Zoonymie (étude du nom) du papillon l'Azuré du Genêt Plebejus idas Linnaeus, 1758.
La zoonymie (du grec ζῷον, zôon, animal et ónoma, ὄνομα, nom) est la science diachronique qui étudie les noms d'animaux, ou zoonymes. Elle se propose de rechercher leur signification, leur étymologie, leur évolution et leur impact sur les sociétés (biohistoire). Avec l'anthroponymie (étude des noms de personnes), et la toponymie (étude des noms de lieux) elle appartient à l'onomastique (étude des noms propres).
Elle se distingue donc de la simple étymologie, recherche du « vrai sens », de l'origine formelle et sémantique d'une unité lexicale du nom.
Résumé.
— — Plebejus Kluk, 1780 : du latin -plebeius, "plébéien, appartenant à la plèbe, le peuple romain". Les Plebeji étaient parmi les six phalanges dans lesquelles Linné a réparti les papillons, la cinquième, formée des espèces plus petites et aux chenilles ramassées par comparaison à la première phalange des Equites ou Chevaliers (nos Papilionides). Elle était alors divisée en Ruraux et urbains, Rurales et Urbicolae qui formeront par la suite respectivement les Lycènes et les Hespéries. Comme pour les genres Nymphalis et Danaus, Kluk fut le premier à utiliser les noms de Linné d'une manière qui soit conforme aux règles de la future ICZN pour l'établissement des noms génériques et il en est donc considéré comme l'auteur (Emmet, 1991).
— idas (Linné, 1761) : ce nom a d'abord (1758) figuré parmi la sixième phalange des Barbari de Linné, où tous les noms sont ceux d'Argonautes. Il appartient alors à une liste, et est attribué arbitrairement. Ayant supprimé cette phalange, Linné a ré-attribué le nom à l'espèce qui suit son papilio Argus, et qui reprend ses descriptions d'"argus fuscus" et "argus myops" de 1743. Tous ces "argus" ont, eux, une intention descriptive, et idas en est contaminé. Il y a donc là un jeu complexe entre la présence d'ocelles ("yeux") sur les ailes de ces papillons, le nom argus évoquant Argos le géant aux cent yeux mais aussi Argos constructeur du navire Argo, ou le fait que le frère d'Idas, Lyncée, lui-aussi à bord de l'Argo dont il est un des pilotes, soit réputé pour sa vue perçante. Dans la 12eme édition du Systema Naturae, Linné décrira Idas comme la femelle du papilio argus. Le nom disparu alors jusqu'en 1954, date à laquelle il ne fut validé par l'Opinion 269 de l'ICZN en 1954 qu'après invalidation du nom inusité idas Linnaeus,1758 de l'ancien Barbarus.
— Geoffroy utilisa en 1762 les noms d'"Argus brun" et d'"Argus myope" en reprenant ceux de Linné 1746. Latreille, Godart et Duponchel employèrent le seul nom de "Polyommate Argus" en suivant Linné qui faisait d'idas la forme femelle d'argus. La plus grande confusion régnant jusqu'au milieu du XXe siècle dans la détermination scientifique des noms argus, aegon, argyrognomon, aegus, etc., il est difficile d'être plus précis jusqu'à la création par Gérard Luquet en 1986 du nom d"'Azuré du Genêt" qualifiant à la fois la couleur bleue des ailes des mâles des Azurés, et le genre de l'une des plantes-hôtes, Cytisus scoparius ou Genêt à balais.
I. Nom scientifique.
1. Famille et sous-famille.
a) Famille des Lycaenidae, William Elford Leach, 1815. Les Lycénides ou Lycènes.
Leach, William Elford, 1790-1836 "Insecta" pp. 329-336."Entomology". pp 646-747 in D. Brewster éditeur, Brewster's Encyclopaedia Edinburgh, [Edinburgh, volume 9, 1, 04/1815 pp. 57-172 : selon Sedborn 1937] [Philadelphia, E. Parker,1816? selon BHL Library] page 718. [ Article publié anonymement et attribué à Leach, qui avait annoté son propre manuscrit]
La famille Lycaenidae tient son nom du genre Lycaena de Fabricius (1807). Elle comprend les Blues ou Azurés, les Coppers ou Cuivrés et les Hairstreaks ou Thécla, et nos Argus :
- Sous-famille des Theclinae Butler, 1869 : [Thiéclines : Théclas ou Thècles et Faux-Cuivrés].
- Sous-famille des Lycaeninae [Leach, 1815] : [Lycénines : Cuivrés].
- Sous-famille des Polyommatinae Swainson, 1827 : [Polyommatines : Azurés, Argus et Sablés].
b) Sous-famille des Polyommatinae Swainson, 1827.
Elle tient son nom du genre Polyommatus créé par Latreille en 1804; "Tableau méthodique des Insectes" in Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle appliqué aux arts, principalement à l'Agriculture et à l'Économie rurale et domestique, par une Société de naturalistes et d'agriculteurs ; avec des figures des trois Règnes de la Nature, Paris : Deterville, an XII [1804] 24 (6) p. 185 et 200, espèce-type: Papilio icarus Rottemburg.
Polyommatus vient du grec polus "beaucoup", et omma, ommatos, "œil" : c'est un qualificatif du géant Argos qui disposait de cent yeux, dont cinquante étaient toujours ouverts. C'est lui que la jalouse Héra envoya surveiller Io, transformée en génisse après ses amours avec Zeus.
Ce nom est en rapport avec les nombreux ocelles des ailes des papillons bleus.
Cette sous-famille contient, en France, 18 genres :
- Leptotes Scudder, 1876
- Lampides Hübner, [1819]
- Cacyreus Butler, 1897
- Cupido Schrank, 1801
- Celastrina Tutt, 1906
- Maculinea Eecke, 1915
- Pseudophilotes Beuret, 1958
- Scolitantides Hübner, [1819]
- Iolana Bethune-Baker, 1914
- Glaucopsyche Scudder, 1872
- Plebejus Kluk, 1780
- Aricia [Reichenbach], 1817
- Plebejides Sauter, 1968
- Eumedonia Forster, 1938
- Cyaniris Dalman, 1816
- Agriades Hübner, [1819]
- Lysandra Hemming, 1933
- Polyommatus Latreille, 1804.
2. Nom de genre : Plebejus, Kluk, 1780.
a) Description originale :
Plebejus [ou Plebeius] Krzysztof Kluk : Zwierząt domowych i dzikich osobliwie kraiowych historyi naturalnéj Potzatcki i gospodarstwo. Potrzebnych pozytecznych domowych chowanie...[...] Warszawa [Varsovie] J.K. Mosci i Rzeczypospolitey u XX Scholarum Piarum 1802, 4: 89.
