la fin du 15e siècle. Utilisée ponctuellement comme lieu de culte jusqu’à la Révolution, la chapelle a ensuite été transformée en amphithéâtre de médecine, en atelier d’imprimerie, puis intégrée au musée dès son origine en 1843.
Emplacement et accès
La chapelle occupe un emplacement particulier qui souligne son caractère privé, à l’extrémité nord de l’aile arrière en retour sur le jardin. Elle se déploie sur deux niveaux : la chapelle elle-même au premier étage de l’hôtel, et la loge sous la chapelle au rez-de-chaussée, en relation directe avec le jardin par deux arcades.
Au premier étage, on accédait à la chapelle par un parcours en enfilade depuis les différentes pièces d’apparat et l’escalier d’honneur du corps de logis. Au rez-de-chaussée et depuis le jardin, on y parvenait par l’intermédiaire d’un escalier en vis. Cette relation entre la chapelle et le jardin est significative : la chapelle conserve une autonomie par rapport au fonctionnement de l’hôtel grâce à cet accès, et le jardin prend une fonction symbolique et cultuelle, faisant office de cloître.
Un joyau de l’art médiéval
De plan presque carré, la chapelle déploie à partir de son unique pilier central un dense réseau de nervures, réparti en quatre voûtes d’ogives. Elle est de style gothique flamboyant : liernes et tiercerons moulurés, voûtains au décor de soufflets et mouchettes. L’abside semi-circulaire prend place dans une tourelle (en oriel) à encorbellement et est voûtée en cul-de-four.
L’espace de la chapelle présente un riche décor sculpté : culots ornés de feuilles de choux, consoles en forte saillie à ornements végétaux, sculptures sur la voûte en cul de four de l’abside (Dieu le Père au sommet de la voûte, le Christ en croix, et treize anges portant des phylactères ou des instruments de la Passion), douze niches surmontées de dais architecturés. Celles-ci abritaient, non pas des statues des apôtres comme attendu, mais celles de membres de la famille de Jacques d’Amboise, faisant de ce lieu de culte privé un manifeste de sa position personnelle par l’exaltation de son lignage.
Une partie des décors peints de cette chapelle médiévale a également été conservée, notamment deux peintures murales monumentales datant du début du 16e siècle et issues d’un atelier vraisemblablement italien de part et d’autre de l’abside. Il s’agit de deux saintes femmes, demi-sœurs de la Vierge, Marie Cléophas (ou Marie Jacobi) et Marie Salomé, qui pleurent le Christ mort.
Enfin, des vitraux illustrant la Passion garnissaient les hautes fenêtres et ont été démontés avant 1804. Seul l’élément représentant le portement de croix est encore visible dans les salles du musée.
Restaurations
Entre 1843 et 1861, l’architecte Albert Lenoir entreprend la restauration de la chapelle. C’est lui aussi qui recompose le pignon nord, avec l’utilisation de nombreux remplois suite à la démolition des édifices du quartier détruits lors de l’ouverture des boulevards. Les façades ont été ensuite restaurées par Jean Trouvelot (1949-1956). Ces opérations de restauration conduites au 19e et au 20e siècles n’ont pas modifié de manière significative le caractère de cette chapelle qui apparaît toujours dans son état médiéval.
Toutefois, même si elle ne présente pas de désordres structurels, l’état de ses parements en pierre est très dégradé. Les éléments en remploi disposés sur le pignon nord nécessitent également une restauration. À l’intérieur, le niveau d’encrassement des décors sculptés et peints est indigne d’un ouvrage de cette importante, le plus remarquable de la partie médiévale. Il en va de même pour l’état de conservation des verrières.
À l'automne 2015, le musée engage donc une nouvelle restauration de la chapelle pour lui permettre de retrouver un état général à la mesure de ce chef-d’œuvre de l’architecture gothique flamboyante et de mieux en apprécier le décor peint et sculpté.
Ces travaux ont permis de restaurer les façades est et nord (intégrant l’escalier à vis menant au jardin, toujours fermé au public pour le moment), consolider les tympans extérieurs par injection, procéder à un rejointement partiel et de réintégrer certains éléments sculptés manquants.
La couverture en ardoise a également été révisée et des gouttières ont été posées pour protéger les façades des ruissellements.
Un nettoyage a eu lieu sur les derniers fragments de vitraux colorés d’origine conservés dans les parties hautes, tandis qu'un vitrage losangé d'aspect traditionnel mais aux performances modernes (anti UV) a été posé dans les baies.
A l’intérieur, les sculptures et les décors muraux ont été nettoyés prudemment, révélant ainsi leur polychromie d’origine. Auparavant, sur les premières, on pouvait constater des couleurs très sombres presque noires, dues à un vernis qui s'était oxydé et assombri dans le temps. Les décors peints de très grande qualité, d’inspiration italienne, datent, comme les sculptures, des alentours de 1500.
Ils figurent parmi les rares exemples de peinture murale parisienne vers 1500 et cette restauration révèle toute leur valeur.
La porte sculptée en bois qui mène sous la chapelle, a elle aussi été nettoyée pour révéler une polychromie du 19e siècle, conforme à l'état que l’on connaissait par le biais des gravures colorées du 19ᵉ siècle, bien différente des polychromies du 15e siècle.
Cette restauration a été l’occasion d’une belle surprise lors du nettoyage des voûtes encrassées et badigeonnées. On y a découvert une polychromie bleu-vert sur le fond des voûtains, comme sur les décors du tambour qu’on croyait brun-noir tant ils étaient encrassés !
Ce travail de fond, qui a mobilisé une dizaine d’intervenants sous la houlette de l’architecte en chef des monuments historiques Paul Barnoud, pour redonner à la chapelle sa flamboyance, est enfin magnifié grâce à une nouvelle mise en lumière intérieure. La chapelle a réintégré le circuit de visite à l'automne 2016.
Plan de la chapelle (K) au premier étage, donnant sur le jardin G, et son escalier S.
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La chapelle : son abside vue de l'extérieur.
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Vue générale de l'abside de la chapelle, avant restauration.
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L'ABSIDE DE LA CHAPELLE : SCULPTURES ET PEINTURES.
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"Le décor de l’abside est mi-sculpté, mi-peint en trompe l’œil, les éléments sculptés sont encore médiévaux alors que le décor peint est déjà Renaissance ; cependant la relation entre peinture et sculpture est connue au XVe siècle bien que rare (crucifixion sculptée associée à des paysages peints).
Des rinceaux à l’antique étaient peints sur le mur de l’abside.
Le cul de four de l’abside reprend un décor mixte : le Christ en croix, les anges de la Passion, Dieu le Père sont sculptés alors que les phylactères tenus par les anges sont peints et évoquent ceux des Prophètes de l’Ancien Testament ; ainsi la formule typologique est-elle inventée sur le plan iconographique. Les arma Christi seront de plus en plus souvent représentées à la Renaissance."(Amis du Musée d'Ecouen)
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Dieu le Père entouré de douze anges (il en manquerait deux), au dessus du Christ en Croix et de deux anges hématophores.
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Certaines de ces statues d'anges ont pu être attribuées par Christiane Prigent (*) à Antoine Le Moiturier, présent à Paris autour de 1500.
(*) C. Prigent, 1999, La Sculpture, in Art et société au XVe siècle.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange présentant la lance portant l'éponge de vinaigre .
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Cet ange est représenté debout, vêtu sur une aube blanche d'une chape rouge à orfrois dorés.
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Inscription : ET IN SITI MEA POTASTIS MEO ACETO....
Traduction : "Et quand j'avais soif vous m'avez abreuvé de vinaigre".
Source : je la trouve dans une homélie franciscaine sur le Pater, attribué peut-être à saint François d'Assise ou Antoine de Padoue, BnF NAL 3245, et dont le manuscrit daterait des années 1230. Voir Gallica. Voir aussi Le manuscit franciscain retrouvé.
Ecce me, pendentem in cruce ; dedistis in escam meam fel, et in siti mea potastis me aceto. » Sic nobis dulcis et rectus Dominus. Quid aliud, mali nos, inpii et crudeles, dedimus tibi ?
"Me voici, pendant sur la croix : vous m’avez donné à manger du fiel, et quand j’avais soif vous m’avez abreuvé de vinaigre. » Ainsi parle le doux et droit Seigneur. Que d’autres t’avons-nous donné, nous mauvais, impies et cruels ?"
L'autre source, implicite, est bien entendu le texte évangélique Matthieu 27:34
Et dederunt ei vinum bibere cum felle mistum. Et cum gustasset, noluit bibere. Postquam autem crucifixerunt eum, diviserunt vestimenta ejus, sortem mittentes: ut impleretur quod dictum est per prophetam dicentem: Diviserunt sibi vestimenta mea, et super vestem meam miserunt sortem.
"ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel; mais, quand il l'eut goûté, il ne voulut pas boire. Après l'avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements, en tirant au sort, afin que s'accomplît ce qui avait été annoncé par le prophète: Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré au sort ma tunique."
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L'intérêt de cette source franciscaine (bien que l'on puisse trouver d'autres sources si on n'exige plus une citation littérale) est de renvoyer à la tradition monastique de la contemplation du Crucifix et de la méditation sur les souffrances endurées lors de la Passion, dans une mystique du sang et des larmes, car c'est bien là la base spirituelle de l'iconographie de cette abside voulue par Jacques d'Amboise.
L'intérêt également est de constater que la porte d'entrée porte les bas-reliefs de saint François d'Assise, et d'un autre franciscain.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange tenant la lance de Longin.
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Cet ange est représenté debout. Il est vêtu d'une tunique longue blanche.
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Inscription : LANCEA MEUM LATUS PERFODISTIS
Le texte de ce phylactère est également retrouvé, textuellement, dans l'homélie franciscaine :
« Vous m’avez cruellement donné des gifles au visage, et ce même visage vous l’avez honteusement aspergé de crachat ; vous avez voilé mes yeux et ma tête avec un tissu, et vous les avez frappés d’un roseau, me posant une couronne d’épine sur la tête ; et comme pour un brigand vous êtes sortis avec des épées et des bâtons pour m’arrêter. À la colonne vous m’avez étroitement ligoté comme un assassin, et contre moi vous avez suscité des témoins iniques, et l’iniquité s’est contredite dans ses mensonges. Et vous me demandez le pain éternel ? » Révèle-nous, Christ, si avec les juifs nous t’avons fait plus de tourments que les impies : « Mes mains et mes pieds, vous les avez transpercés avec des clous en fer, les enfonçant très durement sur la croix, et d’une lance cruelle vous m’avez transpercé le côté. ( Manus meas et pedes meos clavis ferreis perfodistis, in cruce durissime configentes, et dira lancea meum latus perfodistis.). Vous avez tiré mes vêtements au sort et, pendant nu sur la croix pour vous je suis demeuré seul sur le champ, et vous m’avez laissé mort, et il n’y avait aucune place pour moi où reposer ma tête déchirée pour vous par les épines. Et vous me demandez le pain des anges ? Levez-vous donc, quand vous serez assis, vous qui mangez le pain de la douleur, si vous souhaitez vous rassasier de mon festin. Ces blessures que j’ai dites, vous me les faites chaque fois que vous succombez à la chute d’un crime, négligeant mes outrages et mes ulcères, que j’ai soufferts sur la croix pour vous. Chiens muets, incapables d’aboyer, et chiens très impudents, vous ne savez pas ce qu’est la santé ! » Ô Père très doux, puisque nous sommes des chiens et des affamés, sers-nous notre pain quotidien. Car même les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
« Alapas crudeliter in faciem meam dedistis, et eandem meam faciem sputo turpiter asperxistis ; oculos meos et caput cum panno velastis, et cum arundine percusixtis, coronam spineam ponentes capiti meo, et tanquam ad latronem existis cum gladiis et fustibus comprehendere me. Ad columpnam tanquam homicidam ligastis me stricte, et contra me testes provocastis iniquos, et mentita est iniquitas sibi. Et vos michi panem queritis eternalem ? » Revela nobis, Christe, si nos cum Iudeis plura inpiis fecimus tibi tormenta : « Manus meas et pedes meos clavis ferreis perfodistis, in cruce durissime configentes, et dira lancea meum latus perfodistis. In vestes meas misixstis sortes
et, nudus pendens in cruce pro vobis, solus remansi in campo, et vos mortuum reliquistis me, nec locus erat aliquis michi ubi caput meum dilaceratum a spinis pro vobis reclinasse in mortem. Et vos michi panem queritis angelorum ? Surgite ergo cum sederitis, qui manducatis panem do , si de meo convivio cupitis satiari. Hec michi vulnera supradicta facitis, quotiens in lapsum inciditis criminale, mea obprobria et ul-/45r/-cera neglige tes, que passus sum in cruce pro vobis. Canes muti non valentes latrare, et canes impudentissimi, nes itis sanitatem. » O dulcissime Pater, quia canes et famelici sumus, porrige nobis panem nostrum cotidianum. Nam et catelli edunt de micis que cadunt de mensa dominorum suorum
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Il renvoie à la méditation sur le coup de lance donné, dans les évangiles, lors de la Passion par un soldat , que la tradition nommera ensuite Longin, ou bien au cantique Anima Christi composé au début du XIVe siècle , et qui cherche à obtenir une union mystique avec le Christ souffrant : "acqua lateris Christi lava me".
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange présentant l'échelle de la Déposition et celle de Jacob.
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Cet ange aux cheveux blonds et bouclés, saisi en plein vol, porte une aube blanche (pléonasme...) serrée par une ceinture bleue faisant bouffer l'étoffe.
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Inscription :[VI]DIT JACOB SCALAM SUPRA TERRAM ET CACUMEN ILIUS TANGENS CELUM...
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Il s'agit d'un verset de la Genèse, Genèse 28:12 appartenant au corpus des antiphonaires grégoriens. La citation complète est : Vidit Iacob in somnis scalam stantem super terram, et cacumen illius tangens cælum, et angelos quoque dei ascendentes et descendentes per eam, et dominum innixum scalæ.
"Jacob vit une échelle, son sommet touchait les cieux, et il vit des Anges qui en descendaient, et il dit : Vraiment ce lieu est saint."
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L'ange présentant le fouet et les verges de la flagellation.
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Cet ange porte un manteau bleu doublé de (soie) rouge, identique par sa coupe et son décor à l'ange portant le marteau
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Inscription : EGO IN FLAGELLA PARATUS SUM Psalm° 37
La citation du psaume 37 verset 18 est : Quoniam ego in flagella paratus sum, et dolor meus in conspectu meo semper.
"Car je suis près de chanceler, et ma douleur est toujours devant moi ".(L. Segond)
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange versant des larmes.
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L'ange blond aux yeux larmoyant vole, les genoux fléchis ; il s'enroule frileusement dans son phylactère. Le manteau doré qu'il porte est long mais fendu le long des jambes, il est frangé de blanc.
Trois larmes s'écoulent sous chacun des yeux de l'ange dans une tradition qui sera reprise en Bretagne sur les calvaires de l'atelier Prigent (1527-1577).
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Inscription : ATTENDITE ET VIDETE SI EST DOLOR SICUT DOLOR MEUS .
Source biblique : les Lamentations : "Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est douleur comme ma douleur" Lamentation 1:12
Une fois de plus, cela confirme le thème général du décor : une invitation à l'union mystique du fidèle, et sensitive par les larmes, des souffrances du Christ en Croix et du sang versé.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange présentant le marteau de la Crucifixion.
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L'ange blond saisi en vol porte sur son aube blanche une très riche et longue tunique rouge, à larges manches courtes , fendue sur les flancs, et bordée d'un galon doré à motifs de croisillon.
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Inscription : PERCUSSERUNT ME ----------ME
La source serait le Cantique des cantiques 5:7 : Anima mea liquefacta est, ut dilectus locutus est. Quesivi et non inveni, illum vocavi et non respondit michi. Invenerunt me custodes civitatis, percusserunt me et vulneraverunt me, tulerunt pallium meum custodes murorum. Filie Iherusalem, nuntiate dilecto quia amore langueo.
" Les gardes qui font la ronde dans la ville m’ont rencontrée ; Ils m’ont frappée, ils m’ont blessée ; Ils m’ont enlevé mon voile, les gardes des murs."
L'inscription fait aussi allusion bien-sûr à Matthieu 27, 29-30 Et exspuentes in eum, acceperunt arundinem, et percutiebant caput ejus.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange tenant le roseau de la dérision (Ecce Homo).
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L'ange blond au regard triste se tient debout (et non volant), il est vêtu d'une longue tunique à parement d'or sur les manches et l'encolure. Cette tunique se plisse au dessus de la ceinture.
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Inscription : MALEDIXISTI SCEPTRIS EIUS ABACUCH 3°
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La source est indiquée sur l'inscription : le Cantique d'Hababuc 3:21 : Maledixísti sceptris éius : capiti : " :Tu as maudit leur sceptre ; la tête".
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange tenant la couronne d'épines, et un maillet.
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L'ange blond aux ailes d'or est vêtu d'un manteau bleu d'où s'échappe ses pieds nus..
