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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 21:06

 

         Le vitrail de l'arbre de Jessé

        de la basilique de Saint-Denis.

 

 

       Après avoir visité de nombreux vitraux bretons ou normands consacrés à l'arbre de Jessé  Le vitrail de l'arbre de Jessé à Férel (56)., je me rends, comme en plerinage, à la basilique de Saint-Denis pour découvrir LE premier vitrail (datant de 1144) qui, comme Jessé lui-même pour les rois de Juda, a été l'ancêtre fondateur de ce thème typologique en matière de verrières.

Image wikipédia http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Basilique_Saint-Denis_chapelle_de_la_Vierge.jpg

  Mais, une fois sur place, je découvre que les vitraux conçus au XIIe siècle ont disparu : des 21 panneaux de cette verrière, certains ont été détruits ou vendus et remplacés au XIXe siècle, et les cinq panneaux d'origine ont été démontés et confiés à un restaurateur en 1997 et remplacés par des films photographiques. Je dois pourtant constater que ces photographies sont bien conçues, fidèles, quoique voilées par un glacis translucide et qu'elles évitent la frustration de trouver un verre blanc ou un contreplaqué de remplacement.

  L'histoire de ce vitrail.

   J'apprends ainsi (cf sources et liens) qu' il ne subsiste à Saint-Denis, des vitraux du XIIe siècle, que cinq  ou neuf verrières ("On possède actuellement à Saint-Denis en éléments certains des six verrières historiées du XIe siècle : Moïse, le vitrail « anagogique » ; l'Arbre de Jessé, l'Enfance, la Passion et la Vie de saint Vincent. En y ajoutant la Vie de saint Benoît dont les fragments sont conservés au Musée de Cluny et à Twycross, et les verrières de la Croisade et de Charlemagne on arrive au nombre de neuf." Grodecki et Bouchon 1995).

 Pourtant dès le XIIe siècle, et de manière exceptionnelle, un maître verrier s'était vu confier l'entretien des précieux vitraux qui avaient coûté plus cher que la construction, en pierre, de l'édifice, tant son concepteur l'abbé Suger (1122-1151) attribuait de l'importance à la lumière, métaphore de la Divinité.  Dans son Liber de rebus in administratione sua gestis, Suger décrit ceci :

  "Nous avons aussi fait peindre, par les mains très expertes de nombreux maîtres de diverses nations, une très belle variété de nouvelles verrières, depuis celle qui commence [la série] ,'l'Arbre de Jessé dans le chevet de l'église jusqu'à celle qui surmonte la principale porte à l'entrée de l'église".

  Tout autour du déambulatoire, sept chapelles rayonnantes recevaient la lumière par deux baies chacune, et la chapelle centrale, ou Chapelle de la Vierge, recevait ainsi deux verrières, consacrées au thème de l'Incarnation : la prophétisation de l'Incarnation virginale dans le vitrail de l'Arbre de Jessé, et, en face, la réalisation de cette Incarnation dans le vitrail de l'Enfance du Christ. On a souligné combien Suger avait veillé à ce que les deux vitraux de chaque chapelle se répondent mutuellement par leur thème et par leur forme, et, pour la Chapelle de la Vierge, comment la tache rouge de la fuite en Égypte répondait, par exemple, au rouge du ciel derrière le Christ du sommet de l'Arbre de Jessé.

 

Mais à la Révolution, en 1793 la basilique de Saint-Denis est dévastée, ses tombeaux détruits ou mutilés, les corps profanés, les autels mis à bas, le trésor emporté dans les creusets. La Convention ordonne de récupérer le plomb des toitures et des vitraux de toutes les églises afin de fournir le métal nécessaire à la fabrication des balles, et la toiture de Saint-Denis est ainsi enlevée en automne 1793, ouvrant l'édifice aux intempéries. Une Commission temporaire des Arts se préoccupe pourtant de protéger les précieux vitraux, et, dans des courriers du 26 septembre et du 1er octobre 1794, signale combien ceux-ci sont intéressants "pour l'art, pour les costumes et pour la chronologie", et combien il est urgent d'en interrompre la destruction. La Commission des Poudres et des Armes répond quelques jours plus tard que les travaux de prélèvement des plombs est désormais stoppée en la basilique, et que les verrières n'avaient subi aucun dommage, ce qui est douteux.