Jean Christophe Kluk est un naturaliste polonais, né le 13 septembre 1739 et mort le 2 juillet 1796, qui vivait à Ciechanowiec, ville de l'est de la Pologne, où il était prêtre. Sa curiosité était universelle, mais portait en premier lieu sur l'étude naturaliste des régions de Podlaskie et Masovia. Ses talents de dessinateur et de graveur lui ont permis d'assurer lui-même l'illustration de ses publications. La Princesse Anna Jabłonowska lui donna accès à la grande bibliothèque et aux collections de son palais de Siemiatycze. Il décrivit plusieurs genres de Lépidoptères, comme le genre Nymphalis, le genre Sud-américain Heliconius, et le genre Danaus auquel appartient le Monarque. Le titre exact de sa publication en quatre volumes est Zwierząt domowych i dzikich, osobliwie krajowych historii naturalnej początki i gospodarstwo que je traduis approximativement par "Histoire naturelle des animaux sauvages et domestiques, particulièrement au niveau national (Pologne)" ; le tome 4 de 1780 contient page 89 la description de ce genre Plebejus riche d'une liste de 79 espèces, réparties en 57 Rurales ou Wiesniaki (paysans) et 22 Urbicolae ou Mieszczanie (citadins).
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Zwierząt domowych i dzikich, osobliwie krajowych, historii naturalnej początki i gospodarstwo. Potrzebnych i pożytecznych domowych chowanie, rozmnożenie, chorób leczenie, dzikich łowienie, oswojenie, zażycie, szkodliwych zaś wygubienie:
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t. 1: O zwierzętach ssących, Warszawa 1779; wyd. następne: Warszawa 1795; Warszawa 1809
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t. 2: O ptastwie, Warszawa 1779; wyd. następne: Warszawa 1797; Warszawa 1813
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t. 3: O gadzie i rybach, Warszawa 1780; wyd. następne: Warszawa 1798; Warszawa 1816
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t. 4: O owadzie i robakach, Warszawa 1780; wyd. następne: Warszawa 1802; Warszawa 1823
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przekł. litewski: fragmenty t. 4 – rozdz. o pszczołach: K. Niezabitowski: Surinkimas dasekimu par Mokintus żmonias senowias amziose tikray daritu apey bytes... Wilno 1823; wydane pod nazwiskiem brata: C. J. Niezabitowskiego
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— Type spécifique: Papilio argus (Hemming 1933)
— Description :
Rodzay V. Pospolitek (Plebejus) zawiera naypospolitsze dzienne Motyle, ktore iak wszedzie widziec sie daia, tak od wszystkich poprzedzaiacych mnieysze sa. Kolory na nich sa slabe. Jedne maia plamy ledwie znaczne, u drugich przechodza az na dolna strone skrzydel : pierwsze zowia sie Rurales, albo Wiesniaki : drugie Urbicolae, albo Miesczanie.
(transcription ne respectant pas les caractères propre à la langue).
Traduction approximative :"Le genre Pospolitek (Plebejus) réunit les papillons diurnes les plus courants, que chacun peut voir partout en été, aux couleurs discrètes avec quelques taches sur les ailes. Ceux du premier groupe sont appelés Rurales, ou paysans, et ceux du second Urbicolae, ou Citadins"
Jean-Christophe Kluk donne alors une liste de 57 Plebejus Rurales ("Pospolitek Wiesniaki") et de 22 Plebejus Urbicolae ("Pospolitek Miesczanie"). Plebejus argus ( "Srebnook") porte le n° 15.
—Sous-genres
Ce genre renferme 2 sous-genres en France :
1°) Sous-genre Plebejus Kluk, 1780.
- Plebejus argus (Linnaeus, 1758). Azuré de l’Ajonc.
2°) Sous-genre Lycaeides Hübner, [1819]
- Plebejus argyrognomon (Bergsträsser, 1779) (Azuré des Coronilles).
- Plebejus bellieri (Oberthür, 1910) Azuré tyrrhénien.
- Plebejus idas (Linnaeus, 1761) Azuré du Genêt.
b) caractéristiques.
Selon les clefs de détermination, Plebejus se reconnaît parmi les Polyommatinae par :
- Une série de lunules submarginales fauves ou orangées au revers des ailes
- ET : Pas de point cellulaire sous l'aile antérieure
- ET : les points noirs marginaux du dessous de l'aile postérieure sont généralement pupillés de bleu-vert brillant (Lafranchis)
Voir aussi la clef d'identification bien illustrée de www.poitou-charentes.nature.asso.fr
Origine et signification du nom Plebejus .
— Spannert (1888) page 131 :
plebejus bürgerlich, niedrich.
— L. Glaser (1887) page 308 :
"Plebejer (plebs, -bis, gemeines Volk etc.,)"
— August Janssen (1980) page 43 :
"plebejer (in tegenstelling tot Patriciër) " .
— A.M. Emmet (1991) page 150 :
"-plebeius, plebeian, belonging to the plebs, the Roman common people. The plebeji were the fifth of the six phalanges into wich Linnaeus divided the butterflies, a group including all the smaller species (blues and skippers). As with Nymphalis and Danaus, Kluk was the first to use the Linnean name in a way that complied with future I.C.Z.N. rules for the establishment of generic names and is therefore deemed the author."
Trad : "plebeius, plébéien, appartenant à la plèbe, le peuple romain. Les Plebeji formaient la cinquième des six phalanges par lesquelles Linnaeus divisait les papillons, un groupe comprenant les espèces les plus petites (les bleus et les skippers); Comme pour Nymphalis et Danaus, Kluk fut le premier à utiliser le nom de Linné d'une manière qui soit conforme avec les règles de la future Commission Internationale de Nomenclature Zoologique I.C.Z.N pour la formation des noms génériques et il est donc par conséquent considéré comme auteur de ce nom."
— Hans A. Hürter (1998) pages 355-357::
Deuntung : Die Bedeutung des Wortes Plebejus ist vorstehend hinreichend dargelegt ; es wird heute jedoch anders benutzt als vor etwa 200 jahren.V.Linné teilte die Arten in 5 Gattungen, deren fünfte er Plebeji nannte. 200 Jahre Forschung schufen zusätzliche Einteilungsbegriffe im Tierreich, nach F-W I S.181, für die Schuppenflügler/Schmetterlinge folgendermaßen (hier nur für in F-W II vorkommende Familien) : [...] Die Familie Hesperiidae findet sich in der Unterkohorte Pyralidiformes unter der überfamilie Hesperioidea. Der ehedem alle damals bekannten Lycaeniden umfassende Name Plebejus/Plebeji ist heute Gattungsname für nur noch 2 mitteleuropaïsche Arten : argus und pylaon
Trad : "Le sens du mot Plebejus est suffisamment expliqué ci-dessus: mais il est utilisé différemment aujourd'hui qu'il y a quelques années, environ 200 ans. ..."
—Luquet in Doux et Gibeaux (2007) page 224 :
" Du latin plebeius, "propre à la plebs", c'est-à-dire au bas-peuple romain. Le termePlebejus est repris du mot Plebeji, créé par Linné en tant que phalange dans lequel il réunissait tous les papillons de petite taille, les "modestes" (d'où l'allusion au bas-peuple), par comparaison avec ceux, plus "nobles", des autres phalanges (Equites, "chevaliers" pour les papilionides, par exemple)."
