Le Gazè Aporia crataegi reste toujours très présent sur la Presqu'île de Crozon en cette fin du mois de mai, et on voit ces éventails de papier aux élégantes dècorations à l'encre de chine sur les fleurs des prairies :
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
Gérard de Nerval, Odelettes.
D'où lui vient cette transparence ? Selon le site UK Butterflies, les femelles frottent leurs ailes entre elles ce qui leur fait perdre beaucoup d'écailles, et les rend plus translucides que les mâles. Mais les anglais ne voient plus guère de Gazè chez eux depuis 1925, pour une raison mal élucidée.
Une chose est certaine : ces gazes, ces voilages, cette blancheur virginale, un grand mariage se prépare ou je ne m'y connais pas ! D'ailleurs j'observe certains préparatifs, certains duos, voilà que l'on lutine parmi le trèfle et la centaurée , et cela tiendra lieu de publication de bans.
Et puis, annoncé par un grand bandeau ponceau comme une bouteille de Mumm Cordon Rouge, il arrive, le grand mariage en blanc :
Chers époux de Mai, que vous offrirais-je en épithalame ? reprendrais-je à Voltaire son poème ?
Vos désirs satisfaits doivent toujours renaître,
Brûlez toujours des mêmes feux ;
Que le droit de vous rendre heureux
N’ôte rien au plaisir de l’être .
Scandrais-je autour du couple la formule de l'Ancienne Grèce :
O Hymen, O Hyménée !
M'adresserais-je au jeune époux tel Catulle en déclamant :
" Toi qui comme Phoébé déploie l'arc immaculé de ta course dans l'azur, toi qui t'enivre de l'incomparable gloire que te procure la jeunesse, prépare ton coeur à la félicité. Et vous qui tournez les fils que suivent les destins, courez, courez, fuseaux !
Toi qui exerce ton monopole sur les calices et les corolles, écoute, en ce beau jour, l'infaillible oracle que je prononce : voici que vient Eros, astre propice conduisant ta jeune épouse ; elle passe ses bras lisses sous ton cou robuste et se prépare près de toi aux langueurs du sommeil.
Vous qui tournez les fils, courez, courez, fuseaux !
Jamais demeure ne couvrit de telles amours, jamais amour n'enchaîna deux amants par des noeuds aussi beaux que ceux qui unissent maintenant les coeurs de ces deux éventails. Vous qui tournez les fils, courez, courez, fuseaux.
De vous naîtront des fils qui seront les lumières du printemps, les hèros admirés des prairies aux mille fleurs, les flammes radieuses du matin.
Vous qui tournez les fils, courez, courez, fuseaux.
Allez-donc, formez ces noeuds d'amour si désirés. Qu'une heureuse alliance unisse l'époux à la belle marièe ; que l'épouse s'abandonne enfin aux impatients désirs de son mari. Vous qui tournez les fils, courez, courez, fuseaux.
Demain, au lever de l'aurore, sa nourrice en la revoyant ne pourra plus lui ceindre le cou du même fil que la veille. Vous qui tournez les fils, courez, courez, fuseaux.
Jamais ta mère anxieuse n'aura la douleur de voir sa fille, exilée par la discorde du lit nuptial, lui ravir le si doux espoir d'avoir des petits fils bien-aimés. Vous qui tournez les fils, courez, courez, fuseaux».
Non, je laisserai la paix à ces deux coeurs charmants. Je me retirerai sans troubler leurs bonheurs, ému du beau spectacle de leurs noces, et tout irradié de leur félicité.