  Quelques semaines plus tard, l'architecte Charles Percier prend des croquis des verrières : sur l'un d'eux figure, avec six autres vitraux, la partie inférieure du vitrail de l'Arbre de Jessé (Jessé endormi) dans son état d'origine :dessin de l'Enfance du Christ et de l'Arbre de Jessé. En 1799 Alexandre Lenoir demande à récupérer les vitraux du déambulatoire pour orner sa salle XIVéme siècle du musée des Monuments français, et démonte et enlève l'Arbre de Jessé. Mais une partie des vitraux sera brisée et une autre vendue. En 1816, les vitraux rescapés reviennent  à Saint-Denis, Debret les fait compléter et restaurer en 1846, puis Viollet-le-Duc, chargé des travaux de restauration de l'abbatiale en 1847 confie à Henri Gérente la réfection des verrières. Celui-ci réalise l'Arbre de Jessé en 1847-1848 mais, après son décès en 1849, c'est son frère Alfred, sculpteur de formation, qui lui succède pour la réfection de l'Enfance du Christ puis des autres vitraux, avant d'être rejoint par Eugène Oudinot.

  Henri François-Thomas Gérente (1814-1849) est donc le maître-verrier auteur de la partie moderne et restaurée de l'Arbre de Jessé. Cet artiste d'origine anglaise et qui avait travaillé en Angleterre aux cathédrale de Canterbury et d'Ely venait d'ouvrir un atelier en France, atelier spécialisé dans les cartons de décorations destinés, notamment, aux verrières. Archéologue et iconographe érudit, il venait de réaliser le carton de la Vie de la Vierge destiné à Notre-Dame-de-la-Couture au Mans, avait travaillé aux verrières du haut-chœur de Saint-Germain-des-Prés, aux verrières d'une chapelle du chœur de la cathédrale Saint-Jean à Lyon, et, son savoir-faire étant partout reconnu, avait été choisi à l'unanimité d'un jury composé de Violet-le-Duc, Lassus et Lusson  en 1847 pour la restauration des vitraux de la Sainte-Chapelle.

 Du vitrail de Suger, Henri Gérente ne récupère que cinq panneaux :un prophète, les deuxièmes et troisième rois, la vierge et le Christ. Les autres ont été détruit ou bien vendu et deux d'entre eux se trouve aujourd'hui l'un, représentant un roi, au musée des beaux art de Lyon  tandis que le second représentant un prophète se trouve en Angleterre remonté sur une verrière de l'église de Wilton.

  D'après Grodecki 1976, "Viollet-le-Duc et Gérente s'éloignèrent délibérement du document qu'ils avaient à leur disposition (le dessin de Precier) et ont inventé pour le registre inférieur des compléments fantaisistes qui ont fait commettre depuis bien des erreurs aux historiens de Saint-Denis. Citons aussi Grodecki et Bouchon 1995 page 24, "La représentation que l'on voit aujourd'hui en bas de la verrière est entièrement moderne, fort différente de celle qui se trouvait à cet emplacement avant 1799 et que nous fait connaître le dessin de Percier. Le père de David était étendu, s'appuyant sur son avant-bras droit, la tête tournée à gauche, les pieds vers la droite. Il semblerait que le dessin représente un personnage entièrement nu, mais cela doit être une interprétation abusive du croquis. De la figure couchée jaillit le tronc de l' arbre. Un dais architectural fort riche est figuré au dessus de Jessé. : sur un soubassement, deux colonnettes à chapiteaux à feuillage et à fûts torsadés supportent un entablement qui s'incurve derrière le tronc de l' arbre, telle une niche ; à cet entablement est fixée une draperie, dont la partie droite retombe verticalement, et, près du tronc de l'arbre, une lampe est suspendue. La composition actuelle, imitée de celle de Chartres, ne reproduit rien de tout cela."