— Perrein et al (2012) page 268.
" Étymologie : du latin plebeius, "commun, vulgaire", de plebs, plebis "peuple". Cinquième des six phalanges suivant lesquelles Linné subdivise les Papiliones ou papillons de jour, lesPlebeji regroupent toutes les petites espèces dont les chenilles sont le plus souvent contractées, ("parvi : larva saepius contracta") : Rurales et Urbicolae qui deviendront par la suite respectivement les Lycènes et les Hespéries."
— Arizzabalaga & al. 2013 :
Plebejus A Roma, el poble, els que no són nobles Linné agrupa amb aquest nom les papallones petites
Discussion.
Vingt-huit ans après la parution de la dixième édition du Systema Naturae de Linné de 1758, Jean-Christophe Kluk reprend, pour en faire un nom de genre, le nom de la cinquième "phalange" des Papilio de Linné, où celui-ci avait classé les papillons les plus petits ou les moins spectaculaires dans sa partition organisée autour du thème de la société grecque de la Guerre de Troie : loin des nobles Chevaliers (Equites), des divinités et Muses du mont Hélicon (Heliconi), des filles de Danaus ou des fils d'Aegyptos (Danai), des divinités des sources ou des bois (Nymphales), les Plebejus, du latin plebeius, "propre à la plebs", de plebs, plebis "peuple" rassemble le petit peuple des Blues et des Skippers anglais, nos Lycènes et nos Hespéries. Ce grand genre de 79 espèces de Kluk a fondu au fur et à mesure de son démembrement en nouveaux genres, pour ne plus contenir actuellement que les quatre espèces françaises, et un nombre divers selon les classifications d'espèces étrangères.
Voir le passionnant dossier La Plèbe romaine sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/institutions/plebs.htm
Les six phalanges crées par Linné pour ses Papiliones (rhopalocères) peuvent être considérés en deux groupes principaux : c'est ce que fera Hübner en 1819 dans son Verzeichniss en ne créant que deux Phalanges, Nymphales et Gentiles, c'est à dire Personnages mythologiques d'une part, et Personnages Humains de l'autre. Parmi ces derniers, se trouvent les Equites et les Plebeji, c'est à dire les deux grands éléments de la nation romaine depuis le VIe siècle av.J.C , les Praticiens issus des Patres, et les Plébéiens. Chez Linné, la phalange V des Plebeji s'oppose à la phalange I des Equites, les phalanges II, III, et IV relevant de la Mythologie surnaturelle, si je puis dire.
Voir mon article Noms des Papillons diurnes (rhopalocères) créés par Linné dans le Systema Naturae de 1758.
Les Plebejii sont eux-mêmes répartis chez Linné en deux sous-catégories, les Rurales et les Urbicolae, ce qui correspond à la Plèbe romaine, constituée de 90% d'agriculteurs, mais dont les membres des villes se répartissaient en proletarii, artisans (tisserands, cadreurs, tuiliers, boutiquires ou tabernarii), et Homines quasi-boni (riches financiers et négociants en gros).
Mais cette classe a laissé dans l'Histoire moins de personnages célèbres ou légendaires, et Linné, pour son onomastique, a souvent fait appel à une dénomination par la plante-hôte, ou aux noms d'artisans-artistes sculpteurs, peintres ou architectes.
Le Dictionnaire latin en ligne de Gérard Jeanneau donne pour ce mot Plebejus :
plēbēius (plēbējus), a, um. [plebs] : - 1 - plébéien, de la plèbe, de la populace. - 2 - du commun.
- philosophus plebeius, Cic. Tusc. 1 : philosophe de bas étage.
- cassis plebeia, Luc. : casque de simple soldat.
- plebeium sapere, Petr. : avoir un goût peu relevé.
- plebeius sermo, Cic. Fam. 9, 21, 1 : langage courant.
On remarque les connotations méprisantes du terme, que le mot français "la plèbe" possède aussi. Si on consulte le mot plebs, on découvre son étymologie latine, le verbe pleo, impleo, "remplir", du grec πίμπλημι : "remplir"; πλήρης : "plein"; cf. πλῆθος : "multitude". Ces racines sont aussi évoquées à l'origine du mot peuple. Plebs, c'est à la fois la plèbe, opposée au patriciens ; le peuple ; la populace ; et la foule, la multitude.
Issu du radical indo-européen *pel- (« plein (de monde, de gens) » → voir plenus) qui a donné des noms tels que pléthore, folk (« peuple » → voir full) en anglais, Volk (« peuple » → voir voll) en allemand, le latin plebs, plebis est à l'origine dans notre vocabulaire des mots plébiscite, plébéiens, mais aussi à une quantité de toponymes commençant par Ple, Plo, Plou, au sens de "paroisse". Indirectement, les noms de communes bretonnes débutant par Plou- ont favorisé la survenue du qualificatif familier ou péjoratif "plouc" au sens de paysan rustre.
3. Nom d'espèce : Plebejus idas (Linnaeus, 1761).
a) Description originale
Linnaeus, C. 1761. Fauna Svecica sistens animalia Sveciæ Regni: mammalia, aves, amphibia, pisces, insecta, vermes. Distributa per classes & ordines, genera & species, cum differentiis specierum, synonymis auctorum, nominibus incolarum, locis natalium, descriptionibus insectorum. Editio altera, auctior.. Stockholmiæ. (L. Salvii). 578 pp. page 284.
http://www.biodiversitylibrary.org/page/32170753#page/342/mode/1up
— Description originale:
1075 Papilio Idas alis caudatis caeruelis : posticis fascia termilani rufa ocellari : subtus pupillis caeruleo-argentieis. Papilio hexapus, alis rotundatis integerrimis nigro fuscis : subtus ocellis numerosis.
Fn. 804, 805.
Raj. Ins. 131 n.12 Papilio parva, alis supinis pullis cum linea s. ordine macularum lutearum ad imum marginem.
Habitat in Ericetis.
Descr: Facies, magnitudo & color omnino praecedentis, a quo differt alarum lateris superioris colore, qui non, ut in illo, caeruleus, sed omnino nigro-fuscus ; Alae secundariae postice supra fascia obsoleta ex ocellis ferrugineis pupilla nigra. Subtus omnes alae similes praecedenti, sed pallidiores & fascia albida ante posticam ruffam ex ocellis caeruleo argenteis. An solo sexu a priori diversus ?
-Trad. :
b) références données par Linné: (étudiées infra)
— Linné, 1746 Fauna suecica 1746 n° 804 -805.
— John Ray, 1710 Historia insectorum, page 131 n°12 .
