L'actualité m'incite à vous reproposer la lecture de cet article du 10 octobre 2019
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En face de Saint-Vaast-La-Hougue, à l'extrémité nord-est du Cotentin, la petite île de Tatihou, (longue de 700 m et large de 400 m) accueille le visiteur par son insolite bateau à roulettes, qui le transporte dans le monde de l'enfance, du rêve, et du passé, comme une attraction d'un Jardin d'acclimatation.
Or, c'est précisément un jardin d'acclimatation de toutes sortes de plantes et de pins d'essences diverses qu'il va découvrir dans le Musée Maritime. Et dans ce jardin riches de plantes odoriférantes, une passionnante énigme, celle de la Chambre des Parfums. Pris dans un étrange envoûtement, il partira en rêve dans les lazarets de Marseille et de Tatihou pour conclure finalement à un bel euphémisme. "Des "parfums" ? C'était, à défaut d'être aspergé de vinaigre, un odieux enfumage empestant l'œuf pourri, où se mêlaient les effluves de tout ce qui sentait très fort et très mauvais, pour repousser les miasmes !"
En voiture !
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De vastes panneaux permettent au touriste de mieux connaître l'histoire de l'île.
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Il en découvre les deux pôles, soigneusement éloignés l'un de l'autre : le pôle militaire défensif à l'est avec la Tour construite en 1694 par Benjamin de Combes (après la désastreuse Bataille de la Hougue, dont il va entendre beaucoup parler), et le pôle civil et maritime de l'ancien lazaret.
"Afin d’éviter de propager la peste de Marseille de 1720, le Roi décide de créer un lazaret à Tatihou pour protéger le nord-ouest du Royaume, et imposer aux navires venant de la Méditerranée des quarantaines. Dans les années 1770, il est délaissé au profit de celui du Hoc, face au Havre, mais en 1804, les risques de propagation de la Fièvre jaune sévissant en Espagne amènent l'administration à revoir l'architecture du l'établissement. Pour réduire les risques de contamination, on construit des petits pavillons cernés par une double enceinte et finalement un hôpital. Cet ensemble sanitaire fonctionnera jusque dans les années 1860."
S'il regarde attentivement le plan qui est affiché à l'entrée de l'ancien lazaret, il voit, en 1, "deux halles pour éventer les marchandises", et "deux petits logements pour les éventeurs et gardiens".
Des "éventeurs de marchandise" ? Qu'est-ce donc là ?
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Ces deux halles étaient situées dans l'actuel cour du Musée Maritime : le touriste questionneur obtient sa réponse :
"Dans son premier état de 1722, la cour dite ”du musée” était dénommée ”le grand enclos”. Sous deux halles de 15 mètres de long et 6 mètres de large, ”toutes ouvertes”, on ”donnait de l’évent”, c’est-à-dire que l’on déballait les marchandises préalablement parfumées. Ce travail était effectué par des ”crocheteurs ou journaliers” qui étaient logés sur place dans deux petits bâtiments (encore visibles) situés dans les encoignures.
Lorsque le Muséum prend possession des lieux, les deux halles ne sont plus ouvertes mais closes de murs, montés entre les anciens piliers. Les chercheurs y installent une salle des collections où ils rassemblent le fruit de leurs découvertes. En 1922, ces collections seront vendues à des collectivités (la ville de Cherbourg par exemple) ou des institutions (Institut océanographique de Monaco). Les bâtiments ont été ensuite utilisés comme dortoirs pour les enfants de l’aérium et des colonies de vacances."
Le visiteur veut bien comprendre que les cargaisons des navires soumis à quarantaine (c'est la fonction d'un lazaret) puisse être débarquées et aérées. Mais pourquoi diable devait-on les parfumer au préalable ? Les cales étaient-elles donc si nauséabondes ?
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Quand il franchit le portail, il accède au jardin, et, sous l'ombrage des grands pins, il aperçoit le Laboratoire du Muséum, centre de culture scientifique qui occupe l'Hôpital du Lazaret construit vers 1825
"Pendant la Révolution, les cours du lazaret sont affectées à un régiment du génie qui y aménage un parc d’artillerie. Mais dès l’an XII (1804), la fonction sanitaire est rétablie. Le Conseil de santé de Cherbourg se préoccupe de l’état des lieux et les fait remettre en état.
En 1822, la Fièvre jaune ravage l’Espagne. Le préfet de la Manche demande que l’on complète l’aménagement du lazaret de Tatihou en construisant un hôpital. En juin de la même année, l’appel d’offres est lancé pour la construction de ce nouveau ”pavillon du lazaret”, bâtiment carré de deux étages desservis par un escalier en colimaçon. Il restera affecté à cet usage jusqu’en 1880.
Lorsque le Muséum s’installe sur l’île en 1888, l’hôpital est aménagé pour accueillir une salle des aquariums et des laboratoires."
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Un peu plus loin, il accède au bâtiment actuellement dévolu à l'accueil des séminaires et aux personnes qui y ont réservé une chambre. Le voilà à nouveau perplexe, car il apprend que ce bâtiment abritait le Logement des équipages, et une mystérieuse "Chambre à parfums".
Va-t-il y découvrir des alambics ou des vaporisateurs ? Un orgue à parfums cher à Huysmans ? Va-t-on lui proposer l' expérience sensorielle dont il rêve ?
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Il faut se transformer en détective et consulter les archives. Et découvrir que cette Salle des parfums figure, à coté du logement des équipages, sur le projet de construction du lazaret daté de 1721. Arch.Dép.14, AD50, AM Saint-Vaast-la-Hougue
La légende indique en C une porte, les annotations me sont illisibles.
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Il est accompagné d'un courrier établi par M. Le Petit, commis à la Hougue le 14 août 1721 . Un premier projet envisageait de créer un lazaret aux îles Saint-Marcouf, plus éloigné de Saint-Vaast.
Le souci de parfumer les équipages est si important que la salle y est mentionnée au même titre que la chapelle :
"Je me donne l'honneur d'envoyer au Conseil de Marine au plan de l'isle de Tatihou sur lequel est marqué le lazaret que Monsieur Guynet a proposé d'y faire, au lieu des isles de Saint-Marcou, où il se trouve beaucoup de difficulté pour décharger les marchandises des vaisseaux soubsonnés de mal contagieux, qu'il est très difficile d'y donner les secours nécessaires aux équipages et ses isles estant à trois lieues de la Hougue, et mesme m'y bastir avec diligence, tous les transports des matériaux se faisant par mer.
J'y joins un plan partiel du lazaret sur lequel sont marquez les mesmes halles et logements que l'on destinoit pour les isles Saint-Marcou, n'y augmentant qu'une salle pour le parfum des équipages et une petite chapelle au-dessus du logement du gardien, ne bâtissant sur les isles Saint-Marcou que l'infirmerie. Tous ces logements estant en sûreté à l'isle de Tatihou, au lieu qu'aux isles de Saint-Marcou ils pourroient être détruits par les habitants des costes qui vont à la mer et estre brûlez en temps de guerre par les corsaires ennemis, on propose de les bastir en maçonnerie de chaux et de les couvrir d'ardoise, afin qu'il y ait moins d'entretien et qu'ils soient moins sujets aux accidents de feu et des vents qui pourroient enlever les couvertures de paille ." (in Hildesheimer , Gallica)
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La consultation des plans de l'île dressés en 1743 et 1754 n'apportent pas plus de précision, car les légendes concernent la garnison et les fortifications. On peut noter l'importance du jardin, et l'accès direct du lazaret à la côte
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Plan 1743
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84592888/f1.item.zoom
Plan 1754
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55003183r
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On consulte encore une fois l'un des panneaux explicatifs de l'île : va-t-il fournir les explications nécessaires ? Une première clef de notre énigme figure à la fin du texte.
"Les ravages causés dès le Moyen Âge par de nombreuses épidémies venues d'Orient ont conduit à s'interroger sur leurs conditions de propagation et à très vite suspecter équipages, navires et cargaisons d'être les principaux vecteurs des maladies.
Afin d'essayer d'endiguer ces contagions, l'administration royale crée en 1572 un embryon sanitaire sur sa façade maritime. Sur les côtes de Normandie, les quarantaines s'effectuent au Hoc près du Havre. On ne parle pas encore de lazaret à Tatihou. En 1722, le lazaret de Tatihou doit accueillir les équipages des vaisseaux qui entrent dans la Manche en provenance de l'Italie, d'Espagne, de Provence et de la Mer du Nord.
Des quarantaines.
