Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale du Mans (VI).
Baie XX, ou Invention des reliques de Gervais et Protais et martyres de leurs parents saint Vital et sainte Valérie.
En 2003, Claudine Lautier montrait combien les vitraux de Chartres étaient tributaires des reliques détenus entre 1194 et 1215 par la cathédrale, ces reliques, qui garantissaient le pouvoir du sanctuaire — et, par suite, de son évêque — constituant son véritable Trésor, tout en motivant les dons des fidèles et de la noblesse. Cette démonstration peut aussi s'appliquer à la cathédrale du Mans.
Les Actus pontificum in urbe degentium ou Chronique de l'Église du Mans font remonter l'origine légendaire du sanctuaire manceau à saint Julien du Mans, et rapportent que dans le second tiers du VIe siècle, l'évêque Innocent l'avait complété de deux ailes. Les autels de ces ailes étaient dédiés à la Vierge et à saint Pierre, tandis que l'abside abritaient les reliques de saint Gervais et de saint Protais (Mussat, 1981). Selon la pseudo-épître d'Ambroise (Ep. 22,2 Pl.16 ) les reliques de ces saints milanais avaient été découvertes sous l'empereur Théodose par saint Ambroise en 386 et vénérées à Milan. Saint Ambroise donna des reliques des saints Nazaire, Protais et Gervais à saint Victrice de Rouen qui immortalisa leur arrivée à Rouen dans son De laude sanctorum (397). Distribués par saint Martin qui avait obtenu des linges imprégnés du sang du martyre, les reliques sont aussi mentionnées à Vienne (attestée par l'épitaphe de Foedula) , mais aussi Tours (ou à Saponaria près de Tours) dès 447. Paulin de Milan rapporte aussi l'invention (la découverte) par Ambroise des reliques des saints Vital et Agricola à Bologne en 393 et celles de Nazaire et de Celse à Milan en 396. C'est en 415 (voir Baie XVII et XIX) que le tombeau de saint Étienne a été découvert à Caphargamala, et plus tard, ses reliques pénétrèrent en Gaule où on les retrouve près de Tours, à Bourges ou à Bordeaux.
En effet, c'est en 313 que l’empereur Constantin a reconnu la liberté de l’Eglise, fin officielle des persécutions de l’état romain contre le christianisme et point de départ d’une transformation de cet empire en empire chrétien. C'est le premier siècle de l’empire romain chrétien, le premier siècle de fonctionnement de l’Eglise chrétienne au grand jour, le premier siècle de l’exercice du culte chrétien sans menace de persécution. Le IVe siècle est donc aussi le premier siècle de production des institutions et des réglements de l’Eglise, de définition théologique de la foi chrétienne, d’élaboration de la liturgie et des formes de la piété. C’est aussi le premier siècle d’un culte rendu publiquement à des défunts considérés comme “saints” dans l’Eglise. Le culte des martyrs prend son essor au IVè siècle. Les vitraux du XIIe siècle du Mans sont donc étroitement liés à ces épisodes d'invention des reliques du IVe et Ve siècle, aux cultes qu'ils engendrèrent en Gaule, et aux autels qui furent dédiés à ces martyrs au Mans.
Cette dévotion s'accompagne, dès saint Jérome et avec saint Augustin, d'une nouvelle théologie des reliques admettant la protection des morts par les saints. L'attitude d'Augustin envers les reliques a évoluée précisément à la suite du développement du culte des martyrs à son époque: Gervais, Protais, mais surtout en 424 l'arrivée des reliques d'Etienne à Hippone. Le culte des reliques dans la Cité de Dieu (Livre X) conduit au Christ ressuscité. Ce sens théologique qu'Augustin définit est étayé par les miracles suscités par les reliques dans sa vision d'une foi en la Résurrection : à la différence du paganisme, le christianisme n'est pas une religion de morts mais de vivants. Augustin insiste bien sur la différence entre le culte rendu à Dieu (adoration) et la vénération des reliques.