Curieusement, Linné avait déjà utilisé ce nom Idas dans sa 10ème édition de Systema Naturae en 1758 pour un Papilio barbarus Idas, "habitat in Indiis". Voir infra.
c) Localité et description
— Localité-type : Suède, désignée par Honey & Scoble (2001) : Honey, M. R. & Scoble, M. J. 2001. Linnaeus's butterflies (Lepidoptera: Papilionoidea and Hesperioidea). Zoological Journal of the Linnean Society, 132(3): 277-399, page 335.
— Selon Dupont et al. 2013, cette espèce est présente dans toute la région paléarctique, sauf en Afrique du Nord. Elle est signalée dans toute la France. Les chenilles se nourrissent principalement sur diverses espèces de Fabaceae.
Selon Wikipédia,
"C'est un petit papillon qui présente un dimorphisme sexuel, le dessus du mâle est bleu violet à fine bordure noire et frange blanche, celui de la femelle est marron avec une ligne de lunules submarginale orange surtout visibles aux postérieures. Le revers est beige à ocre clair orné d'une ligne marginale de points noirs pupillés de bleu vert argenté doublée d'une ligne de lunules orange séparées d'une ligne de points noirs par du blanc.
Il hiverne à l'état d'œuf. Les chenilles et les nymphes sont soignées par des fourmis, Lasius niger, Formica cinera, Formica selysi, Formica exsecta, Formica lemani, Formica pressilabris, Formica lugubris, Formica cunicularia, Formica lefrancoisi. Plebejus idas magnagraeta est soigné par Formica pratensis. Grâce à une production d'hormones reconnues par les fourmis, il vit en symbiose avec les fourmis et se métamorphose dans les fourmilières. Il vole en une génération, en juin juillet. Ses plantes hôtes sont diverses, Cytisus scoparius, Genista pilosa, Lotus corniculatus, Melilotus alba, Anthyllis vulneraria et Calluna vulgaris. Pour Plebejus idas magnagraeta ce sont Cytisus villosus et Genista depressa. L'aire de répartition de l'Azuré du genêt recouvre toute l'Europe (sauf l'Angleterre et le sud de l'Espagne, de l'Italie et de la Grèce), la Sibérie et l'Alaska. En France métropolitaine il serait présent dans tous les départements sauf les Ardennes le Nord-Pas-de-Calais, le Picardie, le Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne, Gers et la Mayenne."
d) synonymes (INPN) et sous-espèces.
- Argus calliopis Boisduval, 1832 : Boisduval, J.-B. A. 1832-[1835]. Icones historiques des Lépidoptères nouveaux ou peu connus. Collection, avec figures coloriées, des Papillons d'Europe nouvellement découverts; ouvrage formant le complément de tous les Auteurs iconographes. 1. Rhopalocéres. Roret, Paris. 251 pp. page 58
- Lycaeides argyrognomon gazeli Beuret, 1934 :Beuret, H. 1934. Contribution à l'étude de la variation géographique de Lycaeides argyrognomon Bergstr. (Lycaenidae).Lambillionea, 34: 99-123. page 108.
- Lycaeides argyrognomon rauraca Beuret, 1934 : Beuret, H. 1934. Contribution à l'étude de la variation géographique de Lycaeides argyrognomon Bergstr. (Lycaenidae).Lambillionea, 34: 99-123, page 119.
- Lycaeides idas calliopis (Boisduval, 1832)
- Lycaeides idas haefelfingeri (Beuret, 1935)
- Lycaeides idas idas (Linnaeus, 1761)
- Lycaeides idas lapponicus (Gerhard, 1853)
- Lycaeides idas magnagraeca (Verity, 1925)
- Lycaeides idas (Linnaeus, 1761)
- Lycaena aegon lapponica Gerhardt, 1853 : Gerhard, B. [1850-1853]. Versuch einer Monographie der europaeischen Schmetterlingsarten Thecla, Polyomattus, Lycaena, Nemeobius als Beitrag zur Schmetterlingskunde. Hamburg, page 19.
- Lycaena argus alpina Berce, 1867 : Berce, J. E. 1867. Faune entomologique française. Lépidoptères. Description de tous les papillons qui se trouvent en France indiquant l'époque de l'éclosion de chaque espèce, les localités qu'elle fréquente, la plante qui nourrit la chenille, le moment où il convient de la chasser, précédées de renseignements sur la chasse, la préparation et la conservation, etc. Premier volume : Rhopalocères.. Deyrolle, Paris. 270 pp. page 134.
- Lycaena argus armoricana Oberthür, 1910 : Oberthür (1910) : 189 . Etudes de lépidoptérologie comparée. Fascicule IV. Imprimerie Oberthür, Rennes. 691 pp.
- Papilio idas Linnaeus, 1761
- Plebeius idas magnalpina Verity, 1927
- Plebeius idas (Linnaeus, 1761)
- Plebejus idas alpina (Berce, 1867)
- Plebejus idas armoricanus (Oberthür, 1910)
- Plebejus idas calliopis (Boisduval, 1832)
- Plebejus idas gazeli (Beuret, 1934)
- Plebejus idas haefelfingeri (Beuret, 1935)
- Plebejus idas idas (Linnaeus, 1761)
- Plebejus idas lapponicus (Gerhard, 1853)
- Plebejus idas magnagraeca (Verity, 1925)
- Plebejus idas magnalpina Verity, 1927 Verity, R. 1927. La variation géographique dans l'Europe occidentale des Plebeius idas L. (= argus Schiff. = argyrognomon Berg.) et insularis Leech. Le nom du P. lycidas est de Meigen et non de Trapp. Annales de la société entomologique de France, 96: 1-16. page 10 [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54627776/f7.image]
- Plebejus idas rauracus (Beuret, 1934)
c) Origine et histoire du nom idas.
Spuler (1903-1908) page 63 :
„der Bewohner waldigen Gebirgs, griechischer Männername.“
— August Janssen (1980) page 43 :
man van Marpessa.
— Hans A. Hürter (1998) page 350 :
Deutung : Linné hat nicht hinterlassen, welchen Idas er bei der Benennung im Sinn hatte. Es darf aber als sicher angenommen werden, daß er den bekanntesten Träger dieses Namens meinte, den Sohn des Aphareus und der Arene.
Interprétation: Linné n'a pas indiqué ce qu'il avait à l'esprit en nommant Idas. Mais on peut supposer sans risque qu'il voulait parler du plus célèbre porteur de ce nom, le fils de Aphareus et Arene.
— Luquet in Doux et Gibeaux (2007) page 226
" idas : nom emprunté à la mythologie grecque, Idas, héros messénien, cousin des Dioscures, s'éprit de Marpessa, fille d'Événos, que lui disputa Apollon. Zeus intervint et laissa Marpessa libre de choisir : elle préféra Idas. Celui-ci prit part, avec son frère Lyncée, à l'expédition des Argonautes. Ils entreprirent ensuite, avec Castor et Pollux, une expédition en Arcadie. Mais, au cours d'une dispute pour le butin, Castor et Lyncée furent tués, Idas fut foudroyé par Zeus."