Peste, choléra et fièvre jaune, des épidémies qui amènent une forte mortalité dans les populations touchées. Leurs origines sont, au XVIIIe siècle, inconnues (les micro-organismes ne sont pas encore découverts) et elles sont perçues comme un châtiment divin. La seule thérapie efficace est de ne pas être contaminé ! La mise à l'écart des équipages pendant 40 jours maximum est donc la seule façon de vérifier s'ils ne sont pas porteurs de la maladie.
Un nom mystérieux.
Deux théories pour expliquer l'usage de ce nom attribué à un lieu de quarantaine. Le terme de Lazaret serait apparu en 1423 sur un îlot dénommé Santa Marie du Nazareth. Ce lieu isolé aurait eu son nom de Nazareth transformé en Lazaret. Probablement, ce nom ferait référence à saint Lazare, patron des lépreux et des voyageurs.
Un plan d'isolement renfermé.
C'est en 1804 que les risques de propagation de la fièvre jaune qui ravagea l'Espagne amènent la commission sanitaire centrale à revoir l'architecture de cet établissement sanitaire. Un constat s'impose : les lazarets ne sont pas construits sur un plan méthodique et raisonné. Les bâtiments doivent être dispersés pour assurer le renouvellement de l'air. Une double enceinte de petits pavillons et finalement un hôpital seront construits pour répondre à ces obligations."
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Enfin, à coté d'une illustration d'Ase fétide, Ferula assa foetida, ou "Merde de diable" :
"Pendant les quarantaines, les marins étaient soumis à des fumigations de plante".
"Ase fétide, de Merde de diable" ? Drôle de parfum ! Mais l'explication est donnée (je l'indiquai déjà dans mon titre) : parfumer les équipages, c'est les exposer à des fumigations de plantes.
—Mais comment procédait-on à cet enfumage ? Pendant combien de temps ? Avec quels plantes ? Comment sélectionnait-on les équipages ? Les marins étaient-ils nus, ou habillés ?
—De quand date cette pratique ? Pendant combien de temps l'appliqua-t-on ?
— Et surtout, quelle théorie fumeuse la justifiait-elle ?
Mais déjà, des préposés du Conservatoire du Littoral, alarmés par cet exemple de touriste à la curiosité inopportune (TACI dans leur jargon), se saisirent du questionneur et le précipitèrent manu militari dans la Chambre à Parfum. Bouclée à double tour.
"Quand il aura lu toute la documentation, il nous suppliera de le délivrer, et il nous fichera la paix !"
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Il discerna, plutôt en rêve qu'en réalité, et d'abord sous la forme d'un cauchemar, une kirielle de cartels indigestes qui faillit entraîner, mais un peu tard, son repentir. Il voulait causer "parfum" ? Il allait être servi.
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On lui expliquait qu'en 1720, l'année précédant celle où le sieur Le Petit dressait son projet de lazaret, la Peste de Marseille débuta. On soupçonna vite qu'elle avait été introduite par la cargaison d'étoffes et de balles de coton d'un navire venant de Tripoli, le Grand-Saint-Antoine, dont 9 membres (dont le chirurgien de bord) était décédé. La patente . Marchandises et équipages furent placés en quarantaine allégée au lazaret, mais l'épidémie de peste se déclara dans la ville, s'y propagea, et fit 50 000 morts parmi ses 1000 000 habitants (et 100 000 sur 400 000 en Provence).
On l'incita à cliquer sur un lien vers l'article Wikipédia Peste de Marseille 1720. La soif dévorante de son esprit curieux le reprit, et il but l'article, cul sec, et demandant déjà un autre verre.
Nous sommes plus malin qu'autrefois, depuis que Yersin, médecin des Messageries maritimes, a découvert en 1894 que la peste est causée par le bacille qui porte son nom, Yersina pestis, et surtout que Paul-Louis Simond, médecin de la Marine, a découvert en 1898 le rôle de la puce du rat dans la transmission de la Peste bubonique.
Mais nous entrevoyons la multiplicité des "causes" des épidémies : un virus certes, mais aussi deux vecteurs, la puce Xenophylla cheopsis, (ou Nosopsyllus fasciatus en Europe), et le rat. On y ajoute des bateaux, pour faire voyager les rats.
Notre rat de bibliothèque devenu addict à la wikipédiolexie, vient pour sa part de descendre d'un seule gorgée l'article Peste, paragraphe Réservoirs et vecteurs. Il comprend que rien n'est simple et qu'il faut ajouter à cette chaîne de transmission, la contagion puce du rat/homme (quand il manipule les rats infectés), puis la contagion homme/homme par la puce de l'homme Pulex irritans. Enfin, un mécanisme compliqué de la digestion des puces (hématophages, on ne le sait que trop), les rend plus on moins contagieuse.
Il comprend désormais que la peste fut transmise par les étoffes infestées de puces porteuses du bacille de Yersin. On pense que la Peste de Marseille eut une forme bubo-septicémique, mais non pulmonaire, transmise par la respiration et beaucoup plus contagieuse.
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Après cette formation à l'infectiologie, notre reclus doit prendre connaissance du régime de la quarantaine et des patentes de santé, document délivré par le port d'origine que le capitaine d'un navire doit produire aux Intendants de santé à son arrivée dans un port. La patente était délivrée par le port dont il provenait. Elles étaient de trois sortes :
Chaque navire faisant escale dans un port du Levant se voit délivrer une patente, certificat délivré par les consuls des ports orientaux aux capitaines des vaisseaux souhaitant rentrer en France, qui précise l'état sanitaire de la ville. Il doit le produire à l'Intendant de santé du port qu'il atteint. On distingue trois types de patentes :
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la patente nette lorsque rien de suspect n'existe dans la région au moment du départ du vaisseau ;
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la patente suspecte lorsque règne dans le pays une maladie soupçonnée pestilentielle ;
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la patente brute lorsque la région est contaminée par la peste.
En cas de patente nette la durée de la quarantaine est ordinairement de dix-huit jours pour les personnes, vingt-huit pour le navire et trente-huit pour la cargaison. Ces périodes sont portées respectivement à vingt-cinq, trente et quarante si la patente est suspecte et trente-cinq, cinquante et soixante si la patente est brute
En 1720, la peste avait touché 8 navires sur les 212 venus du Levant (3,8 %). De 1710 à 1792, à Marseille, 22 651 bâtiments accueillis venaient du Levant ou de Barbarie. Sur ce total, 140 navires arrivèrent contaminés (0,6 %).
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Le Grand-Saint-Antoine obtint du port de Tipoli , de Chypre et de Livourne en Italie une patente nette, bien que les autorités de Livourne mentionnent, au dos de la patente de Tripoli, qu'elles ont refusé l'entrée du navire dans le port à cause de la mortalité d'une partie de l'équipage en raison de cette fièvre. Mais le capitaine Chataud déclare les décès survenus à bord. Le voilier est envoyé à l'île de Pomègues, puis le 29 mai le bureau de santé décide, fait inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton doivent être transférées à l'île de Jarre. " Le 3 juin, le bureau revient sur sa position et prend une décision encore plus favorable aux propriétaires de la cargaison : toutes les marchandises seront débarquées aux infirmeries. Si aucune preuve écrite n'existe, il est probable que des interventions ont eu lieu pour faire adopter la réglementation la moins contraignante ; il est impossible de connaître les personnes qui sont réellement intervenues, mais l'intrication des intérêts des familles de négociants et des autorités qui dirigeaient la ville suffisent à comprendre les raisons de ces nombreuses négligences. La déclaration du capitaine Chataud est falsifiée par addition d'un renvoi indiquant que les membres d'équipage décédés en mer sont morts de mauvais aliments. Les intendants de santé ont probablement voulu sauver la cargaison destinée en partie à la foire de Beaucaire, qui devait avoir lieu le 22 juillet 1720. Le 13 juin, veille du jour de sortie des 18 jours de quarantaine des passagers, le gardien de santé du vaisseau décède. Le chirurgien de service du port, Gueirard, examine le cadavre et conclut à une mort par vieillesse, sans observer des marques de peste."
Cet article de Wikipédia n'explique pas ce qu'il faut entendre par "les infirmeries" : ce sont celles du lazaret d'Arenc.
Mais il suffit au chercheur improvisé de cliquer sur un nouveau lien : Le Lazaret d'Arenc. Et hop !
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Le lazaret d'Arenc (1663-1850), un modèle du genre.
