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3 septembre 2012 1 03 /09 /septembre /2012 21:42

Chapelle Notre-Dame de Carmès à Neulliac : les lambris du XVe siècle .

 

 

 

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Sur les peintures murales, voir aussi :

​Sur d'autres anges musiciens :

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La chapelle Notre-Dame de Carmès est un édifice de grande taille, propre à accueillir jadis les foules qui s'y rendaient de toute la région pour le grand Pardon ; mais si elle fut agrandie au XVIIIe, le premier sanctuaire date du XVe (1470-1500 par Jean du Porzo) , et sa tour du XVIe, avec une date gravée de 1521. 

  En 1705, le peintre La Palme réalisa un somptueux programme de décors des lambris, qui impressionne le visiteur dès qu'il pénètre dans les lieux. Cette oeuvre fut restaurée en 1814 par Blévin.

  En 1983, il était grand-temps de procéder à une restauration de grande ampleur, au cours de laquelle les lambris furent déposés. Or, ces travaux réservaient une énorme surprise : dans les deux bras du transept, l'ancien lambris se révéla orné de peintures du XVe siècle dans un état de conservation et de fraîcheur exceptionnel, consacrées à la vie de sainte Catherine. On trouva dans le chœur deux autres panneaux  consacrés à saint Pierre et à saint Jean.

  Les membres de la commission des Monuments historiques étaient enthousiastes : "Inestimable !" "Unique !" " Je dirais même plus, mon cher ami, ek-cep-cio-nel! " : c'est, à ce jour, le seul exemple de peinture sur bois de la première moitié du XVe siècle connu en Bretagne. C'était grossièrement  l'époque de la guerre de Cent ans, du règne de Charles VII ou de Louis XI, du peintre Jean Fouquet, et en Bretagne celui des ducs Jean V et François. D'autres sources indiquent une datation de la fin du XVe, vers 1470-1500, proche du mariage d'Anne de Bretagne et de Charles VII en 1491.

  Pourtant, les charpentes des églises et chapelles de Bretagne étaient, et sont encore, la plupart du temps, recouvertes par un lambris de chêne ou de sapin prenant appui sur les sablières, et ces lambris furent régulièrement peints, mais ces planches étaient sensibles à l'humidité et aux attaques des xylophages, et les comptes de fabrique mentionnent fréquemment la nécessité de leur réfection, soit par changement des boiseries, soit par superposition d'un nouveau lambris au dessus de l'ancien, soit par simple renouvellement des peintures.

    La surprise de spécialistes de l'art médiéval frappe aussi le visiteur du dimanche qui a traversé, écrasé par le faste des peintures, la nef et le chœur, et que l'on guide derrière l'autel ; passant une porte, il pénètre dans la belle sacristie peinte en gris. Il monte une escalier étroit et , poussant une nouvelle porte, il pousse aussi un cri, ou  reste ébahi : huit panneaux faits de planches inégales de bois clair sont répartis sur trois cotés de la pièce voûtée, et le trait fin et sûr des dessins semble avoir été tracé hier par un artiste contemporain, mais de talent rare.

  On ignore le nom de l'artiste du XVe siècle qui en est l'auteur, mais on évoque une influence flamande ou italienne, et on écarte la possibilité que ces lambris soient l'oeuvre d'un peintre local.

  Un beau travail de restauration a permis de débarrasser les panneaux de coulées noirâtres, bien visibles sur les premiers clichés qui furent pris avant que soit prise la décision d'aménager la sacristie pour y présenter ce corpus.     http://carmes.alvinet.com/visite/lambris-xv.html 

  Chaque panneau, de un mètre de large sur six de haut, se compose dans sa partie basse d'une scène historiée ou d'un saint personnage, et dans sa partie basse de deux anges tenant les instruments de la Passion ou participant à un concert spirituel.

  Après avoir donné une vue d'ensemble (mais les photographies sont celles qu'on peut attendre avec la taille réduite du local et l'éclairage adapté à la protection des œuvres), je présenterai la succession des anges, puis la bande dessinée de la partie inférieure. Je les numéroterai en partant de la gauche.

 

  A gauche : suite du cycle de sainte Catherine, trois panneaux 1 à 3.

                       general 7091c

 

Au centre , cycle de sainte Catherine, deux panneaux 4 et 5:

general-7084c.jpg

 

 

                             general-7093c.jpg

 

A droite : saint Pierre et saint Jean, et translation du cercueil de Catherine, trois panneaux 6 à 8.