 

Le vitrail de l'Arbre de Jessé, description.


Ces restaurations ne permettent pas de partir d'un terrain très solide pour tenter de comprendre ce que Suger a voulu exprimer en plaçant ce vitrail en place d'honneur. Commençons néanmoins par le décrire dans son état actuel. Il s'agit d'une baie en forme de lancette ogivale de 5,10 m de haut divisée par les barlotières en 21 panneaux, ceux-ci s'organisant en trois ensembles verticaux. Les couleurs, pour autant qu'on puisse en juger, sont le bleu, qui domine ; le rouge, placé aux deux extrémités, dans les médaillons et pour des détails comme le cœur des fleurs ; le vieux rose des visages et des chairs, des rinceaux ou d'étoffes ; le vert réservé aux prophètes ou aux détails ; le violet ; le jaune ; et le blanc. La grisaille est surtout utilisé pour les traits des visages, les plis des vêtement, et les lignes de la végétation.

 

— Registre inférieur.

Jessé est couché au centre. Deux prophètes devaient l'encadrer. Nous voyons aujourd'hui à gauche un personnage assis à son pupitre, en train d'écrire (les lettres GEN, comme Genèse peut-être, sont lisibles) alors qu'un ange lui dicte son inspiration. Faute d'inscription, cela peut être un évangéliste (saint Matthieu auteur de l'une des deux généalogies du Christ avec celle de Luc), ou saint Jérôme traduisant la Bible, ou un prophète.


 A la base de ce panneau 1a se déchiffre le texte suivant : Inscription Hanc fenestram ab antiquis fenestris instauravit A. Gerente ann.1848,  cette baie a été érigée par A. Gérente durant l'année 1848. C'est donc Alfred Gérente qui apposa sa signature et non son frère Henri, sans que je ne connaisse la raison de ce fait.

   De l'autre coté (panneau 1c), un autre personnage en robe verte présente une colonne sculptée de trois rois échelonnés dans des rinceaux entrelacés. Il est surmonté par une inscription le désignant comme SUGERIVSABAS, l'abbé Suger.

  (Cette inscription est décrite au XVIIIe siècle sous la forme Suger Abbas (en 1706 par Michel Félibien ou en 1713), mais  c'est dans le trésor de Saint-Denis qu'on la trouvait, sur le calice de l'Abbé Suger :"la coupe du Calice est d'une agathe orientale ; la garniture sur laquelle est écrit  Suger Abbas  est de vermeil enrichie  de pierreries"  Antoine-Martial Le Fèvre, Description des curiosités des églises de Paris et des environs.1759 page 113.)

  Le motif des rois au sein d'un réseau rappelle celui dont Percier et Lenoir ont donné une illustration à la page 63 de leur Monuments français sous le titre Peinture sur verre du XIIIe siècle, Arabesque de l'abbaye de Saint-Denis. et décrit comme le Père Éternel assis sur l'arbre de vie.

 Ce panneau avec cette inscription est donc une initiative de Viollet-le-Duc, qui rendit ainsi hommage à l'abbé Suger en le représentant, comme un donateur, tenant son vitrail de Jessé entre les mains. Plus précisément, l'inscription SVGERIVS ABAS se trouvait auparavant placé (décrit en 1781 par J. E. Bertrand Descriptions des arts et métiers, Volume 13 et en 1844 (Revue archéologique vol.1 p. 607) sur le panneau de l'Annonciation du vitrail de l'Enfance, au dessus de la tête de Suger, entre la Vierge et l'Ange, et l'abbé avec sa crosse semblait alors "lui rendre grâce pour la protection qu'ellle a accordé à l'édification de la basilique".

 

  La figure de Jessé est, je l'ai dit, une création de Viollet-le-Duc et de Gérente copiant le vitrail de la cathédrale de Chartres. Sous un arc à double arcade centré par une colonne qui s'avérera être le tronc de l'arbre jesséen. Jessé, coiffé d'un bonnet, est, non pas allongé, mais à demi étendu sur le coté, le tronc redressé à 45°. Sa tête est appuyée sur la main pour faire comprendre qu'il rêve, et de même, une lampe indique qu'il n'est pas endormi. Cette lampe, selon l'équation Lumière = Divin, montre aussi qu'il est pénétré par l'esprit de Dieu, et que son songe est prophétique et annonce le Christ.

