Les bannières, c'est comme les papillons. Le Grand Pardon de Kerdévot.
I. Les bannières d'Ergué-Gabéric.
Lorsqu'en avril dernier j'ai découvert dans l'église d'Ergué-Gabéric, ouverte à mon intention mais sombre, déserte et froide encore au début d'un timide printemps, les bannières de la paroisse adossées aux murs, Les bannières de la paroisse d'Ergué-Gabéric (29) : Tonkin!, j'étais comme un entomologiste découvrant dans un Cabinet de curiosité les tiroirs d'une collection de lépidoptère et s'émerveillant devant des espèces rares ou non encore décrites : passionnantes, certes, mais poussièreuses, à demi-grises . Mortes entre quatre épingles.
Imaginez le même chasseur de papillon batifolant le nez au vent et découvrant à la mi-septembre une trentaine d'Azurés Porte-queue (Lampides boeticus) butinant un massif de pois de senteur en compagnie de papillons des paroisses voisines comme la Grisette, l'Azuré de la Bugrane ou le Collier-de-Corail, chacun dans son costume aux couleurs de son "pays" et certains en couple (le papillophile dit : "in copula"), et d'insectes invités à goûter le nectar nouvellement tiré comme la grosse abeille charpentière Xylocopa violacea, ou la non moins grosse abeille solitaire Megachile maritima.
Ce serait pour lui une toute autre fête.
C'est exactement avec la même fébrilité festive et gourmande incapable de savoir où donner de la tête que je me suis rendu au Pardon de Kerdévot, la chapelle la plus fameuse d'Ergué-Gabric ; elles étaient toutes là, les bannières vertes de Kerdévot ou de Fatima, la bannière rouge de Saint-Michel et celle de Notre-Dame de Kerdévot, la rose bonbon d'Itron Maria Kerdevot, et, bien-sûr, la bannière cerise du Tonkin, accompagnée de formes juvéniles encore blanches pour les petits enfants.
D'abord, elles avaient été rassemblées sur un tréteau où, comme les chevaux du Palio de Sienne avant le départ de la course, elles piaffaient dans l'air chaud de l'après-midi (la Procession était prévue à 15 heures), entourées de leurs équipes qui les étrilaient ou redressaient un ruban, ajustait un flot de cannetilles rebelles. Et les Jockey se préparaient aussi, fiers d'arborer les couleurs de leur Quartier !
Comme leurs couleurs étaient plus vives ! Comme la Vierge s'était faite belle ! Comme la soie brillait ! Et comme le Jésus battait des mains et riait !
Je découvrais des bannières que je n'avais pas vu, ou dont une face m'était restée cachée : comme cette Anne éducatrice avec son inscription D'HOR MAM SANTEZ ANNA.
Celle-ci est le titre d'un cantique D'hor Mamm Santez Anna / D'an Itron Varia / D'hor Salver benniget / Ni vo fidel bepred "A notre Mère Sainte Anne, à Marie, Notre-Dame, à notre Sauveur béni, nous serons toujours fidèles"
J'en retrouvais d'autres avec l'émotion des retrouvailles, parce que, une seule fois, j'avais planché à en décrypter les énigmes :
Celle-ci, dédiée au Sacré-Cœur en souvenir de la Guerre 1914-1918, était un travail de broderie magnifique :
C'est l'envers de la bannière de Saint-Michel.
Celle-là portait dans sa sobriété toute la souffrance des Prisonniers de la Guerre 1939-1945 :
ERGUE VRAZ ANAOUDEGEZ VAD TUR
FND PRIZONNIER A.P 1945.
"Ergué-Gabéric Reconnaissance éternelle"
C'est l'envers de la bannière de Fatima.
Ah ! Le Tonkin 1885 ! Toute une histoire !
Et la bannière de saint Guinal, que je n'avais pas vu à l'église car elle est l'envers de celle Notre-Dame de Kerdévot :
SANT GUINAL HOR PATRON PEDIT EVIDOMP
"Saint Guinal notre patron Priez pour nous".
La bannière porte, outre les couleurs de la Bretagne, les armoiries d'azur à trois épis de blé d'or, tigés et à la feuille ployée d'argent de Mgr François-Virgile Dubillard (1900-1907). La devise du prelat Deus adjuvat me et son cri Qui seminat in benedictionibus n'y figurent pas.
A droite se trouvent le monogramme CS qui reste à déchiffrer (Christus ?).
En bas, deux initiales P.N. "(probablement N comme Nédélec : La bannière fut l'objet d'une donation de François Nédélec de Kergoant après un vœu d’intercession au début de la dernière guerre mondiale pour la protection des soldats membres de la famille." (grandterrier.net).
L'équipe de porteurs de cette bannière pour 2014 est composée de paroissiens aux noms bien bretons :
Mais lorsque sur le signal d'un maître de cérémonie (le "Fabricien"), elles prirent leur envol, ah mon vieux, quel spectacle ! Poussées par la brise, battant l'air chaud de leurs ailes rutilantes, maintenues avec peine par des manœuvriers qui en tempéraient l'enthousiasme en ajustant leur orientation, elles se poursuivaient avec ferveur, s'inclinaient, bondissaient et parfois, sous l'effet d'un changement de porteur, tressautaient pour mieux repartir dans la danse, engaillardies par un cantique, ennivrées d'encens et de l'odeur mielleuse des cierges et, surtout, ivres de la sève d'une liberté nouvelle.
Les hommes, cette excitation animale et guillerette les génaient, et ils la tempéraient d'une gravité majestueuse et recueillie.
Mais cette gravité n'atteignait ni les jeunes générations, ni les femmes de la commune.
Outre les porteuses de bannières, il y a aussi les porteuses des brancarts des statues de la Vierge.
Les Gabéricois et Gabéricoises ont invité bien-sûr à leur pardon les paroisses de Cornouailles : on y rencontre Elliant, Kerfeunteun avec la nouvelle bannière de Ty-Mamm-Doué, Quimperlé, Pouldavid. Etc...
Quelques photos en pêle-mêle des beaux costumes.