Inscription : ----POSUERUNT ----
Source probable : le texte évangélique de Matthieu 27:29 et plectentes coronam de spinis posuerunt super caput eius et harundinem in dextera eius et genu flexo ante eum inludebant dicentes have rex Iudaeorum "Ils tressèrent une couronne d'épines, qu'ils posèrent sur sa tête, et ils lui mirent un roseau dans la main droite; puis, s'agenouillant devant lui, ils le raillaient, en disant: Salut, roi des Juifs!"
Ou encore Jean 19:1 : et milites plectentes coronam de spinis inposuerunt capiti eius et veste purpurea circumdederunt eum "Les soldats tressèrent une couronne d'épines qu'ils posèrent sur sa tête, et ils le revêtirent d'un manteau de pourpre".
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'ange tenant les clous et le maillet de la Crucifixion.
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L'ange blond aux ailes d'or vole dans un bouillonnement de plis de son aube blanche ; il porte une tunique dorée à revers et à ceinture rouge cramoisi.
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Inscription : ---MANUS MEAA ET PEDES MEUS. Psal° 21
Source : elle est indiquée à la fin de la citation, il s'agit du psaume 21 : Foderuut manus meaa et pedes meus, dinumeraverunt omnia ossa mea, Psaume 21:17, "Ils ont percé mes mains et mes pieds".
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'un des deux anges orants des côtés.
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Note : vers 1462, Jean de Bourbon, abbé de Cluny avant Jacques d'Amboise, fit exécuter par Antoine Le Moiturier (auteur de 1466 à 1469 des gisants et pleurants du tombeau de Jean Sans Peur duc de Bourgogne) des statues pour sa chapelle privée de l'abbatiale de Cluny
Comparer avec les statues conservées au Louvre :
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Le Christ en croix sous le titulus I.N.R.I, et les deux anges hématophores (recueillant dans des calices le sang des plaies des mains, et peut-être aussi l'eau de la plaie du thorax).
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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. LES DEUX PEINTURES MURALES : LES SAINTES FEMMES MARIE JACOBÉ ET MARIE SALOMÉ.
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Deux peintures , pas même mentionnées dans les descriptions anciennes de Sauval et de Piganiol de la Force en 1765, furent retrouvées en 1834 sous un badigeon apposée à une date inconnue. Elles occupent les deux parois latérales de l'absidiole.
Elles représentent Marie Cléophas au nord et Marie Salomé au sud. Elle ont été attribuées à Guido Mazzoni, peintre et sculpteur originaire de Modène, actif à Naples, et qui vint en France à la suite de Charles VIII. Il travailla à la cour de Louis XII et surtout pour Georges d’Amboise. Mais on a aussi suggéré qu'elles pouvaient être d'un artiste proche de l'école de Ferrare, ou, selon Charles Sterling, d'un peintre flamand du début du XVIe siècle. Elles sont estimées du XVIe siècle, ou de la seconde moitié du XVIe siècle.
Les deux sainte femmes, Marie Cléophas et Marie Salomé, s'intégraient vraisemblablement à une description des Trois Marie qui ont assisté selon la tradition à la Crucifixion et à la mise au tombeau de Jésus : la troisième Marie étant la Vierge Marie, mère de Dieu, ou bien Marie-Madeleine.
Or, une Pietà (ou plutôt une Déploration ou une Mise au Tombeau à quatre figures) sculptée dont la tête s’emboitait dans le mur délardé, reposait jadis sur l’autel. Les deux femmes, se lamentant et ayant à leur pied un flacon d'aromates, s'intégreraient donc parfaitement dans ce programme iconographique.
Edmond du Sommerard écrivait en 1866 : "L'autel est placé contre le mur du jardin qui est ouvert dans le milieu par une demi-tourelle en saillie, formée par de grands vitraux, dont les vitres, assez bien peintes, répandent beaucoup d'obscurité.En dedans de cette tourelle, devant l'autel, on voit un groupe de quatre figures, de grandeur naturelle, « où la Sainte-Vierge est représentée tenant le corps de Jésus-Christ détaché de la croix et couché sur ses genoux ; Ces figures sont d'une bonne main et fort bien « dessinées pour le temps."
Cette pietà ou est visible, au dessus de l'autel, sur une vue de La chapelle de l'hôtel des abbés de Cluny en 1781 de Beguyer de Chancourtois : la Vierge est debout, bras écartés, tandis que Jacques d'Arimathie et Nicodème portent le Christ mort.
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Ce qui m'étonne, dans ce programme, c'est l'absence de Marie-Madeleine.
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Le thème de la pietà s’inscrit dans la piété personnelle du cardinal Georges d'Amboise (on la retrouve sur son sceau et sur les moulages des reliefs de la tribune d’orgue de la chapelle de Gaillon), mais aussi des autres membres de la famille . Sur ce dernier, Georges d’Amboise présenté, à genoux, par saint Jean-Baptiste et identifié par ses armes ornées d’une crosse fait face à une Vierge de pitié portant le Christ mort dans ses bras et surmontant les armes de l’archevêché normand. Le champ fleurdelisé du sceau, s’il renvoie sans doute à la Vierge, ne manque pas de donner une dimension royale au titulaire du sceau ! (L. Hablot 2013)
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Néanmoins, le sceau de Jacques d'Amboise n'inclut pas ce thème ( Dans une double niche gothique, on y voit saint Pierre et saint Paul, et au-dessus, la Vierge vue à mi-corps. Dans une niche inférieure, un priant, entre deux écus, l'un aux armes d'Amboise (palé d'or et de gueules de six pièces), l'autre chargé de deux croix en sautoir posées sur une épée en pal. Le contre-sceau est un écu au palé d'Amboise.)
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Analyse des deux peintures par Cécile Scalleirez :
"Ces deux saintes femmes, grandeur nature, apparaissent de part et d’autre de l’autel dans des architectures feintes très sophistiquées (…). Malgré cette disposition, le caractère le plus évident de ce décor est sa dissymétrie (…) dissymétrie des attitudes, qui (…) se double d’une dissymétrie totale dans l’environnement architectural et ornemental. (…)
Marie Jacobi est encadrée de pilastres ornés de motifs de candélabres dorés sur fond rouge-brun, Marie Salomé de deux pilastres dépareillés dont le plus évident, fait de croisillons claires, évoque plus la marqueterie que l’architecture véritable. Toutes deux sont placées sous des sortes de dais en tonnelle de bois dans lesquels s’agitent des angelots acrobates, les uns cueillant ce qui semble être des poires, tandis que les autres y suspendent des grappes de raisin, des poires et des pommes.
Enfin, Marie Jacobi apparaît dans une niche surmontée d’un oculus en perspective formant au-dessus d’elle comme un puits de lumière, et la façade de cette niche est surmontée d’une coquille, alors que celle de Marie Salomé est surmontée d’un fronton triangulaire où l’on peut reconnaître, extrêmement usée si ce n’est même laissée au stade de la sinopia, une Annonciation.
Tous ces éléments architecturaux sont peints soit en grisaille imitant la pierre soit dans un ton ocre qui évoque la dorure et sur lequel les motifs sont figurés de manière très linéaire, sans plasticité, ce qui laisse une impression grossière plutôt que d’œuvre complètement aboutie. Les fonds sont partout relevés de détails d’une polychromie variée qui confère à l’ensemble une note générale de fantaisie, voire de facétie dans les angelots, qui nous semble beaucoup moins renvoyer aux habitudes parisiennes qu’à l’Italie du Nord, et en effet à la culture ferraraise issue des inventions de Cosme Tura et du studiolo de Belfiore ou aux marqueteries exécutées à Ferrare par Pier Antonio degli Abati.
Il en va de même des figures elles-mêmes, très monumentales, enveloppées de draperies très plastiques, habitées d’un pathétisme évident dans leurs visages et leurs mains. On a quelque scrupule à les rapprocher,— étant donné la médiocrité de leur conservation et surtout le caractère sommaire de l’exécution de tout l’encadrement décoratif, —des panneaux cristallins et incisifs conservés de Francesco del Cossa ou d’Ercole de Roberti, comme des fresques si raffinées du Palazzo Schifanoia de Ferrare. Tel qu’il nous est parvenu, le décor peint de la chapelle de Cluny ne peut en apparaître que comme la menue descendance.
Mais son style en procède au point que Timothy Verdon a pu proposer l’attribution à Guido Mazzoni de l’ensemble du décor de l’autel, selon lui conçu comme une Lamentation mi-sculptée mi-peinte. Sans forcément souscrire à cette interprétation globale, qui implique que le groupe sculpté que documente la miniature du musée Carnavalet soit aussi son oeuvre, nous sommes frappés par les analogies que Verdon a relevées entre les deux saintes femmes de la chapelle de Cluny et les figures sculptées par Mazzoni en Italie entre 1485 et 1492. (…) La présence de Guido Mazzoni, natif de Modène, formé dans l’atelier de Cossa, au service du roi de France Charles VIII à Naples à partir de 1495, installé en France de 1497 à 1516, mentionné dans les documents français comme « painctre, enlumineur et ymagier », et qui plus est actif non seulement pour le roi mais aussi pour des seigneurs liés aux campagnes italiennes, tels qu’Antoine Bohier (à Fécamp) ou Georges d’Amboise, le propre frère de Jacques d’Amboise, abbé de Cluny (à Gaillon), invite naturellement à se tourner, pour trouver la paternité du décor de Cluny, vers cet artiste qui constitue objectivement un trait d’union entre la culture ferraraise et la France de 1500." https://www.musee-moyenage.fr/media/documents-pdf/dossiers-de-presse/dp_chapelles.pdf
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1. Marie Jacobé à gauche.
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Selon La Légende dorée, elle serait née du second mariage d'Anne, mère de Marie avec Cléophas, frère de Joseph. Elle aurait épousé Alphée et aurait donné naissance à quatre fils : Jacques le mineur, Joseph le juste, Simon le Zélote et Jude.
Son nom MR IACOBI apparait inscrit sur un cartelino glissé sous le flacon d'aromates.
La femme est voilée, nimbé d'un simple cercle, et porte une robe satinée rouge, un manteau sombre damassé d'or à doublure de soie bleue. Elle est chaussée de sandales.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile janvier 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Mon cliché ne permet pas de préciser si la sainte femme verse des larmes, même si toute l'expression du visage le laisse penser. Ce sera la même chose pour Marie Salomé.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Les putti ailés jouent dans le feuillage d'une couronne conique et y cueillent des fruits (olives?).
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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1. Marie Salomé à droite.
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Marie Salomé porte, sur ses cheveux blonds et dénoués, un voile de gaze translucide. Je suis presque sûr de voir des larmes couler de ses paupières, en gouttes prolongeant un fin filet. Par rapport à mon thème d'enquête sur l'importance de la mystique du sang et des larmes, ce détail est bien sûr capital.
Elle porte une chemise très fine, couvrant les poignets de gaze ; un long manteau rouge à orfrois d'or ; une robe verte piquetée d'or, serrée à la taille par une ceinture nouée, et aux manches nouées à mi-bras par des rubans dorés (comme le Printemps dans la Naissance de Vénus de Botticelli, 1485). Ses mains aux poignets fins portant des bracelets, se rejoignent et s'étreignent devant le bassin.
Devant ses pieds, le flacon d'aromates en forme d'albarello porte le nom SALOME en lettres gothiques.
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Ma conviction, mon doute très fort, est qu'il s'agit en réalité de Marie-Madeleine, car la femme représenté ici en porte l'attribut (l'albarello), la chevelure dénouée et longue sur les épaules, l'élégance et les riches atours, et surtout peut-être les larmes. Le nom indiqué est-il un repeint dû à un restaurateur ?
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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La tonnelle suspendue accueille trois putti ailés cueillant des raisins, des poires et des pommes.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Le seul panneau figuré qui soit conservé au musée de Cluny, dans une autre salle, est un Portement de Croix, ce qui laisse imaginer que les autres panneaux figuraient aussi les autres épisodes de la Passion : tout le décor de l'abside était donc cohérent.
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Le musée indique :
"Ce panneau de vitrail représente un des épisodes de la Passion du Christ précédant la Crucifixion. Le vitrail se trouvait dans une baie de la chapelle de l’hôtel de Cluny vers 1500. Il est possible que Jacques d’Amboise, abbé de Cluny, ait commandé cette composition à l’un des ateliers les plus réputés de la capitale, à qui revient aussi le dessin de la Dame à la Licorne. Le peintre verrier fait preuve d’une technique virtuose. Il maîtrise parfaitement l’usage de la grisaille et du jaune d’argent. Il soigne les détails des personnages comme le révèlent le pourpoint clouté et l’épaulette du garde au premier plan. Entré dans les collections en 1834."
Remarquez l'utilisation du verre rouge gravé pour le pourpoint et la manche à crevés longitudinaux du soldat. Le carton est attribué au Maître des Très petites Heures d'Anne de Bretagne (Jean d'Ypres ?).
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. LA PORTE DU TAMBOUR D'ACCÈS À LA CHAPELLE.
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La chapelle de l'hôtel de Cluny a une fonction singulière et unique : l'accès au jardin par un escalier à vis, dont le tambour est traité en remplage ajouré. Cet escalier conduit, au rez-de-jardin, à un espace voûté de même surface que le jardin, reposant sur un piler unique, et ouvert vers l'est par deux arcades.
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Je n'ai pas trouvé de description détaillée de cette porte en bois permettant l'accès par l'escalier en colimaçon. Elle s'inscrit dans la dentelle de pierre du tambour , de style gothique flamboyant. Elle a été splendidement restaurée, selon les couleurs représentée sur une gravure ancienne de 1838.
Je n'ai donc pas trouvé de précision sur sa datation. Son style gothique flamboyant laisse présumer qu'elle date de la création de la chapelle elle-même, avant 1500. C'est un élément important pour notre discussion, en raison de l'importance donnée à saint François et aux franciscains.
Je n'ai pas trouvé non plus d'indication sur le moine martyr habillé en jaune.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Saint François d'Assise recevant les stigmates alors qu'il contemple le crucifix.
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Dans un décor de grappes de raisins renvoyant à l'Eucharistie (et donc à la Passion), François, portant l'habit et la cordelière de son Ordre, présente ses deux mains aux paumes trouées des plaies des stigmates, qu'il a reçu tant l'intensité de sa compassion du Christ crucifié était grande.
À droite, un moine vêtu de blanc est assis, endormi. Il s'agit de frère Léon, seul témoin de la scène qui s'est déroulé en septembre 1224 pendant le Carème de la Saint-Michel, dans la solitude des monts de l'Alverne.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Un martyr (palme), cordelier (cordon à nœuds) et probable fondateur d'un ordre (livre), en habit de bure jaune .
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La tonsure et la cordelière sont les mêmes que dans le panneau précédent : il s'agirait donc d'un franciscain. Il n'est pas nimbé 'François d'Assise non plus), mais la palme du martyre laisse penser qu'il s'agit d'un saint.
Antoine de Padoue ? Bonaventure ? Bernardin de Sienne?
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Saint Christophe et saint Pierre.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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L'Annonciation.
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Le fait que l'ange tienne une sorte de cierge, et non le bâton enrubanné du phylactère de son message, est troublant. Les manches de l'ange sont bridées aux bras par des rubans comme sur la peinture de Marie Salomé.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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DISCUSSION.
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Cette "chapelle" n'a sans doute jamais eu de desservant ni d'autel perpétuel (A. Bos et T.X. Dectot p. 21), et sa fonction aurait été selon ces auteurs de permettre à l'abbé ou aux autres prêtres clunisiens séjournant dans l'hôtel de Cluny de satisfaire à leurs obligations liturgiques de célébration régulière de la messe, un autel étant alors posé sur la table d'autel, durant une très faible durée d'utilisation effective de l'hôtel par ces abbés, jusqu'en 1515. L'hôtel de Cluny servit ensuite de résidence à Marie d'Angleterre, puis sera utilisée comme maison de rapport à partir de 1590 au moins.
D'autre part, les figures sculptées des membres de la famille d'Amboise, agenouillés en prière devant la Pietà et le Crucifix, peuvent inciter à penser que cette chapelle était réservée à Jacques d'Amboise et ses proches. D'autant que ses armes étaient représentées à plusieurs endroits dans la chapelle.
Je me pose la question de savoir s'il ne faut pas y voir plutôt un "oratoire" voué à la pratique monastique dévotionnelle de contemplation participative du Christ en croix, des souffrances de sa Passion, de la réalité de ses plaies et du sang versé.
Cette pratique n'est pas propre à l'Ordre des Franciscains, et est retrouvé chez les Chartreux (Puits de Moïse de Champmol), les Dominicains (fresques de Fra Angelico au couvent San Marco) et chez les Bénédictins. Néanmoins, c'est bien François d'Assise, haute figure de cette dévotion mystique par ses stigmates, qui est figuré sur la porte, à côté d'un autre moine cordelier. Et (mais l'argument est faible), deux inscriptions des phylactères me renvoient vers le texte de la plus ancienne homélie franciscaine.