   — registres intermédiaires.

Au dessus de ce premier registre, trois autres vont se succéder, construits de la même manière avec une triple division en largeur qui répond à celle du vitrail de l' Enfance du Christ, avec une rangée centrale plus large : un panneau rectangulaire est occupé par un roi dont les pieds et les mains se soutiennent aux branches déployées deux par deux à partir du tronc central, branches qui se terminent en éventail de feuilles ou de fleurs. Ce roi est vêtu d'une robe, d'un manteau, les épaules recouvertes d'un camail, sa tête est coiffé d'une couronne. Il n'est pas nommé et ne porte pas d'attribut d'identification. Son tronc et sa tête s'alignent avec le tronc de l'arbre. Les deux panneaux latéraux comportent un demi-médaillon qui reçoit un prophète, dont le phylactère permettrait peut-être l'identification si je pouvais les déchiffrer (veniat de deratuscunotissancti??, etc...). Nous avons donc un arbre de Jessé à trois rois de Juda, sans pouvoir préciser qui est David.

Dans les demi-médaillons, Grodecki signale que "dans les vêtements du prophète, quelques parties du manteau vert et de la tunique bleue sont authentiques".

— Le cinquième registre est construit de manière identique, mais son panneau central est consacré à la Vierge. Comme les rois, elle est représentée dans une stricte frontalité, le corps aligné avec le tronc de l'arbre, les pieds et les mains posées sur des branches.

— sixième registre.

 Le dernier registre culmine avec le Christ : avec lui, l'arbre s'épanouit en un éventail de neuf branches, dont les deux plus basses s'enroulent sur elles-mêmes en feuilles-fleurs, alors que les sept autres rayonnent vers sept colombes, les sept dons du Saint-Esprit : la Sagesse (au dessus de la tête), Intelligence, Conseil, Force, Science, Piété, Crainte de Dieu.  Six sont mentionnées par Isaïe 11,2. De chaque coté, deux jeunes orants ont pris la place des prophètes du dessous.

 

  L'Arbre de Jessé, compréhension du thème.


  Si Suger n'est pas l'auteur du thème, c'est lui qui l'a illustré dans sa forme complète et quasi définitive, et qui en a donné la première représentation en vitrail. Le thème de l'Arbre de Jessé et l'histoire des éléments précurseurs qui l'ont précédés sont des sujets qui ont été très largement débattus. Je me contente d'en rappeler l'essentiel.

 

 1. La généalogie du Christ.

 Basé sur le texte de l'évangile selon Matthieu Mt1,1-16, il l'illustre en montrant Jessé endormi rêvant de façon prophétique aux générations qu'il va engendrer et qui, selon la prophétie d'Isaïe, va culminer en une Vierge qui enfantera d'un Fils selon l'idée d'un arbre issu de Jessé, portant le rameau (virga) qui est la Vierge et le fleuron (flos) qui est le Christ.

2. Le thème politique : sacralité de la monarchie capétienne.

  Parmi les 32 générations citées par Matthieu d'Abraham à Jésus, le thème n'en retient que douze ou quatorze, les Rois de Juda depuis David fils de Jessé jusqu'à Jéconias, s'interrompant avec la déportation à Babylone et plaçant en exergue l'exercice du pouvoir royal ; à Saint-Denis, trois rois suffisent pour représenter cette filiation royale conduisant vers la divinité. Il est donc tentant de penser que Suger, ministre de Louis VI, a voulu enraciner l'idée que le roi capétien, nouvelle image du Christ sur terre, ne peut être le vassal de personne, sinon du bienheureux Denis. Pour Suger, l'arbre de Jessé est aussi une image idéale de la royauté et une allégorie pour l'arbre généalogique des rois de France symbolisant la charge héréditaire de la couronne.

