La chapelle Saint-Guénolé (ou de Trolez, anciennement Trefflez) à Briec (29).
Vous révez d'une petite chapelle de la campagne bretonne, dans son vallon...d'une vieille barrière devant un paysage à la Gauguin... d'un Christ presque jaune... ?
J'avais, dans la fièvre qui me saisit lors des Journées du Patrimoine pour cumuler les visites, cherché autour du bourg de Briec une chapelle nommé -drôlement- "Trolez" (le tour du champ ?) j'avais quitté la route pour m' engager sur un chemin de terre entre deux hauts champs de maïs, encore inquiet de perdre mon temps sur une fausse piste, et puis, soudain, le temps s'est arrété.
J'avais devant moi la plus adorable chapelle, paisiblement accroupie au creux de son enclos, attendrissante par la douceur de ses formes, la chaleur de ses pierres et le camaieu de ses ardoises.
Le clocheton avec sa chambre de cloches à baie simple et sa petite flèche octogonale paraissait d'autant plus accessible qu'un escalier courait le long du pignon occidental. Au flanc sud de la nef, la fenêtre à pignon orné d'un fleuron, de crochets et d'une crossette à figure de femme attirait le regard. En couverture de la sacristie à cinq pans, le bel éventail du toit avait la grâce d'une ombrelle.
A gauche, la Croix-calvaire m'attendait depuis le XVIè siècle, avec ses trois degrés, son socle à chanfrein dont la longue inscription conservait son mystère, son fût à consoles et sous la croix à branches rondes et fleurons-boules, deux saints prenaient appui sur un socle anthropomorphe. Le tic-tac de ma montre s'était transformé en de fluides mélodies, et je détaillais, captivé, les indices d'une enquête qui débutait. Qui était ce saint ? Le Guide de Maurice Dilasser m'y décrivait les statues de saint Guénolé et d'un moine (saint Antoine?), mais le grand chapeau et le bourdon amputé m'évoquait saint Jacques. J'ignorais encore que son double m'attendait.
L'autre face était à l'ombre, mais le saint imberbe, aux cheveux longs tenait un livre (ah, saint Jean ?) et un bâton (ah, non). Serait-ce Guénolé ?
A droite, je jetais un coup d'œil rapide à la stèle christianisée de deux mètres : ah, les bonnes ondes du lieu avaient déjà conquis nos prédecesseurs !
En fait, ce qui m'attirait, c'était de franchir la petite porte cintrée et de découvrir l'intérieur.
Avant même de m' habituer à la pénombre relative, je vis, assis sur un banc, un homme long qui portait sa bretonnitude sur la figure ; il avait devant lui un gateau breton que son épouse avait sorti ce matin du four et il en proposait un morceau aux visiteurs au nom de l'Association des Amis de la Chapelle Saint-Guénolé. En ce saint lieu, la patisserie n'avait rien bien-sûr d'un étouffe-chrétien, mais néanmoins une verre de café vous était proposé pour l'arroser. Gentil, non ?
Mais notre hôte était en train de raconter le pélerinage qu'il avait réalisé à Saint-Jacques-de-Compostelle. Et il me désigna le coin gauche du chœur .
Là, je reconnus sur une console Monsieur Saint Jacques, un sosie de la statue de la Croix de placître.
Le socle portait l'inscription gothique S:JACOBE (et non S. JACOB~S Sanctus Jacobus indiqué par Dilasser), mais la pèlerine —ou du moins le manteau—, le bourdon, le chapeau et la besace portant la coquille emblématique permettaient d'identifier facilement le saint. Je crois même que le chapeau porte aussi de chaque coté de la coquille les bourdonnets (apparus dans la tenue du Jacquet au XVe), ces petits bâtons taillés en forme de bourdon.
La console porte en belle graphie gothique l'inscription : LAN:MIL:Vcc:XL:IX :
...qui indique la date de 1549. Nous sommes donc sous le régne de Henri II et la Bretagne est réuni à la France depuis 1532. Cette date lapidaire confirme une datation de la chapelle dans la première moitié du XVIe siècle.
Ces socles de pierre posés dans les deux angles du chœur, avec un bord libre suffisament épais (6-8 cm?) pour y inscrire une datation de fondation me semble assez propre au Finistère (une cartographie en serait intéressante) mais certaines ont conservé la niche de bois qu'elles supportaient. Ces niches étaient soit de simples caisses à parois évasées, soit des constructions richement décorées.
Les deux inscriptions semblent de la même main (les deux lettres -a) mais rien n'affirme formellement que ce support a toujours porté cette statue : le doute vient du compte-rendu de la visite du chanoine Abgrall au début du XXe siècle : cet observateur très attentif et scrupuleux ne décrit que les statues de saint Guénolé et de saint Philibert.
Saint Guénolé.
En vis à vis du coté droit du chœur se trouve un autre socle plus modeste et sans inscription, et une autre statue.