Le lien entre les reliques et l'Eucharistie apparaît aussi dans la mesure où les reliques amènent à mieux comprendre le sens de l'Eucharistie, le mémorial qui est célébré, le sacrement de la Résurrection qui est donné. Un parallèle est mené entre la Passion du Christ et le martyr subi par les saints, martyr dont le récit porte souvent le nom de Passio. Mais cette mort a été aussi le moment d’une nouvelle naissance, la naissance à la vie éternelle auprès de Dieu. Aussi la date de la mort du saint est-elle son “natalis”, jour de naissance. C'est ce parallèle que les imagiers créateurs des vitraux s'évertuent à souligner en reprenant les mêmes attitudes, la même organisation de l'espace dans les Vies des Saints et dans les Scènes de la Vie du Christ.
La présence réelle des reliques dans les autels garantit la capacité de guérison et de bénéfices lors des pratiques cultuelles car l'activité thaumaturgique est assurée par la présence vivante du saint dans la chapelle qui lui est dédiée et des autels consacrés. «Les bras et les mains figuraient par ailleurs parmi les plus précieuses parties des corps saints après la tête, puisque c'est avec leur bras et leur main que, de leur vivant, les saints accomplissaient les gestes de bénédiction et de guérison, et transmettaient ainsi la virtus divine».
Les vitraux n'assurent pas seulement un rôle de documentation pédagogique pour le fidèle ; il existe une relation étroite entre Lumière et relique, et les vitraux diffusent une lumière sacralisée semblable à celle qui accompagne les théophanies : ils révèlent la virtus divine ici présente. Ils délimitent un espace sacré particulier.
La tapisserie de Protais et Gervais.
Dans la cathédrale du Mans, une tapisserie, tendue à l'intérieur du chœur (hélas déposée et non visible), de Saint Gervais et saint Protais avait été offerte par Martin Guérande en 1509-1510. D'une longueur totale de 30 m, elle comprend cinq pièces de 1,50 m de haut. Ses 17 scènes historiés de la Vie et du Martyre des saints supposaient une dévotion active de la part des fidèles, qui étaient invités à réciter un pater et un ave à chaque pilastre qui la suspendait. Les tituli (légendes inscrits en bas des tapisseries) sont en français, et sont donc destinés au peuple, et non au clergé. Une correspondance peut s'établir entre les tapisseries et les vitraux, entre les tituli et les inscriptions. Cette œuvre montre la réalité et l'importance du culte des deux martyrs au XVIe siècle.
Baie XX.
Baie en plein cintre de 3,10 m de haut et 1,35 m de large, occupant la façade occidentale au sud de la baie centrale.Verrière composite associant l'invention des reliques des saints Gervais et Protais avec le martyre de leurs parents Vital et Valérie. Quatre registres, les deux registres inférieurs à médaillon. Nombreuses restaurations par Steinhell en 1898.
1. Les deux médaillons inférieurs illustrent l'invention des reliques des saints Gervais et Protais.
Ces jumeaux étaient fils de saint Vital de Ravenne et de la bienheureuse Valérie et vivaient au 1er siècle sous le règne de l'empereur Néron. Ce sont des saints martyrs chrétiens fêtés localement le 19 juin. Ayant refusé de sacrifier aux idoles, Gervais fut fouetté jusqu'à la mort. Protais fut suspendu à un chevalet, puis décapité. Un chrétien du nom de Philippe s'empara de leurs deux corps et les fit ensevelir sous une voûte de sa maison. Ensuite, il plaça dans leur cercueil un écrit contenant le récit de leur vie et de leur martyre. Ceci se passait en 57 sous le règne de Néron.
Leur histoire est connue notamment par la Légende dorée de Jacques de Voragine mais les traces scripturaires sont beaucoup plus anciennes.
Le Mans, baie XX, vers 1180 et 1200-1210..
Registre inférieur. Invention des reliques de Gervais et Protais.
Panneau en forme d'amande. Saint Paul apparaît à saint Ambroise et lui révèle l'emplacement du corps des martyrs saint Gervais et Protais.
Titulus de la tapisserie du chœur : "Comment saint Paul, longtemps après, revela a saint Ambroise, lors evesque de Millan, les corps des dictz sainctz afin qu'il les fist lever."
Inscription.
Lettres blanches majoritairement capitales dans un bandeau noir. O en navette.