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J'ai dit que l'absence de Marie-Madeleine m'interroge : cette absence est invraisemblable dans cette cohérence iconographique de la Passion et de la Déploration (alors qu'elle est compréhensible dans le thème des Trois Marie). Marie-Madeleine est la médiatrice de cette compassion et de ces larmes qui jaillissent devant le sang versé, qui s'écoule au pied de la croix.
Voir sur les Trois Marie à Louviers par Arnoult de Nimègue sous le mécénat de Georges II d'Amboise :
Sophie Lagabrielle, dans son article sur Les vitraux de l'hôtel de Cluny (2007) croit reconnaître Marie-Madeleine, précisément éplorée au pied de la Croix, dans la silhouette féminine de grande taille et au buste cintrée du bas de la lancette gauche, se détachant sur un fond neutre, dans la peinture de Beguyer de Chancourtois La chapelle de l'hôtel des abbés de Cluny en 1781, conservée au musée Carnavalet (cf. supra). Et cette auteure souligne que l'iconographie de Marie-Madeleine enlaçant la Croix aux pieds du Christ apparaît sur les livres d'Heures imprimés, et qu'elle a été retenue par Georges d'Amboise sur les vitres de la grande salle de l'archevêché de Rouen, tandis que la dévotion nouvelle portée à la sainte a suscité la création d'une baie complète à Saint-Gervais et à Saint-Merry. Néanmoins, les déductions sur l'examen de cette peinture de Beguyer de Chancourtois restent fragiles.
Voir la verrière de Marie-Madeleine de la baie 53 de la cathédrale de Rouen :
Jacques d'Amboise né entre 1440 et 1450, et mort en 1516, est un bénédictin qui fut abbé de Jumièges, puis en 1485, abbé commendataire de Cluny jusqu'en 1510 (date imprécise : en 1514, Jacques d'Amboise a abdiqué de l'abbatiat de Cluny au profit de son neveu Geoffroy) . Il fait alors reconstruire l'hôtel parisien des abbés de Cluny, sa chapelle et le collège aujourd'hui disparu. Il devient ensuite évêque de Clermont, en 1505.
Je n'ai trouvé aucun renseignement sur ses pratiques dévotionnelles, et moins encore sur d'éventuels liens avec les franciscains.
Son emblématique renvoie à la figure de son saint patron saint Jacques de Compostelle : elle associe des coquilles, des bourdons de pèlerins et ses mots « timor dei initium sapientiae et servas mandata. Servire deo regnare est ».
Si les armoiries de la chapelle ont disparu, on peut voir encore celles des murs et lucarnes de l'hôtel dans la cour.
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LES ARMOIRIES DE JACQUES D'AMBOISE DANS LA COUR DE L'HÔTEL.
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"Jacques d’Amboise († 1516), abbé de Cluny en 1485, impose davantage son originalité dans l’emblématique nouvelle. Il retient les armes pleines de la famille qu’il accoste souvent à celles de son abbaye de Cluny, ou écartèle parfois à celles de son évêché de Clermont (« d’azur à la croix de gueules cantonnée de quatre fleurs de lys d’or»). Comme son frère Louis, et bien que n’étant pas cardinal, il porte lui aussi chapeau, croix de procession ou crosse pour orner et timbrer ses armoiries et les fait occasionnellement supporter par des anges. Ainsi que le fait remarquer G. Souchal, si ces ornements compliquent encore la tâche des historiens de l’art pour attribuer telle ou telle réalisation des frères d’Amboise ou de leurs neveux, leurs pratiques par Jacques, Jean ou Louis d’Amboise ne bouleverse pas les usages héraldiques du temps qui concèdent alors le chapeau – le galero – signe cardinalice s’il en est, à l’ensemble des prélats d’un certain rang. À côté de ce discours assez classique, Jacques d’Amboise adopte une panoplie d’emblèmes évocateurs de son prénom et de son patron, saint Jacques, qu’il déploie notamment sur l’escalier de la résidence parisienne des abbés de Cluny : des coquilles, des bourdons de pèlerins et ses mots « timor dei initium sapientiae et servas mandata. Servire deo regnare est ». Un hommage au roi, sous la forme d’une initiale K, s’ajoute encore au décor de Cluny." (L. Hablot)
"Cette emblématique allusive à son saint Patron, Jacques, se retrouve également sur une tapisserie qui lui associe les mots TIMOR DEI INITIUM SAPIENTIAE SERVAS MANDATA SERVIRE DEO REGNARE EST et le chiffre J D (Jacobus De Ambasia) (Voir les sculptures de l’hôtel de Cluny à Paris et le dessin d’un tapisserie relevée pour Gaignières autrefois au château de Gaillon, Paris, BN, Est. Pc. 18,f°32), (*)." (L. Hablot 2007)
(*) qui porte Initium sapientiae timor domini . Servas mandata tua.
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Initium sapientiae timor domini est une citation du psaume 111 verset 10 : La crainte de l'Eternel est le commencement de la sagesse.
Servas mandata dei est la marque typographie du libraire Jehan Palier.
Servas mandata tua : "tu observes tes commandements" ?
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Emblématique de l'abbé Jacques d'Amboise dans son hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Emblématique de l'abbé Jacques d'Amboise dans son hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Sur un semé de coquilles Saint-Jacques, et parmi des bourdons de pèlerins, la devise SERVIRE DEO REGNARE EST.
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Emblématique de l'abbé Jacques d'Amboise dans son hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Sur un semé de coquilles Saint-Jacques, et parmi des bourdons de pèlerins, le mot DOMINVM, et en dessous SERVIRE REGNARE
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Emblématique de l'abbé Jacques d'Amboise dans son hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Sur un semé de coquilles Saint-Jacques, et parmi des bourdons de pèlerins, la devise INITIVM SAPIENTIAE TIMOR DEI ET SERVAS MANDATA TUA.
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Emblématique de l'abbé Jacques d'Amboise dans son hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Sur une lucarne : deux anges tiennent les armoiries de l'abbé Jacques d'Amboise.
Palé d'or et de gueules de six pièces sous un chapeau , traversé d'une crosse en pal
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Emblématique de l'abbé Jacques d'Amboise dans son hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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AUTRES DÉTAILS : ARCHITECTURE ET SCULPTURE DES CONSOLES.
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La voûte complexe à liernes et tiercerons dont les nervures retombent sur un pilier central.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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Les dix consoles développent un répertoire de feuilles de chou, vignes et épineux peuplées d'animaux naturalistes (escargot), et fantastiques (basilic, sirènes, autres animaux hybrides)
Huit inscriptions certainement très anciennes sont présentes sur les consoles et sont parfois lisibles, précisant l'identité des personnages qui occupaient, agenouillés et tournés vers l'abside, les places sous les dais gothiques : Jacques d'Amboise, Louis d'Amboise évêque d'Albi, Madeleine d'Armagnac, Jehan d'Amboise, Pierre d'Amboise évêque de Poitiers, Georges d'Amboise archevêque de Rouen, cardinal et légat, et principal ministre de Louis XII, Charles d'Amboise grand maître de France Aimery d'Amboise grand maître de l'Ordre des Hospitaliers de Jérusalem, et Madeleine d'Amboise abbesse de Saint-Menoux. Trois autres personnages, dont les inscriptions manquent, portaient au nombre très symbolique de douze celui des membres réunis ici.
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Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle (avant 1500) de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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LES GRAFFITIS.
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Des inscriptions en lettres capitales gravées sur la pierre du mur en lettres capitales, mais évoquant des graffiti, sont présentes à gauche de la porte du tambour.
Edmond du Sommerard écrivait : "Sur les murs sont gravées plusieurs inscriptions, dont l'une, datée de l644, rappelle la visite d'un nonce du pape.". À partir du XVIIe siècle, l'hôtel sert en effet de nonciature aux légats du pape. Le nonce y réside alors avec sa maison qui se compose d'une vingtaine de personnes dont deux secrétaires. Entre 1634 et 1636, l'hôtel est habité par Mazarin alors nonce extraordinaire.
Je lis :
NICOLAV---COM-GV
---DEI-TRADI
MDCXLIV
M-CXXXXIV
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Chapelle de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
Chapelle de l'hôtel de Cluny à Paris, musée du Moyen-Âge. Photographie lavieb-aile 2023.
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UN DERNIER MOT : ET LA RENAISSANCE ?
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J'aurai pu cibler mes recherches et les détails de mes clichés sur l'influence de la Renaissance sur le décor de cette abside. On la trouve dans la coquille de la niche en trompe-l'œil de Marie Jacobé et dans la présence des putti, notamment ceux qui jouent au dessus de cette coquille. Dans les guirlandes et surtout les pilastres aux candélabres à l'antique de la même peinture ; et peut-être dans le choix du peintre italien, si on accepte l'attribution à Guido Mazzoni.
Mon enquête, si elle avait été plus attentive à ce sujet, aurait peut-être découvert d'autres témoignage de l'art italien de la Renaissance, mais, dans les dernières années du XVe siècle, la chapelle de Jacques d'Amboise reste peu marquée par cette influence, alors que celle-ci sera manifeste dans le décor extérieur du château de Gaillon et de sa chapelle (notamment ses boiseries), commandité par le cardinal Georges d'Amboise de 1506 à 1509, puis par son neveu.
Nous sommes reçus par Monsieur Michel Huynh, conservateur en chef au musée de Cluny pour la visite de la chapelle de l’hôtel des abbés de Cluny récemment restaurée, la maîtrise d’œuvre ayant été assurée par Monsieur Paul Barnoud, architecte en chef des Monuments historiques.
Un court rappel de l’histoire de l’hôtel des abbés de Cluny : L’hôtel des abbés de Cluny est situé à proximité du collège de Cluny, dont les seuls vestiges se situent aujourd’hui dans un café de la place de la Sorbonne, l’Écritoire.
Il fut édifié pour Jacques d’Amboise (abbé de Cluny de 1485 à 1510), comme pied à terre parisien. Cluny détenait trois collèges dès le XIVe siècle, l’un à Paris où enseigna Jacques d’Amboise, un autre en Avignon, le dernier à Dôle [actuel département du Jura] alors en terre d’Empire, Cluny occupant le centre de ce triangle.
L’hôtel actuel est le second érigé à cet emplacement ; le premier fut édifié vers 1300 et celui-ci vers 1485 et dont l’architecte nous est inconnu. Au XVe siècle, les parcelles dans les villes étaient étroites et les bâtiments collectifs avaient plusieurs niveaux. Afin d’ériger un hôtel particulier (château de campagne en ville) à la convenance de la réputation de sa famille, Jacques d’Amboise acheta les parcelles avoisinantes pour obtenir une superficie de 2500 m2 (de forme trapézoïdale contraignante) et établir un bâtiment de faible hauteur destiné à un seul propriétaire. L’hôtel est ceint d’un mur plein ; la distance qui le sépare des autres bâtiments doit permettre le « tour d’échelle », servitude de 2 à 3 pieds de large, afin de procéder à des travaux de réfection éventuels. La cour accessible par une porte cochère et par une porte piétonne doit être suffisamment grande pour permettre la giration de la voiture attelée.
A la fin du XVe siècle, l’hôtel présente déjà les fonctions et les caractéristiques de l’hôtel particulier à la mode au XVIe siècle et développé au XVIIe siècle, entre cour et jardin. C’est le plus ancien hôtel particulier parisien conservé ; il comprend des cuisines, des écuries (ici dans les anciens thermes romains), un corps de garde surmonté d’une galerie dont l’accès est réservé au propriétaire qui porte la clef sur lui.
L’appartement de l’abbé est situé au premier étage, ainsi qu’une salle d’archives dans une pièce voutée et sans fenêtre et une chapelle, lieu de culte des abbés, pendant que les pièces d’apparat occupent le rez-de-chaussée. Les latrines, au premier étage, occupaient une tourelle à l’extrémité est du corps de logis, proche du mur d’enceinte. Les thermes gallo-romains furent conservés par Jacques d’Amboise, non par intérêt archéologique, inconnu alors, mais parce que leur destruction n’offrait aucun bénéfice pécuniaire : la récupération de moellons et de pierres de blocage était inexploitable pour de futures constructions. Deux jardins suspendus ont pu être crées au dessus d’une partie des thermes, l’un sur les voûtes du frigidarium, l’autre au-dessus d’une salle dont la nature nous est inconnue et effondrée en 1737. On peut remarquer à l’ouest que la toiture est interrompue au dessus de la galerie, ce qui permettait un passage pour accéder aux jardins par une couverture en terrasse. Deux hôtels particuliers parisiens avaient aussi des jardins suspendus, l’hôtel Lambert et l’hôtel de Beauvais. Un autre jardin fut créé à l’arrière de l’hôtel. La configuration du terrain ne permettait pas un accès axial depuis les pièces du rez-de-chaussée ; aussi une aile fut-elle créée perpendiculairement abritant à son extrémité la chapelle à l’étage fondée sur les maçonneries antiques (pignon nord et mur ouest). Pour bénéficier de toute la longueur du jardin, l’accès se faisait par la chapelle grâce à un escalier en vis placé dans un angle.
Dès le milieu du XVIe siècle, les abbés de Cluny quittent l’hôtel qui fut loué et les déprédations commencèrent, puis s’amplifièrent à la Révolution.
En 1832, Alexandre du Sommerard s’installe dans l’hôtel jusqu’à sa mort en 1842. L’état ayant acquis l’hôtel et ses collections en 1843 , Albert Lenoir, architecte, fils d’Alexandre Lenoir, créateur du musée des Monuments Français, participe à la création d’un musée de sculpture et d’art français en relation avec l’architecture dans l’hôtel de Cluny en 1844, dont la chapelle faisait partie.
La restauration du XIXe siècle reprend l’aspect médiéval, mais crée un chemin de ronde sur le mur d’enceinte en supprimant la tourelle des latrines et en ouvrant par souci de symétrie une porte à partir d’une fenêtre côté est. Lorsqu’ultérieurement le chemin de ronde sera supprimé, les deux portes ouvriront sur le vide.
La chapelle.
Peu de documents subsistent pour étudier la chapelle. Elle fut construite entre 1485 et 1501 en style gothique flamboyant. La dendrochronologie de la charpente le confirme. Située à l’étage, dans l’aile en retour, de plan quasi carré, au dessus d’une loge, espace voûté séparé par deux arcades, elle présente une abside en encorbellement semicirculaire qui repose sur un pilier. Elle est éclairée par cinq baies toutes situées à l’est.
Deux accès en font la particularité : L’un par le jardin et par l’escalier en vis (actuellement muré), placé dans l’angle sud ouest et dont la porte en bois sculpté au décor polychrome est une création à partir d’un paravent du XVe siècle provenant d’un hôtel de Provins. L’autre par une suite d’enfilade de pièces au premier étage.
Un pilier central octogonal reçoit les nervures de quatre voûtes d’ogive dont les clefs pendantes ont disparu. Un abondant décor de mouchettes et de soufflets s’inscrit dans les voûtains, peints en bleu, découpés en liernes et tiercerons caractéristiques du gothique flamboyant.
La chapelle comporte dans la partie supérieure de la nef des dais qui abritaient, non pas un collège apostolique, mais douze statues agenouillées de la famille de Jacques d’Amboise (aujourd’hui disparues) dont les titulatures sont encore visibles ; des croix de consécration sont disposées sous les consoles des statues ; cependant aucune date et trace de consécration n’ont été trouvées dans les archives. Le décor des consoles, feuillagé, ponctué d’animaux réels ou fantastiques, des dais, des culs de lampe, est d’une grande finesse d’exécution.
Le décor de l’abside, quant à lui, est mi-sculpté, mi-peint en trompe l’œil, les éléments sculptés sont encore médiévaux alors que le décor peint est déjà Renaissance ; cependant la relation entre peinture et sculpture est connue au XVe siècle bien que rare (crucifixion sculptée associée à des paysages peints).
Une Pietà sculptée dont la tête s’emboitait dans le mur délardé, reposait sur l’autel ; des rinceaux à l’antique étaient peints sur le mur de l’abside. Deux peintures (redécouvertes au XIXe siècle, vers 1847) sur les parois latérales complètent ce groupe et représentent Marie Cléophas au nord et Marie Salomé au sud. Sont-elles de Guido Mazzoni qui travailla à la cour de Louis XII et surtout pour Georges d’Amboise ?
Le cul de four de l’abside reprend un décor mixte : le Christ en croix, les anges de la Passion, Dieu le Père sont sculptés alors que les phylactères tenus par les anges sont peints et évoquent ceux des Prophètes de l’Ancien Testament ; ainsi la formule typologique est-elle inventée sur le plan iconographique. Les arma Christi seront de plus en plus souvent représentées à la Renaissance.
La chapelle servit encore de lieu de culte jusqu’à la Révolution. Le mobilier (statuaire et boiseries) a disparu en 1793. Les vitraux, illustrant la Passion, démontés avant 1804, et dont il ne subsiste qu’un Portement de croix du maître Jean ( ?) d’Ypres (présenté dans une salle voisine) s’inspirent des Très Petites Heures d’Anne de Bretagne et dateraient des années 1490-1510.