Situation sur un plan de Marseille : http://www.gombertois.fr/chateau-gombert_marseille.html
— LAGET (Pierre-Louis), 2002, « Les lazarets et l'émergence de nouvelles maladies pestilentielles au XIXe et au début du XXe siècle », In Situ [En ligne], 2 | 2002, mis en ligne le 23 avril 2012, consulté le 09 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/insitu/1225 ; DOI : 10.4000/insitu.1225
Il fut construit au nord de la ville en 1663, avec 18 halles réparties entre le Grand enclos où sont logées les personnes et les marchandises sous patente nette, et le petit enclos réservé à ceux sou patente brute. Il est dirigé par un "capitaine des infirmeries". "Les bâtiments arrivant de lieux suspects ou susceptibles de présenter un danger vont d'abord mouiller dans le petit port de l'île de Pomègues située à 5 ou 6 milles de Marseille ; puis, la quarantaine peut s'effectuer au lazaret lui-même qui se trouve situé dans le quartier d'Arenc au nord du port. Si son existence est très ancienne, il n'est vraiment pourvu en bâtiments qu'à partir de 1663 et est aménagé à plusieurs reprises. Par exemple, les travaux de 1726-1729 coûtent près de 100000 livres tournois. Ils ne furent cependant pas suffisants et il fallut sans cesse procéder à de nouveaux aménagements." (Hildesheimer)
Par une brusque émotion, notre lecteur découvre la description d'une Chambre des parfums, destinée à la désinfection par fumigation des documents et du courrier. Difficile d'en savoir plus, sauf en lisant ceci :"La libération approche, précédée par un dernier rite de purification accompli au moyen du feu d'herbes puantes, appelé « parfum » qu'il faut respirer quelques minutes, tandis que l'on est enfermé dans une chambre obscure où la fumée manque de vous étouffer. Tout passager malade reste confiné dans la « caserne du petit enclos », soigné par le chirurgien qui trempera ses instruments dans le vinaigre , chaque fois qu'il l'aura touché. En cas de guérison, cette personne recevra « un parfum tout nu » et de nouveaux habits aux frais de l'armateur. Le traitement des marchandises dépend de la nature des cargaisons. Les grains, le riz, les légumes secs et l'huile en tonneaux sont simplement déchargés à Pomègues, puis stockés quelques jours dans les huit halles de l'île avant d'entrer dans Marseille sur des allèges. Les denrées comme le café, les plantes tinctoriales et le tabac connaissent aussi une quarantaine très réduite, mais tous leurs emballages sont détruits et seront remplacés en fin de quarantaine par de nouveaux sacs. " '(André Zysberg, Marseille au temps du Roi-Soleil: la ville, les galères, l'arsenal, 1660 à 1715, Laffitte, 2007)
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La lumière de la salle s'éteint, tandis que s'alluma, dans la pièce voisine encore sombre, une seule vitrine. C'était des bouquins.
La couverture la plus attrayante était celle de la bande dessinée Les Pestiférés, l'adaptation par Grand Angle du chapitre 9 du Temps des Amours de Pagnol. Un très beau récit , fort bien documenté, sur la Peste de Marseille. Mais on n'y parlait pas des fumigations : seul l'usage du vinaigre était mis en avant comme moyen de prévention.
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Puis était exposée la première édition de la Relation historique de la peste de Marseille en 1720 de J.B. Bertrand,, publiée à Cologne chez Pierre Marteau en 1721.
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https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?cote=40239&do=chapitre
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On pouvait consulter sur un écran une pdf de l'édition de 1723. L'auteur, médecin de Marseille, précisait que le terme "infirmeries" désignait toujours "l'endroit où l'on met en quarantaine les personnes et les marchandises qui viennent du Levant, et d'autres pays suspects". Car parmi les origines de la Peste, il écartait les causes générales, c'est à dire une altération de l'air (car il est ici très pur) ou des aliments : elle ne pouvait "donc y avoir été aportée que par la contagion & par la communication de quelque personne, ou par des marchandises infectées".
" il y a hors la ville des Infirmeries, où les Navires qui viennent du Levant, ou d'autres lieux suspects, débarquent leurs marchandises , & où elles font déballées , pour être exposées à l'air , jusqu'à ce qu'elles soient purgées de tout soupçon d'infection : pendant que les Navires se tirent au large en quarantaine, ceux qui veulent se débarquer dans ces infirmeries, y font aussi reçus en quarantaine
C'est un vaste enclos que ces Infirmeries, où il y a de petites Cazernes pour les particuliers , des apartemens propres pour les personnes distinguees , & de grandes hales pour les marchandises. 11 y a dans cet endroit des Officiers , pour veiller à,1'ordre que l'on doit garder dans la purge des marchandises, &c en tout ce qu'il convient de faire pour la sûreté de la santé publique. Messieurs les Echevins nomment tous les ans seize Intendans de la santé , qu'ils choisissent parmi les principaux Négocíans de la ville : ces Intendans reglent les quarantaines & les entrées , & ont route la direction de ces Infirmeries."
La page 39 fait allusion aux fameux "parfums, appliqués aux passagers du Grand-Saint-Antoine :
"Les passagers arrivés sur ces Vaisseaux suspects , ceux mêmes du Capitaine Chataud eurent l'entrée le 14 Juin, ainsi qu'il est marqué dans le Journal imprimé , tiré du Mémorial de l'Hôtel de Ville; c'est-à-dire, qu'à compter du jour de l'arrivée des Vaisseaux, ces passagers. n'ont fait qu'une quarantaine ordinaire de quinze à vingt jours et toute la précaution qu'on a prise, ça été de leur donner , et à leurs hardes quelques parfums de plus : car les passagers, sortant des Infirmeries emportent avec eux leurs hardes , et souvent leurs pacotilles (petits paquets de marchandises que les gens de mer apportent pour leur compte). Il faut avoir une grande foi à ces parfums, pour croire qu'ils puissent détruire un venin , qu'on a déja humé dans le corps , et corriger le vice d'une marchandise infectée , qui n'a pas été assez longtems à l'air. "
Lorsque l'un des premiers cas apparait dans la ville, "on ordonne à tous ceux qui l'ont fréquenté quelques jours de quarantaine chez eux, et les parfums ordinaires."
Début août, le caractère de l'épidémie de peste et sa sévérité sont devenus évidents, mais on cesse de transférer les malades atteints et les cadavres vers les Infirmeries : ils restent dans les rues. Un médecin, Sicard, propose de faire brûler des parfums dans toute la ville :
"Ce Médecin proposa d' d'allumer un soir de grands feus dans toutes les Places publiques , et au tour de la Ville, qu'en même tems chaque particulier en faire un devant la porte de chaque maison, et qu'à commencer du même jour, et pendant trois jours consécutifs, chacun fit à la même heure,à cinq heures du soir, un parfum avec du soufre dans chaque apartement de sa maison ,où il déployeroit toutes ses hardes , et tous les habits qu'il avoir porté depuis que la contagion avoir paru. [...] on fait de grands amas de bois dans toutes les places, & dans tous les lieux désignés ; on
distribue dans toute la Ville du soufre pour les parfums , à tous ceux qui n'ont pas le moyen d'en achetenenfîn, le jour arrivé, & à l'hcute marquée, toute la Ville parut en feu , &c l'air se couvrit d'une noire & épaisse fumée , plus propre à retenir les vapeurs contagieuses qu'à les dissiper. " (p. 86)
Plus tard, les maisons infectées (marquées d'une croix noire) reçurent trois parfums successifs : "l'un avec des herbes aromatiques, l'autre avec la poudre à canon, et le dernier avec le parfum fort et ordinaire de la Ville." Les meubles recevaient également ces parfums, puis on badigeonnait les pièces au lait de chaux. On les marque alors d'une croix blanche.
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Il y avait aussi des livres donnant les recettes de ces parfums ; et ils étaient précisément parus juste après la Peste de Marseille.
Le livre du Père Léon.
Parfums et remèdes contre la peste dont s'est servi avec tout le succès possible le P. Léon Augustin déchaussé de France, lequel a été employé par le Roi pour guérir les personnes attaquées de la contagion qui régnait en plusieurs endroits du royaume en 1666, 1667, 1668 et 1669.., L.-D. Delatour (Paris), 1720 16 pages. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8607849q/f1.item.zoom
L'ouvrage fut publié la même année à Lyon chez André Laurens, puis à Dijon en 1721 (3e édition). Le Père Leon se ventait d'avoir été employé par ordre du Roi pour guérir ou préserver de la peste, dans plusieurs villes du Royaume surtout en Flandre où la peste regnait beaucoup les années 1666, 1667, 1668 1669. Il vivait encore en 1684
https://books.google.fr/books/about/Parfums_et_rem%C3%A8des_contre_la_peste_dont.html?id=aIkfE6t7rfQC&redir_esc=y
https://www.who.int/library/collections/WC_350_1720PA_HIST.pdf?ua=1
On trouve aussi de cet auteur une Composition d'un antidote contre la peste, qui est le plus excellent de tout remède, du Père Léon, augustin déchaussé. 4 pages https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8601546k.image
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On y trouvait un premier parfum pour traiter les pestiférés, et qui contenait du soufre, de la poix, de la poudre à canon, de l'arsenic de l'antimoine (plomb) et du cinabre (sulfure de mercure) : un mélange dont on imagine l'odeur très forte, voire pestilentielle, et le caractère nocif, mais qui, par son caractère répulsif, pouvait laisser croire aux médecins du temps qu'il allait repousser les "miasmes". C'était certainement le mélange utilisé par Marseille, et dont Chirac, un médecin, avait déconseillé l'usage au profits de plantes plus aimables.