— Perrein et al. (2012) page 275:
" Étymologie : D'Idas, héros messénien, habile chasseur de sangliers, qui participe à l'expédition des Argonautes aux cotés de Jason, enlève Marpessa aimèe d'Apollon sur un char ailé et se rend célèbre aussi par sa lutte avec ses cousins Castor et Pollux."
— Arizzabalaga & al. 2013 :
Idas, germà de Linceu, un dels argonautes
Discussion.
En 1758, dans la 10e édition du Systema Naturae , où les noms de rhopalocères obéissent à une logique très stricte déterminée par les Phalanges auxquels ils appartiennent, la dernière espèce de Papiliones, n° 192, porte le nom d'Idas. C'est, comme toutes les espèces de cette 6ème phalange des Barbari (les barbares, les étrangers), un espèce indienne (habitat in Indiis), dont la description (alis nigris concoloribus, etc.,) n'a rien à voir avec celle qui nous intéresse. Mais il est important de noter que les 26 Papilio Barbari avaient reçu le nom d'un des Argonautes, choisi parmi la liste donnés par différents auteurs de l'Antiquité. Parmi ceux-ci, Heller a montré que Linné avait fait appel à Hyginus. Idas apparaît dans cinq des huit listes disponibles, dont celle de Hyginus.
Dans les Fabulae de Hyginus, la liste se trouve au chapitre XIV Argonautae convocati. Après Jason, Orpheus, Asterion, Polyphemus, Ophiclus, etc., les vers 12 et 13 sont consacrés à Castor et Pollux, puis à Lynceus et Idas :
12 Castor et Pollux Iouis et Ledae Thestii filiae filii Lacedaemonii, alii Spartanos dicunt, uterque imberbis; his eodem quoque tempore stellae in capitibus ut uiderentur accidisse scribitur. Lynceus et Idas Apharei et Arenae Oebali filiae filii, Messenii ex Peloponneso. ex his Lynceus sub terra quaeque latentia uidisse dicitur, neque ulla caligine inhibebatur.
13 alii aiunt Lynceum noctu nullum uidisse. idem sub terra solitus cernere dictus est ideo quod aurifodinas norat; is cum descendebat et aurum subito ostendebat, ita rumor sublatus eum sub terra solitum uidere. item Idas acer, ferox.
"Castor et Pollux, fils de Jupiter et de Léda, fille de Thestius, Lacédémoniens; d'autres les appellent Spartiates, ils étaient tous les deux imberbes. Il est écrit que des étoiles étaient apparues en même temps sur leurs têtes comme s' ils avaient apparemment tombé là. Lyncée et Idas, fils de Aphareus et Arena, fille de Oebalus, Messéniens du Péloponnèse.
Ils disent que de ceux-ci, que Lyncée pouvait voir ce qui était caché sous terre, et qu'il n'y était empêché par les ténèbres. D'autres disent Lyncée ne pouvait rien voir de nuit. Il a été dit qu'il voyait sous terre parce qu'il était habile à découvrir les mines d'or. Quand il est descendu et a été découvert l'or, les rumeurs se répandirent soudain qu'il pouvait voir sous la terre. De même, Idas était vigoureux et féroce."
De même Apollonius de Rhodes I v.151-155 :
"Les Apharétiades, Lyncée et le violent Idas, partirent d'Arène; ils étaient tous les deux sûrs d'eux-mêmes, et fiers de leur grande force, et Lyncée était doué d'yeux si perçants que, si la renommée est véridique, il pouvait porter facilement ses regards même à l'intérieur de la terre." (P. Remacle)
Le fait que le papilio Idas soit, dans la 10e édition, accompagné de 25 autres espèces qui correspondent aussi à des noms d'argonautes lève toute ambiguïté (cf. l'opinion de Hürter) sur l'identité de l'Idas tutélaire de cette espèce : elle porte bien le nom de l'argonaute Idas le Méssenien, frère de Lyncée, fils d'Apharée roi de Messénie et d'Arené. Les deux frères (en grec ancien Ἴδας καὶ Λυγκεύς / Ídas kaì Lugkeús) sont parfois désignés sous le nom d’Apharétides en référence à leur père. Lyncée était pilote du navire Argo lors de l'expédition des Argonautes. Ses yeux traversaient les murailles et pénétraient les nuages noirs du ciel (de là vient, par paronymie, l'expression d'« œil de lynx »). Ils participèrent à la fameuse chasse contre le sanglier de Calydon. Les deux frères aimaient deux sœurs auxquelles ils étaient fiancés, Hilaire et Phoebe les Leucippides, prêtresses d'Athéna et d'Artémis. Leurs cousins Castor et Pollux leur ravirent ces belles femmes.
Idas et Lyncée moururent au cours du combat contre Castor et Pollux. Ceux-ci s'étaient emparés des troupeaux d'Idas et Lyncée. Mais Idas et Lyncée s'embusquèrent pour les guetter du haut du Taygète. Lyncée aperçut Castor à travers les branches d'un chêne, il le désigna à Idas qui tua Castor. Pollux se précipita à leurs trousses et tua Lyncée. Idas décocha une pierre sur Pollux qui mourut. Alors Zeus foudroya Idas et ramena Pollux avec lui. Marpessa fut l'épouse d'Idas, mais Apollon l'enleva et ils vécurent un temps ensemble. Idas la reconquit car Zeus demanda à Marpessa de choisir entre les deux soupirants. Marpessa eut d'Idas une fille nommée Cléopâtre. (Wikipédia)
Marpessa et Ida séparés d' Apollon par Zeus , attique à figures rouges Psykterca. 480 BC Staatliche Antikensammlungen (Inv. 2417).
En 1766-68, dans la 12e édition, toute la phalange VI des Barbari a disparu. Mais, comme nous allons le voir, Linné a récupéré le nom Idas en 1761 pour désigner une espèce de la phalange V, celles des Plebeji. Comme il y a tout lieu de présumer que Linné, en ré-attribuant le nom Idas, n'a pas changé l'identité du héros tutélaire, on peut affirmer que Plebejus idas doit son nom à l'argonaute frère de Lyncée et cousin malheureux des Dioscures Castor et Pollux. Il voisine dans la liste des Plébéji rurales le Papilio argus. Bien que le nom de ce dernier soit généralement considéré comme venant d'Argos panoptes, un Géant aux cent yeux, son homonyme Argos fils de Polybe est un argonaute, qui construisit le navire de Jason avant d'en être l'un des pilotes. On peut dire que les deux Plebejus doivent leur nom à deux argonautes, Argus et Idas.
Laissons là nos considérations sur l'origine et le sens des noms propres, et intéressons-nous aux aléas complexes de la taxonomie :
Archéo-taxonomie de l'espèce.
L'étude de ce nom doit maintenant être associée à d'autres, avec lesquels il est tissé selon des motifs compliqués, et notamment à celle du papilio argus de Linné, son frère jumeau en quelque sorte. On va voir que le savant suédois a eu quelques difficultés à s'y retrouver parmi les petits papillons mâles à ailes bleus et femelles à ailes brunes.
