Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche (Eure) vers 1552.
Voir ici sur le même thème :
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Cette baie n°14 (3e travée sud des bas-cotés de la nef) est composée de 3 lancettes cintrées et d'un tympan à 2 écoinçons et 3 ajours : haute de 4,50 m et large de 2,30 m, elle a été offerte vers 1552 par le conseiller du roi (alors, Henri II) Jean Le Tellier des Ébreux, en même temps que la baie n°13 de l'Annonciation, qui lui fait face du coté nord.
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Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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Sur une banderole qui court dans la partie supérieure se lit un verset d'Isaïe 63:
Torcular calcavi solus et de gentibus non est vir mecum Isaïe 63:3
En voici la traduction par L. Segond, précédée des versets 1 et 2 : "Qui est celui-ci qui vient d'Édom, De Botsra, en vêtements rouges, En habits éclatants, Et se redressant avec fierté dans la plénitude de sa force? -C'est moi qui ai promis le salut, Qui ai le pouvoir de délivrer. Pourquoi tes habits sont-ils rouges, Et tes vêtements comme les vêtements de celui qui foule dans la cuve? J'ai été seul à fouler au pressoir, Et nul homme d'entre les peuples n'était avec moi."
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Torcular calcavi solus et de gentibus non est vir mecum Isaïe 63
torcular calcavi solus et de gentibus non est vir mecum
calcavi eos in furore meo et conculcavi eos in ira mea et aspersus est sanguis eorum super vestimenta
Qui est celui-ci qui vient d'Édom, De Botsra, en vêtements rouges, En habits éclatants, Et se redressant avec fierté dans la plénitude de sa force? -C'est moi qui ai promis le salut, Qui ai le pouvoir de délivrer. -
2 Pourquoi tes habits sont-ils rouges, Et tes vêtements comme les vêtements de celui qui foule dans la cuve? -
3 J'ai été seul à fouler au pressoir, Et nul homme d'entre les peuples n'était avec moi;
Jean Le Tellier des Ebrieux, grand rapporteur de la Chancellerie de Franc
Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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Le Christ vêtu du manteau rouge de la Résurrection se tient devant la vis d'un pressoir, les pieds sur la margelle de la cuve remplie de raisins. Les plaies de ses mains, de ses pieds et de son flanc ne sont pas visibles, pas plus que le sang qui s'en écoule, mais la transsubstantiation qui relie sang du Christ et vin de l'eucharistie prend ainsi une forme didactique. Le sang/vin s'écoule dans un baquet, et une main (celle du donateur) y remplit une coupe.
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Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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À gauche, on voit une charrette chargée d'un tonneau tirée par un lion et un bœuf (attributs des évangélistes Marc et Luc) et guidée par un aigle et un ange (attributs des évangélistes Jean et Matthieu), ce qui développe une autre lecture allégorique liant le sang du Christ et la Parole, le Logos, le Verbe.
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Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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Le donateur figure accompagné de 12 hommes de son entourage et enfants de sa famille, au-dessus de son écu d'azur à la fasce d'argent. La Revue de Rouen et de Normandie volume 8, 1840 m'apprend que " noble homme et sage maistre Jehan Le Tellier , seigneur des Ebrieux , natif de Conches, [était] grand rapporteur et correcteur des chancelleries de France, maistre des requestes ordinaires de la reine. Son nom et ses qualités sont consignés sur une grande plaque de cuivre gravé, datée de 1553 et encastrée dans la muraille."
Jean le Tellier et les siens, Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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Sa devise Non quam magnis satis non quam satis parvum ["Jamais assez grand, jamais assez petit" ?] et la date de 1552 (restaurée) figurent sur un cartouche.
Le vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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Jean le Tellier, donateur, vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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La donatrice est entourée de six femmes et filles.
La donatrice et son entourage, vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
La donatrice et son entourage, vitrail du Pressoir Mystique, baie n°14 de l'église Sainte-Foy de Conches-en-Ouche, photographie lavieb-aile.
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DISCUSSION.
Le thème du Pressoir Mystique (en latin torculus Christi) est très ancien, et trouve son origine dans l'évangile « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron.» Évangile selon Jean , 15:1. Une lecture typologique a trouvé des résonnances avec des passages vétéro-testamentaires comme Isaïe 63 mentionnant "les habits écarlates, le vêtement de fouleur au pressoir ", et avec le passage de l'Apocalypse « Le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang ; et son nom ? Le Verbe de Dieu » (Ap 19, 13). Les Pères de l'Église Tertullien,saint Cyprien, saint Augustin, saint Grégoire puis Isidore de Séville ont développé cette image de la Passion comme Pressoir, les poètes latins comme Venance Fortunat l'ont repris : « Entre tes bras s'enlace la vigne, d'où coule pour nous en abondance le doux vin qui a la rougeur du sang » (Poèmes II, 1). La métaphore se répandit ensuite dans toute l'Europe, dans l'art pictural, associé au thème du Bain Mystique, dans le sang du Christ : aspersion du Sang du Christ, Fontaine des vertus, Fontaine de grâce, Fontaine de vie.
On le trouve donc illustré partout, sur les chapiteaux de Vézelay, dans les enluminures, en peinture, etc... Je citerais d'une part le polyptique de l'Agneau mystique des frères Van Eyck (Gand, 1432) et le Bain mystique de Jean Bellegambe à Lille (1510).
Mais mon propos est d'associer ce vitrail de Conches avec un vitrail de Beauvais, la Fontaine de Deité (baie n°10, 1524) attribué à l'atelier des Le Prince, car à Conches, "les baies 3, 0, et 2 sont tout à fait dans la suite des Le Prince de Beauvais, et la baie 4 se rapproche plus précisément des œuvres attribuées à Nicolas Le Prince" (Callias-Bey, 2001, p.129).
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SOURCE ET LIENS.
— CALLIAS-BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), Les vitraux de Haute-Normandie, Corpus vitrearum Recensement des vitraux anciens de la France-Volume VI, CNRS / Inventaire Général, Tours, 2001, 495 p, page 133.