C'est le parfum qu'on inflige aux personnes qui sont en quarantaine par provenance d'un lieu "soupçonné" ou infecté, avant le début de celle-ci. Mais le Père Léon ne précise pas la durée de cette exposition aux fumigations. Sans doute "autant qu'elle pourra le supporter", voire "le temps d'un Salve Regina", qui cumulait les recours.
"Si la peste est dans une grande partie des maisons, il faudra faire un parfum général du premier parfum, savoir dans celles des riches à leurs dépens, et dans celles des pauvres aux dépens de la bourse commune, en même temps, afin que la fumée purge la malignité de l'air."
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Puis suivait un parfum "préservatif" (nous dirions "préventif") qui associait le benjoin au storax — des composants de certains encens — , aux baies de genièvre, de lierre, de laurier et aux clous de girofle, tout cela associé au salpêtre qui favorise la combustion. Le mélange est mis en poudre et brûlé sur du foin.
Geoffroy décrit les fumigations thérapeutiques de Benjoin et Storax dans sa Matière médicale de 1743.
Était-il plus agréable à subir que le précédent ? À défaut d'avoir essayé, il est vraisemblable que l'exposition à cette fumaison n'avait rien de plaisant.
Les composants du "parfum pour aérer" sont pilés, pulvérisés, malaxés en pâte et moulés en boules, qu'on peut porter sur ses habits et perruques, sa chambre ou ses domestiques, ou brûler, "autant qu'on le peut souffrir" . Un peu comme ces "oiselets de Chypre" qu'on consumait dans des brûles-parfums.
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Au mur, il trouva une note sur Jérôme Fracastor, médecin né à Vérone en 1478 et mort à Incaffi en 1553, qui après avoir étudié la syphilis, avait écrit De Contagione et Contagiosis Morbis, paru en 1546. Il y proposait une théorie sur la contagion, la théorie du contagium vivum, et distingue trois modes de transmission des maladies, par lesquels il se révèle un peu comme le créateur de l'épidémiologie : d'abord la contagion interhumaine directe entre individus où les individus infectés par les seminaria contigionis entrent en contact direct avec des personnes saines (gale, phtisie, lèpre), ensuite la contagion indirecte où les seminaria contigionis ont comme support l'air et divers objets qui entrent en contact avec les individus, comme c'est le cas de la tuberculose ; enfin la contagion à distance (peste, ophtalmie purulente égyptienne, variole), où les germes seraient comme attirés par les sujets dont les "humeurs" (des prédispositions) leur sont le plus propices.
Son Diascordium, longtemps au Codex sous le nom d'électuaire opiatique astringent, est, comme son nom l'indique, à base de Teucrium scordium, ou Germandrée des marais, et de fleurs de roses. Il appartient bien à la longue liste des Alexipharmaques (antidotes de la peste), mais par voie interne (l'électuaire est une pâte molle qui s'ingère avec du miel).
C'était là un détour, une voie sans issue dans le labyrinthe des "parfums".
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Il retrouva son chemin : c'était l'ouvrage de Jean-François Bresmal, Avis au public pour le préserver et le garantir de la peste et des autres maladies epydemiques et contagieuses F. Alexandre Barchon, 1721 - Il lut bien sûr le Chapitre VIII Des parfums,car le livre présenté devant lui s'était ouvert page 43, et les pages se déroulaient comme par magie au rythme de sa lecture.
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Mais il s'attarda davantage devant le Traité de la peste recueilli des meilleurs auteurs anciens et modernes de Jean-Jacques MANGET , un médecin genevois, dont l'ouvrage sur la peste parut en 1721 l'année suivant la peste de Marseille, alors qu'elle sévit encore en Provence. Il comporte d’intéressantes précisions sur la prophylaxie de la peste, tout en restant évasif sur son origine. Il y releva 315 fois le mot « parfum » .
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L'ouvrage était précédé d'un frontispice représentant cette image très connue, mais qui l'intéressa par sa légende d'un médecin et autres personnes qui visitent les pestiférés : il est de maroquin de Levant, le masque a les yeux de cristal, et un long nez rempli de parfums. On attribue cette tenue à Charles Delorme (1584-1678), médecin ordinaire de Louis XIII. Selon Le Généraliste du 17 juillet 2014, "Le masque porté sur le visage était constitué d’un nez en cuir ou en carton bouilli en forme de bec d’un demi-pied (16 cm) de long. « Le nez, rempli de parfums, n'a que deux trous, un de chaque côté à l'endroit des ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et pour porter avec l'air qu'on respire l'impression des herbes renfermées plus avant le bec.» Epices et herbes aromatiques (thym, camphre, mélisse, clous de girofles, myrrhe, pétales de rose, vinaigre des quatre voleurs) imprègnent, en effet, des éponges placées à l’intérieur du bec. Le médecin de peste porte aussi des bottines en maroquin, des culottes de peau unie qui s’attachent aux bottines et une chemisette de peau unie, elle aussi, dont on insère le bas dans la culotte. Ayant revêtu son costume de peste intégralement imprégné lui aussi d’herbes aromatiques, le médecin de peste peut ainsi partir accomplir son travail, toujours accompagné de sa baguette avec laquelle il soulève les vêtements des pestiférés."
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Il prit de longues notes. La peste était un venin de l'air, empesté de vapeurs putrides. Le contre-venin était donc le bon air, passant par l'aération des lieux et marchandises (d'où le rôle des éventeurs) et par l'exposition aux "parfums". Et on comprend pourquoi il était si important de les désigner par ce terme de parfums — étymologiquement per fume, "par la fumée", mais défini en 1528 comme une "odeur naturelle ou artificielle agréable" , et non par celui d'odeur, ou de fumigation :
"Néanmoins pour en dire ce que j'en pense, je tiens avec les Medecins, que la Peste est un venin engendré en nos corps tant de la corruption des humeurs, que de celle de l'air : non simple & èlementaire, mais composé, & mêlé de certains atomes & corpuscules , qu'Hippocrate appelle souillures morbifiques, conceuës & procréèes des exhalaisons putrides de la terre, ou de la maligne influence des astres qui s'inſinuent avec l'air que nous respirons , et s'en vont gagner le cœur qui est la source de la vie, et comme le foyer où se nourrit la chaleur naturelle, que ce poison éteint et consume. Et pour parler plus clairement, que c'est une maladie épidémique , contagieuse , pernicieuse, et venimeuse."
Premiérement , elle est épidemique, c'eſt à dire populaire & commune, [...]·Secondement , elle est contagieuse » , parce que cet air , ayant receu les vapeurs putrides et pestiférées, les transmet et transporte de corps en corps , et les communique diversement , selon la diverse diſposition qu'ils ont soit par leur nature foible et debile; soit par la pourriture des humeurs."
La première cause était Dieu ; puis venaient les Planètes.
"les malins aspects des Planetes, et surtout la conjonction de Saturne & de Mars, en Signes humains, comme sont Gemini & Virgo. Les Eclipses du Soleil & de la Lune , les Comètes, & autres impressions ignées.".
Puis venaient les causes particulières, externes, et internes :
- "Les causes particulières de la Peste sont de deux sortes, les unes externes, les autres internes.
- --La cause principale externe , c'est l'air immodérement chaud & humide, aidé du vent du Midi, épais & sans pluye, précédé nêanmoins de grandes pluyes de l'hyver, & de la génération de plusieurs insectes engendrez de pourriture , raines , hannetons , & semblables : Les eaux stagnantes oü dormantes des étangs & marais, les corps morts, les cloaques, les herbes pourries, comme le chou, le chanvre & le lin. Les haleines des Pestiferez apportent une grande altération , & corruption dans l'air, & ainsi s'engendrent en luy ces miasmes morbifiques & semences de Peste, auxquelles Hippocrates rapporte la vraye cause & origine de ce mal commun."
- --Les causes internes de la Peste, sont antecedentes où conjointes. Les antecedentes sont les humeurs vicieuses contenuës tant dedans que dehors les vaisseaux, qui venants à se pourrir, engendrent en nous fievres malignes, rougeoles, veroles, phlegmons, & semblables corruptions avant-coureuses de la Peste. Mais quand la pourriture est parvenuë au degré capable de prendre , et concevoir la forme du venin de l'air empesté , lors commence à s'éclorre cette épouvantable & effroyable Peste : de la quelle la cause conjointe n'est autre, selon tous les Medecins , sinon le même - air corrompu , comme dit est.