Placées dans l'ordre chronologique, nous avons les publications suivantes :
- John Ray, 1710 Historia insectorum, page 131 n°12 .
- Linné Fauna suecica 1746 page 247 n°804 et 805.
- Linné, Systema Naturae 1758 page 483 n° 152.
Dans sa description de 1761, Linné témoigne d'une certaine confusion puisqu'il renvoie à deux espèces décrites en 1746, son "Argus fuscus" n°804 et son "Argus myops" n°805 (les deux noms étant encore des noms vernaculaires indiqués vulgo, sans les caractères d'un nom scientifique). C'est le n° 804 qu'il associe à la description de John Ray. Si on part du Fauna suecica de 1746, et que l'on suit la modification des descriptions, nous avons :
Ray n°11...Fn(1) n°803 Argus oculatus....SN 152 Argus =803+804 ...Fn(2)1074 Argus
Ray n°12...Fn(1) n°804 Argus fuscus ...SN 152 Argus =803+804...Fn(2) 1075 Idas =804+805
Fn(1) n°805 Argus myops .....SN 154 Rubi = 805+806 ...Fn(2) 1075 Idas =804+805
Fn(1) n° 806 Argus caecus .....SN 154 Rubi = 805+806 .....Fn(2) Rubi n°806
Fn(1) n°807 Butyracea vulgo ..SN 161 Virgauraea =807+808 ...Fn(2) Phlaeas
Fn(1) n°808 Butyr. albo mac....SN 161 Virgauraea=807+808 ... FN(2) Virgauraea
Difficile d'être clair, mais le papilio idas de 1761 résulte donc de la fusion des papillons Argus fuscus 804 et Argus myops 805 de 1746, alors que ces deux papillons avaient été intégrés dans les papilio Argus et Rubi de 1758...
Dans la douzième édition du Systema Naturae de 1766-68 page 789-790...patatras ! Argus et Idas sont désormais décrits sous le seul nom de Papilio Argus, avec la mention Femina est Idas, Idas est la forme femelle d'Argus ! C'est la quatrième redistribution des cartes en 20 ans.
Retour à la zoonymie.
Reprenons notre réflexion autrement. En 1746, lorsque Linné a créé ses tout premiers noms, il a donné à quatre papillons dont les ailes portent des d'ocelles (des "yeux") le nom du Géant Argos, celui qui voit tout (panoptes) grâce à ses cent yeux. Et il s'est amusé à décliner ce nom en Argus oculatus ou Argus ocellé (subtus ocellus numerosis "de nombreux yeux à la face inférieure), Argus fuscus ou Argus brun ( subtus ocellus numerosis , idem), Argus myops ou Argus qui cligne des yeux (myops vient du gr. μ υ ́ ω ψ, -ω ̃ π ο ς «qui cligne les yeux pour mieux voir», composé de μ υ ́ ω «fermer» et ω ψ «œil») (subtus punctis nigris quadraginta duobus : 42 points noirs à la face inférieure) et enfin Argus caecus ou Argus aveugle (subtus viridis immaculatis : "dessous vert sans tache, sans yeux").
Mais ces variations amusantes doivent être abandonnées dès 1758, quand Linné se donne comme règle d'attribuer un nom en un seul mot. Il conserve donc le seul p. argus, (argus oculatus et fuscus) ajoute un diminutif argiolus et reporte sur papilio rubi ses noms d'argus myops et caecus. Il est tentant de penser que Linné a placé en 1761 le nom Idas a à coté de celui d'Argus, c'est en pensant à ce thème des yeux et de la vision. Pourquoi n'a-t-il pas fait appel alors à Lyncée, le pilote à la vue de Linx ? Fabricius y pensa en 1787 et créa le Papilio plebejus linceus (Mantissa page 69). Drury créa (pour un Nymphalidae) un papilio lynceus. Je l'ignore, mais, tout en préférant reprendre le nom Idas, sans-doute a-t-il délibérément vu que Argus et Idas étaient tout deux à bord du navire Argo.
Abusons de la bienveillance du lecteur pour remarquer que le zoonyme Idas est issu à l'origine en 1758 d'une attribution arbitraire, sans souci de corrélation entre le nom d'un argonaute tiré d'une liste, et l'espèce animale qui le reçoit. Il en va tout autrement du nom Argus, qui a été créé 12 ans auparavant à une époque où Linné n'avait pas encore conçu cette séparation entre dénomination et description, et concevait des noms qui se rapportaient par leur sens aux espèces désignées. Ces deux courants majeurs de la Zoonymie, dénomination arbitraire et dénomination qualificative, se rejoignent donc ici puisque, en 1761, Linné en rapprochant Idas d'Argus, confère au nom Idas une intention descriptive qu'il n'avait pas au départ.
Encore un peu de taxonomie.
—a) Denis & Schiffermüller 1775 Ankündung Syst. page 184 n° N14 :
14 : Stechginsterraupe (genista germanicae) : Stechginterfalter –– P. Argus. L. (fem. P. Idas. )
15 : Geißkleefraupe (cythisa austriaci etc) : Geißkleefalter —P. Aegon
N.b : Stechginster = Ulex europaeus (Ajonc) / Geißklee = Cytisus (Genêt)
L'ouvrage de Denis & Schiff. est cité par les entomologistes sous le nom de Wiener verzeichniss (Catalogue Viennois), Wien. Verz.
—b) Bergsträsser 1779 Nomenclatur und Beschreibung der Insecten in der Graffschaft Hanau-Münzenberg wie auch der Wetterau und der angränzenden Nachbarschaft dies und jenseits des Mains mit erleuchteten Kupfern herausgegeben von Joh. Andr. Benignus Bergsträßer (...). Zweiter Jahrgang. - pp. 1-79. Hanau. (Stürner). page 76 : Argyrognomon.
—c) W. F. Kirby 1871 Syn. Cat. Diurn. Lep. page 357 crée les équations suivantes :
- Argus Wien. Verz. = argyrognomon Bergst.
- Aegon Wien. Verz = Argus Linn.(♀Idas)
—d) Oberthür dans ses Études de Lépidoptérologie comparée page 172 refuse les équations de Kirby reprises par Staudinger et Rebel.
— e) Chapman 1917 découvre une "nouvelle" espèce qu'il nomme Plebejus aegus in Oberthür 1917 Etud. lep. comp.. 14:41-57 Pl.
— f) Beuret 1935 : argyrognomon = P. aegus
Cette succession d'événements, et beaucoup d'autres encore, conduisent à une impasse taxonomique
La Décision de l'ICZN en 1948.