AMBROSIVS. PAVLVS : Ambrosius ; Paulus : "Ambroise, Paul".
la partie AMBR- et PAVL a été restaurée.
Le Mans, Baie XX, apparition de saint Paul à saint Ambroise. Vers 1180.
Deuxième registre : Saint Ambroise fait procéder aux fouilles.
— Panneau octogonal au centre : deux personnages mitrès (évêques ??) pelles en mains découvrent le corps de Gervais et Protais.
— panneau rectangulaire gauche : un évêque surveille la scène précédente ; c'est a priori saint Ambroise évêque de Milan. Ses pieds sont posés sur un sol composés d'une succession d'arcades blanches. En arrière-paln représentation stylisée d'une ville et de ses murailles.
— panneau rectangulaire droit : trois ouvriers. Leur attitude traduit l'excitation curieuse face à la découverte archéologique.
Le Mans, baie XX, Saint Ambroise fait procéder aux fouilles. vers 1180.
Troisième registre : sainte Valérie refuse d'adorer les idoles et subit le martyre.
Quatre panneaux rectangulaires.
Sainte Valerie de Milan (Valeria) ( morte vers 60) était la femme de saint Vital de Milan, et la mère de Saint Gervais et saint Protais. Elle a été martyrisée pour avoir enterré des martyrs chrétiens, puis pour avoir refusé de sacrifier aux dieux romains en mangeant la viande du sacrifice (au dieu Sylvain). Il est dit qu'elle était d'une famille noble, et qu'elle avait été baptisée à un âge précoce. Le pape régnant avait ordonné aux prêtres de la région d' organiser neuf decuries, chacune composée de cinq hommes et cinq vierges. Leur devoir était de recueillir les cadavres des chrétiens qui avaient été martyrisés dans le Colisée (Amphithéâtre Flavien) et autres lieux de martyre le jour précédent. Elle a été rouée de coups, ce qui entraîna sa mort deux jours plus tard à Milan. (d'après Wikipédia en anglais)
Une mosaïque représentant Valeria apparaît dans la Basilique Saint-Apollinaire à Ravenne. Une église qui lui est dédiée à Milan a été détruit en 1786.
Le vitrail semble comporter deux scènes symétriques :A droite,Valérie, tête voilée, refuse de manger un animal que lui présente un homme, accompagné de deux autres. La bête, cornue, sort d'une vasque, suggérant qu'elle a été offerte en sacrifice à des dieux païens. Un roi ou empereur assis sur une cathèdre dans son palais fait avec la main un geste lui intimant l'ordre d'obtempérer.
A gauche, Valérie, la tête couverte d'une coiffe ou guimpe est battue par trois hommes, alors que, face à elle, un homme tenant une épée sort par la porte d'une ville.
Cette scène était représentée sur la tapisserie du chœur avec le titulus suivant : "Comment Valerie après le trespas de son mary Vital pour ce qu'elle ne voulait pas adorer les ydolles fut par aucuns paÿens tant batue qu'ilz la cuyderent morte puis fut portée a Millan et la rendit son ame a Dieu"
Inscription.
Dans un cartouche noir, en lettres capitales blanches (mais le R peut évoquer l'onciale) , S VALERIA : Sancta Valeria "Sainte Valérie. A à plateau débordant.
Tapisserie du Mans : Martyre de sainte Valérie : scanné dans 303, Arts recherche et créations, la revue des pays de la Loire 70, encart intérieur pages 187-190
Le Mans, baie XX, sainte Valérie refuse d'adorer les idoles et subit le martyre. Vers 1200-1210.
Registre supérieur : saint Vital jeté dans un puits et lapidé.
Trois panneaux rectangulaires juxtaposés.
Titulus de la tapisserie du chœur :
"Comment Vital a cause de ladicte exortacion par le commandement de Nero fu tiré en travail et depuis enfouy tout vif par le conseil du pretre des ydolles lequel pretre le dyable emporta visiblement."
A gauche, il est placé vivant dans un puits. la main de Dieu sort des nuées pour lui assurer sa bénédiction. A droite, il est lapidé.
Vital est le saint patron de la ville de Ravenne. La basilique de Ravenne consacrée le 17 mai 548, est dédié non seulement à S. Vitale mais aussi à ses enfants Gervais et Protais. Dans les mosaïques de S. Apollinare Nuovo, ils sont représentés tous les quatre .
