La Râtissée Habrosyne pyritoides (Hufnagel, 1766)
Lieu : Plouzané
Date : 11 juillet 2012
Plante hôte : Ronces.
Zoonymie
Hétérocère
Nom scientifique :
Drepanidae, Thyatyrinae
Nom de genre : Habrosyne, Hübner, 1821
L'adjectif grec habros signifie "tendre, doux, délicat", comme dans le terme habrodiaitos qualifiant par exemple Aphrodite, "celle qui vit délicatement"; il intervient dans la construction du nom du rat-chinchilla Abrocome (au poil délicat), ou en zoonymie ornithologique dans la construction du nom de genre Abroscopus, sylviidés d'Asie. Les grecs avaient surnommés Sardanapale "Panabros", "le Tout-délicat, le tout-efféminé". En botanique, les grecs anciens nommaient sous le seul nom d'Habrotonon deux plantes différentes, une Artémisia et une santoline. Parmi les liliacées, l'Habranthus est "une fleur délicate". Citons encore le Kakapo ou perroquet-hibou Strigops habroptila, "à la plume douce".
Habros, c'est bien, mais que veut dire Habrosyne ? A. Maitland Emmet (1991) traduit : du grec habrosune, "splendeur", mais cela laisse de coté des subtilités qui viennent enrichir notre manière d'admirer ce papillon. On peut s'appuyer sur la lecture de l'article de Mario Lombardo, Habrosyne nel habra'nel mondo greco arcaico, Publications de l'École Française de Rome, 1983 pp. 1077-1103, disponible en ligne ici : link, ou bien considérer que habrosyne et habra sont, à l'origine, des notions de valeurs archaïques qui définissent ensemble des goûts aristocratiques associés au luxe, au raffinement, à la délicatesse, à la recherche d'étoffes précieuses, d'objets en or ou de mets gastronomiques, développés initialement au VIIe et VIe siècles chez les Perses ou dans l'aristocratie grecque d'Ionie au contact de l'Orient, mais qui furent rattachés plus tard à des valeurs plus décadentes de mollesse, de licence et de déprédation ou de corruption des moeurs, notamment lorsque, sous la dynastie des Ptolémés, elles en vinrent à participer à une politique ostentatoire d'exhibition des richesses et de prestige social lors de dîners à la Lucullus ou dans des bâtiments. Sous le nom de tryphé, cela devient, après les guerres du Péloponnèse, une valeur négative, s'opposant au mode de vie spartiate pour dénoncer le laxisme ionien puis athénien responsable des défaites, et pour Platon, elle rend compte du déclin des grands foyers de civilisation d'Asie et d'Occident.
On voit que ce mot peut introduire à une découverte passionnante des phénomènes aussi diverses que ceux des dons et contre-dons, des mentalités grecques lors de la colonisation, des phénomènes d'acculturation ou des réflexions sur la "décadence de moeurs". Mais concernant le regard que l'entomologiste peut porter sur ce papillon de nuit nommé Habrosyne pyritoïdes, et sur les raisons historiques qui amenèrent Hübner à le nommer ainsi , il s'enrichira d'y voir un bijou raffiné, un élément d'une parure ornementale alliant les matériaux les plus précieux et d'imaginer les damasquinures ou les glaçures de ce chef-d'oeuvre dans une vitrine de musée, dans son écrin, comme un céladon Goryeo, le gobelet d'or d'un roi Achéménide, un camée en sardonyx au veinage sépia, ou plus près de nous l'oeuf Empire Fabergé en néphrite que Nicolas II offrit un jour à Maria Fedorovna.
C'est dire combien notre nom vernaculaire "la ratissée" est éloigné de ces fastes :
Nom d'espèce : Habrosyne pyritoides (Hufnagel, 1766) Beschreibung einer seltene und besonders schönen Phaläne (Phalaena pyritoides), Berlinisches Magazin, oder gesammlete Schriften und Nachrichten für die Liehaber der Arzneiwissenschaft, Naturgeschichte und der angenhmen Wissenschaften überhaupt 3,(6) [1767]: 560-562. Berlin.
l'épithète pyritoïde signifie "qui ressemble à la pyrite", ce minerai d'éclat métallique doré pâle tirant son nom du grec pyros -lithos, "pierre à feu" en raison de sa capacité à produire des étincelles.
Il fut établi que la pyritoides de Hufnagel était le papillon décrit par Linné dans la 12ème édition du Systema Naturae en 1867 sous le nom de Phalaena derasa.Cet épithète provient du latin derasus, a, um, part. passé du verbe derado, et signifiant "raclé, ratissé".
Nom vernaculaire :
- La Décorcée, 1775, Charles de Villers, Entomologie linnéenne, tome II p.229 n° 220.
- La Râtissée, 1792, Engramelle, Papillons d'Europe peints d'après nature, tome VIII p. 5 n° 530 illustration planche 507. link Ce nom vernaculaire est la traduction du derasa de Linné, et Engramelle l'explique ainsi : " Les ailes supérieures de cette phalène sont ornées de manière très remarquable. La couleur grise qui y domine est tellement coupée de larges lignes blanches qu'elles forment différentes bandes et différentes taches. Une d'entre-elles, triangulaire, placée au bord d'en bas, d'un gris tout uni, a été désignée par Linné comme une partie qui semble rasée, et cette apparence lui a fait donner à la phalène le nom de Deraza." J'avais, pour ma part, cru que ce terme de "ratissée" désignait les zébrures des ailes, semblables à celles qu'un jardinier esthète trace dans le sable des allées, et qu'Engramelle qualifie de chevrons en point de Hongrie.
- Noctuelle ratissée,1827 P.A.J. Duponchel in Godart, Histoire naturelle des lépidoptères ou papillons de France vol.7 partie 1, p. 412 n° 43 link Illustration par Dumesnil, gravée par Tourvaty, Planche CIII p. 13 n° 2 (mâle).
- l'Agathe : on trouve ce nom mentionné de nos jours (site Papillon de Poitou-Charentes). C'est, d'après Engramelle, Fuesly qui nomma ce papillon La Phalène d'Agathe dans son "Magasin Entomologique" (Johann Caspar Füssly, Magazin für die Liebhaber der Entomologie, Zurich, 1778, 4 vol.in-8); et Engramelle approuve en notant que " ce nom désigne bien les dispositions et les nuances des ornements des ailes supérieures". Duponchel écrivait dans la référence précédente que " Cette belle noctuelle, dont la couleur naturelle est d'un blond d'écaille ou d'agathe, est très remarquable par le dessin de ses ailes supérieures.