Le tympan (v.1408) de la baie 8 de l'église Saint-Taurin d'Évreux.
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La liste de mes 21 articles sur la cathédrale d'Évreux est donnée ici:
Mais cet article concerne, non la cathédrale, mais l'ancienne abbatiale Saint-Taurin d'Évreux, fondée au Xe siècle sur l'emplacement du tombeau du premier évêque de cette ville, et dont il est le patron. Le chœur qui regroupe l'essentiel des vitraux anciens a été achevé en 1440, après les destructions de la Guerre de Cent ans. Ainsi, les trois baies 0, 1 et 2 de l'abside du chœur, racontant la vie de saint Taurin, datent de 1450 environ, sous l'abbatiat de Jean Trunquet dont on retrouve les armoiries. Un peu plus tard, vers 1465, l'abbé Jean Le Quincarnon appose les siennes sur les baies 5 et 6 de chaque coté de la 1ère travée du chœur.
Mais des fragments des vitraux du tout début du XVe siècle, sous l'abbatiat de Philippe Prunelé, sont visibles soit dans le tympan de la baie 8 (chapelle absidiale sud) au dessus de lancettes vitrées en 1980 de motifs géométriques sur fond jaune, soit sur les cotés de la baie 104 du croisillon sud.
Pour mon premier article sur les vitraux de Saint-Taurin, je privilégie la baie 8, d'une part par priorité chronologique, d'autre part et surtout parce que j'y ai découvert le texte rare d'un Psaume à la Vierge du XIIe siècle, connu jusqu'à présent par les quelques manuscrits qui le conservent.
Ce tympan est tout entier voué à la glorification de la Vierge, en trois soufflets en quadrilobe : en haut un soufflet de l'Adoration des Mages, en bas à gauche un soufflet de la Royauté de la Vierge et un soufflet droit du Couronnement de la Vierge. F. Gatouillat identifiait à gauche une sainte Marguerite, mais cela est démenti par le texte des phylactères qui sont des salutations à Marie.
Les Mages et les anges ont été en partie restitués au XIXe et XXe siècle.
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Philippe II Prunelé, abbé de Saint-Taurin en 1408 et mort en 1420 (Gatouillat) est difficile à distinguer de Philippe Le Prunelé, abbé de Saint-Taurin et de Saint-Lomer de Blois, qui sera brièvement évêque de Chartres en 1432. Sa famille est originaire de La Porte près d'Étampes et porte de gueules à six annelets d'or posés 3,2, 1.
La fin de son abbatiat a été concernée par l'occupation anglaise d'Évreux de 1418 à 1444. Robert III Beurière lui succédera en 1421.
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Vue générale de la chapelle absidiale sud.
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Le tympan de la baie 8.
Les soufflets du tympan contiennent des fragments remontés, en grisaille et jaune d'argent sur verres colorés bleus et rouge lie-de-vin.
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L'Adoration des Mages.
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Au centre du quadrilobe, une Vierge à l'Enfant couronnée et nimbée porte l'Enfant nu à qui elle présente un objet. Elle est revêtue d'une cape à fermail.
Sa couronne, ainsi que le fait qu'elle soit adorée par trois rois, soulignent son statut de Reine des Cieux.
Seul le roi de droite date du XVe siècle, mais avec un panneau retourné. Les deux autres rois sont des interventions des restaurateurs du XIXe-XXe siècle.
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Soufflet inférieur gauche. La Royauté de la Vierge. Le psaume de Sancta Dei Genitrice Maria.
Au centre, la Vierge porte des attributs royaux ou même impériaux : une tiare triple, une croix fleuronnée, et le surcot ouvert doublé d'hermines, qui est le privilège des princesses de sang royal.
Les anges tiennent des phylactères où se lisent — après résolution des abréviations — les inscriptions suivantes :
en haut : PRINCIPUM VICTRIX FEMINA.
à gauche : AVE CELORUM DOMINA
à droite : FUGA CATERVAS HOSTIUM
en bas : PACEM NOSTRAM TURBANTIUM.
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Ces quatre versets ne se retrouvent que dans un seul texte, le Psalterium de Sancta Dei Genitrice Maria ( Psaume de sainte Marie Mère de Dieu), attribué à Lietbertus (*) abbé vers 1100-1110 de Saint-Ruf d'Avignon, et auteur d'un commentaire des Psaumes, le Flores Psalmorum (Fleurs sur le Psautier). En effet, ce Psalterium suit immédiatement, dans les manuscrits, la fin du Flores Psalmorum.