Le voilà, le grand saint Guénolé vénéré dans toute la Cornouailles et bien au delà, en tenue d'Abbé de landévennec avec mitre orfrayée. Qu dis-je "orfrayée" ? "Précieuse" plutôt, la plus riche avec ses gemmes, ses cœur floraux d'or sur fond de soie fine ! Celle qui n'est portée que lors des fêtes les plus solennelles.
Comme la plupart des saints-abbés et saints-évêque, Guénolé a perdu sa crosse abatiale depuis longtemps et, sans hampe, ce qui en reste n'a guère d'allure. Mais sa chape (le terme de "pluvial" est particulièrement adapté ici) est somptueuse : verte, elle est orfrayée d'étoffe rouge ponctuée de pièces d'or et fermée par une "agraphe" cruciforme. En dessous, on voit une chasuble à encollure ras-du-cou vert-bleu très finement damassée, et toute frangée d'or dans sa partie basse. Le long surplis n'apparaît qu'au dessus des pieds, ou plutôt des pantoufles de cérémonie. Le saint tient un codex, relié certainement en cuir ; cinq quatrelobes d'or y sont fixés, et le fermoir est également en or.
Vous partez ? Vous oubliez de regarder le pouce gauche de l'Abbé, et la bague portée par sa première phalange. Les mains sont certainement gantées, et un indice permet de l'affirmer : dés l'époque médiévale l'ouverture de ces "chirothèques" (un nom qui fait mon régal), la partie de ces gants qui se situe au poignet, s'évasait en une sorte de brassard où pendait un gland ; or, ce gland rouge est visible sous la main droite.
Pour l'instant, c'était du gateau (Breton), mais cela se Corse avec cette inscription dont personne n'a proposé d'interprétation. Rien ne s'oppose à ce que j'aille m'y casser les dents moi aussi. Cela ressemble à une écriture gothique textura, avec ses futs épais, ses empattements en losange des jambages et ses ascendantes fourchues, mais on note l'absence des double-points de l'inscription précédente, et l'association avec des lettres courbes. (ne vous laissez pas abusé par mon verbiage, je n'y connais rien et je me débrouille ici avec mon couteau-suisse). La partie en ombre débute-t-elle par un d ? La première lettre de la partie éclairée est un -l, suivie d'un -n, puis d'un c dans lequel s'inscrit un -t, suivi d'un -o, d'un -u et d'une lettre bizarre suivie encore d'une sorte d'abréviation qui peut remplacer -us.
Et mon tout, c'est ??? "dmo lnctou?us." qui ne veur rien dire. Je passe la main au candidat suivant.
Je n'avais encore rien vu car, au dessus de la porte de la sacristie, m'attend une inscription plus corsée encore que le café qui m'a été offert et dont je commence à comprendre la nécessité :
Aie aïe aïe ! E.T téléphone maison -E.T téléphone maison...allo allo ? allo ?
D'accord, il y a la date de 1636, correspondant à la construction de la sacristie. Sous Louis XIII.
Mais sinon, ce sont des lettres lancées pêle-mêle : grandes lettres comme un L, I ou K, E . Lettres moyennes comme le R. petites lettres comme le D, S, O et C.
Qui connaît le nom du fabricien de Trefflez en 1636 ?
Ruminant l'amertume de mes échecs, je passe à l'œuvre voisine, en bois polychrome : une Adoration des mages du XVIe siècle, pleine de couleur et de naïveté, qui vient d'être restaurée : c'est bien-sûr le fragment d'un ensemble plus complet, et je suggère de voir Joseph dans le personnage barbu placé derrière la Vierge. Il manque alors un des trois rois. C'est un tableau surprenant par le caractère longiligne des personnages, par le coté naïf de leurs traits, mais si on observe Melchior (le mage le plus agé, qui offre l'or, et qui est à genoux), on remarque un collier en chaînons rectangulaires assez caractéristique. Les deux chapeaux sont également assez remarquables, rappellant celui de Charles VII dans son protrait par Fouquet en 1450. Influence flamande ou bourguignonne ?
Charles VII ; Louis XI et son chapeau de bièvre (castor) entouré de médailles
Une énigme : les deux mains gauches du roi mage bleu.
Si on regarde bien, on constate que la main droite du mage bleu est en réalité une main gauche. Est-ce une maladresse de l'artiste, ou bien, et cela semble soudain très logique, cette main ne serait-elle pas celle du troisième mage présentant lui aussi son offrande. Nous aurions ainsi Melchior prosterné offrant son or, Gaspard en bleu tendant sa coupe pleine d'encens de la main gauche, et, à l'extrème gauche, "hors champ", Balthasar dont seule la main gauche tenant le vase de myrrhe serait visible, passant devant le ventre de Gaspard. Comme il serait intéressant de disposer d'une photographie plus ancienne !