Revenons au papillon indien que Linné avait baptisé Papilio idas en 1758. Conformément aux lois qui régissent la Nomenclature, ce nom "Papilio idas Linnaeus, 1758" d'un Hespéride oriental, nom qui ne servait jamais car aucun spécialiste n'était jamais parvenu à définir à quoi il pouvait bien correspondre, était, du fait de son antériorité, seul valide et interdisait l'usage du "Papilio idas Linnaueus, 1761". De ce fait, l'espèce que nous nommons aujourd'hui Plebejus idas était désigné en employant par confusion le nom de argyrognomon Bergsträsser, [1779], notre actuel Azuré des Coronilles. Jusqu'à ce qu'en 1936 l'éminent entomologiste suisse Henri Beuret ne s'en préoccupe et confie ce souci à Arthur Francis Hemming, le secrétaire de l'ICZN ou Commission Internationale de Nomenclature Zoologique de 1937 à 1958.
La mauvaise identification de trois espèces proches avait conduit à une telle " inextricable confusion" qu'il fut décidé par séance plénière de l'ICZN dans son Opinion 269 de janvier 1954 que
- Le nom de idas Linnaeus 1758 (celui de l'espèce indienne) était supprimée.
- Le nom idas Linnaeus, 1761 était considéré comme valide.
- Ce nom idas serait appliqué à l'espèce (sous-espèce monotypique décrite par Linné selon le spécimen récolté en Suède) dont les genitalia mâles étaient donnés en illustration par Chapman dans la figure 7 de la Planche III du Volume 14 des Études de lépidoptérologie comparée d'Oberthür.
- Le nom argyrognomon Bergstrasser [1779] serait réservé à l'espèce dont les genitalia mâles étaient donnés en photographie par Chapman dans la figure 23 de la même Planche.
- Le nom argus Linnaeus, 1758 serait réservé à l'espèce définié par les genitalia mâles donnés en photographie par Chapman 1909 dans la figure 1 de la Planche XX du Volume 3 du Natural History of the Bristish Butterflies de Tutt.
L'identification de la chenille et de la plante-hôte.
On se méfiera de prendre pour argent comptant les noms vernaculaires d'Azuré de l'Ajonc et d'Azuré du Genêt laissant croire que Plebejus argus pond sur l'Ajonc et non sur le Genêt, et inversement pour Plebejus Idas. En début 2014, les précisions sur les plantes hôtes attestées étaient encore insuffisantes, et faisaient l'objet d'études. En Loire-Atlantique (Perrein et al. 2010), l'ajonc nain (Ulex minor) et la bruyère cendrée (Erica cinerea) sont attestées. En Bretagne, dans le cadre d'une prospection organisée par Donovan Maillard, des ponte ont été documentée pour Plebejus idas armoricana en juin 2014 sur l'Ajonc d'Europe (Ulex major ou U. europaeus), en juillet sur l'Ajonc nain Ulex minor, et deux chenilles (stade 4) ont été observées en août sur le Genêt à balais Cytisus scoparius, poussant dans un dôme de Formica pratensis.
Plebejus idas armoricana
cette espèce vole en deux générations de fin mai à début septembre, dans des landes sèches à Ulex gallii et Erica cinerea où la végétation est plus haute que celle où vole P. argus, ce qui pourrait être conditionné par les besoins de sa fourmi symbionte Formica pratensis qui produit des fourmilières en dômes, mesurant quelques dizaines de centimètres au dessus du sol, et dont l' essaimage s'étend de mai à août.
Bien plus rare que P. argus, et recensé de manière fiable sur seulement 8 sites du Morbihan et de l’Ille-et-Vilaine ainsi que sur quelques landes littorales du Finistère, l’Azuré du Genêt peut être qualifié d’espèce patrimoniale en Bretagne, en déclin (Donovan Maillard, 2014).
II. Noms vernaculaires.
I. Les Noms français.
1. L'Argus brun et l'Argus myope, Geoffroy, 1762.
Étienne Louis Geoffroy Histoire abrégée des Insectes qui se trouvent aux environs de Paris, page 63 et 64 n° 32 et 33.
- N° 32 Argus brun = argus fuscus Fn(1) Linné n°804 = Ray n°12
- N° 33 Argus Myope = argus myops Fn(1) Linné n°805.
Si on reprend la genèse de la description du papilio idas par Linné, telle que je l'ai présentée plus haut, il est parfaitement logique de donner ces deux noms vernaculaires de Geoffroy comme les premiers noms français de cette espèce. En 1762, Geoffroy ne disposait pas de la 12e édition SN(2) de Linné, et les références qu'il donne sont celles de la Fauna suecica de 1746, complété pour l'Argus brun du n°12 de John Ray associé à l'Insecten Belustigung de Roesel.
Sur le plan de la création des noms, il se contente de donner une forme française à l'Argus fuscus et à l'Argus myops du savant suédois.
Je rappelle le schéma suivi par Linné entre 1746 et 1761 :
Ray n°12...Fn(1) n°804 Argus fuscus ...SN 152 Argus =803+804...Fn(2) 1075 Idas =804+805
Fn(1) n°805 Argus myops .....SN 154 Rubi = 805+806 ...Fn(2) 1075 Idas =804+805
Mais, dans la même fidélité à l'esprit de la Fauna suecica, il avait donné le nom générique d'ARGUS au troisième groupe de sa seconde famille des "Papillons à six pieds" (les hexapus de Linné). Huit espèces figurent dans ce groupe, dont cinq portent le nom d'argus : Argus bleu, brun, myope, vert et Demi-argus.
S'il ne rentre pas dans mes compétences de dire si les papillons décrits par Geoffroy correspondent bien à notre Plebejus idas (alors qu'aujourd'hui seule la recherche de l'absence de l'épine tibiale ou l'examen des genitalia permet un réel diagnostic), il paraît bien établi qu'en matière de zoonymie l'Argus brun et l'Argus myope de Geoffroy sont les premiers noms vernaculaires français de cette espèce. Pourtant, ils ne sont pas mentionnés comme tels par Latreille et par Godart, pourtant fort attentifs à ces ascendances. Si la filiation, comme je viens de le montrer, est exacte sur le plan des noms, elle va être ensuite âprement discutée sur le plan des déterminations entomologiques.
Dés 1803, Olivier et Latreille redistribuent les cartes (Nouveau dictionnaire d'Histoire naturelle vol. 17) et considèrent l'Argus Brun comme la femelle de l'Argus Bleu, le couple devenant le "Polyommate Alexis" de Godart 1821 avant de devenir notre Polyommatus icarus. L'Argus myope devient une espèce propre, leur "Papillon Argus myope" de leur genre Argus assimilé à l'Hesperia Xanthe et à l'Hesperia Gabbas de Fabricius, qui sera le "Polyommate Xanthé" de Godart 1821, puis notre Heodes tityrus.
2. Argus myope Engramelle, 1779
Engramelle (R.P. Jacques Louis Florentin), 1779, Papillons d'Europe peints d'après nature par M. Ernst page 184 n°189.
Si nous suivons le fil des références, Engramelle décrit sous le nom d'Argus myope l'Argus myops du Fauna suecica n°805 de Linné et l'Argus myope n° 32 de Geoffroy. La filiation zoonymique est donc respectée.