Inscription.
Dans un bandeau noir, en lettres capitales blanches : S VITALIS : Sanctus Vitalis, "Saint Vital". La lettre S est barrée pour signifier l'abréviation S[anctus].
Tapisserie du Mans : Martyre de saint Vital : scanné dans 303, Arts recherche et créations, la revue des pays de la Loire 70, encart intérieur pages 187-190
Baie XX, Martyre de saint Vital. Vers 1200-1210.
ANNEXE.
Copié-collé du site http://nouvl.evangelisation.free.fr/gervais_et_protais.htm
"La vie et le martyre des bienheureux frères Gervais et Protais sera prise d'une épitre que saint Ambroise, archevêque de Milan et docteur de l'Église, écrivit aux évêques catholiques d'Italie, leur rendant compte de la faveur que Dieu lui avait faite en la découverte des corps des saints martyrs par le moyen d'une révélation qu'il eut.
"Le carême passé, dit ce saint docteur, Dieu m'ayant fait la grâce d'avoir jeûné et d'être compagnon des autres chrétiens qui jeûnèrent, pendant que j'étais en oraison, le sommeil me saisit, de telle sorte pourtant que je n'étais ni éveillé ni endormi : ouvrant donc les yeux, je vis deux jeunes hommes vêtus de robes plus blanches que la neige, qui étaient en oraison les mains étendues. Comme j'étais assoupi, je ne pus leur parler, jusqu'à ce que m'étant bien réveillé, cette vision disparut. J'eus recours à Dieu et le suppliai que si c'était une illusion diabolique, il la rejetât loin de moi; mais que si c'était une révélation, il lui plût de me la manifester : et afin d'obtenir cette faveur de la Majesté divine, je redoublai mon jeûne.
Une autre nuit les mêmes jeunes hommes m'apparurent en la même façon que la première fois : et la troisième nuit, étant bien éveillé, parce que le jeûne m'empêchait de dormir, ils se représentèrent à moi, et avec eux une autre personne vénérable, qui ressemblait de visage à saint Paul, dont j'avais un portrait chez moi. Eux se taisant, le vieillard me parla en cette sorte : Voici ceux qui suivant mes remontrances ont méprisé les richesses, les héritages et les biens de la terre, dont ils n'ont rien prétendu pour imiter Jésus-Christ; ils ont persévéré dix ans continuels en cette ville de Milan au service de Dieu, avec tant de ferveur, qu'ils ont mérité la couronne du martyre. Leurs corps tout ici où tu es. Tu bêcheras douze pieds en terre, puis tu trouveras un coffre couvert, où sont leurs corps ; tire-le et le mets en un lieu éminent et honorable, et fais construire une église au nom de ces saints.
Je lui demandai leur nom et il me répondit : Tu trouveras un papier à leur chevet, et la révélation de ce qu'ils ont été dès le commencement jusqu'à la fin de leur vie.
Je convoquai tous mes frères, les évêques circonvoisins, et leur rendis compte de ce que j'avais vu; puis, prenant le premier un hoyau, je commençai à fouiller la terre ; et les autres firent comme moi, en sorte que nous trouvâmes le coffre que le saint apôtre nous avait dit. Nous l'ouvrîmes, et vîmes les saints aussi frais, leurs corps aussi vifs et aussi colorés que si on n'eût fait que de les y mettre alors. Il en sortait une très-suave odeur, et le papier qui fut trouvé sous leur chevet était écrit en ces termes-ci :
« J'ai, Philippe, serviteur de Jésus-Christ, assisté de mon fils, dérobé les corps de ces saints et les ai ensevelis dans ma maison. Leur mère s'appelait Valérie, et leur père Vital. Ils naquirent d'une même couche et furent nommés Gervais et Protais. Leurs parents, saint Vital, martyr, et sainte Valérie étant décédés, après avoir hérité de tous leurs biens, ils vendirent la propre maison où ils étaient nés, avec tous leurs autres biens, et en distribuèrent l'argent aux pauvres, ainsi qu'à leurs esclaves, auxquels ils donnèrent la liberté ; puis, s'étant enfermés en une chambre pour s'adonner à la lecture et à l'oraison, ils y demeurèrent dix ans, ne vaquant à autre chose qu'à servir Dieu, et, le onzième, ils acquirent la couronne du martyre.