La chapelle abrita vers 1800 une salle de dissection avec des gradins en amphithéâtre qui montaient jusqu’aux consoles, puis un atelier d’imprimerie l’occupa ; des baies furent ouvertes dans le mur est. Albert Lenoir restitua la chapelle telle qu’elle devait être, mais restaura le chapiteau du pilier central, le pavage en pierre noire de Tournai et créa un faux hagioscope dans le placard à burettes.
La restauration des dernières années a surtout consisté en un nettoyage non agressif, à la suppression du badigeon gris qui masquait les détails des décors sculptés et à la redécouverte des tons éclatants des peintures. Nous tenons à remercier vivement Michel Huynh qui nous a permis par sa vivante érudition une nouvelle lecture de la résidence parisienne des abbés de Cluny et de sa chapelle à nouveau ouverte au public à l’automne 2016.
Du Sommerard, Edmond, 1866, Musée des Thermes et de l'Hotel de Cluny. Catalogue et description des objets d'art... exposés au Musée, par E. du Sommerard,..
« Tout ce qui reste entier de remarquable dans l'Hôtel de Cluny, et dont aucune des éditions précédentes n'a parlé, c'est la chapelle qui est au premier étage, sur le jardin. Le gothique de l'architecture et de la sculpture en est très-bien travaillé quoique sans aucun goût pour le dessin. Un pilier rond, élevé dans le milieu, en soutient toute la voûte très chargée de sculpture, et c'est de ce pilier que naissent toutes les arêtes. Contre les murs sont placées par groupes, en forme de mausolées, les figures de toute la famille de Jacques d'Amboise, entre autres du cardinal ; la plupart sont à genoux avec les habillements de leur siècle, très singuliers et bien sculptés.
L'autel est placé contre le mur du jardin qui est ouvert dans le milieu par une demi-tourelle en saillie, formée par de grands vitraux, dont les vitres, assez bien peintes, répandent beaucoup d'obscurité.
« En dedans de cette tourelle, devant l'autel, on voit un groupe de quatre figures, de grandeur naturelle, « où la Sainte-Vierge est représentée tenant le corps de Jésus-Christ détaché de la croix et couché sur ses genoux ; Ces figures sont d'une bonne main et fort bien dessinées pour le temps. On y voit encore, comme dans tout cet hôtel, un nombre infini d'écussons avec les armoiries de Clermont et beaucoup de coquilles et de bourdons, par une froide allusion au nom de Jacques. On montre dans la cour de cet hôtel le diamètre de la cloche appelée Georges d'Amboise, qui est dans une des tours de la cathédrale de Rouen, et qui est tracé sur la muraille de cette cour, où l'on assure qu'elle a été jetée en fonte.
Plus tard, dans les premières années du XIXe siècle, les membres composant l'administration du département de la Seine aliénèrent la maison de Cluny, qui passa successivement en la possession du sieur Baudot, médecin, ex-législateur, puis enfin de M. Leprieur, l'un des doyens de la librairie moderne.
Ce fut à cette dernière époque, en 1833, qu'un amateur infatigable des monuments des siècles passés, M. Du Sommerard (Alexandre Du Sommerard, né à Bar-sur-Aube en 1779, est mort à Saint-CIoud, en août 1852, à l'âge de 63 ans. Il était alors consemer-maître à la Cour des comptes. Il a laissé de nombreux travaux sur les arts, entre autres le grand ouvrage des Arts au moyen âge.), fit choix de ce vieux manoir pour servir d'asile aux précieuses collections d'objets d'art du moyen âge et de la renaissance, réunies par ses soins pendant quarante années de recherches et d'études.
A la mort du célèbre antiquaire, et sur le vœu exprimé par la commission des monuments historiques, le ministre de l'intérieur, M. le comte Duchâtel, présenta un projet de loi pour l'acquisition de cette belle collection, destinée à devenir la première base d'un Musée d'antiquités nationales.
L'Hôtel de Cluny, le seul de tous les monuments civils du moyen âge qui restât encore debout sur le sol de l'ancien Paris, fut choisi pour servir d'abri au nouveau Musée; la ville, s'associant à cette noble création, offrit en pur don au gouvernement les ruines du Palais des Thermes, base et point de départ de l'art gallo-romain.
La collection Du Sommerard et l'Hôtel de Cluny furent acquis par l'État, en vertu de la loi du 24 juillet 1843, et le nouveau Musée fut immédiatement constitué sous le nom de Musée des Thermes et de l'Hôtel de Cluny.
Dès ce jour, la communication qui reliait jadis les ruines du Palais des Césars et la résidence des abbés de Cluny a été rétablie. Les galeries de l'Hôtel, défigurées depuis deux siècles et transformées en appartements modernes, ont été remises dans leur état primitif; les sculptures ont été dégagées et restaurées; les collections d'objets d'art, classées et disposées sous les voûtes du IVe siècle et dans l'édifice du XVe, ont pris dans les deux monuments la place que leur assignait leur âge, et le Musée a été ouvert au public pour la première fois le 16 mars 1844.
La façade principale de l'Hôtel de Cluny se compose d'un vaste corps de bâtiment flanqué de deux ailes qui s'avancent jusqu'à la rue des Mathurins. Sa porte d'entrée, ornée autrefois d'un couronnement gothique richement sculpté, conserve encore un large bandeau décoré d'ornements et de figures en relief. Au-dessus du mur régnait une série de créneaux, ainsi qu'on peut en juger par ceux qui ont pu être conservés; ces créneaux ont été rétablis et la porte d'entrée a repris en partie son premier aspect.
Les bâtiments de la façade principale sont surmontés d'une galerie à jour derrière laquelle s'élèvent de hautes lucarnes richement décorées de sculpture, et qui présentaient dans leurs tympans les écussons de la famille d'Amboise, écussons dont il reste encore des traces bien apparentes.
Vers le milieu du bâtiment principal s'élève une tourelle à pans coupés que couronne une galerie analogue à celle qui décore les autres parties de l'édifice. Sur les murs de cette tourelle, on trouve sculptés en relief les attributs de saint Jacques, les coquilles et les bourdons de pèlerins, allusions au nom du fondateur Jacques d'Amboise, L'aile droite est percée de quatre arcades ogivales qui donnent accès dans une salle communiquant directement avec les Thermes. Cette salle, dont les murs sont de construction romaine, était une dépendance du Palais.
Sa couverture antique n'a été renversée qu'en 1737, et a été remplacée dans ces dernières années.
Les bâtiments du rez-de-chaussée de l'aile gauche renfermaient les cuisines et les offices de l'hôtel. Auprès de cette partie de l'édifice, on aperçoit tracée sur le mur la circonférence de la fameuse cloche appelée Georges d'Amboise, destinée à la cathédrale de Rouen, et coulée en fonte dans la cour de l'Hôtel de Cluny, Du côté du jardin, la façade est d'une architecture plus sévère; les galeries à jour n'existent pas, les lucarnes sont richement travaillées et présentent, ainsi que l'extérieur de la chapelle, une grande variété d'ornementation.
La salle basse, construite au-dessous de la chapelle pour servir de communication directe avec le Palais 4es Thermes, est une des parties les plus curieuses de l'hôtel de Cluny. Un pilier soutient la voûte aux arcades ogivales ; il est surmonté d'un chapiteau sur lequel on remarque le K couronné du roi Charles VIII, date précise de la construction, puis les armes et écussons des d'Amboise, attributs des fondateurs.
De cette salle basse on arrive à la chapelle par un escalier travaillé à jour, et qui a été récemment découvert. L'architecture de cette chapelle est fort riche ; les voûtes aux nervures élancées retombent en faisceaux sur un pilier central isolé , et qui prend son appui sur celui de la salle basse ; les murs Sont décorés de niches en relief travaillées à jour et d'une grande finesse d'exécution; ces niches, au nombre de douze, renfermaient les statues de la famille d'Amboise, qui ont été jetées bas à la fin du XVIIIe siècle, puis brisées et employées comme matériaux de construction.
Les vitraux qui garnissent les fenêtres ont été détruits et remplacés par d'autres ; un seul existait encore et a été remis en place, c'est le portement de croix; il avait été recueilli par le chevalier Alexandre Lenoir.
Sur les murs sont gravées plusieurs inscriptions, dont l'une, datée de l644, rappelle la visite d'un nonce du pape.
La cage de l'escalier, travaillée à jour, a été dégagée en 1832, ainsi que les peintures du XVIe siècle que l'on voit de chaque côté de l'autel, et les sujets sculptés en pierre dans la voûte de l'hémicycle. Ces sujets représentent le Père Éternel entouré d'anges et le Christ en croix. Toutes les figures, les bas-reliefs, et même les choux sculptés et dorés, placés de chaque côté, étaient couverts d'une épaisse couche de plâtre à laquelle on doit leur conservation.
Cette chapelle était devenue, sous le régime révolutionnaire, une salle de séances pour la section du quartier, puis elle avait été convertie en amphithéâtre de dissection , puis enfin eu atelier d'imprimerie.
Les écussons armoriés, disposés au-dessous des niches, ont été grattés et effacés, et les croix de consécration que l'on retrouve encore aujourd'hui n'ont survécu que grâce à l'épaisse couche de badigeon qui couvrait les murs.
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SOURCES ET LIENS.
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— CRÉPIN-LEBLOND (Thierry), BOS (Agnès), HUYN (Michel), DECTOT (Xavier) ....., 2007, L'art des frères d'Amboise. Les chapelles de l'hôtel de Cluny et du château de Gaillon; RMN éditions
— HABLOT (Laurent), 2013, L’emblématique de Georges d’Amboise, Expression plurielle du pouvoir, in Georges Ier d'Amboise (14 1510), une figure de la Renaissance
https://books.openedition.org/pur/112824?lang=fr
— HABLOT (Laurent), 2007 « Les cris écrits. L’apparition des cris, mots emblématiques et sentences dans l’héraldique médiévale, un regard sur la voix et l’écrit », Prisma, t. XXIII, n° 45-46, janvier décembre 2007, La voix et l’écrit, p. 22-52.
— HUYNH (Michel), 2015, Quelques éléments sur l’évolution de l’hôtel de Cluny au cours des 2e et 3e quarts du XIXe siècle Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France Année 2015 2013 pp. 199-209
Comparer aussi au Saint-Christophe peint en fresque vers 1540, également de très grande taille, et également à l'entrée de la nef mais à gauche, près des fonts, dans l'église de Sillégny (Moselle)
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Lorsque je me suis rendu à Louviers pour visiter l'église Notre-Dame, j'ai passé un très long moment près des fonts baptismaux — la première chapelle à droite de l'entrée— d'une part pour attendre la fin de l'office alors en cours, puis pour photographier les baies 24 et 26. J'eus donc largement le temps d'observer les lieux. Pourtant, ce n'est qu'au moment de quitter l'église que je m'avisais que le fond très sombre de la chapelle des Fonts était occupé par une peinture dont je devinais vaguement les formes. Focalisant mon attention, j'y reconnus avec émotion un monumental saint Christophe, semblable à celui que j'avais observé, dans des conditions d'éclairage à peine meilleure, et dans la même situation à droite de l'entrée, dans la cathédrale de Burgos.
N'ayant aucun éclairage à ma disposition, je photographiai cette paroi obscure en sensibilité maximum.
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Une fois rentré chez moi, j'ai consulté les données disponibles en ligne, pour m'apercevoir que les rares clichés (trois sur le même site de la SEDLR) de cette peinture murale étaient tous aussi sombres que les miens. La fresque est dans un état déplorable et rien n'est fait pour la mettre en valeur.
Le GRPM — Groupement de Recherche en Peinture Murale— s'en est-il ému ? Je ne trouve en ligne que ses mentions de peinture de saint Christophe en Champagne (à Arsonval, Cussangy, Metz-Robert, Nogent-en-Orthe, Chappes), en Rhone-Alpes à Saint-Antoine-l'Abbaye.
D'autres sont découvertes en Bourgogne sous des badigeons à Asnois et Diennes-Aubigny (Nièvre). D'autres encore attendaient sous le badigeon à Montferrand-du-Périgord, à Saint-Christophe-sur-le-Nais, en Charente-Maritime à Archingeay, en Charente à Saint-Artémy de Blanzac, en Vienne à Civaux et à Thollet, en Belgique à Malines .
Mon but n'est pas ici d'en dresser un inventaire, mais de souligner que partout, elles font l'objet de restaurations, d'attention et d'études, et d'émerveillement.
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L'état d'abandon de la peinture de Louviers était déjà signalé en 1893, lorsque Charles Dubourg en donna la première description (et la seule à ma connaissance) pour attirer l'attention sur son intérêt.
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Quelques données :
— Selon le Congrès archéologique de France 1984, la peinture a été offerte vers 1519 par Jehan de Challenge, écuyer, licencié es droit, bailli de Louviers, membre d'une éminente famille lovérienne d’hommes de loi enrichis et anoblis, et qui offrit en 1526 à son église un vitrail. Guillaume de Chalenge, bailli de Louviers en 1407 avait édifié une chapelle où figure ses armes de gueules à trois soleils d'or.
— Précision janvier 2024 , que m'apporte Patrick Thiennot, que je remercie :
"Il s'agit de la famille Chalenge, de gueules à trois soleil d'or, certes, fondatrice de la Chapelle, mais concernant les armoiries à la croix d'argent, il s'agit de sa branche cousine, Chalenge de saint Julien de la Liègue, d'azur à la croix d'argent, cantonnée de 4 têtes de hures (tête de sanglier) d'or, à la défense d'argent. Cette branche cousine s'est vue confier le patronage de la chapelle pendant quelque temps lorsque les descendants de la branche fondatrice sont devenus protestants... Ils ont sans doute profité de cette période pour rajouter leurs armoiries. La croix s'explique par la croisade effectuée par un aïeul et qu'il a inclue dans ces armoiries nouvellement crées vers 1400. "
— La peinture a été recouverte par un badigeon à la fin du XVIIIe siècle, redécouverte au XIXe et a longtemps été masquée par un tableau, copie de la Vierge de Foligno de Raphaël.
— Deux donateurs (un couple ?) sont agenouillés au pied de la peinture, accompagnés à gauche d'un blason d'azur à la croix (engreslée ?) d'argent. [Daillon : d'azur à la croix engrêlée d'argent : donateur d'un vitrail à Gisors]. Complément 2024 : donc, armoiries Chalenge de Saint-Julien-de-la-Liègue (Eure).
— La taille monumentale du saint (souvent 3 à 4 mètres) rappelle que Christophe est, dans la Légende, un Géant. Cette tradition correspond au début des représentations iconographiques et disparaîtra ensuite.
— L' emplacement à la droite immédiate de l'entrée, soulignent sa valeur de protection lors du franchissement des seuils, les passages, les transitions et donc les voyages.
— La situation près des fonts baptismaux est très fréquente et relève de la même symbolique du passage, mais aussi de la conversion du saint : par son baptême, le chrétien est appelé à devenir christophore, porteur du Christ.
Signalement par le n°14 sur le plan d'un circuit de découverte où elle est qualifiée de "fresque noircie":
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Description générale.
Le saint marche vers la gauche, pieds dans l'eau car traversant un gué, portant le Christ enfant sur ses épaules et s'aidant d'un bâton. Il est guidé par un ermite dont nous ne voyons bien que sa lanterne, à droite ; son ermitage doit correspondre à la grande église qui se détache sur l'horizon. Tous ces éléments sont conformes à l'iconographie établie à cette époque en France. L'ensemble est surmonté, en haut de l'ogive, par Dieu le père au milieu d'une gloire.
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Je vais présenter mes mauvaises photos, en multipliant les vues de détails un peu plus explicites;
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Vue générale.
Premier repère : le bâton tenu en haut par la main droite du saint. J'indique la tête du géant et celle de l'Enfant.
Il m'est impossible de voir si le bâton est refleuri, selon le miracle et la métaphore de la reverdie/conversion.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Les donateurs.
Une inscription est visible (un euphémisme) sur une seule ligne à la base de la peinture OFFERTE--.
Rien ne peut être dit des donateurs, sauf qu'ils sont agenouillés, mains jointes, et que celui de droite est peut-être un clerc car une capuche est rabattue dans son dos.
Des armoiries, nous ne voyons que la croix blanchâtre. J'ai déjà évoqué les armes de la famille Daillon. ans mes recherches, je note que les armoiries de Jumièges sont D'azur, à la croix d'argent , avec une crosse en pal, cantonnée de quatre clefs tournées à dextre.
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Nous en profitons pour examiner les jambes nues du saint qui traverse la rivière, et le sol où poussent des joncs et d'autres plantes aquatiques. Je ne discerne ni vaguelettes, ni poissons. Peut-être une barque, si ce n'est pas un artefact.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Il me semble compter en réalité trois blasons.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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L'examen de la tranche suivante de la peinture, en forçant les paramètres, montre que le saint est vêtu d'un pagne bleu frangé d'or, et que le bâton écoté donne naissance à quelques feuilles.