- Or il y a trois moyens par lesquels ce mauvais air , où ces germes de Peste, faisant partie de cet air, se communiquent & sont reçeus en nos corps.
- a) Le Premier & le plus dangereux est celuy qui se fait par attouchement, sans interposition manifeste d'aucun air, & ſe ait un transport du venin immediate ment du corps malade dans le corps ſain; tout ainſi que de la morſure du chien enragé le venin eſt porté dans le corps de la perſonne morduë : où tout ainſi que d'une matiére pourrie, les ſemences de pourriture ſont portées par contagion en celle qui luy est contiguë : ce que nous voyons tous iés jours par experience ; car nous voyons communément, qu'une pomme pourrie, en pour rit une ſaine qui lui eſt contiguë, & un †de raiſin pourrit un autre grain ; a raiſon eſt que les matiéres pourries ont cela de propre, à cauſe de la chaleur putredinale qui eſt en elles, qu'elles exha lent de leur ſein certaines vapeurs dans lesquelles ſont contenuës les ſemences & germes de corruption, ce qui fait qu'étant transmiſes dans le sein d'une autre subſtance capable de les recevoir, elles y une pourriture pareille à celle dont elles ont été produites. Comme donc le propre effet du venin pestilentiel, eſt de toutes les humeurs dans le corps humain ; il n'y a point de doute que tout ce qui exhale de ce fond e pourriture, ne ſoit des germes & semences de la même pourriture, qui étant tranſmiſes dans le corps d'une perſonne ſaine ſoit par la reſpiration qu'elle en fait Par la bouche & les narines , soit par transpiration qui s'en fait par les yeux, les oreilles , les pores de la peau, & autres conduits , y produisent une corruption & pourriture ſemblable à celles dont elles ont été produites : ſi ce n'eſst qu'elles en soient empêchées où par la force des préservatifs que la personne auroit pris auparavant, où par quelque qualité contraire qu'elle auroit en elle, capable de resister à un tel effet.
- b) Le ſecond moien de cette communication ou contagion est appelé per somitem, quand cet air pestilent est porté par quelque corps propre à le conserver & fomenter longtems ; comme habits de laine, de linge , de peaux, les couvertures, matelas & semblables, où comme l'ordure s'attache, aussi fait ce venin, qui apres un jour, un mois, un an ou pluſieurs , vient à infecter l'air prochain, & s'insinuë, où glisse dans le cœur de celui qui n'y pense pas.
- c) La troisième & plus commune contagion, c'est celle qui se fait ad distans, c'eſt à dire de loin , d'un corps en l'autre, par le moien de l'air infecté , tant de soi que des halènes & évaporations des corps malades, ou par le moien du même air, contenant en soi les principes de la Peste, porté de maison en maison, de ville en ville , & de région en région, ainſi que nous voions pour l'ordinaire."
- Les lazarets
- "Car après avoir fait décharger les marchandises du navire , & les avoir fait transporter au Lazaret, le Capitaine & les Matelots demeurent ordinairement dans le Navire avec tout leur bagage pour y faire la quarantaine en mer : & on leur donne un ou deux gardes, pour observer si leur santé est bonne, & pour faire exposer tous les jours à l'air & aux Vents le bagage des Matelots, & tout ce qu'ils ont dans leurs coffres ou caisses, lesquelles pour l'ordinaire sont remplies de toile & de coton , d'autres toi es qu'on appelle bourgs , & semblables autres choses qu'on a bien sujet d'appréhender qu'elles ne ſoient aussi bien pestiferées que les marchandises. Cét ordre est encore parfaitement bon, pour vû qu'il ſoit bien observé ; mais je me défie toûjours de la fidélité des gardes : soit que les Matelots , qui asse souvent ne veulent pas leur donner à connoître le petit trafic qu'ils font dans leurs voyages , leur cachent assez souvent une partie de ce qu'ils ont aporté : si bien qu'il me ſemble que c'est trop azarder, que de confier la vie de tout un peuple , à la discretion d'un ou de deux gardes , qui peut être seront né à s'acquiter de leur devoir , in zéles dans leur raport , & corrompus par argent ou par presens : cependant il ne faut qu'une méchante piéce d'étoffe ou de toile pestiférée , qui n'aura pas été exposée à l'air ni au vent , pour perdre une ville toute entiére."
- Les quarantaines page 89
- La coûtume établié, & obſervée de tout tems durant la Contagion , eſt d'ordonner la Quarantaine aux personnes qui ſortent des Villes infectées : comme auſſi aux meubles, & aux marchandiſes que l'on transporte : & parfois pour une plus grande aſſurance, l'on double les Quarantaines. La premiere pourtant est le terme ordinaire que l'on pratique , & neanmoins l'on en voit des scandales par la suitte, lors que l'on n'apporte pas le soin que l'on devroit . à éventer & à purger les meubles, veu que l'infection ſe peut conserver dans iceux, & dans les marchandises pliées & enfermées durant plusieurs mois, même pluſieurs années, si nous ajoûtons foi aux hiſtoires, que la raiſon ſemble approuver. A la verité le terme de quarante jours eſt ſuffiſant pour les ſimples infects (qui ne ſe ſont pas trouvez dans les maiſons pestiferées, ni au ſervice des malades ) pourveu toutesfois qu'ils ap poI de la Teſfe. 89 portent le ſoin néceſſaire durant leur tems à ſe bien purifier : & même ce tems ſe pourroit abréger , ſuivant ce qui ſera dit de la desinfection des corps. Mais pour les autres qui ont converſé avec les malades, ou qui ont été affiigez eux-mêmes, il y faudra apporter plus de précaution , ſoit en la prolongation du tems, ſoit en la préparation des personnes, des habits , & des meubles. Pour les perſonnes,l'air, les vents, & les feux les purgeront aſſez, ſi l'on ne ſe veut ſervir des autres moyens qui ſeront ropoſez au lieu allegué, pour abreger le tems. Et quant aux robes , & aux marchandiſes, les proprietaires ou leurs ſerviteurs , en la presence des Gardes que le Conſeil de la Santé leur aura baillé, & qui ſeront logez près du lieu qu'on leur aura deſtiné , les doivent expoſer durant le beau tems , à l'air, afin que le Soleil & les vents dissipent les semences de l'infection, en cas qu'il y en eût : & faudra reiterer la même choſe pluſieurs fois : & s'il étoit besoin, on les pourra parfumer avec la fumée du romarin, de la sabine, de l'encens, de la poudre, ou autre bois ou drogue que l'on avisera.
- Quelques plantes utiles Page 134
- Les habitans seront exhortez de faire provision de geniévre, de rosmarin, de sabine, & autres bois, & herbes odorantes , pour purifier l'air des maisons & des ruës, le plus souvent qu'ils pourront; Si mieux ils n'aiment quelques parfums agréables, soit cassolettes , ou autres, faits avec le borax, & le benjoin. Que si l'on veut se servir de la poudre à Canon , ou de fumées, ils le pourront.
- Comment parfumer sa maison Page 171
- . Il seront soigneux de faire parfumer une fois le jour leur maison, avec le parfum de santé, dont il est parlé ci après au Traité des Parfums : comme aussi de la faire tenir bien nette ; & de faire arroser souvent leur Chambre avec du vinaigre: Et quand on apportera quelque chose de dehors en la maison, ils mettront ordre de ne le point recevoir qu'après les précautions marquées ci- après en son lieu. Ils feront fermer toutes les fenêtres une demi-heure avant le coucher du Soleil; afin que les vapeurs qu'il aura attirées, & n'aura pas dissipèes, n'entrent point dans l'interieur de la maison : & ne les feront point ouvrir que le lendemain matin, une demi-heure après son lever , & , lors que par sa chaleur il aura purifie l'air, & dissipé les mauvaises vapeurs de la nuit."
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Il prit de longues notes. La peste était un venin de l'air, empesté de vapeurs putrides. Le contre-venin était donc le bon air, passant par l'aération des lieux et marchandises (d'où le rôle des éventeurs) et par l'exposition aux "parfums". Et on comprend pourquoi il était si important de les désigner par ce terme de parfums — étymologiquement per fume, "par la fumée", mais défini en 1528 comme une "odeur naturelle ou artificielle agréable" , et non par celui d'odeur, ou de fumigation :
"Néanmoins pour en dire ce que j'en pense, je tiens avec les Médecins, que la Peste est un venin engendré en nos corps tant de la corruption des humeurs, que de celle de l'air : non simple & èlémentaire, mais composé, & mêlé de certains atomes & corpuscules , qu'Hippocrate appelle souillures morbifiques, conceuës & procréèes des exhalaisons putrides de la terre, ou de la maligne influence des astres qui s'inſinuent avec l'air que nous respirons , et s'en vont gagner le cœur qui est la source de la vie, et comme le foyer où se nourrit la chaleur naturelle, que ce poison éteint et consume. Et pour parler plus clairement, que c'est une maladie épidémique , contagieuse , pernicieuse, et venimeuse."