   Le thème politique a été encore souligné par l'identification par L.Grodecki des figures des prophètes (du moins celles qui sont authentiques) et par la restitution des inscriptions portées sur leurs phylactères, « formule iconographique différente de celle de Chartres, où les prophètes sont nommés et non désignés par leurs prophéties ». L' une d'elles fait allusion à l'onction royale (Samuel) ; l'autre (Nathan) à l'idée royale de continuité (entre la royauté juive et la royauté française?) . 

  On a pu souligner aussi que l'épanouissement de l'arbre reprend dans sa forme celle de la fleur de lys, emblème de la royauté, et que la couleur dominante bleue est aussi la couleur royale des capétiens.

  Enfin Suger voyait la basilique de Saint-Denis comme une réalisation par la royauté de France de ce Temple que les rois de Juda avaient bâti mais qui avait été détruit.

3. Le thème de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance.

Par ce vitrail, Suger, qui entretenait, peut-être dit-on pour bénéficier de leurs contributions financières, d'excellentes relations avec la communauté juive de Saint-Denis, donne à voir ici la continuité entre l'Ancien Testament et le Nouveau, et reprend pour les illustrer tous les travaux des Pères de l'Église qui ont lu les versets de la Bible comme les annonces prophétiques de l'Incarnation.

4. L'Influence de Fulbert de Chartres.

 

Grodecki souligne que Suger emploie pour désigner le vitrail le terme de Stirps Jessé au lieu de virga ou de radix, à l'imitation d'un répons liturgique* dont Fulbert de Chartres était l'auteur et qui était chanté aux fêtes solennelles devant la chapelle de la Vierge lors de la procession qui précédait la grand-messe, répons qui reprenait l'identification de virga et de flos avec la Mère de Dieu et son Fils : il est possible qu'un lien existe entre l'hymne de Fulbert et le vitrail de Suger .

*(Répons) Stirps Jesse Virgam produxit virgaque florem/et super hunc florem requiescit Spiritus almus / (Verset) Virga, Dei Genitrix virgo est ; flos, Filius eius.

 

 5.La technique, et les "saphirs de Suger. 

Les vitraux de saint Denis sont composé de pièce de verres soufflé teinté dans la masse et peints à la grisaille. Les couleurs ne sont pas dues à des pigments peints sur du verre blanc. Les verres bleus teintés dans la masse étaient nommés saphirs par Suger, et celui-ci a écrit qu'il "avait recherché avec soin des faiseurs de vitres et des compositeurs de verres de matières très exquises, à savoir, de saphirs en très grande abondance, qu'ils ont pulvérisés et fondus parmi le verre pour lui donner la couleur d'azur ce qui le ravissait véritablement en admiration ; qu'il avait fait venir à cet effet des nations étrangères les plus subtils et les plus exquis maîtres pour en faire les vitres peintes depuis la chapelle de la sainte-Vierge dans le chevet, jusqu'à celles qui sont au-dessus de la principale porte d'entrée de l'église. Que la dévotion lorsqu'il faisait faire ces vitres étaient si grandes, tant des grands que des petits, qu'il trouvait l'argent en telle abondance dans les troncs, qu'il y en avait quasi assez pour payer les ouvriers au bout de chaque semaine. Il ajoute qu'il avait établi à la tête de cet ouvrage un maître de l'art et des religieux pour surveiller les ouvriers et leur fournir en temps et saison tout ce qui est nécessaire ; lesquelles vitres lui ont coûté, pour l'excellence et rareté des matières dont elles sont composées". Le texte se termine par un beau passage où Suger exprime son admiration (Unde, quia magni constant mirifico opere sumptuque profuso vitri vestiti et saphirorum materiae ) pour la merveilleuse exécution et la somptuosité des verres peints et de la matière des saphirs.

