L'Angeronie du prunier, la Phalène du noisetier Angerona prunaria (Linnaeus, 1758).
Lieu : Plouzané (29)
Date : 11 juillet 2012
Zoonymie.
Geometridae,
tribu Angeronini, Forbes 1948
Nom de genre : Angerona Duponchel, 1829. Histoire naturelle des lépidoptères ou Papillons de France Tome IV p. 181.
C'est donc notre compatriote Philogène Auguste Joseph Duponchel (1774-1846), l'ancien militaire bonapartiste renvoyé à l'étude de ses chers papillons à la Restauration, qui décrivit ce genre en poursuivant la publication de l'Histoire des lépidoptères de Jean-Baptiste Godart. Il s'avisa que Treitschke avait placé dans le genre Ennomos une espèce qui n'avait rien à y faire, et qui en différait trop "par la brièveté de ses pattes, l'absence de toupet frontal, l'échancrure des secondes ailes, la forme des pattes postérieures, la débilité du corps, etc..." Boisduval le replaça à tort parmi les Ennomos, puis reconnut son tort dans son Histoire Naturelle des Insectes après que Herrich-Schoeffer ait rectifié l'erreur.
Il donna à ce genre monospécifique le nom d'une très ancienne déesse de la mythologie romaine. Je découvre avec Wikipédia cette Angerona, une très belle divinité du silence (elle est représentée l'index posé sur la bouche close par un bandeau), silence de la concentration de pensée et de l'effort nécessaire à sa tâche. Car celle-ci est ardue, qui consiste en rien de moins que d'aider le soleil, le jour du solstice d'hiver, à franchir ce passage très étroit qui lui permet de vaincre les ténèbres. C'est un monde de glace et d'effroi qui se dessine dans mon imagination, alors que se conjuguent les sombres mélodies du Winterreise de Schubert avec les souvenirs de récits d'explorateurs tentant de découvrir le Passage du Nord-Ouest. Vaste silence oppressant de l'Arctique. Angoisse. Angoisse de la naissance, lorsque l'enfant traverse le détroit de tous les dangers, et qu'un ange, lui appliquant sur les lèvres un doigt pressant, lui interdit de parler la langue du pays dont il vient.
Puis le premier cri, la déchirure triomphale des brumes, l'éclat des trompettes, le monde renaît, et reprend sa course vers l'été.
L'Angéronie possède la couleur orangée, solaire, radieuse, de ce triomphe tout en conservant encore les traînes persistantes des ténèbres vaincues. Parfois, ses ailes en sont entièrement rayées suivant des lignes concentriques, comme si elle avait abîmée sa peinture en ayant été happée par un vortex. Ou bien, l'ombre brune recouvre plus de la moitié des ailes, en large cadre funèbre comme un faire-part. Mais l'individu que mon objectif a capturé ressemble plus à des mouillettes de pain d'épice trempées dans du café. Il s'agit sans-doute d'un mâle, car ce sont ceux-ci qui ont la chaleur de ton la plus fauve.
Nom d'espèce : Angerona prunaria (Linnaeus, 1758). Systema Naturae p. 520
Linné cite en référence deux anglais, Wilkes (English Moths), et Albin puis Uddmann et ses dissertations : c'est le même Isaac Uddmann que je vient de découvrir en capturant le Tortrix Epiblema uddmanniana
L'épithète prunaria provient de l'une des plantes hôtes le prunus spinosa , seul signalé par Linné, alors que la chenille de cette espèce se nourrit sur le saule, le chêne, la ronce, le lilas le noisetier ou le chêvrefeuille, et bien d'autres encore.
Nom vernaculaire
- Phalène du prunier, ( Geom. prunaria) 1775, Charles de Villers, Encyclopédie linnéenne tome II p. 297 n° 409 et Olivier, Encyclopédie methodique tome 10 p. 87 n° 58.
- Phalène du noisetier (Phal. corylaria), Olivier, Encyclopédie méthodique tome 10 p. 87 n° 59.
- L'Angérone du prunier, 1829, P.A.J. Duponchel in J.B. Godart Histoire naturelle des lépidoptères ou papillons de France, tome VII p. 181, illustration planche 147 fig. 1-4 peinte par Dumesnil.
Sous ce nom d'Angeronie du prunier, Duponchel décrit deux variétés, que certains auteurs avaient considérés comme deux espèces différentes : A. prunaria prunaria, ou Angérone du Prunier (fig. 1&2) et A. prunaria corylaria ou Angérone du coudrier (fig. 3&4)
Dans les deux variétés, le mâle est plus coloré, et plus petit.
La variété la plus commune est prunaria : "Les quatre ailes du mâle prunaria, tant en dessus qu'en dessous sont d'un beau jaune-orangé, et plus ou moins chargées de petites stries noires, avec un croissant, ou plutôt une ligne un peu courbe de cette dernière couleur sur le disque de chacune d'elles, et leur frange entrecoupée de noir. La femelle ne diffère du mâle que parce que chez elle la couleur orangée est remplacée par le jaune d'ocre."
" Le fond de la couleur de la corylaria est le même que chez la précédente, c'est-à-dire orangée chez le mâle et jaune d'ocre chez la femelle, mais ce fond est absorbé en grande partie par une large bande d'un brun-noir qui termine les quatre ailes, ainsi que par une grande tache de même couleur placée à leur base. Dans quelques individus, le noir domine tellement sur les ailes inférieures que l'on n'aperçoit plus que quelques atomes du fond, au milieu."
J'en conclue donc que je n'ai pas attrapé la forme la plus courante, mais bel et bien une Angéronie corylaria, ma chère, et, parmi celles-ci, l'une de celles qui se piquent de ne pas laisser le galon de feutrine noir dissimuler par trop la belle étoffe d'or aux mouchetures sépia. Une forme rare, à rendre jaloux un bas-breton dans sa chupenn brodée.
Nom vernaculaire anglais : Orange Moth
allemand : Schelenspanner
La chenille de l'Angéronie "sort de l'oeuf en septembre, passe l'hiver engourdie sous de la mousse ou dans quelques fentes d'arbre, et n'atteint toute sa croissance que vers la fin de mai de l'année suivante. A cette époque, elle se renferme entre des feuilles, qu'elle attache ensemble par quelques fils et dont elle tapisse l'intérieur d'un léger tissu, pour s'y changer en une chrysalide d'un brun-rouge, avec l'enveloppe des ailes noires ; et le papillon en sort trois semaines après, c'est-à-dire à la fin de juin ou au commencement de juillet" C'est alors que j'interviens, avec mon petit appareil photo, clic-clac, merci Kodak !