Le manteau rouge descend en diagonale vers la droite, après un pan qui descend à gauche, tenu par la main qui tient le bâton.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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C'est au même niveau que j'ai découvert la fameuse lanterne si fréquemment représentée ailleurs entre les mains du bon ermite.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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À l'église Saint-Jean de Malines, c'est sur l'autre rive qu'il attend le voyageur.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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La tranche suivante nous montre :
— une ligne d'horizon avec paysage rocheux à gauche et église à droite.
— la main de Christophe tenant le bâton qui se termine par une (sorte de ) croix.
— La tête du saint. Son front est entouré du bandeau si important dans l'iconographie. Les traits de son visage sont grossiers, vultueux, soulignant la nature du Géant à la force jusque là non jugulée. La bouche est entrouverte. Les yeux sont tournés vers l'arrière, mais non vers le Christ. Je crois voir une barbe, bien probable.
— Le Christ juché sur les épaules : cf infra.
— Dieu le père, barbu, bénissant, tenant un livre (inscription) et envoyant depuis ses nuées les rayons de son approbation et de sa puissance.
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Saint Christophe traversant le gué, 1519, chapelle des Fonts, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 27 août 2018.
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Le Christ enfant est représenté bénissant, tenant le globus cruciger à longue hampe, vêtu du manteau rouge de la Résurrection, et nimbé de rayons sinueux.
Les pans du manteau qui s'envolent en vagues sur les cotés relèvent, comme les éléments précédents mais de façon encore plus évidente, d'une fidélité aux modèles du XVe siècle.
Je place en annexe quelques descriptions de peintures murales qui montreront comment cette représentation du saint christophore est codifiée.
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Le bailli Jehan de Challenge fit exécuter vers 1519 la fresque de saint Christophe à la chapelle des fonts baptismaux
Jehan Challange
à Louviers, un acte de 1526 précise que feuJehan Challenge, membre d'une éminente famille lovérienne d'hommes
à Louviers, un acte de 1526 précise que feu Jehan Challenge, membre d’une éminente famille lovérienne d’hommes de loi enrichis et anoblis, avait payé « une vitre en l’église de la ville » et que, selon un accord passé, la ville devait payer une ferraille pour protéger le vitrail105.
Vitraux Rouen 394 de Tilly, Le Roux d'Esneval et de Challenge; il datait du premier quart du XVr s. ChristopheLe Picart de Radeval et son épouse Anne Basset avaient offert la verrière de la baie sud de l'abside, dont un ... renouvelle en 1888 les encadrements ornementaux des verrières de la Passion et de la Vie de saint Jean-Baptiste
Jehan Challenge, escuier, licencié en loix, bailly dudit Loviers,
Louis du Vivier D'azur à la croix d'argent cantonnée de quatre aigles du
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ANNEXE I. LA DESCRIPTION DE CHARLES DUBOURG (1893)
SAINT CHRISTOPHE
" II existe dans l'église Notre-Dame de Louviers, vis-à-vis les fonds baptismaux, une vieille peinture murale, apparaissant comme à travers un voile, et représentant un géant habillé dans le goût du XVe siècle. L'artiste, qui a exécuté cette décoration, a pris pour sujet la légende de Saint Christophe.
Ce fut sans doute aussitôt après la construction de cette partie de l'église, c'est-à-dire vers 1500, qu'elle fut faite(1). C'était le moment où ce saint était le plus en honneur.
Du reste, la manière dont l'artiste a traité son sujet, indique la fin du XVe siècle. Le saint, vêtu d'une tunique à plis garnie de fourrure, est armé d'un bâton noueux et tient sur sa puissante épaule l'enfant Jésus, qui appuie sur la tête du géant le globe du monde surmonté d'une croix très longue. Tout en haut de l'ogive, Dieu le père, au milieu d'une gloire, contemple la scène. Dans le lointain se trouvent encore les traces d'un paysage très compliqué et notamment à droite on aperçoit une église parfaitement dessinée, dans le goût du XVe siècle.
M. Barbe a signalé comme se trouvant visible encore en 1877 le portrait des donateurs : une mère et son fils. Les armoiries étaient, autant qu'on pouvait les contrôler, d'azur à la croix d'argent.
Nous avons remarqué des analogies avec quelques autres fragments de peinture murale, qui se trouvent dans plusieurs parties de l'église, et nous supposerions volontiers que tout l'intérieur a dû être décoré vers cette époque.
Les plis du vêtement ne sont plus drapés, comme au commencement du siècle ; ils sont droits et sentent, pour ainsi dire, la Renaissance, dont l'aurore se lève.
Le culte du saint ne date, en effet, que du Moyen-Age. Sa figure, regardée par le P. Martin comme la plus ancienne, et attribuée au XIIe siècle, est une peinture sur verre de la cathédrale de Strasbourg, dans le transept méridional.
Les premiers essais connus de la gravure en relief antérieurs et précurseurs de l'imprimerie représentent des Saints Christophe (2). Le plus ancien est daté de 1418 et un autre de 1423.
La légende actuelle du saint est relativement récente. Il ne s'en trouve aucune trace, ni dans le ménologe de l'empereur Bazile, ni dans la lithurgie Hispano-Gothique, d'où il faut conclure que les monuments écrits n'en sont pas la vraie source. Le nom du martyr et sa haute stature fournirent aux artistes la donnée principale ; un géant portant l'enfant Jésus, le Kristojos des Grecs, devint au Moyen-âge Christoferus ou Christum fereus, se trouvant par là traduit aux gens pour l'Occident comme pour l'Orient (Documents fournis par M. Georges ROHAUT DE FLEURY.).
Les plus célèbres figures de ce saint datent surtout des derniers temps du Moyen-Age. L'intention des artistes qui les exécutaient, n'était pas seulement de rappeler la stature presque monstrueuse de Saint Christophe, mais aussi de le rendre plus visible de loin à tous les regards. Il paraît avoir été reçu vers le XVe siècle, que voir Saint Christophe, c'était une garantie contre tout accident fâcheux durant la journée mais surtout un préservatif assuré contre le danger de mort subite ou de rage : On disait :
Christophorum videas pastea tutus eris.
Primitivement, on plaçait ces colosses en dehors des églises pour qu'on puisse les apercevoir de loin, mais lorsque, sans doute pour éviter les dégradations, on les fit entrer dans l'intérieur des édifices, on les mit au bas de la nef, c'est ainsi que les représentent du moins quelques vieilles estampes assez rares (4).
La place qui leur fût assignée au bas de la nef, semblait assez bien correspondre à celle d'où on était forcé de les retirer pour les mettre à l'abri des injures du temps et surtout des hommes.
Parmi les plus célèbres statues, il faut citer celle d'Auxerre qui datait de 1539 et que le chapitre fit démolir en 1768, et celle de la cathédrale de Paris qui fut condamnée par le chapitre en 1784 et qui datait de 1413. Le premier de ces colosses avait vingt-neuf pieds de haut et seize de largeur d'une épaule à l'autre.
Le sort des images de saint Christophe subit à une époque un cruel revers de fortune : « Une véritable guerre d'extermination » s'éleva contre ces curieux vestiges d'une civilisation mal appréciée du reste par ceux qui faisaient leur procès. Ces gigantesques figures, restées sans défenseurs, tombèrent sous l'accusation de barbarie superstitieuse, et si leur cause ne fut pas suffisamment instruite peut-être, il y a du moins ceci à la décharge des juges et des destructeurs, c'est que les peuples n'étaient plus en état de rien comprendre à ces colossales figures. » (5)
Ce n'est pas à dire que nous regrettions tout ce que le Moyen-Age a rêvé, pensé et surtout exécuté sans exception, jusqu'à ces figures fantastiques et hideuses, qui le sont encore plus depuis que nous ne savons plus ce qu'elles signifient, mais nous regrettons les destructions, les prétendues améliorations, les réparations maladroites et inintelligentes. Pourquoi dénaturer, pourquoi défigurer un monument d'une époque quelle qu'elle soit ? C'est le fait de préventions, de passions en délire ou d'une ignorance impardonnable. On doit respecter tout : vitraux, jubés, statues, gargouilles, sculptures, peintures, ameublements, tout doit rester à sa place et être entretenu avec une religieuse exactitude. Détruire ou dénaturer sont deux actes de barbarie à peu près semblables, et nous oserions presque avancer qu'il vaudrait mieux détruire que défigurer. Les ruines n'empêchent pas de retrouver parfois tout ou partie des formes primitives, mais un monument défiguré, dénaturé, ne peut plus servir ni à l'étude, ni à l'histoire de l'art.
Il n'y a pas eu de procès fait en règle contre les images de saint Christophe pas plus que contre bien d'autres objets à nous légués par le Moyen-Age.
Ceux qui, les premiers, mirent le marteau sur les monuments, furent des iconoclastes furibonds qui invoquaient la religion pour tromper la multitude ignorante et lui montraient du doigt ce qu'il fallait détruire sous le spécieux mot de ralliement : à bas la superstition ! La raison du plus fort fut toute l'instruction et la destruction générale fut sérieusement méditée et arrêtée (6).
Nous ne savons si les chanoines de l'église de Louviers connaissaient la guerre d'extermination entreprise contre le saint, mais ils ne se préoccupaient certes pas de conserver son image et lors du badigeonnage général de l'église, à la fin du siècle dernier, il disparut ainsi que les peintures polychromes dont les traces subsistent dans diverses parties de l'église. Toutefois, grâce à la différence du procédé d'exécution, nous devons la conservation de la peinture primitive exécutée soit à la détrempe, soit à la cire; celle-ci était plus solide et le badigeon s'effritant, nous laissa le saint Christophe à peu près intact.
Pendant longtemps, il fut caché presque entièrement par la copie de la Vierge de Foligno, de Raphaël, aujourd'hui reléguée dans la chapelle des Chalenge.
En signalant à la Société d'Etudes diverses, cette figure colossale, nous espérons que longtemps encore, nous pourrons contempler ce curieux spécimen de la peinture décorative de la fin du XVe siècle."
1 - La construction de cette partie de l'église fut achevée en 1496. — L. MARCEL Les Rues de Louviers, page 198
2 - Vicomte Henry DELABORDE (gravure).
3 - Documents fournis par M. Georges R.OHAUT DE FLEURY.
4 - Molanus, Hilfor. imag, sacr,, page 319.
5 - Vitraux de Bourges. P. cahier, i vol. in-fol..Notes.
6 - Guénébault. Dictionnaire d'Iconographie religieuse, édit. par l'abbé Migne.
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ANNEXE II. QUELQUES DESCRIPTIONS DE PEINTURES MURALES.
"Sur ce pan de mur se dessine la figure monumentale de saint Christophe, sur un fond rouge ponctué de fleurs colorées, appliquées au pochoir. Outre ce fond abstrait, on distingue également des détails assez naturalistes, comme l’environnement pittoresque, les rives rocheuses, la rivière au milieu -encore à peine visible-, la chapelle dont sort l'ermite et quelques arbres isolés, à droite.
Le saint traverse la rivière avec l’enfant Jésus sur les épaules. Christophe est représenté très grand (plus de 4 mètres de haut!). La légende nous raconte en effet qu’il était un géant. Il porte une tunique rouge à manches longues et un manteau blanc avec une doublure verte, qui flotte élégamment au vent. Son visage est serein, avec de grands yeux expressifs, une longue barbe et des cheveux ondulés, tenus par un bandeau blanc. Il se retourne vers l'enfant Jésus, qu’il porte sur son épaule et dont il tient le pied gauche. L'enfant porte une tunique bleue et lève la main droite en un geste de bénédiction. Sa main gauche repose sur un globe et il tient également un étendard en forme de croix. À gauche de la scène, l'ermite sort de sa petite chapelle. Il a l’habit d’un moine et une lanterne allumée. Il porte à sa ceinture un couteau dans une cuissarde et un petit sac rectangulaire."
Plus énigmatique - et difficile à dater - est le tableau peint à fresque mis au jour au droit des fonts baptismaux et consolidé d’urgence tant l’enduit était dégradé et décollé de la maçonnerie. Dans un cadre orné de fleurettes, bien distincts, une église et un arbre dépouillé de son feuillage encadrent un personnage central que son état de conservation ne permet pas de nommer avec certitude. S’agit-il d’une Charité de saint Martin, titulaire de l’église ?
C’est possible mais l’attitude du personnage et son environnement pourraient davantage correspondre à un épisode de la légende de saint Christophe. La présence de saint Christophe près des fonts n’est d’ailleurs pas saugrenue : par son baptême, tout chrétien est appelé à devenir un porteur du Christ un... christophore.
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Saint-Arthemy de Blanzac (Charente) :
À l’entrée de l’église, sur le mur sud, le visiteur est accueilli par une immense figure (trois mètres de haut) de saint Christophe, qui se détache sur un fond paysager composé d’une église au premier plan, de végétation et d’animaux. Le saint, figuré à gauche, est barbu, nimbé et vêtu d’une grande cape rouge ; les plis des vêtements indiquent qu’il est en marche en s’aidant d’un gigantesque bâton. Il porte l’Enfant sur son épaule gauche ; son nom signifiant, en grec, le porte-Christ ou « celui qui porte le Christ dans son coeur », a induit un glissement vers un sens plus matériel dans les représentations. La tradition, popularisée au XIIIe siècle par la Légende Dorée, a conduit à imaginer saint Christophe portant le Christ sur ses épaules comme un géant, sorte d’Hercule chrétien. Il était réputé protéger les hommes de la mort subite sans confession, la « male mort » : il suffisait alors d’avoir contemplé l’image du saint dans la journée pour éloigner tout risque.
Cette croyance populaire peut expliquer le choix de l’emplacement de cette figure, ici à l’entrée de l’édifice. La partie inférieure du décor est manquante : on pourrait imaginer un cours d’eau que le saint, selon la légende, fait traverser aux pèlerins et voyageurs, tel un passeur. Dans la tradition picturale, une
rivière est souvent représentée avec, sur la rive opposée, une chapelle où un ermite tient une torche allumée pour guider saint Christophe dans sa traversée. La représentation de saint Christophe, dans l’église de Blanzac, suit toutes les conventions picturales des XVe-XVIe siècles, en adoptant un style assez naïf ou archaïque.
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Thollet (Vienne)
Sur le mur sud, la découverte la plus intéressante réside dans la mise au jour d’une figure monumentale :
un saint Christophe portant sur ses épaules le Christ enfant. Les personnages sont placés dans un décor végétal, au milieu d’arbustes à feuilles longues et nervées. Réalisée en teinte ocre jaune et rouge, cette composition s’inscrit dans un cadre peint dont on voit la trace dans la partie haute. La figure de saint Christophe est particulièrement belle avec son visage aux traits réguliers, son expressivité, sa barbe
longue et sa chevelure abondante retenue par un bandeau blanc. Elle n’est pas sans évoquer l’atelier qui a travaillé dans la première moitié du XIVe siècle au décor de la nef de Notre-Dame d’Antigny.
— DUBOURG (Charles), 1893, Le Saint Christophe de N.-D. Bulletin de la Société d'Etudes Diverses de Louviers et de sa région, Imp. E. Izambert., 1894 page 35 et suiv. .
— LE MERCIER (E.) Monographie de l'église Notre-Dame de Louviers Ch. Hérissey et fils, 1906 - 212 pages page 149
"On avait surtout recours à l'intercession de saint Christophe en temps de peste, ce qui fut probablement le cas, à l'occasion d'une de ces terribles épidémies qui ont affligé Louviers notamment en 1521, 1552 et 1694.
Primitivement, on plaçait ces colossales figures en dehors des églises, pour qu'on put les apercevoir de loin, tel le saint Christophe de la cathédrale d'Auxerre, qui avait vingt-neuf pieds de haut et datait de 1539, tel celui de la cathédrale de Poitiers, tel celui de Notre-Dame de Paris, qui avait vingt-huit pieds et avait été élevé en 1413, par Antoine des Essarts, pour remercier le saint de l'avoir sauvé de la fureur des Bourguignons, tel encore celui de Notre-Dame des Andelys, dont on voyait naguère le piédestal, consistant en un massif de pierre de forme pyramidal, qui intriguait les touristes et mettait à l'épreuve la sagacité des érudits.
Plus tard, on fit entrer les images de saint Christophe dans l'intérieur des églises, pour éviter, sans doute, les dégradations, et on les plaça au bas de la nef et souvent dans la chapelle des fonts baptismaux, qui était dédiée à ce saint ou à saint Jacques '. Puis arriva une époque où l'on fit à toutes ces images une véritable guerre d'extermination et longtemps avant la Révolution, le clergé, lui-même, les faisait disparaître sous le badigeon, n'y voyant plus que des vestiges d'une grossière superstition."