Par contre, le nom d'Argus brun n'est pas repris par Engramelle qui considère que Linné et Esper se sont trompés en affirmant que les mâles d'Argus sont bleus et les femelles brunes. C'est, selon lui, le contraire (il sera démenti par Latreille en 1803). Pour lui, le n° 30 Argus bleu de Geoffroy et l'Argus brun n°32 sont les deux formes sexuées de son Argus bleu (l'argus brun étant le mâle).
3. Polyommate argus Latreille et Godart 1819
Latreille et Godart Encyclopédie méthodique, Paris : Vve Agasse tome 9, page 684 n°212 .
Les auteurs considèrent, conformément à Linné dans sa 12e édition du Systema Naturae, le Papilio argus de Linné comme le mâle et P. idas comme la femelle.
Cet article permet de disposer de l'ensemble des références bibliographiques sur cette espèce, notamment par les auteurs germaniques, autrichiens ou suisses.
Latreille avait crée en 1804 le genre des Polyommates ("à plusieurs yeux", un équivalent d'Argus), défini par "des palpes inférieurs de longueur moyenne, ou courts". (Considérations générales sur l'ordre des insectes p. 355).
4. Le Polyommate argus , Godart 1821,
Jean-Baptiste Godart, Histoire naturelle des lépidoptères ou papillons d'Europe, Paris : Crevot 1821/1823, page 215 n°78 planche 11 fig.1 (femelle) et pl. 11tert. fig.4 (mâle) peinte par Vauthier et gravée par Lanvin .
Là encore, je suis le fil des références données (le papilio argus de Linné) plutôt que celui de l'exactitude des descriptions et des figures. Notamment, la figure 4 montre bien l'absence de point noir dans la cellule de l'aile antérieure, mais ne représente ni la bande blanche au dessus des lunules oranges, ni les pupilles bleu-vert des ocelles, caractéristiques des Plebejus.
Source image :http://raf.dessins.free.fr/2bgal/blog.php?id_img=13902
Ce nom a été repris par Hippolyte Lucas (1834) .
5. Polyommate argus, La Chenille (Duponchel, 1849).
P.A.J. Duponchel, 1849 Iconographie et histoire naturelle des chenilles page 71 n°22 planche VI fig. 22 a-b par Dumenil fig.
"Cette chenille vit sur le mélilot officinal (melilotus, officinalis) le genêt allemand (genista germanica), le Genêt à balais (Genista scoparia), le sainfoin (Hedysarum onobrychis) et autres légumineuses."
6. La revue des noms vernaculaires par Gérard Luquet en 1986.
Dans la révision des noms vernaculaires français des rhopalocères parue dans la revue Alexanor en 1986, Gérard Christian Luquet propose comme nom principal pour Plebejus idas "L'Azuré du Genêt", citant pour les réfuter "L'Azuré sagitté" cité par le suisse Raphy Rappaz en 1979, "l'Argus bleu-violet" et "l'Idas" cité par David Carter en 1984. Ces trois noms attirent les commentaires suivants de l'auteur :
"Les noms d'Argus sagitté" et d'Argus fléché" créés par Rappaz respectivement pour Plebejus idas et P. argyrognomon m'apparaissent sémantiquement trop apparentés pour exprimer une quelconque différence entre les deux espèces, et se révèlent de ce fait peu appropriés. Il convient d'en éviter l'emploi".
"L'emploi du nom "Argus bleu-violet "doit être prohibé, car il désigne selon les auteurs tantôt Glaucopsyche alexis, tantôt Plebejus argus, tantôt Plebejus idas."
7. Noms vernaculaires contemporains :
Les confusions taxonomiques propres au XIX et première moitié du XXe siècle limitent peut-être l'intérêt d'apprendre que Charles Oberthür et Constant Houlbert , dans leur Faune armoricaine de 1912-1921, utilisent le nom scientifique de Lycaena armoricana Oberthür avec le nom vernaculaire de "l'Argus armoricain" et celui de Lycaena Aegon W.V [Denis & Schiffermüller] avec le nom de "l'Argus Bleu".
—Bellmann / Luquet 2008 : non cité.
— Chinery / Luquet 2012 : non cité
— Doux & Gibeaux 2007 : "L'Azuré du Genêt".
— Lafranchis, 2000 : "L'Azuré du genêt" .
— Perrein et al., 2012 : "Azuré du Genêt".
— Tolman & Lewington / P. Leraut 2009 : "".
— Wikipédia : "L'Azuré du genêt ou Moyen argus ou Bleu nordique ou Argus sagitté ou Idas".
III. Les noms vernaculaires dans d'autres pays.
- "Blavet de muntanya" en catalan. Blavets : Pel color. Blavet de muntanya : Perquè està distribuïda per la zona pirinenca
- "Idas Blue" en anglais
- "Žaliaakis melsvys" en lituanien
- "Modráčik severský" en slovaque
- " Голубянка идас" en russe
- "Modrásek obecný" en tchèque
- "Niña Esmaltada" en espagnol
- "Északi boglárka" en hongrois
- "Idin plavac" en serbe
- "Foranderlig blåfugl" en danois
- "Moyen argus" en français
- "Vals heideblauwtje" en néerlandais
- "Ketosinisiipi" en finnois
- "Idas-Bläuling" en allemand
- "Idas" en italien
- "Idasblåvinge" en norvégien
- "Hedblåvinge" en suédois
- "Mesika-sinitiib" en estonien
- "Lielais viršu zilenītis" en letton
- "Modraszek idas" en polonais
- "İdasmavisi |Esmergöz" en turc
Langues celtiques :
1. langues gaéliques : irlandais (gaeilge) ; écossais (Gàidhlig ) ; mannois ( gaelg :île de Man).
-
en irlandais
- en mannois.
-
"" en gaélique écossais*
2. Langues brittoniques : breton (brezhoneg) ; cornique (kernevek); gallois (Welsh, cymraeg).
-
pas de nom en breton ;
-
" " en gallois.
*Liste des noms gaéliques écossais pour les plantes, les animaux et les champignons. Compilé par Emily Edwards, Agente des communications gaélique, à partir de diverses sources. http://www.nhm.ac.uk/research-curation/scientific-resources/biodiversity/uk-biodiversity/uk-species/checklists/NHMSYS0020791186/version1.html
Voir aussi :http://www.lepidoptera.pl/show.php?ID=70&country=FR
Bibliographie, liens et Sources.
— MAILLARD (Donovan) 2014 "Synthèse des connaissances relatives aux deux espèces Plebejus argus et Plebejus idas en Bretagne".Stage de Master 2 70 pp. En ligne.
http://www.bretagne-vivante.org/images/stories/expertises/atlas/lepidoptere/les%20plebejus%20de%20bretagne%20-%202014.pdf
— Funet : plebejus
— Inventaire national du patrimoine naturel (Muséum) : plebejus idas
— UK Butterflies : espèce non décrite.
— lepiforum : plebejus idas
Bibliographie générale des Zoonymies : Zoonymie des Rhopalocères : bibliographie.