(*)Il est également connu sous le nom de Lietbertus de Sancto Rufo, Lietbertus de Insulis, Lietbert von Lille, Lambert von Lille, Letbert von Lille, Lambertus de Lille, Lambertus de Sancto Rufo, Lambertus Insulensis, Letbert de Saint-Pierre de Lille, Letbert de Saint -Ruf, Lietbert de Lille, Lietbert de Saint Pierre de Lille, Lietbert de Saint-Ruf, Lietbertus Abbas Sancti Rufi, Lietbertus de Lille, Lietbertus de Sancto Rufo, Lietbertus Insulensis
https://en.wikipedia.org/wiki/Lietbertus_of_Saint-Ruf
http://bibnum.enc.sorbonne.fr/omeka/files/original/db0c8d7aa77ef04e38196cce6e684adb.pdf
L'abbaye de Saint-Ruf, soutenue par la papauté grégorienne et les comtes de Barcelone, devient au xiie siècle un des principaux foyers de la réforme canoniale, dont les coutumes connaissent une diffusion « européenne » (France méridionale, péninsule Ibérique, Scandinavie, Allemagne du sud, etc.). L'abbé Lietbertus a été l'auteur des coutumes, Liber ecclesiastici et canonici ordinis , pratiquées dans son abbaye. Ces coutumes étaient basées sur les recommandations monastiques de saint Augustin. Ils sont devenus très influents et ont commencé la réforme de la vie monastique, qui a finalement conduit à l'ordre de Saint-Augustin. Faut-il attribuer la présence de ces litanies à Saint-Taurin comme le témoin de l'influence des Augustins?
Ce texte des Flores Psalmorum est présent dans 29 manuscrits, et il est complété du Psalterium dans au moins deux manuscrits du dernier quart du XIIe siècle, dont Paris, Bibl. Mazarine, 0201.
http://initiale.irht.cnrs.fr/codex/6323
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L'incipit est SVSCIPE, regina cœli, quae mente benigna
Puis suivent des litanies débutant par la salutation AVE. Ave, porta paradysi , etc...
Les versets qui nous concernent se suivent, dans le texte, au milieu de l'Oraison. Nous trouvons ceci : (page 21 ici)
Ave, coelorum domina, principum victrix femina;
Fuga catervas hostium pacem nostram turbantium.
Salut, reine du Ciel, Femme victorieuse des Principautés [?]
tu fais fuir les troupes ennemies qui troublent notre paix [??]
https://books.google.fr/books?id=XzZfAAAAcAAJ&pg=PA21&dq=fuga+hostium+victrix&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiAvdTm8qrmAhUIfBoKHc1uB3MQ6AEIODAC#v=onepage&q=fuga%20hostium%20victrix&f=false
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Françoise Gatouillat voit dans l'oculus central la figure de sainte Marguerite, et précise que 2 anges ont été restaurés au XIXe siècle.
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Le soufflet de droite est consacré au Couronnement de la Vierge.
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La Vierge, tête baissée, couronnée et nimbée, est bénie par le Christ-Roi tenant le globe terrestre. Ils sont assis sur la même banquette au dossier ajouré. Les anges portent un diadème sur des cheveux longs, une cape à fermail sur une aube bouffant au dessus d'une ceinture cachée.
Le texte des phylactères résiste d'avantage à mon décryptage
SEPTA CHORUS ANGELORUM
TE ASSUMPTA --P CELOS
TE -------- CHIS
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Dans les demi-soufflets latéraux ont été placées les armoiries (restaurées) de l'abbé Jean Trunquet, d'azur au chevron d'or accompagné en chef de deux roses de gueules et en pointe d'une pomme de pin d'or, à la crosse abbatiale en pal. Mais elles sont postérieures aux panneaux précédents, puisque Jean Trunquet a été nommé abbé de Saint-Taurin en 1432, et jusqu'en 1473.
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SOURCES ET LIENS.
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https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Evreux/Evreux-Saint-Taurin.htm
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56126932.r=%C3%A9vreux.langFR
— GATOUILLAT (Françoise), 2001, Les vitraux de l'église Saint-Taurin, in Les Vitraux de Haute-Normandie, Corpus Vitrearum vol. VI, CNRS éditions, page164.
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