L'église Notre-Dame est une ancienne chapelle tréviale de Loqueffret devenue église paroissiale en 1849. Une inscription en lettres gothiques à droite du maître-autel en indique la date de fondation : " Y[ves] toux procureur lan mil CCCC IIII XX + cinq [1485] : au cõmenceme[n]t de . ceste . chappele". Le terme de "procureur" indique la fonction d'Yves Toux comme fabricien, chargé de gérer le temporel d'une paroisse, c’est-à-dire ses biens et ses revenus, et de décider et surveiller les travaux de construction. Dans les petites paroisses rurales, la fabrique est constitué d’une seule personne nommé "procureur fabricien".
La verrière d'axe ou baie 0, datée vers 1500,conserve les armoiries de Louise de Berrien et de son époux Olivier de Quélen baron du Vieux-Chastel, décédé en 1521. On y trouve aussi les armoiries des parents et grands parents de Louise de Berrien, seigneurs de Brennilis : Henri de Berrien (marié à Louise du Juch) et Yvon de Berrien (père d'Henri, marié en 1443 à Jeanne de Lezongar).
La baie n°1, placée à gauche du chevet plat, était autrefois cîmée des mêmes armes de Berrien plein.
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Inscription de fondation, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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Situation de la verrière.
La baie n°1 se situe à gauche du chœur, sur le mur oriental du bras nord du transept. Elle éclaire un autel et est encadrée par une statue de saint Divy, et par le groupe de saint Yves entre le riche et le pauvre.
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Situation de la Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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Le vitrail.
La baie 1 mesure 2,50 m de haut et 0,90 m de large et est datée par Françoise Gatouillat et Michel Hérold (Corpus Vitrearum) de 1500-1510 ; ses 2 lancettes en plein cintre comportent chacune deux registres, consacrés à sainte Anne et saint Christophe à gauche, à un motif perdu et à saint Fiacre à droite. Dans le tympan, un soufflet (blason de Bretagne) est entouré de deux mouchettes (Saint Michel et sainte Marguerite). Elle a été restaurée par Gruber en 1967.
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Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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Le panneau inférieur de la lancette A : Saint Christophe.
Dans une niche architecturée à fond rouge, le saint traverse un cours d'eau entre deux rives escarpées, par un gué figuré en gris clair. Alors qu'il se déplace de la droite vers la gauche, s'aidant de son bâton de marche, il se retourne pour observer l'enfant qu'il porte sur son épaule gauche. Celui-ci se révèle à lui comme le maître et sauveur du monde, dont il tient le globe crucifère dans la main gauche.
Lancette de saint Christophe, Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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L'inscription de donation.
Elle se poursuit sur le registre inférieur de la lancette B et doit se lire : RO ...DE BERYEN PECTR DE PLEYBEN OD FAG ...C VITRARE ISTAS FENESTRZ
soit "Roland de Beryen, recteur de Pleyben fit faire vitrer cette fenêtre".
Lecture de 1849 : No. de Bezyen Prestre de Pleyben O faict vitrare istas fenestras
La mention "Ro ... de Bezien" est extrapolé "Roland de Bezien" car l'existence d'un vicaire perpétuel, c'est-à-dire recteur de Pleyben portant ce nom est attestée pour la période de 1492 à 1498, sous les orthographes Rolland de Berryen ou Beryen." Il eut des démêlés avec les fabriciens de Pleyben touchant l’attribution des offrandes, dons et legs faits à l’église, qu’il voulait se réserver. Une bulle d'Alexandre VI, conservée aux archives paroissiales, en date du 19 Février 1498, confirme pour 25 ans un accord survenu entre Rolland et ses paroissiens à ce sujet. Ce fut sous le rectorat de Berryen que fut construite, en 1490, la chapelle de Lannélec" (H. Pérénnes, 1939). On notera que le recteur de Pleyben qui lui succéda en 1512-1519 sera Hervé de Lezongar, dit le Jeune, également recteur de Ploaré, Clohars-Fouesnant, et Penhars.
Panneau de saint Christophe, Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
Panneau de saint Fiacre, Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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Or, l'un des vitraux de la chapelle de Lannelec, dans la paroisse de Pleyben, porte une inscription comparable à celle-ci : il s'agit de la baie n°2 , où, à coté les armoiries de la famille Berrien, d'argent à trois jumelles de gueules au franc-canton d'or chargé d'un loin de sable l' ange de droite porte un phylactère avec l'inscription RO O DE B[E]RIEN. Ce vitrail est daté par les auteurs du Corpus Vitrearum de 1500.
Chapelle de Lannelec à Pleyben photographie lavieb-aile.
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Saint Christophe et le Christ;
Le saint présente un visage fort, barbu, avec des cheveux cours et drus . Son front est ceint d'un bandeau. Il porte un manteau mauve pâle dont les pans sont fixés par un fermail, et une tunique bleue au dessus d'un pagne blanc. Il s'appuie d'une main sur la hanche, tandis que la main gauche tient le bâton de marche. Celui-ci, une branche écotée inclinée selon une diagonale supérieure droite, se termine par une courte fourche mais n'est pas fleuri.
L'Enfant bénit l'univers de la main droite et tient le globus cruciger de la main gauche. Il se tient de face et regarde devant lui, la tête inclinée vers la gauche. Mais la tête et le nimbe sont dus à une restauration récente.
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Lancette de saint Christophe, Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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La tête de saint Christophe est une belle réalisation de peinture sur verre associant un dessin par apport de grisaille, une soustraction de peinture noire par "enlevé" (cheveux), et des rehauts de sanguine sur les pommettes et les lèvres.
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Saint Christophe, Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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La partie basse du panneau permet d'observer comment le peintre a traité le motif de la rivière. On n'y trouve aucun poisson, aucune créature aquatique, mais quelques plantes, et, sur la rive verte, peut-être une libellule.
Saint Christophe, Baie 1, bras nord du transept, église Notre-Dame, Brennilis, photographie lavieb-aile.
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DISCUSSION.
Étude iconographique.
Par rapport au schéma traditionnel complet, nous retrouvons :
les deux rives escarpées
la progression de la droite vers la gauche;
les jambes orientées vers la rive de gauche, mais la rotation du tronc présenté de face, poursuivi par la rotation de la tête vers le haut et la droite,
la stature de géant du saint (peu soulignée)
le caractères de sauvagerie du personnage : barbe et cheveux drus.
le bandeau "de (futur) martyr" autour du front
L'Enfant porté sur l'épaule gauche, bénissant et tenant le globe.
Par contre sont ici absents :
l'ermite guidant le saint par sa lanterne sur la rive de gauche
les poissons et monstres aquatiques dans la rivière,
l'échange de regards entre Christophe et le Christ.
la représentation du fleurissement miraculeux du bâton de marche.
les couleurs rouge et verte des vêtements.
l'axe en diagonale supérieure gauche du bâton (et de l'effort de progression).
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Iconographie comparée.
J'ai décrit précédemment 12 autres vitraux dédiés à saint Christophe en France, dont 8 en Bretagne. Ils ont été réalisés entre 1451 et 1550, et, pour les exemples bretons, dans l'étroite fourchette de 1470 et 1497. Celle-ci correspond, partiellement et sans corrélation directe, avec la période où Anne de Bretagne était duchesse de Bretagne (1589) et reine de France comme épouse de Charles VIII (1491-1598). Celle-ci correspond aussi, pour le diocèse de Quimper, au programme de vitrage des baies hautes de la cathédrale où les principales familles de la noblesse se firent représenter, puis au programme de vitrage des chapelles et églises, où les mêmes familles veillèrent à placer leurs armoiries et à affirmer leurs privilèges.
La liste des vitraux bretons, avec les donateurs, est la suivante :
cathédrale de Quimper, baie n°113. (vers 1495-1497). Le chanoine Jean Le Baillif.
cathédrale de Quimper,baie n°114. (vers 1495-1497). Un membre de la famille de Lezongar, Sr de Pratanras présenté par saint Christophe
cathédrale de Quimper, baie n°115. (vers 1495-1497).
cathédrale de Quimper, baie n°126. (vers 1495-1497). Un seigneur de Kerguelenen présenté par saint Christophe.
cathédrale de Quimper, baie n° 128. (vers 1495-1497).
Vitrail de saint Christophe (1480), église de Ploermel. Seigneur de Botigneau.
Panneau de Jeanne du Pont présentée par Saint Christophe à Tonquédec (1470)
la baie 2 (vers 1520) de l'église Saint-Hilaire de Clohars-Fouesnant (29).
La comparaison se fait aisément entre le panneau de Brennilis, et les baies 113, 115 et 128 de Quimper et la baie 2 de Clohars-Fouesnant, car dans ces 5 cas, le donateur n'est pas représenté, et saint Christophe apparaît "en pied".
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Saint Christophe dans les baies 113, 115 et 128 de Quimper et la baie 2 de Clohars-Fouesnant
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On peut conclure qu'en Cornouaille, suivant l'exemple du duc de Bretagne Jean II, principale mécène de la cathédrale de Quimper, et de sa fille la duchesse Anne, une vive émulation amena les seigneurs des différentes paroisses à se faire représenter en donateurs sur les vitrails couronnés de leurs armoiries afin d'imposer la marque de leur pouvoir, de défendre leurs droits prééminenciers dans les lieux de culte, de s'assurer, par leurs dons, de garanties pour leur vie dans l'au-delà. Face aux dangers du corps (foudre, guerre, maladie, et —pour les épouses— dangers de l'accouchement) et de l'âme (mort en état de péché), ils puisèrent dans leurs Livres d'Heures pour bénéficier du patronage des saints réputés protecteurs de ces périls, l'un des 14 saints auxiliateurs comme Acace, Blaise, Christophe, Denis, Eustache (bientôt remplacé par saint Hubert), Gilles, Georges, Sébastien ou, pour les femmes, Barbe, Catherine et Marguerite. Mais aussi sainte Anne, sainte Ursule, sainte Madeleine, sainte Hélène ; et saint Nicolas, saint Antoine, saint Hervé, saint Julien saint Fiacre ou saint Éloi.
Dans ce seul vitrail, nous trouvons évoqué saint Christophe et saint Fiacre, mais aussi saint Anne et son époux, sainte Marguerite, alors qu'en baie 2 sont invoqués saint Michel et saint Jacques (ou saint Roch).
Mais que parmi les saints et saintes invoqués, saint Christophe fut choisi bien plus souvent que tous les autres, du moins en la cathédrale de Quimper (6 fois). Est-ce comme figure mythique du géant protecteur des voyageurs et pèlerins ? Est-ce comme grande figure de la foi portée au Christ ?
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Saint Christophe et la famille de Lezongar.
Dans la baie 114 de Quimper, saint Christophe présente un seigneur portant les armoiries d'azur à la croix d'or cantonnée à dextre d'une fleur de lys de la famille de Lezongar, seigneurs de Pratanras.
Or, Roland de Berrien, recteur de Pleyben et donateur du vitrail que nous étudions, est selon les généalogistes le fils d'Yvon de Berrien et de Jeanne de Lezongar, elle-même fille de Rolland II de Lezongar, seigneur de Pratanroz en Penhars (ca 1400-1440).
Roland de Berrien est donc le frère d'Henri de Berrien, seigneur de Coatanezre, et il est l'oncle de Louise de Berrien, donatrice de la maîtresse-vître (et petite-fille de Jeanne de Lezongar).
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SOURCES ET LIENS.
—Blog du maître-verrier Jean-Pierre Le Bihan. mars 2007
— COMBOT (recteur de Brennilis) Note sur l'église de Brennilis, 1856, cité dans BDHA— COUFFON (René) , Le Bars, Nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, 1988
Iconographie de saint Christophe : dans le chœur et les chapelles rayonnantes de la cathédrale de Fribourg (Freiburg im Breisgau). 1512-1524. Chorfenster ; Freiburger Münsterchores ; Hochchor; Kapellenkranz.
I. Huitième Fenêtre haute du chœur, coté nord. Baie n°7.
Huitième fenêtre du coté nord du chœur. 215 x 268 cm. Vers 1512-1520 ?? Travail attribué "probablement" par C. Hermans à Hans Gittsmann, alias Meister Hans von Ropstein (ou Raperstein).
La 4e fenêtre nord du chœur datée de 1512 porte le nom de Ropstein der Glaser ; une autre est datée de 1511-1513 et on y lit les noms de "meister Hansen von Ropstein und Jakob Wechtlin und Diedrich Fladenbacher glaser.". Une troisième est datée de Pâques 1310, une autre porte le nom de «Jacob Wechtlin» (membre de la famille du célèbre peintre Wechtlin). Les vitraux ont été posés peu de temps après que le chœur ne soit terminé et avant même son investiture.
On y voit sainte Marie-Madeleine, saint Christophe, saint Jean et l'apôtre saint Jacques le Majeur.
Saint Christophe, Fenêtre haute du chœur, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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Quatre blasons de donateurs.
Inscription : "Sigmund von Valckenstein und Christoph von Valkenstein und Ursula von Embs sin ehlich gemahl, denen Gott gnad."
— Voir la famille suisse Falckenstein sur Wikipédia : https://de.wikipedia.org/wiki/Falkenstein_(schweizerisches_Adelsgeschlecht)
Sigmund von Falkenstein (1477-25 juin1533), fils du second mariage de Thomas de Falkenstein avec Amelia von Weinsberg, appartient à la branche installé en Brisgau et en Alsace. Il possédait en 1499-1506 le château de Sneeburg en Ebringen (aujourd'hui Breisgau-Hochschwarzwald). En 1506 , il épousa la veuve Helena, fille de Hans von Hohenems. Le dernier représentant mâle de la famille, Johann Christoph von Falkenstein était l'un des trois enfants de Sigmund et de Veronika von Embs, la veuve de Georg von Eberstein (Maximilien, Jean-Christophe et Anne) ; il a été d' abord mentionné en 1523. Il était conseiller impérial, président du gouvernement autrichien devant Ensisheim et gouverneur suprême du Sundgau et Breisgau. Il est décédé en 1559. (données sous réserve)
— Voir la famille von Embs, de Franconie, sur Wikipédia :
https://de.wikipedia.org/wiki/Embs
En 1523, la famille possédait le château de Berolzheim.
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Blasons de la 8e Fenêtre haute du nord du chœur, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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La lancette de saint Christophe.
S. CRISTOFERUS
Bien que saint Christophe soit représenté, pour des raisons évidentes, à la même échelle que les autres saints, sa nature de géant apparaît par des traits de sauvagerie : pieds et jambes nues (alors que l'eau du gué n'est pas figurée), pieds larges, musculature forte, prise manuelle solide des poignets (main droite en supination, main gauche en pronation), visage fort, barbe non taillée, tunique nouée à la ceinture par une bande de tissu.
Exception rare dans l'iconographie, le saint passeur et son petit passager ne sont pas représentés de profil, en progression vers la gauche, mais de face, comme observés depuis la rive qu'ils doivent atteindre, d'où ces jambes écartées, ce pied droit en ouverture prononcée, cette diagonale du bâton qui participent à témoigner de l'effort en cours.
Le bourdon est semblable à un arbre arraché, tout aussi sauvage et brut que son maître, et il ne présente encore aucun signe de la reverdie miraculeuse que le divin Enfant est en train d'annoncer pour attester de son pouvoir sur la nature, et, par métonymie, sur le Monde.
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Saint Christophe, Fenêtre haute du chœur, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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Saint Christophe, Fenêtre haute du chœur, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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II. Fenêtre de la quatrième chapelle rayonnante du chœur. 1524.
Saint Christophe, Fenêtre de la chapelle Krozingen, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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Inscription "Christophorus de Crotzingen anno 1524".
Le donateur est agenouillé devant saint Christophe. Il porte le surplis et l'aumusse en pelisse des chanoines. Il était vicaire de la cathédrale. Les armoiries associent la roue noire sur fond blanc des Krozingen, et les ailes rouges du maréchal von Delsberg, famille de la mère du donateur.
Saint Christophe, Fenêtre de la chapelle Krozingen, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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Saint Christophe, Fenêtre de la chapelle Krozingen, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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Saint Jacques présentant le donateur Trudbert von Krozingen et ses épouses.
Trudbert von Krozingen, le frère du chanoine Christophe, est agenouillé avec ses deux épouses Anna Bechtoldin et Margareta von Graben. Inscription : «Truprecht von Krozingen und Anna Bechtoldin und frow Margareta von Graben sin elige gemahel 1524.»
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Saint Jacques présentant le donateur à saint Christophe, Fenêtre de la chapelle Krozingen, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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Saint Jacques présentant le donateur à saint Christophe, Fenêtre de la chapelle Krozingen, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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La partie droite de la quatrième chapelle : la famille Lichtenfels.
A gauche le chanoine Corneille de Lichtenfels (décédé en 1535) agenouillé devant saint Germain, abbé au VIIe siècle de Moutier-Grandval (Jura); Une inscription précise : «Cornelius de Lichtenfels, ecclesiae Basileensis- scholasticus et canonicus». Sa tombe se trouve dans la chapelle. Ses armes associent celles des Lichtenfels et celles de sa mère, la roue des Krozingen.
Armoiries des Lichtenfels : les ailes et la hache d'or sur fond noir .