Premiérement , elle est épidémique, c'eſt à dire populaire & commune, [...]·Secondement , elle est contagieuse » , parce que cet air , ayant receu les vapeurs putrides et pestiférées, les transmet et transporte de corps en corps , et les communique diversement , selon la diverse diſposition qu'ils ont soit par leur nature foible et debile; soit par la pourriture des humeurs."
La première cause était Dieu ; puis venaient les Planètes.
"les malins aspects des Planetes, et surtout la conjonction de Saturne & de Mars, en Signes humains, comme sont Gemini & Virgo. Les Eclipses du Soleil & de la Lune , les Comètes, & autres impressions ignées.".
Puis venaient les causes particulières, externes, et internes :
- "Les causes particulières de la Peste sont de deux sortes, les unes externes, les autres internes.
- --La cause principale externe , c'est l'air immodérement chaud & humide, aidé du vent du Midi, épais & sans pluye, précédé néanmoins de grandes pluyes de l'hyver, & de la génération de plusieurs insectes engendrez de pourriture , raines , hannetons , & semblables : Les eaux stagnantes oü dormantes des étangs & marais, les corps morts, les cloaques, les herbes pourries, comme le chou, le chanvre & le lin. Les haleines des Pestiferez apportent une grande altération , & corruption dans l'air, & ainsi s'engendrent en luy ces miasmes morbifiques & semences de Peste, auxquelles Hippocrates rapporte la vraye cause & origine de ce mal commun."
- --Les causes internes de la Peste, sont antécédentes où conjointes. Les antécédentes sont les humeurs vicieuses contenuës tant dedans que dehors les vaisseaux, qui venants à se pourrir, engendrent en nous fievres malignes, rougeoles, veroles, phlegmons, & semblables corruptions avant-coureuses de la Peste. Mais quand la pourriture est parvenuë au degré capable de prendre , et concevoir la forme du venin de l'air empesté , lors commence à s'éclore cette épouvantable & effroyable Peste : de la quelle la cause conjointe n'est autre, selon tous les Medecins , sinon le même - air corrompu , comme dit est.
- Or il y a trois moyens par lesquels ce mauvais air , où ces germes de Peste, faisant partie de cet air, se communiquent & sont reçeus en nos corps.
- a) Le Premier & le plus dangereux est celui qui se fait par attouchement, sans interposition manifeste d'aucun air, & ſe ait un transport du venin immédiate ment du corps malade dans le corps ſain; tout ainſi que de la morſure du chien enragé le venin eſt porté dans le corps de la perſonne morduë : où tout ainſi que d'une matière pourrie, les ſemences de pourriture ſont portées par contagion en celle qui luy est contiguë : ce que nous voyons tous lés jours par experience ; car nous voyons communément, qu'une pomme pourrie, en pour rit une ſaine qui lui est contiguë, & un †de raiſin pourrit un autre grain ; a raiſon eſt que les matiéres pourries ont cela de propre, à cauſe de la chaleur putredinale qui eſt en elles, qu'elles exhalent de leur ſein certaines vapeurs dans leſquelles ſont contenuës les ſemences & germes de corruption, ce qui fait qu'étant transmiſes dans le sein d'une autre subſtance capable de les recevoir, elles y une pourriture pareille à celle dont elles ont été produites. Comme donc le propre effet du venin pestilentiel, eſt de toutes les humeurs dans le corps humain ; il n'y a point de doute que tout ce qui exhale de ce fond e pourriture, ne ſoit des germes & semences de la même pourriture, qui étant tranſmiſes dans le corps d'une perſonne ſaine ſoit par la reſpiration qu'elle en fait Par la bouche & les narines , soit par transpiration qui s'en fait par les yeux, les oreilles , les pores de la peau, & autres conduits , y produisent une corruption & pourriture ſemblable à celles dont elles ont été produites : ſi ce n'est qu'elles en soient empêchées où par la force des préservatifs que la personne auroit pris auparavant, où par quelque qualité contraire qu'elle auroit en elle, capable de resister à un tel effet.
- b) Le ſecond moien de cette communication ou contagion est appelé per somitem, quand cet air pestilent est porté par quelque corps propre à le conserver & fomenter longtems ; comme habits de laine, de linge , de peaux, les couvertures, matelas & semblables, où comme l'ordure s'attache, aussi fait ce venin, qui apres un jour, un mois, un an ou pluſieurs , vient à infecter l'air prochain, & s'insinuë, où glisse dans le cœur de celui qui n'y pense pas.
- c) La troisième & plus commune contagion, c'est celle qui se fait ad distans, c'eſt à dire de loin , d'un corps en l'autre, par le moien de l'air infecté , tant de soi que des halènes & évaporations des corps malades, ou par le moien du même air, contenant en soi les principes de la Peste, porté de maison en maison, de ville en ville , & de région en région, ainſi que nous voions pour l'ordinaire."
- Les lazarets
- "Car après avoir fait décharger les marchandises du navire , & les avoir fait transporter au Lazaret, le Capitaine & les Matelots demeurent ordinairement dans le Navire avec tout leur bagage pour y faire la quarantaine en mer : & on leur donne un ou deux gardes, pour observer si leur santé est bonne, & pour faire exposer tous les jours à l'air & aux Vents le bagage des Matelots, & tout ce qu'ils ont dans leurs coffres ou caisses, lesquelles pour l'ordinaire sont remplies de toile & de coton , d'autres toi es qu'on appelle bourgs , & semblables autres choses qu'on a bien sujet d'appréhender qu'elles ne ſoient aussi bien pestiferées que les marchandises. Cét ordre est encore parfaitement bon, pour vû qu'il ſoit bien observé ; mais je me défie toûjours de la fidélité des gardes : soit que les Matelots , qui asse souvent ne veulent pas leur donner à connoître le petit trafic qu'ils font dans leurs voyages , leur cachent assez souvent une partie de ce qu'ils ont apporté : si bien qu'il me ſemble que c'est trop azarder, que de confier la vie de tout un peuple , à la discretion d'un ou de deux gardes , qui peut être seront né à s'acquiter de leur devoir , in zéles dans leur rapport , & corrompus par argent ou par presens : cependant il ne faut qu'une méchante pièce d'étoffe ou de toile pestiférée , qui n'aura pas été exposée à l'air ni au vent , pour perdre une ville toute entiére."
- Les quarantaines page 89
- La coûtume établié, & observée de tout tems durant la Contagion , est d'ordonner la Quarantaine aux personnes qui sortent des Villes infectées : comme auſſi aux meubles, & aux marchandiſes que l'on transporte : & parfois pour une plus grande assurance, l'on double les Quarantaines. La premiere pourtant est le terme ordinaire que l'on pratique , & neanmoins l'on en voit des scandales par la suitte, lorsque l'on n'apporte pas le soin que l'on devroit à éventer & à purger les meubles, veu que l'infection se peut conserver dans iceux, & dans les marchandises pliées & enfermées durant plusieurs mois, même plusieurs années, si nous ajoûtons foi aux histoires, que la raison semble approuver. A la vérité le terme de quarante jours est suffisant pour les simples infects (qui ne se sont pas trouvez dans les maisons pestiferées, ni au service des malades ) pourveu toutesfois qu'ils apportent le soin nécessaire durant leur tems à se bien purifier : & même ce tems se pourroit abréger , suivant ce qui sera dit de la désinfection des corps. Mais pour les autres qui ont conversé avec les malades, ou qui ont été affligez eux-mêmes, il y faudra apporter plus de précaution , soit en la prolongation du tems, soit en la préparation des personnes, des habits , & des meubles. Pour les personnes,l'air, les vents, & les feux les purgeront assez, si l'on ne se veut servir des autres moyens qui seront reposez au lieu allegué, pour abreger le tems. Et quant aux robes , & aux marchandises, les proprietaires ou leurs serviteurs , en la présence des Gardes que le Conseil de la Santé leur aura baillé, & qui seront logez près du lieu qu'on leur aura destiné , les doivent exposer durant le beau tems , à l'air, afin que le Soleil & les vents dissipent les semences de l'infection, en cas qu'il y en eût : & faudra reiterer la même chose plusieurs fois : & s'il étoit besoin, on les pourra parfumer avec la fumée du romarin, de la sabine, de l'encens, de la poudre, ou autre bois ou drogue que l'on avisera.
