La chapelle de Saint-Philibert (Saint-Drigent) à Crozon.
Située à 3,5 km de Crozon à droite de la route Crozon-Camaret, cette chapelle est tracée suivant un plan en équerre avec une nef et une aile nord portant l'inscription I DANIELOU 1700.
Elle appartient au hameau de Saint-Drigent, laissant penser qu'elle a succéder à un sanctuaire dédié à Sant Ritgen, ou Saint Régent attesté en Côtes d'Armor (Lanrelas).
Un auteur, Xavier...Régent, signale que l'on retrouve traces de ce nom dans des patronymes comme Drigent, Prégent, Régeant, Rihen, Ritgen, Rithen. Je n'ai pu vérifier cette information.
Quoiqu'il en soit, on a substitué à ce saint (évêque ?), peut-être sous l'influence de l'abbaye de Landevennec, saint Philibert, le fondateur de l'abbaye de Jumièges en 654 et de Noirmoutier en 684. En Bretagne, son culte est attesté à Locmariaquer, à Plouay (chapelle ), à Trégunc, à Kervern en Gourin, à Moélan ( chapelle). On trouve sa statue à Pont-de-Buis.
Dans le diocèse de Nantes, l'abbatiale de Saint-Philibert-de-Grandlieu a, un temps, abrité le corps du Saint?
Sur le clocher ont été déchiffrées les dates de 1641 et 1644.
Pour ma part, je lis ....AVEC / E : PA
...(F)ABRIQ 4.4.
Sur cette fenêtre de la façade sud, peut-être A : F
Le clocheton est coiffé d'une sphère ornée de huit boules, évoquant celles qui, sur les fûts des calvaires, sont classiquement comparées à des bubons et interprétées comme une invocation contre la peste.
L'intérieur, du chœur vers la porte ouest : la toiture est lambrissée jusqu'à la poutre de gloire, puis la charpente est laissée apparente. De même, les murs sont blanchis dans le chœur, et en pierre apparente dans la nef.
Le chœur au chevet percé de trois ouvertures.
Un saint-évêque bénissant : on se plaît à y voir saint Drigent.
Statue en bois polychrome du XVIIe, 1,15m.
Saint Philibert.
En tenue d'abbé, dont il tient la crosse, mais sans mitre ni croix, ni chasuble, ni étole. Statue en bois (noyer ?) du XVIIe, naturel et polychrome pour les bras, le livre (rapporté) et le visage.
La poutre de gloire et ses deux statues.
C'est la partie la plus originale de la chapelle, et celle qui m'interesse le plus ; mais, hélas, je ne peux m'appuyer, dans mon effort de compréhension, sur beaucoup de travaux. Les auteurs sur lesquels je m'appuyais (Calvez-Keraudren-Dizerbo) écrivent ceci :
"Sur une poutre de gloire, dans une niche :
1. Saint Morice en soldat. Statue gravement mutilée. XVIIe siècle. Hauteur 0,80 m.
2. Un soldat carapaçonnée. Statut en très mauvais état du XVe ou XVIe siècle. Hauteur 0,80m.
"Il y a en plus sur la poutre de gloire un pélican, une église dans un cercle de 0,20m de diamètre, une église encore qui serait celle de Crozon, au XVIIe siècle".
Discussion.
Je rappele d'abord la définition d'une poutre de gloire (Wikipédia): "Une poutre de gloire est une poutre placée transversalement entre les sommiers d'un arc triomphal (arc de maçonnerie séparant la nef et le chœur d'une église).
La poutre de gloire est ainsi désignée parce qu'elle porte toujours un crucifix, accompagné ou non de statues ou d'ornements en lien avec la Crucifixion (Marie et saint Jean, instruments de la Passion). La poutre peut avoir diverses formes et ornementations : simple poutre rectiligne, ou présentant des courbes et contre-courbes comme à l'époque baroque.
La poutre de gloire est à l'origine du jubé. Quand elle était d'une assez grande longueur, à partir du xiie siècle, on la fit reposer sur des piliers ou des colonnes, qui en vinrent à constituer une nette séparation entre la nef réservée aux fidèles, et le chœur où officiaient les prêtres. Après le concile de Trente, et surtout à partir du XIXe siècle, on a progressivement supprimé les jubés. Les poutres de gloire n'ont donc souvent subsisté que dans des petites églises"
Outre l'intérêt du témoignage historique de la séparation des sanctuaires en deux parties, l'une pour les fidèles, l'autre pour le clergé, cette définition indique la présence constante d'un Christ en Croix au centre de la poutre, Christ qu'il nous faut donc ici imaginer, entre les deux niches. Il faut aussi se souvenir que la scène composée par la Croix et les personnages latéraux était généralement liée à la Passion.
Je signale également qu'il existe deux saints principaux du nom de Maurice : Maurice d'Agaune, martyrisé en 287 en Suisse avec ses soldats de la légion thébaine, et Maurice Duault (1115-1191) abbé de Langonnet puis fondateur de l'abbaye de Clohars-Carnoët, et qui est le Saint Maurice le plus souvent rencontré en Bretagne. Or, ce dernier n'a jamais été soldat, et ce n'est donc pas lui qui est représenté ici.
Maurice d'Agaune est un tribun, un chef de l'armée romaine, qui est le patron des troupes d'infanterie. A la personne de Saint Maurice d'Agaune est reliée une légende, celle du massacre par Maximien de 6500 soldats de la légion thébaine commandés par Maurice, Exupère et Candide, et qui refusèrent de tuer les chrétiens de la région de Martigny, au nord des Alpes.
On peut donc, face à cette statue d'un officier en armure souscrire à l'inscription St Morice (qui a été tracée plus tard) et voir ici un Maurice d'Agaune. Sa place sur la poutre de gloire se justifierait par le martyr qu'il a subi, en imitation de la Passion.