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"Lichtenfels, Cornelius I de (?- 7 août 1535) a été le prévôt du chapitre de Moutier-Grandval de 1511 à 1535 et plusieurs fois vice-doyen du chapitre cathédral de Bâle entre 1505 et 1531. Fils de Wofgang de Lichtenfels (Wurtemberg). A deux fils, Wilhelm et Cornelius (prévôt de 1539 à 1564). Décédé le 7/8 septembre 1535. Etudes à Fribourg (1479) et à Tübingen (1493). Chanoine de Bâle dès 1488. En 1504, il est mentionné comme remplaçant à Moutier de Jean Burckard, et en 1507 de Jean Lib. En 1511, ce dernier résigne sa charge de prévôt en faveur de L. qui est nommé par le pape la même année. C'est à son époque qu'a lieu le déménagement du chapitre de Moutier à Delémont (printemps 1534), suite à la Réforme. La première mention en tant que vice-doyen du chapitre de Bâle date du 11 juillet 1505. D'autres suivront sous les décanats de Pierre de Hertenstein (1506?-1515) et de Nicolas de Diesbach (1516-1531). Ecolâtre du chapitre (1509-1535) probablement en 1509 déjà, il dut alors faire face à deux provisi nommés par le pape (mais qui n'entrèrent jamais en possession de cette fonction), contre lesquels il s'imposa totalement après le 4 mai 1511. En 1528, dispute avec Paracelse. En 1533, le chapitre s'oppose à une nouvelle nomination de L., alité, comme vice-doyen pour Lib." Dict. du Jura, https://diju.ch/f/notices/detail/3985
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Saint Germain et le Christ Sauveur, Fenêtre de la chapelle Lichtenfels, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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A droite, le donateur Hans von Lichtenfels, ses épouses Maria von Landegg et Anastasia Pfewin von Riepur agenouillés devant le Christ Sauveur.
Inscription : «Hans von Lichtenfels und frow Maria von Landegg, und frou Anastasia Pfewin von Riepur, sin elyge gemach.»
Les armoiries de Maria von Landeck, première épouse, est le blason des Schnewlin. Celles d'Anastasia Pfauin von Rüppurr, sont deux clefs d' argent sur fond rouge.
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Fenêtre de la chapelle Lichtenfels, v.1524, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, photographie lavieb-aile.
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SOURCES ET LIENS.
— Die Schützengesellschaften zu Freiburg im Breisgau 1846 https://books.google.fr/books?id=dh5mAAAAcAAJ&dq=christoph+von+Krozingen&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
— HERMANS (Clara et Claus), 2014, Die Glasgemälde des Freiburger Münsterchores und ihr Meister Hans von Ropst https://books.google.fr/books?id=gk6QAwAAQBAJ&dq=Christophorus+de+Krozingen&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
— KEMPF ( Friedrich), SCHUSTER ( Karl), 1906, Freiburger Münster : ein Führer für Einheimische und Fremde, Freiburg, Herdersche Verlagshandlung.
I. La verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster) du bas-coté sud de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320).
Cette verrière est faite de quatre lancettes ogivales. La première est toute entière occupée par saint Christophe, alors que les trois autres sont chacune découpées en trois médaillons consécrés à la Passion (la dernière Cène, le Christ sur le Mont des Oliviers, son arrestation, le Christ devant le roi Hérode, la Flagellation, le Couronnement d'épines, la Croix, la Crucifixion et la Mise au tombeau . Enfin, chaque lancette porte en registre inférieure une marque de donation répétée deux fois : deux ours d'or de chaque coté, et deux bottes noires au centre. Ces bottes, à lacet rouge, sur un blason d'or forment l'insigne de la guilde des Cordonniers, comme le spécifie l'inscription : DER. SCHUMACHER. ZUNFT. ZE. DEM. GULDIN. BERN soit "La Guilde des Cordonniers --A l'Ours d'Or --"
Les blasons latéraux sont de sable à l'ours d'or passant (dressé sur ses pattes, de profil) armé et lampassé de gueules (ses griffes et sa langue sont d'un émail rouge), à la chaîne et au collier d'azur. Ces blasons, ainsi que les mots "ze dem guldin bern" m'ont intrigué longtemps, avant que je n'apprenne que les panneaux latéraux sont de création récente (20e siècle) et qu'ils représentent l'enseigne de la taverne "A l'Ours d'or" où la Guilde tenait ses réunions.
Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster) , nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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Guilde des Cordonniers, Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster), nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster), nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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Lancettes de la Passion, Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster), nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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LA LANCETTE DE SAINT CHRISTOPHE.
J'ignore si saint Christophe était considéré par les cordonniers comme leur patron, en plus de frères martyrs Crépin et Crépinien. Saint Christophe est le patron des pèlerins et plus largement des voyageurs, c'est à dire de gens qui usent leurs souliers.
Quoiqu'il en soit, le fait qu'il occupe à lui seul (avec son passager) l'ensemble des trois panneaux , cas presque unique dans la nef où les autres lancettes sont découpées en médaillons, témoigne de ce que le gigantisme du saint n'est pas escamoté, mais que, au contraire, il est mis en valeur comme l'un de ses caractères essentiels. On sait que selon la Légende Dorée (1261-1266), Christophe était un géant païen nommé Reprobus, qui ne prit son nom de "Porteur de Christ" qu'après sa conversion lors du passage du guè.
La date de la verrière (1320) place ce saint Christophe en tête de la chronologie de ma série iconographique, et peu de temps après que, selon D. Rigaux, se mettent en place les principales composantes de l'image. Ainsi, dès le début du XIVe siècle, nous trouvons ici :
la traversée du fleuve de la droite vers la gauche.
L'Enfant porté sur l'épaule gauche.
L'Enfant tenant le globe crucigère et bénissant,
La rotation du bassin puis du tronc du saint
L'orientation rétrograde de son regard vers le haut et l'arrière, cd'est à dire vers l'Enfant.
Le bâton de marche qui fleurit (ou qui reverdit)
Les pieds dans l'eau, et les poissons et êtres aquatiques malfaisants.
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Saint Christophe portant le Christ, Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster), nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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Le regard de la Foi.
Je retrouve aussi dans ce vitrail ce regard de saint Christophe si particulier et si propre à cette iconographie, par lequel, saisi par le tourment (il succombe sous le poids incompréhensiblement lourd du bambin qu'il doit mener sur l'autre rive) il se détourne soudain, lève les yeux, et, par l'échange de deux phrases, réalise qu'il porte le Maître du Monde. L'axe de son regard s'oppose à l'horizontalité de sa progression et accède à la fois à la verticalité et au renversement, à la con-version. L'Enfant-Christ regarde, lui, dans la direction de sa main qui bénit.
A ces axes se mêlent ceux du bâton de marche, ici d'abord vertical comme une hampe, mais qui s'incline, à la fois pour épouser la courbe ogivale du sommet de lancette, mais aussi pour témoigner du changement de nature qui s'opère. La rigidité orgueilleuse et ligneuse devient flexibilité, adaptation, mouvement d'un feuillage habile à se courber sans rompre, humilité, mais aussi vigueur animée par la sève, la vie.
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Saint Christophe portant le Christ, Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster), nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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Les pieds dans l'eau.
Le changement de milieu (air / eau) est rendu par des ondulations en grisaille, selon des directions différentes pour chaque pièce. Sur le plan spirituel, il s'agit d'indiquer que la traversée du fleuve est un temps de rupture et d'exposition aux risques. L'eau est l'élément étranger, dangereux, celui de la perte des repères et de la stabilité, celui où l'on peut perdre pied et être emporté par l'impulsivité de tous ces courants représentés en lignes sombres. L'eau est en relation avec les forces démoniaques, profondes, basses, en relation avec les forces démoniaques, et, pour le souligner, le peintre-verrier à dessiné d'une part un gros poisson (imaginons un brochet) qui en dévore un autre plus petit, et d'autre part un véritable dragon à queue de serpent, ailé comme un hibou et à tête de diable.
int Christophe portant le Christ, Verrière des Cordonniers (Schuhmacherfenster), nef de la cathédrale Notre-Dame de Fribourg-en-Brisgau. (1320). Photographie lavieb-aile.
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DIGRESSION ET SABLES MOUVANTS. "Le Saint Christophe allemand".
En 1896, Konrad Richter fit paraître dans le vol. V. I des Acta Germanica, Organ für deutsche philologie, Berlin, Mayer und Müller, son article de 243 pages sur « Der deutsche St. Christoph », où il menait une enquête parfaitement érudite et exhaustive sur le saint Christophe Allemand, et les bases et évolutions des textes de la Légende ou de l'iconographie christophienne en Allemagne. Il serait abusif de prétendre que je l'ai lu, malgré le vif désir que j'ai éprouvé de le faire ; je fus peut-être rebuté par l'absence de toute illustration et par l'appareil proliférant des notes de bas de page ou note de pied (Fußnote ), mais surtout par mon absence de compréhension aisée de l'allemand.
Il m'est impossible de deviner par quels hasards, par quelle boulimie de lecture, Sigmund Freud a pu lire cet indigeste pavé jusqu'à la page 223 ; mais peut-être, en 1920, après avoir écrit Au delà du principe du plaisir, souhaitait-il proposer à son psychisme un matériau aléatoire, et s'était-il donné comme consigne de se saisir, dans une bibliothèque, du premier ouvrage écrit l'année de la mort de son père, de l'ouvrir à la page 223 en fonction de calculs de numérologie hébraïque issue de la Gematria, et de lire la ligne 18 pour d'autres raisons encore. Toujours est-il qu'il prit connaissance de la note 1) de cette page 223, ou d'une partie seulement de cette note, et qu'il la cita dans le chapitre IV de son articleMassenpsychologie und Ich-Analyse de 1921. Si on lit la traduction française de S. Jankélévitch paru en 1926, Psychologie collective et analyse du moi, en pensant qu'on comprendra mieux ainsi le rapport entre saint Christophe et "Suggestion et libido" (le titre du chapitre IV), prévenons rapidement le lecteur d'une possible désillusion.
Lorsqu'à un malade qui se montrait récalcitrant on criait : « Que faites-vous ? Vous vous contre-suggestionnez !», je ne pouvais m'empêcher de penser qu'on se livrait sur lui à une injustice et à une violence. L'homme avait certainement le droit de se contre-suggestionner, lorsqu'on cherchait à se le soumettre par la suggestion. Mon opposition a pris plus tard la forme d'une révolte contre la manière de penser d'après laquelle la suggestion, qui expliquait tout, n'aurait besoin elle-même d'aucune explication. Et plus d'une fois j'ai cité à ce propos la vieille plaisanterie : « Si saint Christophe supportait le Christ et si le Christ supportait le monde, dis-moi : où donc saint Christophe a-t-il pu poser ses pieds ? [Note 1 « Christophorus Christum, sed Christus sustulit orbem. Constiterit pedibus die ubi Christophorus? » Konrad Richter : Der deutsche St. Christoph, Berlin, 1896. Acta Germanica, V, 1.] ».
Dans l'article original de Freud, nous avions :
" Ich wiederholte mit Bezug auf sie die alte Scherzfrage [Fußnote]:
Christoph trug Christum,
Christus trug die ganze Welt,
Sag', wo hat Christoph
Damals hin den Fuß gestellt?"
Finalement, il semble plus simple de lire Konrad Richter directement, et sa note de la page 223, qui, par contraste, semble limpide. C'est lui qui parle de la blague bien connue (bekannte scherz) citée en latin, Christophorus Christum, sed Christus sustulit orbem. Constiterit pedibus die ubi Christophorus? et qui cite son auteur, Johannes Heidfeld, et son ouvrage, paru en 1600, le Sphinx théologico-philosophique. Limpide ? Pas tant que ça, car ce n'est qu'après cette citation en latin du texte (allemand) de Heidfeld que Richter donne le texte cité par Freud (Christoph trug Christum, [...] Damals hin den Fuß gestellt?"), texte écrit sur une "image" (une peinture murale ?) du saint à Tölz en Haute-Bavière et relevée à la page 13 d'un livre d'aphorismes et d'apoptegmes écrit par W. Hertz en 1882 Deutsche Inschriften an Haus und Geräth: Zur epigrammatischen Volkspoesie -(Bessersche Buchhandlung), Berlin, 237 pages !!
Konrad Richter s'est peut-être lui-même inspiré de Der Große Christoph, de Ferdinand Hautal, (pseudonyme de J.F. Francke) paru à Berlin en en 1843 : voyez la page 44.
Encore un effort : cherchons le texte original de J. Heidfeld.
Johannes Heidfeld (Heidfeldius), né à Waltrop près de Cologne en 1563, pasteur d'Ebersbach, fut le premier professeur de théologie protestante au lycée d' Herborn. Il a publié Sphinx theologica-philosophica en huit éditions de 1600 à 1631 dans huit éditions, et son ouvrage a été extrèmement populaire. Il a été mis à l'Index dès 1616. Il a été écrit par un co-auteur, Johann Flitner
Je pars à la recherche de ce Sphinx :
Heidfeldius, Joannes, Waltorffensis. Sextium renata, renovata, ac longe ornatius etiam, quam unquam antea exculta Sphinx theologìco-philosophica. Adornavit, recensuit, et in theatrum totius orbis europaei ex parentis voluntate produxit Godefridus Heidfeldius Johannis F. Nassovius . Herborn, Christoph Rab (Corvinus), 1612, in-8°, [31], 823 p.
Je le trouve dans une édition de 1624 : voyez le chapitre XL page 771 :
C'est, comme la mention du Sphinx l'indique, une succession d'énigmes, de devinettes posées en chausses-trapes pour l'esprit, dans le domaine religieux. On trouve ainsi : "Est-ce le Christ qui porta la Croix, ou la Croix qui porta le Christ ?" (Hat Christus das Creutz / oder das Creutz Christum getragen) ou, juste avant le distique sur saint Christophe, un rébus sur les lettres du nom IEJUS.
En résumé, Freud a cité le texte allemand relevé à Tölz, et cité par Richter, mais il a donné en note de bas de page dans sa référence à Richter 1896 un texte latin attribué à Heidfeld 1600, alors que celui-ci a écrit en allemand !
Tout lecteur est comme un pèlerin qui, mené par la foi en l'Auteur, avance rapidement vers son but, sa Rome, son Compostelle, la fin du livre, sans réaliser que son âme ne gagnera le salut que par les pierres du chemin. C'est (les cordonniers de Fribourg le savaient !) l'usure des souliers qui fait le pèlerin et lui procure ses gages, et non sa présence finale dans les Lieux Saints. Or le lecteur trop pressé, s'il achoppe sur un passage, tourne la page car il est convaincu que l'Auteur, dans sa grande sagesse, va le mener vers la révélation du Sens. Parfois pourtant, il doit interrompre sa marche et se retourner vers l'Auteur : Que veux-tu dire ?
Que signifient les quatre vers de Heidfeld ? C'est une simple plaisanterie sur la polysémie du mot Welt, le Monde. Le Christ ne porte pas "le Monde", mais sa représentation, le globe terrestre, la mappemonde avec, en son sommet, la croix : le globus cruciger. C'est le symbole de son pouvoir sur l'univers, ou aussi du poids du Péché du Monde, puisque la figure renvoie à la déclaration de saint Jean-Baptiste Ecce Agnus Dei, qui tolli peccata mundi, (Jn 1:29) "Voici l'Agneau de Dieu, qui soulève (qui enlève, qui ôte) le Péché du monde". Le verbe tollo, is, ere signifie lever, soulever, enlever.
Dans sa traduction en latin, Richter traduit Welt (Monde) par le mot orbem (l'orbe) et affaiblit ainsi la blague assimilant Mappemonde et Monde.
Au delà de la plaisanterie, on peut voir, comme le fait Freud, une illustration de la difficulté à trouver un fondement, un point d'appui (comme Archimède : donnez-moi un point d'appui et un levier, et je soulèverai le monde !). Si Atlas porte le Monde (en réalité, le globe céleste), dis-moi sur quoi il prend appui ! Si le savant observe le Tout, dis-moi où est son point de vue ! Si Christophorus "qui porte le Christ", porte le Monde, où se situe-t-il lui-même ! Dans l'hypnose, si les thérapeutes croient que la Suggestion est un Tout qui n'a besoin d'aucune explication, comment la justifier si elle échoue car le patient se contre-suggestionne ? Dans tout système de pensée totalitaire, qui se justifie par lui-même et dont la Fin justifie les moyens, dis-moi où est l'appui d'une justice ?
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En illustration, un tableau du Maître de Meßkirch vers 1562 au Kunstmuseum de Bâle, image Andreas Praefcke, Wikipédia
Après mon étude baie par baie des cinq "saint Christophe" de la cathédrale de Quimper, je les réunis ici dans une synthèse facilitant la comparaison des lancettes entre elles.
Plan de la cathédrale avec les vitraux représentant saint Christophe.
La Baie 113, bras nord du transept.
Baie 113, bras nord du transept, cathédrale de Quimper, photo lavieb-aile
Baie 114. Transept, bras sud.
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Baie 115, bras nord du transept.