En ce temps-là, un comte, nommé Astase, allait à la guerre contre les Marcomans (qui sont les peuples de la Moravie). Les prêtres, sortant de leurs temples au-devant de lui, lui dirent que s'il voulait remporter la victoire de ses ennemis, il contraignit Gervais et Protais, qui étaient chrétiens, de sacrifier aux dieux immortels, qui étaient irrités contre eux, à cause qu'ils leur dévoient l'adoration qui leur était due; qu'à cause de cela ils ne voulaient plus répondre à leurs demandes, ni départir aux peuples la faveur ordinaire de leurs oracles.
« Astase les fit chercher, et les ayant fait venir devant lui, il les pria qu'ils lui accordent ce contentement, et lui fissent ce plaisir de sacrifier aux dieux avec lui, pour le bon succès de son expédition, afin qu'il pût mettre fin à cette guerre comme il désirait, et que la victoire qu'il espérait de remporter fût célèbre par tout l'empire romain. Gervais lui répondit : La victoire, ô Astase ! se donne par le vrai Dieu du ciel; c'est de lui que vous devez espérer, et non de ces vaines statues de vos dieux, qui ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et n'entendent point, un nez et ne flairent point, une bouche sans parler, des pieds sans se remuer, et qui n'ont esprit, ni vie, ni respiration.
« Astase ne prit pas plaisir à ce discours si hardi de Gervais : il le fit fouetter sur-le-champ avec des cordes plombées jusqu'à ce qu'il expirât. Gervais en ce tourment rendit son âme à Dieu.
Après avoir fait enlever de là son saint corps, Astase fit appeler Protais et lui dit : Malheureux, prends garde à toi, ne sois pas si fol que ton frère.
« Protais lui répondit : Qui est le plus misérable de nous deux, de toi qui me crains, ou de moi qui ne te crains en rien?
« — En quoi te crains-je, dit Astase, pauvre infortune!
« — Si tu ne me craignais point, dit le saint, tu ne me presserais pas si fort de sacrifier à tes dieux, et ne croirais pas que si je ne le fais, il t'en arrivera quelque perte dommageable. Mais parce que je ne te redoute aucunement, je ne me soucie pas de tes menaces, et ne fais non plus d'état de tes dieux que de la boue. J'adore ce seul Dieu qui règne aux deux.
« Astase, entendant cela, le fit battre avec des bâtons de nœuds, et après qu'il l'eut longtemps battu, il le lit lever, et lui dit : Protais, pourquoi es-tu si superbe et si rebelle? Tu veux mourir comme ton frère ?
« Le saint martyr répondit doucement : Je ne me fâche pas contre toi, Astase ! parce que je vois l'aveuglement de ton cœur, qui ne le permet pas de regarder les choses qui sont de Dieu. J'ai appris de Jésus-Christ qu'il ne dit pas un seul mot contre ceux qui le crucifiaient; au contraire, il pria son Père de leur pardonner, d'autant qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Et moi, suivant cet exemple, ô comte Astase! J’ai grande compassion de ce que lu ne sais peu ce que tu fais. Achève, je te prie, ce que tu as commencé, afin que je puisse jouir, conjointement avec mon frère Gervais, de la présence de Jésus-Christ.
« Le comte lui fit trancher la tête : et moi, Philippe, serviteur de Jésus-Christ, avec mon fils, je pris secrètement la nuit les corps de ces saints jumeaux, et les emportai en mon logis, où, n'ayant que Dieu pour témoin, je les mis en une auge de pierre que j'enterrai en ce lieu, espérant par leur intercession d'obtenir miséricorde de Notre-Seigneur, qui avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne aux siècles des siècles. -
"Voilà les termes de la lettre que saint Ambroise écrivit aux évêques d'Italie. Il en écrivit aussi une autre à sa sœur, où il lui mande que les corps des deux saints qu'il trouva étaient fort grands et d'une merveilleuse stature : et que, quand on les transporta en l'église Ambrosienne, ils guérirent un aveugle. Il envoya encore à sa sœur deux sermons qu'il prêcha à tout le peuple de Milan, où il rapporta plusieurs miracles que Dieu avait opérés par eux; il y reprend les hérétiques ariens, qui ne le croyaient pas, se montrant plus obstinés que les diables mêmes, qui étaient chassés des corps par la vertu des reliques de ces saints frères, et confessaient être tellement tourmentés en leur présence, qu'ils n'y pouvaient demeurer.