- Quelques plantes utiles Page 134
- Les habitans seront exhortez de faire provision de geniévre, de rosmarin, de sabine, & autres bois, & herbes odorantes , pour purifier l'air des maisons & des ruës, le plus souvent qu'ils pourront; Si mieux ils n'aiment quelques parfums agréables, soit cassolettes , ou autres, faits avec le borax, & le benjoin. Que si l'on veut se servir de la poudre à Canon , ou de fumées, ils le pourront.
- Comment parfumer sa maison Page 171
- . Il seront soigneux de faire parfumer une fois le jour leur maison, avec le parfum de santé, dont il est parlé ci après au Traité des Parfums : comme aussi de la faire tenir bien nette ; & de faire arroser souvent leur Chambre avec du vinaigre: Et quand on apportera quelque chose de dehors en la maison, ils mettront ordre de ne le point recevoir qu'après les précautions marquées ci- après en son lieu. Ils feront fermer toutes les fenêtres une demi-heure avant le coucher du Soleil; afin que les vapeurs qu'il aura attirées, & n'aura pas dissipées, n'entrent point dans l'intérieur de la maison : & ne les feront point ouvrir que le lendemain matin, une demi-heure après son lever , & , lors que par sa chaleur il aura purifie l'air, & dissipé les mauvaises vapeurs de la nuit."
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Il recopia les trois recettes de parfums :
- "Drogues qui doivent entrer en la composition du Parfum violent.
- Soufre. Litarge. Poix-résine. Assa fœtida. Antimoine. Cumin.Orpiment. Euphorbe. Arsenic. Poivre. Cinabre. Gingembre. Sel-Ammoniac. Son,
- Drogues qui doivent entrer dans la composition du Parfum médiocre.
- Soufre. Encens. Poix-résine. Storax. Antimoine. Ladanum. Orpiment. Poivre. Mirrhe. Gingembre. . Cumin. Ciperus rond. . Calamus aromaticus. . Aristoloche.. Euforbe. Cubébes. Graine de Géniévre. Son.
- Drogues qui doivent entrer en la composition du Parfum doux .
- Encens, Girofles. Benjoin. Anis. Storax. Iris de Florence. Mirrhe. l Ladanum. Canelle. Poivre. Muscade. Soufre. Son. "
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Mais, après plusieurs heures de lectures, où il avait cessé de prendre des notes, il comprit qu'il fallait renoncer à rendre compte du contenu de ce texte, pour ses références aux parfums, tant elles étaient nombreuses et détaillées. Il ne conserva que ce passage : l'auteur, depuis sa retraite de Genève, plaçait une confiance sans borne dans les parfums, qu'il présentait comme une véritable armure contre les miasmes.
- "Ce n'est donc pas merveille si les hommes faisant réflection sur ces choses, se sont avisez , pour assurer davantage leur vie contre les insultes de ce cruel ennemi, de chercher les drogues que l'expérience leur , a fait connoître avoir des qualitez les plus fortes , & les plus antipatiques au venin pestilentiel , & de toutes ensemble en composer des parfums : afin qu'êtant brûlez dans les lieux & les maisons empestées , la fumée qui en exhaleroit, fût capable de les purifier, avec tout ce qui pourroit s'y rencontrer de meubles."
- "Non seulement la fumèe des parfums a la vertu de purifier les choses inanimées du venin pestilentiel, mais aussi elle imprime une qualité si puissante à ces choses, n'en êtant pas encore infectées, qu'elle les rend capables de le repousser & de n'en recevoir aucune mauvaise impression. C'est pourquoi une personne qui ſe voit obligée d'aller & venir parmi le peuple en un tems de peste, aiant pris quelque préservatif pour se conserver le cœur contre ce venin , & s'étant fait parfumer avec lesdits parfums, ou bien aiant fait parfumer ses habits avant que de se revestir , peut s'asseurer qu'il ne s'attachera point dessus elle : il faut noter que les habits dont on est revêtu s'ils sont de laine, étant échauffez par la "chaleur naturelle du corps attirent , le venin pestilentiel , de même que l'aimant attire le fer, mais étant imbus de la qualité des parfums, qui lui est entièrement opposée, ils le répercutent & le repoussent , ainsi que le répercute un air froid & humide qui l'environne , si bien qu'il ne peut s'y attacher."
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Alors que notre visiteur découvrait devant lui de longs couloirs où des livres, des thèses manuscrites ou dactylographiées, des rapports et des in-folio éclairés chacun d'une loupiote brillaient comme des bougies , et qu'il allait s'élancer avec fougue, il se sentit saisi par les bras et les jambes, et fut éjecté dans le jardin où il fut laissé sans égard pour la science qu'il venait d'acquérir.
Il se redressa. Il se trouvait dans l'Allée des Fumigations installée par le Conservatoire du Littoral.
Il vit un grand portail ouvert sur le large. Il se précipita. De l'air, de l'air !
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Eut-il raison ? Voici ce qu'il aurait découvert dans l'Allée des Fumigations :
"Quelques plantes bien corsées!
Certaines plantes herbacées aromatiques étaient utilisées pour les fumigations. Parfois très communes et souvent venues de loin, la plupart d'entre elles étaient cultivées localement. Beaucoup rentraient dans la composition du fameux « vinaigre des quatre voleurs », remède supposé combattre la peste (grande absinthe, menthe, rue et sauge par exemple)."
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Assa foetida, l'Ase fétide. Originaire d'Iran, elle dégage une odeur d'œuf pourri, car elle contient du soufre.
Ferula gummosa, la Férule gommeuse ou galbanum : sa sève servait de base à la préparation d'encens.
Ocimum basilicum, le Basilic
Mentha pulevium ou Menthe pouliot et Mentha suaveolens ou Menthe à feuilles rondes.
Artemisia absinthium, la Grande Absinthe
Ruta graveolens ou Rue officinale.
Salvia officinalis ou Sauge officinale.
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Des Plantes contre la Peste ?
"Au Moyen Âge, pour essayer de lutter contre la peste, au delà des prières adressées à saint Roch ou saint Sébastien et des traitements de choc (saignée, purge, utilisation de sang de vipère ou de bave de crapaud...), on utilisait souvent des préparations à base de plantes.
Citons la fameuse Thériaque associant plus de 50 plantes et ingrédients divers (anis, acacia, rue, iris, miel, opium), ou encore le vinaigre des quatre voleurs composé de vinaigre blanc, d'absinthe, de genièvre, de marjolaine, de sauge, de clous de girofle, de romarin et de camphre ...) La liste n'est pas close car de nombreuses variantes existaient, associant d'autres plantes."
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"À partir du XVIe siècle, les pratiques de fumigations d'habitations, de courriers et/ou de personnes, susceptibles d'abriter ou de transmettre la peste, vont s'amplifier. Les fumigations étaient obtenues en faisant brûler des mélanges de plantes pour en obtenir une fumes censée chasser les « miasmes ».
Dans les lazarets, qui vont se développer à partir du XVIIe siècle, la pratique des fumigations sera très répandue. Ainsi à Tatihou, le médecin en préconisait pour assainir équipages et cargaisons. Un petit appartement appelé « chambre des parfums » situé dans le bâtiment des équipages était dévolu à cet effet. La composition des parfums et la durée des fumigations étaient placées sous la direction de l'inspecteur sanitaire Melchior Viel.
Les fumigations et autres pseudo-remèdes contre la peste perdureront jusqu'à la découverte en 1894, par Alexandre Yersin de l'Institut Pasteur, du bacille de la peste et de son principal mode de transmission, à savoir la piqûre de puces de rongeurs (rats principalement)."
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Remarques prersonnelles :
La pratique des fumigations, bien attestée en Provence, était-elle si généralisée sur les côtes atlantiques et de la Manche ? Je n'ai pu en trouver des témoignages sur l'île de Trébéron, le lazaret de Brest (hormis la désinfection des vaisseaux par des feux de genêt vert dans la soute après épidémie : voir Burel ).
Le sieur Melchior Vieil nous est ainsi présenté en septembre 1722 par M. de Rancé, major de la marine au Havre : "J'ay l'honneur d'informer le Conseil qu'il est arrivé depuis quelques jours en cette ville le sieur Vieil, porteur d'une lettre de M. le Contrôleur général, pour visiter les costes de Normandie en qualité d'inspecteur de la santé et y donner les instructions nécessaires pour prévenir la communication du mal contagieux."