Ce « saphirorum materiae » a fait couler beaucoup d'encre ; bien-entendu, les analyses confirmèrent plus-tard ce que le bon-sens affirmait, étant donné le pouvoir colorant quasi nul du saphir : la couleur était due au cobalt. Percier et Lenoir pensèrent que l'abbé s'était fait gruger par les ouvriers lui vendant au prix de la pierre précieuse le pigment en poudre. Grodecki remarque plus finement qu'une confusion est possible entre le nom médiéval du cobalt, le safre, et le terme latin de saphirum .

   Anne-Françoise Canella -Gemmes, verre coloré, fausses pierres précieuses au Moyen Âge: 2006 Page 304 — précise que le moine Théophile (c'est le premier auteur décrivant les techniques des verriers) employait déjà le terme de saphiri graeci, que chez les égyptiens, le chesbet, souvent traduit par saphir, désignait tout minéral bleu, que ce soit le lapis-lazuli, la poudre d'émaux bleus à base de cobalt ou de cuivre, ou le sulfate de cuivre.   Au XIIéme siècle on importait à grand frais d’Europe centrale du cobalt (d’ailleurs Suger indiquait que pour les vitraux il déboursa plus de 700livre). Pour les autres couleurs on employait des oxydes métallique, de fer pour les pourpres, les jaunes, les verts de cuivre pour les rouges . 

 

      Présentation photographique


                             saint-denis 9548c

 

                 saint-denis 9555v                                                          saint-denis 9557c

 

saint-denis 9549cc

 

 

 Panneau 1a :

                                     saint-denis 9558ccc

 

 

Panneau 1b :

saint-denis 9558cc

 

Panneau 1c

                                    saint-denis 9559cc

 

Deuxième registre : le premier roi et deux prophètes.

— à gauche, Isaïe : inscription ...ET PARIET FILIUM.


saint-denis 9550c

 

Le troisième registre : le roi (David) et deux prophètes : vitrail du XIIe siècle.

— à gauche, Moïse : S. SIMILE MEI...SUSCITABIT DNS : Deuteronome 18,15 : "Il suscitera pour vous un prophète comme moi, issu de votre peuple, l'un de vos compatriotes: écoutez-le".

— on notera, à droite, la main de Dieu qui se pose sur la tête du prophète pour le bénir. On la retrouve sur le registre précédent, et sur les suivants.

 

 

saint-denis 9551c

 

Le quatrième registre : troisième roi et deux prophètes.

saint-denis 9552c

 

      Le cinquième registre : la Vierge-Marie et deux prophètes.

— à gauche : Samuel ? Inscription incomplète EMIT E UNGUEREM IN REGEM,  

que Grodecki  interprète comme venant du 1er Livre des Rois, 15,1 : Et dixit Samuel ad Saül : Me misit Dominus , ut ungerem te in regem super populum ejus Israël : nunc ergo audi vocem Domini, paroles adressées par Samuel à Saül : "Le seigneur m'a envoyé pour vous oindre roi.".

 

saint-denis 9553c

 

 

Sixième registre : le Christ et les sept colombes de l'Esprit.

saint-denis 9554c

 

      Conclusion.

   1. J'espérais, en me rendant à Saint-Denis, trouver des clefs de compréhension du grand mouvement de production de verrières consacrées à l'Arbre de Jessé sur toute la France, à commencer par celle de Chartres l'année suivant l'édification de celui de Suger, pour se poursuivre jusqu'au XVIe siècle principalement. Pour cela, il aurait fallu se baser sur les vitraux d'origine, et non sur les restaurations. D'autre part, il aurait fallu pouvoir déchiffrer les inscriptions portées par les prophètes, ou avoir accès à la publication de Grodecki de 1976 qui en donne semble-t-il le texte.

2. A défaut, je peux néanmoins me forger une certitude : ce vitrail n'a pas comme thème "la généalogie du Christ".

  C'est m'écarter délibérément des lieux communs, et des références de l'évangile de Matthieu auxquelles je ne cesse moi-même de me rapporter ; parce qu'elles  sont quasi-incontournables, elles tendent un piège dont il m'a été difficile de me libérer. Pourtant, il est évident que ce vitrail, parce qu'il mène de Jessé au Christ par Marie, et non par Joseph, ne dresse pas un arbre généalogiquement correct ; plutôt que de contourner cette difficulté en la noyant dans l'à-peu-près de l'interprétation, il faut la regarder en face et s'affranchir de cette idée, en énonçant : ce n'est pas un arbre généalogique.