"Saint Augustin était à Milan lorsque les corps de ces glorieux martyrs furent découverts; et aux livres de la Cité de Dieu, il fait mention d'un aveugle qui recouvra la vue par leur moyen. En ses Confessions, il remarque que Notre-Seigneur fit ces miracles pour réprimer la fureur de l'impératrice Justine, mère de Valentinien le Jeune; laquelle, pour favoriser les ariens, persécutait tellement saint Ambroise, qu'elle prétendait le chasser de son siège et de la ville de Milan. Voici ce qu'en dit saint Augustin :
"En ce même temps vous révélâtes à votre saint prélat l'endroit où étaient enterrés les corps des martyrs Gervais et Protais, que vous aviez préservés tant d'années de la corruption, dans les trésors de votre divin conseil, pour les découvrir à propos, et rembarrer la rage d'une femme et reine mère. Car ces corps ayant été révélés et lires dehors, comme on les portait à l'église de Saint-Ambroise avec beaucoup d'honneur et de respect, les possédés étaient non-seulement délivrés, par la confession des diables mêmes qui les tourmentaient; mais aussi un habitant bien connu en la ville, gui était aveugle il y avait plusieurs années, entendant le bruit et la joie de toute la ville, commença à sauter d'aise, et fit tant qu'on lui permit de toucher avec son mouchoir le cercueil de vos saints, dont la mort est précieuse en votre divine présence. L'ayant touché, il mit le linge sur ses yeux, qui furent aussitôt ouverts. Le bruit de ce miracle se répandit incontinent par toute la ville, qui se mit à chanter vos louanges et à brûler de votre amour : et le courage de lu méchante impératrice, encore qu'elle ne s'en convertît ni ne s'amendât pas fut ébranlé et détourné de la persécution de votre serviteur, et sa fureur fut apaisée."
"Saint Grégoire de Tours écrit avoir ouï dire, que, comme l'on faisait la translation des corps de ces deuxsaints, pendant que l'on chantait la messe en l'église, il tomba un ais du haut de la voûte, qui donna sur les tètes des saints, lesquelles jetèrent un ruisseau de sang qui rougit les deux linceuls dont ils étaient enveloppés; que l'on en recueillit en quantité; de sorte que plusieurs églises de France furent enrichies de leurs reliques, et que le bienheureux saint Martin en eut une bonne partie, ainsi que l'écrit saint Paulin en une épitre. Saint Grégoire dit qu'il le rapporte exprès, parce que cela n'était pas écrit en l'histoire de leur martyre.
"Il est certain qu'une illustre dame, nommée Vestiane, leur fit bâtir une église, qui fut dédiée par le Pape Innocent Ier, dont saint Grégoire fait mention. Saint Gaudence, évêque de Bresse, et saint Paulin, évêque de Noie, en firent bâtir d'autres et y mirent des reliques de ces saints. On en emporta jusqu'en Afrique, comme dit saint Augustin. Leur martyre arriva le 19 de juin, jour où l'Église célèbre leur fête."
SOURCES ET LIENS.
— photo Rmn : http://www.photo.rmn.fr/archive/13-598967-2C6NU0LGRY9L.html
— photo Rmn : http://www.lrmh.culture.fr/cgi-bin/qtp?typge=LREP&base=image&opimp=et&lang=fr&pp=1&dp=5&maxref=5&qmodu=EXT&tref=.R28+.R10&quest=[Baie+XX,.R62]&cpres=0
— tapisserie Musée de Lyon: http://www.mba-lyon.fr/mba/sections/fr/collections-musee/peintures/oeuvres-peintures/xviie_siecle/champaigne-reliques?b_start:int=10
— Gervais et Protais dans les églises de la Sarthe :
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