Il n'est guère apprécié,
"Ledit sieur appelle dérangement tout ce qui n'est pas conforme à ses idées et prétend faire exécuter dans nos mers ce qui se pratique dans la comme sy le climat et les raddes de Ponant, surtout celle-cy, estoient à celles du Levant.
.Il pense que la peste ne se communique point par l'air, mais au toucher et, sur ce principe qu'il veut nous persuader, il va au dedans du lazaret du Hoc pour y donner des ordres et il voudrait que les officiers municipaux y allassent avec luy, ce qui paroist bien contraire aux précautions que nous avons prises jusqu'à présent. Un petit navire nouvellement arrivé de la Martinique, ledit sieur Vieil qu'il n'ait l'entrée, parce que le capitaine n'a point de lettre de santé, quoy qu'on luy ait dit que les isles de l'Amérique ne noues estoient pas suspectes"..
II est intéressant de noter les origines méditerranéennes de ce Melchior Vieil : il a été neuf ans intendant de la Santé à Toulon, sa ville natale, a voyagé au Levant avant d'être nommé inspecteur de la santé à la Hougue et d'assurer la construction du lazaret de l'île Tatihou ; dès 1713 il apparaît comme « commis pour veiller à la conservation de la santé sur la côte de Normandie » ; il meurt en 1742 et est remplacé par le sieur Ferrât. Pendant toute sa carrière normande, il aura cherché à faire les pratiques en usage en Provence.
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Fumigation utilisée sur l'île de Tatihou au XIXe siècle.
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PARFUM
Trois bonnes poignées de son et :
Graines de genièvre, une livre
Soufre, une livre
Assa fatida, une livre
Encens, une livre
Mirrhe, une demie livre
Storax, une demie livre
Gerofle, une demie livre
Romarin, deux poignées
Sauge, deux poignées
Laurier, deux poignées
Thein, deux poignées
Ruë, deux poignées
Absinthe, deux poignées
Culegium, deux poignées
Baume, deux poignées
Basilique, deux poignées
Poix raisine de bourg, demie livre,
Therebantine, demie livre,
Galbanum
Aloès , demie livre,
Huile de petrole, demie livre,
Faut mettre le tout en poudre grossierement, en faire un mélange, ensuite vous en lettre trois, quatre cinq poignées suivant la quantité des personnes sur de la paille ou du foin humides auquel vous mettres le feu afin que le parfum en soie plus fort et fasse un plus grand effet.
Avant de parfumer les personnes qui sont en santé ou qui se disent saines, il faut faire donner une bonne prise de Thériaque avec du vin, qui ne manquera pas de faire sortir le venin s'il y en a.
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Le "médecin de la peste" et les plantes.
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CONCLUSION.
J'ai rédigé cet article car ma visite à Tatihou m'a permis de découvrir ces fumigations dont j'ignorai complètement l'usage en médecine des épidémies. J'ai été troublé par la dénomination de Chambre des Parfums car j'ai alors pensé que ces fumigations étaient très plaisantes. Les panneaux d'explication illustrées par de nombreuses plantes, au cœur de jardins odoriférants me confirmaient un peu dans cette opinion. Les documents que j'ai consulté ensuite m'ont fait comprendre qu'à coté des plantes, on trouvait des produits chimiques beaucoup plus virulents.
J'ai voulu complété les allégations des panneaux d'informations du Conservatoire du Littoral par des documents.
Malgré la recette "utilisée à Tatihou au XIXe siècle", l'usage de fumigations aromatiques a été rapidement remplacée par des fumigations de chlore. Dans l'article Quarantaine du Dictionnaire de Médecine et de Chirurgie de 1835 on peut lire :
"Les individus bien portans ou malades transportés au lazaret, sont obligés d'y recevoir : ceux qui sont arrivés avec patente brute, trois parfums ; ceux qui sont arrivés avec patente suspecte, deux parfums; ceux qui sont arrivés avec patente nette, un seul parfum.
Pour les individus arrivés avec patente brute, le premier parfum a lieu à l'arrivée , le second à la moitié de la quarantaine , et le troisième , à l'instant où ils quittent le lazaret. Ce parfum consiste en un dégagement de chlore.
C'est substituer un moyen illusoire et dangereux à une cérémonie absurde conservée jusqu'à ces derniers temps et qui se pratiquait ainsi : on allumait du feu au milieu du plancher d'une chambre , en jetant la drogue ou parfum sur ce feu , et lorsque la fumée était devenue bien épaisse, on y faisait entrer les passagers , dont les bardes y étaient étalées ; on fermait exactement la porte , et après cinq ou six minutes , on ouvrait , et ils allaient occuper la chambre qui leur était assignée par le capitaine des infirmeries. La composition du soi-disant parfum était tout ce, qu'on peut imaginer de plus bizarre , et il est impossible de dire quel esprit avait présidé à la réunion de tant de substances sans aucune espèce d'utilité. On y trouvait le soufre, la poudre à canon, la poix résine, le grabeau de myrrhe , d'encens, le storax, le laudanum , le poivre noir, le gingembre, le cumin , le curcuma , le cardamomum, l'aristoloche, l'euphorbe, le cubèbe, les grains de genièvre, le son. Tout cela était jeté pèle-mêle sur un feu vif et ardent, et tout cela avec l'idée de détruire comme le dit Papon , l'ennemi le plus cruel du genre humain."
Déjà en 1804, Pedro Mario Gonzalez [Traité sur les maladies des gens de mer (1804)], propose d’asperger le bateau de vinaigre , de poudre ou de souffre, mais il insiste particulièrement sur l’emploi de l’acide nitrique et du gaz muriatique oxygéné (ancien nom du chlorure d’hydrogène HCl) tandis qu'il condamne les parfums aromatiques car « ils ne produisent pas un air nouveau et ne font rien d’autre que le dissimuler ».
En effet, Louis-Bernard Guyton de Morveau (1737-1816) publia en 1801 son Traité des moyens de désinfecter l’air, de prévenir la contagion et d’en arrêter le progrès, où il préconisait la désinfection de l'air par des vapeurs du gaz chlorhydrique. Les fumigations guytoniennes furent encouragées par l'Ecole de Médecine dès 1804 et utilisées par les armées de Napoléon.
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SOURCES ET LIENS.
— Dossier de presse des Traversées de Tatihou
— https://www.wikimanche.fr/Tatihou
http://erwan.gil.free.fr/index.php?mod=freepages&pageid=110
https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1980_num_27_3_1108
— Hildesheimer Françoise. La protection sanitaire des côtes françaises au XVIIIe siècle. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 27 N°3, Juillet-septembre 1980. pp. 443-467; doi : https://doi.org/10.3406/rhmc.1980.1108 https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1980_num_27_3_1108
—Jean Noël Biraben, Les Hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, t. I et II, La Haye, Mouton ; Paris, École des hautes études en sciences sociales, 1975-1976 (ISBN 9782719309308).
— MANGET (Jean-Jacques), 1721, Traité de la peste recueilli des meilleurs auteurs anciens et modernes chez Philippe Planche, 1721 - 320 pages Geneva 1721
https://books.google.fr/books/about/Trait%C3%A9_de_la_peste.html?id=f68UAAAAQAAJ&redir_esc=y
— TALOUR Karen – Aspects dermatologiques des voyages maritimes au XVIIIème siècle – 130p., 1 annexe. Th. : Méd. : Brest 2012
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00984595/document
— BOUISSOU (Antoine), 2017, Evolution de la médecine occidentale à travers le prisme de la deuxième épidémie de peste de 1346 à 1898. De la médecine scolastique à la médecine expérimentale. Thèse de médecine générale soutenue à Toulouse. Directeur de thèse: Monsieur le Docteur Pierre BOYER
http://thesesante.ups-tlse.fr/1902/1/2017TOU31142.pdf
— BLANCOU (J), 1995, Les méthodes de désinfection de l'Antiquité à la fin du xviii e siècle Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1995,14 (1), 21-30
https://www.oie.int/doc/ged/D8962.PDF
— Jean-Pierre Goubert, 1974, Environnement et épidémies : Brest au XVIIIe siècle, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1974 81-4 pp. 733-743
https://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1974_num_81_4_2753
—Arlette Higounet-Nadal, Hygiène, salubrité, pollutions au Moyen Age. L'exemple de Périgueux , Annales de Démographie Historique Année 1975 1975 pp. 81-92 : On enfume les lépreux avec des rameaux verts vers 1320 à Périgueux
— L’aigle et le pou : le typhus dans la Grande Armée par Henri DUCOULOMBIER
https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx2014x048x003/HSMx2014x048x003x0351.pdf
— Pierre Bachoffner, Les fumigations de chlore contre le typhus à Strasbourg, en 1814 , Revue d'Histoire de la Pharmacie Année 1977 235 pp. 285-287