3. Ce rideau étant écarté, la vrai clef d'interprétation, d'ailleurs bien connue, est théologique : elle découle de l'herméneutique des Pères de l'Église et concerne Marie, vrai sujet du vitrail. Elle affirme la conception virginale de Marie, sa qualité de Vierge, en se basant sur un corpus savant de lectures des textes de l'Ancien Testament et, essentiellement, sur le jeu de mots virga/virgo, rameau (issu de Jessé)/vierge (qui concevra un fils nommé Emmanuel).

 Il s'agit donc aussi de se débarasser d'un stéréotype qui nous à habituer à voir les images ( sculptures des tympans et chapiteaux, statues, verrières) comme un livre d'images didactiques destinées à des fidèles incultes. Outre que toute la liturgie, et même les sermons,dite en latin inaccessible aux soit-disant analphabètes, ne témoigne pas d'une telle préoccupation (qui  est totalement anachronique avec l'esprit du  temps), outre que les images, comme l'a souvent rappelé Daniel Arasse pour les fresques et peintures, soient très éloignées, trop hautes, mal éclairées dans des sanctuaires qui ne disposaient pas de nos lampes electriques, obscurcies par la suie et la patine, ou même placées dans des lieux reservés aux clercs, la simple réflexion amène à comprendre que, pour celui qui s'en tiendrait à l'image seule comme source d'accés aux mystères religieux, elles sont inopérantes. Même si on suppose qu'elles servaient de support pédagogique à des prédicateurs, elles ne sont réellement compréhensibles qu'en s'aidant d'un savoir très spécialisé et de textes nombreux : en témoigne les nombreux volumes que nos experts doivent écrire pour les comprendre actuellement.


      Sources et liens.

 

— Le site Images of medieval art and architecture est particulièrement interessant.

—  Musée des monuments français;: histoire de la peinture sur verre, par Alexandre Lenoir, Charles Percier 1803      (1 sur le saphir et 2 sur l'inscription abbé suger) 

— Émile Mâle :p. 170 http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Iconographie/Emile_Male/12eme.pdf

— Louis Grodecki, Chantal Bouchon,Yolanta Zaäuska  Etudes sur les vitraux de Suger à Saint-Denis (XIIe siècle).: II .Corpus Vitrearum Presses de l'Université Paris Sorbonne 1995

— Marie, fille d'Israël, fille de Sion: communications présentées à la 59e .publié par Jean Longère,Michel Dupuy,Société Française d'Études Mariales p. 172  

— Forum sur les vitraux de saint-Denis :http://saintdenis-tombeaux.forumculture.net/t327-les-vitraux-du-xiiieme-siecle et http://www.pompanon.fr/gallery/451-basilique-saint-denis.html

— M. L. Thérel Cahiers de civilisation médiévale  1963 Volume 6 N°22 pp. 145-158 : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1963_num_6_22_1267

 — Suger et les juifs :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1969_num_24_5_422125

— Pierre Le Vieil L'Art de la peinture sur verre et de la vitrerie, 1774, page 23.

— J.R Johnson, «L' arbre de Jessé Window of Chartres: laudes Regiae », Speculum, vol. XXXVI-1, janvier 1961, pp 1-22 : "l'auteur met en relief l'intention politique exprimée par les vitraux : l'intention de glorifier la royauté française et son caractère sacré se révèle dans la représentation dynastique des ancêtres du Christ assis comme sur un trône courronnés et majestueux" attitude qu'il rapproche des figurations royales sur les sceaux de majesté des capétiens. En outre ils sont distribués sur les branches d'un arbre s'épannouissant en une succession de fleurs de lys, fleur qui vient justement d'être adoptée comme emblème héraldique des rois de France." (in Grodecki )

—  A. Watson, The Early lconography of the Tree of Jesse, Londres, 1934, 

 

 

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