On sait aussi qu'une confusion fréquente associe ce martyr des légionnaires thébains avec celui relatée dans la Légende des Dix mille martyrs. On peut envisager que ces deux soldats soient Saint Acace et l'un de ses compagnons, et que la mention "st Morice" ait été ajoutée tardivement en raison de la fréquence de cette confusion. Le rapport avec la Passion du Christ est alors évidente, puis les Dix mille martyrs ont été crucifiés sur le mont Ararat dans une Imitation scrupuleuse de la Passion. Enfin, ce culte est parfaitement attesté à Crozon depuis le XVIe et XVIIe siècle par le reliquaire et le retable de l'église paroissiale.
La confusion entre Saint Maurice et sa légion, et saint Acace et ses dix mille martyrs crucifiés pour décrire le sujet du retable de Crozon, même si elle relève d'une erreur assez grossière, se retrouve sous la plume de Potier de Courcy (De Rennes à Brest, p. 339), sous celle de Gustave Geoffroy (La Bretagne 1905 page 427), sous celle de cette sommité de l'iconographie qu'est Louis Réau (Mathias Grünewald, 1920 p. 255); elle est en fait quasi constante au XIXe et début XXe siècle : Grande encyclopédie de Dreyfus et Berthelot de 1886, Bulletin archéologique de Saint-Brieuc de 1851 page 20, La Bretagne de 1874, Journal de Route et Lettres de Mission de Jean-François Luzel (édition Fr. Morvan 1994 p. 72), Voyage en Bretagne d'Edouard Vallin de 1859 page 206, Contes et Légendes d'Oscar Michon en 1886, etc...
Elle a même été commise en 1885 par le biographe du Père Maunoir, alors même que celui-ci, dans un canticou de 1671, avait traduit en breton la légende des Dix mille martyrs crucifiés au mont Ararat. En effet, ce biographe, le Pére Séjourné a écrit : "« Les habitants de Crozon avaient honoré longtemps d'un culte particulier les martyrs de la légion thébéenne, dont ils conservent même quelques ossements dans un riche reliquaire. Mais avec les années, ce culte s'était bien affaibli. Pour le ranimer, le P. Maunoir fit représenter à la procession générale de la mission le martyre de St Maurice et de ses glorieux soldats. Leurs reliques y furent solennellement portées. Etait-ce un effet de mirage, était-ce un prodige ? la foule toute entière, et elle se composait de 7 ou 8.000 spectateurs, put voir se reproduire dans les hauteurs du ciel la scène qui se passait sur la terre ; la procession s'y déroulait dans le même ordre et la même majesté. Les Crozonais n'eurent pas de peine à se persuader que c'était là un témoignage évident de la bonté de Dieu à leur égard, et ils accueillirent par des acclamations de joie répétées le spectacle qui s'offrait à leurs yeux. A cette même procession, qui se rendait à la chapelle St Laurent, un sous-diacre, épuisé depuis longtemps par la maladie, dévoré alors par une fièvre ardente, ne voulut jamais céder à personne l'honneur d'y porter la croix et de la porter à jeun. Sa piété en fut bien récompensée, car à partir de ce jour-là, recouvra une santé parfaite » SEJOURNE, Xavier-Auguste, Histoire du Vénérable serviteur de Dieu Julien Maunoir de la Compagnie de Jésus, Paris : H. Oudin, 1895,
Ce passage ayant été transcrit intégralement dans la Notice sur Crozon du Bulletin Diocésain de Quimper des chanoines Abgrall et Peyron en 1907, la confusion pu s'amplifier, d'autant que la première description du retable en 1901 par le Dr Corre n'y met pas un terme.
Il n'est donc pas impossible que cette confusion ait amené un clerc à faire indiquer sur la base de la niche l'inscription St Morice, ou à amener les paroissiens à vénerer ce saint pour participer au culte paroissial des Dix mille martyrs. Tout comme a contrario il n'est pas non plus impossible qu'un premier culte de saint Maurice d'Aguaune et de sa légion se soit transformé en culte des martyrs du mont Ararat.
La cuirasse du soldat anonyme est particulière car elle est fortement bombée devant le thorax, selon une mode limitée dans le temps et propre à la fin du XVIe siècle. Une cuirasse de ce type est représentée sur le retable des Dix mille martyrs, portée par l'un d'eux. Ici, l'armure est complète, avec gorgerin, protection des bras, cuirasse, brigandine, jambière compléte avec solerets sur les pieds. Ce soldat est un officier de haut rang, comme son voisin, ainsi que l'atteste le manteau qu'il porte. C'est un chevalier. Son casque est un indice précieux, car il est mieux conservé que celui de "Morice". Sans être spécialiste, on peut reconnaître la crête et les rebords convexes d'un morion, utilisé au XVI-XVIIe. Tout en mettant en garde sur mon amateurisme, je propose de dater cette tenue des années 1560-1600.
Le pélican est un symbole christique de l'Eucharistie et de la Passion, le pélican, selon la légende du bestiaire mystique, nourrissant ses petits de sa propre chair et de son sang : cela confirme que cette poutre de gloire est dédiée à la Passion.
La poutre est peinte également, dans deux médaillons, de deux vues de ville, qu' il est assez difficile d'identifier.
Le bénitier :
Liens:
http://www.crozon-bretagne.com
Source :
Louis Calvez, Thomas Keraudren Auguste-Hervé Dizerbo, État des églises et chapelles de la Presqu'île de Crozon en 1978.
On déplorera le mauvais état de conservation des statues, déjà constaté en 1978, qui laisse présager une dégradation rapide d'un patrimoine historique et artistique irremplaçable.