Baie 115, bras nord du transept, cathédrale de Quimper, photo lavieb-aile.
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Baie 126, nef sud.
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Baie 126, cathédrale de Quimper, photo lavieb-aile
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Baie 128, nef sud.
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Baie 128, nef sud, cathédrale de Quimper, photo lavieb-aile.
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Les six baies accueillant des lancettes consacrées à saint Christophe se trouvent dans les bras du transept pour trois d'entre elles (n° 113, 115 et 116), et dans le coté sud de la nef pour deux autres (n°126 et 128), la sixième qui occupait la façade occidentale (n°0100) ayant été détruite. Aucune n'occupe le chœur, qui avait été vitré trois-quart de siècle auparavant, entre 1417 et 1417.
Ces verrières datent toutes de la même époque, la fin du XVe siècle (vers 1495-1497), sous le règne de Charles VIII et d'Anne de Bretagne et sous l'épiscopat de Raoul Le Moël (1493-1501), et elles ont toutes été restaurées, ou complétées par Antoine Lusson entre 1869 et 1874. Elles ont été (sans-doute) offertes par des donateurs qui se sont fait représentés , présentés par un saint qui intercède pour eux. Les donateurs qui ne peuvent être identifiés que par des armoiries, sont soit des chanoines du chapitre cathédrale, soit des seigneurs d'une des grandes familles nobles du diocèse, avec leur épouse. Les saints et saintes sont choisis soit en raison du prénom des donateurs, soit parmi les grands intercesseurs.
I. INFORMATIONS APPORTÉES PAR LES LANCETTES ADJACENTES.
Les saints et donateurs présents dans les autres lancettes des cinq baies étudiées apportent-elles des indices pour mieux comprendre le culte rendu à saint Christophe ?
Les saints invoqués.
La Vierge à l'Enfant est représentée sur deux baies. Outre saint Christophe, sur ces cinq lancettes sont réunis 12 saints, 1 saint évêque et 2 saintes, . Parmi eux, 10 sont identifiables de manière fiable, Saint Jean-Baptiste 4 fois, saint Jean l'Évangéliste 2 fois, Saint Pierre, Saint Michel, saintes Barbe et Marguerite chacun 1 fois. Les autres identifications sont proposées par les auteurs du XIXe siècle : saint Corentin patron de la cathédrale, saint Maurice, saint Ronan et saint Vincent Ferrier.
Les donateurs.
Ils sont au nombre de 13, dont trois femmes.Trois familles sont identifiées par leur armoiries (Le Baillif, Lezongar, Kerguelenen), une autre n'est que suspectée par leurs armoiries (de Poulpiquet). On compte 5 chanoines, trois couples de la noblesse bretonne, et 2 autres chevaliers.
– Les chanoines : ce sont Jean Le Baillif, Jehan Le Baillif, chanoine de la cathédrale de 1468 à 1494, Jean de Kerguelenen, chanoine de la cathédrale de Quimper entre 1489 et 1498 et trois autres non identifiés.
– Les familles de la noblesse bretonne.
Il s'agit de trois membres de la famille de Lezongar, seigneur de Pratanras ; d'un couple de la famille de Kerguelenen, et d'un couple portant des armoiries d'azur à trois oiseaux compatible avec la famille de Poulpiquet.
En conclusion, l'élément le plus signifiant est sans-doute la forte association avec les deux saints Jean, mais surtout avec Jean-Baptiste, précurseur du Christ qui baptisait par immersion dans le Jourdain. En effet, saint Christophe est représenté les pieds dans les eaux du fleuve dont il est le passeur, au moment où il est frappé par le bouleversement de sa connaissance/reconnaissance de l'Enfant Sauveur du Monde, et qu'il se convertit. Les deux saints mettent donc en avant la valeur de la conversion, et le rôle des eaux comme métaphore d'un passage, d'un renversement, d'une renaissance, d'une rédemption. La présence dans deux baies d'une Vierge à l'Enfant, où l'Enfant bénit (deux cas) et porte le globe crucigère (dans un cas) participe de cette démonstration puisque c'est bien l'enfant Sauveur du Monde (Salvator Mundi) qui est dans les bras maternels.
II. RENSEIGNEMENTS APPORTÉS PAR LA COMPARAISON ICONOGRAPHIQUE;
Les cinq saints Christophe sont conformes au modèle iconographique diffusé à la même époque dans les enluminures des livres d'Heures dans les sculptures et les vitraux. Dans les cinq cas, Christophe traverse le fleuve, ses pas étant dirigés de la droite vers la gauche, ses jambes nues représentées dans l'eau (sauf n°114) ; des poissons y sont visibles dans un cas. La présence d'un bâton de marche est constante , vertical dans un cas, légèrement ou fortement oblique dans l'axe de la marche dans les quatre autre cas. Ce bâton n'est jamais porteur de feuillages (sauf peut-être dans la baie 128), le miracle de la reverdie attestant de la fiabilité de la parole de l'Enfant étant ici négligé. Le bandeau frontal, qui est le bandeau des martyrs, est présent dans quatre cas (et peut-être aussi dans le dernier, n°128). Dans trois cas, la tunique adopte la couleur verte qui témoigne du statut de Géant Vert, de divinité animiste païenne (celle des eaux et des bois) qui se place au service de la nouvelle religion. Dans les deux autres cas, la couleur verte n'apparaît que par citation dans les revers de l'habit (n°128) et dans le fermail (n°115).
L'Enfant est figuré comme Salvator Mundi dans les cinq cas. Il porte des cheveux longs blonds et bouclés, sauf dans la baie 114 où les cheveux sont ras. Il est à califourchon dans trois cas, sur l'épaule gauche dans un cas (n°113), la position étant douteuse dans la baie n°115. Il se tient droit et regarde devant lui, sauf dans la baie 128 où il se penche vers le saint. Inversement, Christophe tourne son visage vers le haut et la droite vers l'Enfant, sauf dans les deux baies où il présente un donateur (n°114 et 126).
Les aléas des détériorations des verres d'origine l'absence de données sur l'état des vitraux avant la Révolution et la faiblesse de la documentation sur la restauration par Lusson (les verres anciens étant refaits à neuf "à l'identique", puis revendus à des antiquaires) ne permettent pas d'approfondir d'avantage cette analyse dans le cadre qui est le mien (celui d'un amateur).
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III. COMPARAISON AVEC LES AUTRES EXEMPLES ICONOGRAPHIQUES.
1°) Les œuvres antérieures à celles de Quimper : influences ?
a) XIVe siècle.
—Si je cherche dans mon blog les œuvres qui précèdent celles de Quimper, je trouve pour le XIVe siècle la fresque de la cathédrale de Burgos, où Christophe est encore présenté frontalement, dans sa fonction apotropaïque : on trouvait dans les cathédrales d'Espagne, peintes près d'une entrée, des figures monumentales de saint Christophe qui possédaient un pouvoir apotropaïque, c'est-à-dire protecteur contre la mort sans confession, les épidémies de pestes ou les dangers des voyages ou même tout franchissement périlleux de seuil (gué, pont, passage épineux) par la seule vision de son image et, en particulier, de son regard frontal, associé à la récitation ou la lecture d'une formule latine ou vernaculaire en vers léonin exprimant la réalité de cette protection. Iconographie de saint Christophe : la cathédrale de Burgos. Fresque du XIVe siècle
— Ma série des Christophe du XVe siècle concerne l'Ouest de la France. Elle débute à la cathédrale d'Angers où André Robin a peint en 1451 un saint qui mérite d'être comparé à celui de notre baie n°113 :
Puis j'arrive en Bretagne, où deux vitraux sont réalisés en 1470 (Tonquédec) et en 1480 (Ploermel), témoignant de l'importance que prend alors cette dévotion à la fin du XVe siècle auprès des commanditaires, les seigneurs et le clergé des paroisses concernées.
Là encore, les parentés entre ces œuvres et celles de Quimper sont nombreuses, soit lorsque le saint présente une donatrice (Tonquédec, évêché de Tréguier), soit lorsqu'il est figuré seul (Ploermel, diocèse de Saint-Malo).
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Saint Christophe, Ploermel, Baie 1, 1480, photographie lavieb-aile.
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En 1493, juste au moment où ces vitraux des baies de la cathédrale de Quimper sont commandées, un linteau de la chapelle du château d'Amboise montre saint Christophe franchissant le gué : ses commanditaires sont Charles VIII et Anne de Bretagne, couple royal dont la souveraineté s'étend maintenant sur Quimper : cela incite à réfléchir sur l'influence de la dévotion envers saint Christophe de la Duchesse de Bretagne.
On peut en conclure que saint Christophe a été choisi comme protecteur et intercesseur par les chanoines du chapitre de Quimper et seigneurs bretons en lien avec un mouvement plus général, attesté dans l'Ouest de la France, atteignant l'entourage de la Duchesse Anne ou du roi Charles VIII. On peut en rechercher le sens soit comme un recours face à un sentiment de peur à l'égard de maladies ou de guerres, de mutation ou de déplacement sur les routes du pays (épidémies ; début des Guerres d'Italie), soit comme une réflexion spirituelle sur l'importance de la Foi, de la Conversion et du Baptème, puisque saint Christophe le passeur de gué protège des dangers des passages de fleuve et de pont, du franchissement de portes et de seuils, protège les pèlerins et les voyageurs lors de leurs parcours, mais étend sa protection aux grandes transitions, que ce soit celle de la naissance, celle du passage de la vie à la mort (dangers de la mort sans viatique), où celle des revirements de l'âme. Le recours concommitant et plus important encore à saint Jean-Baptiste —qui n'est pas un Saint Auxiliaire protecteur des grands dangers— m'incite à donner plus de poids à cette dernière hypothèse et à envisager dans le choix du décor religieux de la cathédrale au seuil du XVIe siècle la possibilité d'une grande réflexion théologique sur le Salut.
Une autre possibilité, que j'ai envisagé lors de l'analyse du vitrail de la cathédrale de Beauvais par Engrand Le Prince, réalisé moins de trente ans plus tard pour un proche de la cour royale, est de considérer que saint Christophe est invoqué par l'élite quimpéroise des années 1590 comme un magnifique exemple de rencontre du Christ en face à face. Certes, le développement des Ecce Homo des Passions et des Christ de douleur sur des petits tableaux à usage de dévotion personnelle permettait une participation empathique aux souffrances du Christ, dans une évolution de la vie intérieure vers l'Imitatio Christi, mais on peut deviner combien le face à face d'un Christ enfant, et à la fois sauveur, peut orienter la réflexion et la sensibilté spirituelle vers un enrichissement de ces perspectives. Le vitrail d'Engrand Leprince de la cathédrale de Beauvais : vitrail dit "de Roncherolles" dans la chapelle du Sacré-Cœur. Baie 25. II. Saint Christophe dévisagé. (1522)
Les vitraux de la cathédrale de Quimper ont été décrits de façon parfaite par les meilleurs spécialistes, mais il me semble qu'une reflexion sur le sens et les raisons des choix des thèmes iconographiques peut être désormais entreprise, pour mieux comprendre la mentalité de nos prédecesseurs, de leurs croyances, de leur vision du monde, de leurs espérances ou de leurs frayeurs, juste avant la survenue de l'an 1500. Cela suppose une autre ampleur de vue que mes balbutiements . Serais-je l'index désignant la cible à atteindre ? A d'autres !
— AYMAR DE BLOIS (1760-1852), vers 1820.On doit à ce neveu du chanoine de Boisbilly une description des vitraux vers 1820.
A. de Blois, héritant de ce registre de Boisbilly, en fait don à l'évêque André, le 5 janvier 1804, mais le ré-annote en 1820 et 1821 et donne alors la description des vitraux et leur état. Il le remit de nouveau à l'évêque de Quimper, Mgr Graveran, le 5 septembre 1842 "pour l'usage de la cathédrale ". Il rajoute "malade d'une fluxion, charge son fils Louis de le remettre à l'évêque". (J-P. Le Bihan)
— BOISBILLY (Jean-Jacques-Archibald le Provost de la Boexière ,Chanoine de), vers 1770,Registre de Boisbilly, Arch. Dioc. Quimper, ,
Jean-Jacques Archambault Provost de Boisbilly (1735-1786). Docteur en théologie de la Sorbonne, vicaire général du diocèse de Rennes, il était abbé commandataire du Tronchet et chanoine de Quimper. Il possédait une des plus érudites bibliothèques de Quimper et on lui doit par ailleurs un plan de la cathédrale dressé en 1770 qui est une des sources les plus importantes sur la cathédrale avant la Révolution. Il avait dessiné l'architecture des fenêtres de la cathédrale en pleine page de 1770 à 1772. Ce travail devait être complété par la suite avec les dessins des vitraux, mais il fut malheureusement appelé à d'autres fonctions.
"La cathédrale de Quimper, qui figure au nombre des Monuments historiques du département du Finistère, n’a été jusqu’ici l’objet d’aucune publication de quelque importance. Vers l’année 1770, l’abbé de Boisbilly, syndic du chapitre de Quimper, avait, en vue d’une histoire de ce monument, réuni de nombreuses notes, et fait dresser un plan de l’église avec ses chapelles et ses autels. Dans sa réunion générale du 14 mai 1772, le chapitre le « pria de continuer l’ouvrage qu’il avait commencé sur la description détaillée de l’église cathédrale, » et décida « qu’il en serait fait un registre particulier. » (1)1 Sur ces entrefaites, l’abbé de Boisbilly fut appelé à Rennes pour prendre part aux travaux de la Commission intermédiaire des États de Bretagne dont il faisait partie. Les affaires importantes et multipliées de la Province ne lui permirent pas de mener à bonne fin son entreprise. Ses notes furent perdues, et il n’est resté comme souvenir du projet qu’il avait formé, qu’un registre grand in-folio, qui contient avec le plan de la cathédrale, les dessins au trait de ses fenêtres, dessins qui devaient être complétés par la peinture des vitraux. M. de Blois (de Morlaix), neveu de l’abbé de Boisbilly, a fait hommage de ce registre à Mgr l’évêque de Quimper, le 5 septembre 1849. Avant de s’en dessaisir, il avait pris le soin d’écrire au-dessous des dessins des fenêtres, une description sommaire des vitraux qu’elles contenaient encore en 1820 et 1821, mais à cette époque beaucoup étaient entièrement détruits. " (R-F. Le Men)
— BONNET (Philippe) 2003, Quimper, la cathédrale, Zodiaque, Paris
— CUFFON . Buletin SAF, t.LXXXIX. 1963, p.xcvii et suivantes.
— DANIEL (Tanguy), (dir.), Anne Brignandy, Yves-Pascal Castel, Jean Kerhervé et Jean-Pierre Le Bihan, 2005, sous la direction de, Les vitraux de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper, Presses Universitaires de Rennes / Société Archéologique du Finistère, 287 p. (ISBN 978-2-7535-0037-2).
— GALLET (Yves), Les ducs, l’argent, les hommes ? Observations sur la date présumée du chevet rayonnant de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper (1239) p. 103-116 http://books.openedition.org/pur/5315
— GATOUILLAT (Françoise), 2013, "Les vitraux de la cathédrale" , in Quimper, la grâce d'une cathédrale, sous la direction de Philippe Bonnet et al.,La Nuée Bleue, Strasbourg, page 185-203,
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2005, Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum, France VII, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, p. 172.
— GUILHERMY (Ferdinand de), 1848-1862, Notes sur les diverses localités de France, Bnf, Nouv. acquis. française 6106 folio 335v et suivantes.
Le baron de Guihermy, membre de la Commission des Arts, visita Quimper le 2 octobre 1848 et rédigea un mémoire d'après ses notes. Nommé membre de la Commission des Monuments Historiques en 1860, il entreprit un voyage en France et séjourna à Quimper du jeudi soir 28 octobre 1862 au samedi 30 à midi et compléta alors ses premières notes. Les baies n'y sont pas numérotées et distribuées en cinq lieux : Vitraux de la chapelle des fonts, vitraux de la Nef, vitraux du transept, vitraux du chœur, vitraux de la chapelle terminale.
Concernant la baie 113, nous trouvons (J-P. L.B):
un personnage debout, imberbe, coiffé d'une toque verte à plume blanche, portant une armure et pardessus une cotte d'azur à la croix d'or cantonnée de quatre fleurs de lys de même. Il tient de la main gauche une lance à banderole blanche et s'appuyant de la droite sur un bouclier blasonné comme la cotte. Ne serait-ce pas saint Louis ? Il s'agit de l'écuyer de Prat ar Rouz Saint Michel vainqueur du démon ; saint évêque bénissant, décrit comme saint Corentin par Aymar de Blois, saint Christophe passant l'eau avec le Christ sur son épaule,
— LE BIHAN (J.-P.), J.-F. Villard (dir.),2005, Archéologie de Quimper. Matériaux pour servir l’histoire, t. 1 : De la chute de l’Empire romain à la fin du Moyen Âge, Quimper, 2005.
— LE BIHAN (J.-P.) 1993,, -"Gravures de repère sur les vitraux bretons des XVe et XVIe."Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, T.CXXII