Précisément, Yves Le Cœur a pris, en 1996, une photographie de ce panneau, et c'est lui qui m'a fait remarquer ces deux mains gauches révélatrices de l'ancienne présence de Balthasar. A l'époque, une restauration dévouée avait fourni à Gaspard un bras droit à la manche plissée qui tentait de raccorder cette main ectopique et de la lui attribuer, mais on voit bien que cette manche factice n'est pas cohérente avec la pélerine du roi, aussi a-t-elle été ôtée lors de la dernière restautation.
Voilà, j'ai terminé mon tour des plus belles pièces de la chapelle, et je peux prendre un peu de recul, admirant la charpente avec poutres transversales, qui n'est pas dissimulée par un lambris.
Trefflez : de l'ancien breton treb- "village" et -les, "château".
La chapelle Saint-Guénolé, dite aussi de Trolez, anciennement Trefflez, située à 3 kilomètres sud de l'église de Briec était l'église tréviale de Landrévarzec avant l'érection de Landrévarzec en paroisse et le rattachement de Trefflez à Briec. Elle avait fonds baptismaux (datés de 1642) et cimetière et porte la date de 1636 au dessus de la porte intérieure de la sacristie. Mais en nos chapelles, les sacristies ont été ajoutées au flanc sud-est des édifices après le Concile de Trente et la chapelle daterait elle-même de 1520-1550. Elle est de plan rectangulaire avec bas-coté nord de deux travées sur la moitié de la longueur. Les deux arcades en tiers-point du bas-coté pénètrent directement dans le pilier central cylindrique.
On remarque les deux autels en pierre de taille avec sur le maître-autel un tabernacle à quatre colonnettes dont la porte est ornée d'un Christ (? St Jean ?) portant livre et calice, et dans le mur latéral nord du chœur, un sacraire (niche fermée où le Saint-Sacrement était conservé, jusqu'au concile de Trente qui a imposé d'y substituer le tabernacle).
Les Fonts baptismaux sont en granit, comme les deux Bénitiers dont le plus grand est en forme de calice. Armoire ancienne à la sacristie.
L'importance donné à saint Jacques a pu laisser penser que la chapelle de Trolez était une étape sur le Chemin de Compostelle. J'ai dit que le chanoine Abgrall décrivait seulement deux statues, celle de saint Guénolé et de saint Philibert. M. Dilasser décrit, lui, à la fin du XXe siècle, outre saint Jacques le Majeur, les statues anciennes en pierre polychrome de saint Guénolé dont le socle porte une inscription et celle de saint Philibert avec livre et crosse, puis les statues en bois polychrome du Christ en croix , de saint Laurent , d'un saint prêtre en chasuble (Mathurin?) et, au presbytère, deux Vierges Marie, saint Sébastien, saint évêque.
Copié-collé :
...La fête patronale s'y célèbre le 4ème Dimanche de Juillet. On y honore saint Guénolé et saint Philibert, et les pèlerins demandent la guérison des maux d'estomac. La chapelle, qui n'a qu'un seul autel, et conserve encore son baptistère et son cimetière, porte la date de 1636...
...Trefflez, donnée par Gradlon à Landévennec avec d'autres terres en échange du privilège d'être enterré à Landevennec, relevait avec Landrévarzec de cette abbaye qui avait droit de présenter à ce bénéfice. ..
..."Le Cartulaire de Landévennec nous apprend que le roi Gradlon, à l'occasion de la mort de son fils Rivelen, donna à saint Guénolé de Landévennec, en Brithiac, trois trefs de sa propriété appelée Guodmoch : Tref Les et sept villages, Solt Gneuer, Tref Bugdual, Tref Marchoc et sept villages, Caer Gurhouen, Pen Hischin, Busitt, Lan Hoedleian, Chnech Crasuc, Sulian, Lisi, an Laedti, Ludre Sirfic, Caer Deuc, Bot Tahauc, Tref Cann, sept villages et une parcelle do terre in Moelian. La plupart de ces noms de terre existent encore.
Au XIème siècle, le consul Hoël donna à saint Corentin la terre de Bremuden, en Briziec, et, en 1220, l'évêque Renaud confirma la donation de la paroisse faite par ses prédécesseurs au Chapitre. Le 18 Octobre 1249 (Cart. 56, f° 3), intervenait un accord entre le Chapitre et l'abbé de Landévennec qui restituait les droits paroissiaux injustement enlevés au Chapitre, en Briec, sur les terres de Brenmoden, Kerigou, Kerdifed, Caergoloff, Caerloduic, Moustaer, Berrentguent,Tamgadou, Kervidou, Runlaharon, Guetheloc, Lennoloc, Kenecrasoc, et sur toute la terre de Tréflès. ".....
Conclusion :
On aura compris que cet article exprime toute ma gratitude pour l'accueil reçu le 21 septembre 2014 lors des Journées du Patrimoine et mon admiration pour le travail réalisé par l'Association des Amis de la chapelle de Saint-Guénolé.
Sources et liens.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2076654/f220.image