 

                              general 7089c

 

 

 

I. Les anges musiciens : 

 Onze anges participent au concert : cinq musiciens jouant de la harpe, de la vielle à roue, de la sacqueboute, du luth à manche court et du psaltérion, accompagnant six chanteurs déchiffrant les partitions dont les portées comportent quatre lignes, et des notes représentées par des carrés noirs. La portée de quatre lignes est celle de la musique grégorienne, et la cinquième ligne est apparue à la Renaissance. Les œuvres de musique sacrée sont des chants des offices de Pâques et de Noël.

Ange jouant de la harpe, Panneau 1 :

  On compte les dix cordes de l'instrument. Les didascalies des psaumes Ps 6 et Ps 12 mentionnent la harpe à huit cordes, et le Psaume 33 dit : "Célébrez l'Éternel avec la harpe. Célébrez-le sur le luth à dix cordes".

                             lambris 7077c

 

Ange tenant un phylactère, Panneau 1

où est inscrit le début de l'hymne chanté à la liturgie des heures de l'office des matines et après l'évangile lors des messes des dimanches et fêtes : Te Deum laudamus te dominum confitemur. C'est le fameux Te Deum entonné lors des célébrations des victoires ou en hymne d'action de grâce en remerciement d'événement exceptionnel : "Dieu, nous te louons, Seigneur nous t'acclamons". Sa première mise en musique polyphonique date du XIVe siècle.

  La première lettre est en rouge, comme dans les manuscrits aux lettrines ornées, ce qui nous rappelle l'origine du mot rubrique emprunté au latin rubrica, terre rouge et désignant initialement le titre du chapitre, écrit en rouge. Le pigment était soit du minium ou un mélange minium-massicot, issu du plomb, soit du cinabre, vermillon fait de sulfure de mercure.

  Ici, l'ange est placé au dessus du supplice de l'arrachement mammaire de l'impératrice Faustine, pour rendre grâce de sa conversion et de son martyre.

 

                           lambris 7074c

 

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Ange tenant un rouleau , panneau 2

 Allel ... virginias que : uliu

Peut-être s'agit-il du chant de communion "Alleluia Beata viscera Mariae Virginis, quae portaverunt aeterni Patris Filium Alleluia". Heureux le ventre de la Vierge Marie qui porta le Fils de Dieu. (Office ordinaire de la sainte Vierge, de Pâques à Pentecôte, Paroissien romain). Il appartient bien à la musique sacrée et je je retrouve mentionné en 1300 dans le Codex Las Huelgas, ou bien chanté en grégorien par les moines de Solesmes sous le titre Beata Viscera.

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                         lambris 7075c

 

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Ange jouant de la vielle à roue, panneau 2 :

 L'instrument, aussi nommé chifonie, est connu depuis le IXe siècle, utilisé par les ménestrels. Il dispose  d'un clavier actionné par la main gauche, et il pouvait être joué à l'église sous le nom d'organistrum, par deux instrumentistes assis côte-à-côte, l'un tournant la manivelle et l'autre frappant des deux mains les touches du clavier. Au XVe siècle, on le trouve représenté entre les mains des anges, des rois ou de nobles personnages, ou a contrario tenu par les mendiants. 

  On le décrit comme "un instrument à cordes dont la table d'harmonie est percée d'une fente pour le passage de la roue et dont le manche, dégagé du corps, est monté de quatre cordes, deux bourdons placés de chaque coté du manche de l'octave et deux cordes mélodiques, accordées à l'unisson, passant dans une boite fixée à la table. Leur longueur est modifié par un clavier placé sur le bord gauche de l'instrument. L'archet est remplacé par une roue, mue par une manivelle et protégée par un couvercle de sapin" (http://www.peiresc.org/Musique/Musiq.03.html)

 

Ici, je vois cinq cordes, et la main gauche de l'ange, peut-être un simple figurant et non un instrumentiste confirmé, semble chercher en vain un clavier non représenté*. Le couvercle, orné ou percé d'une ouïe trilobée, semble très large ; mais je n'y connais rien.

  *Un commentaire avisé de Danièle Deveaux en avril 2014 corrige ma bévue : "Concernant l'ange jouant de la vielle à roue vous dites qu'il n'y a pas de clavier, mais en regardant attentivement à gauche de l'index de la main gauche, il y a 3 touches visibles. Elles peuvent se confondre avec les plis du tissu, mais un examen attentif permet de les distinguer."  Bien vu !

Mais a contrario, Arnaud Lachambre m'indique dans son commentaire d'août 2017 ceci : 

 

"Je tiens à m'inscrire en faux contre la remarque de Madame Danièle Deveaux, qui croit voir les touches de la vielle là où je ne vois que la prolongation des plis du vêtement. Cette erreur est bien compréhensible et pardonnable pour qui ne connait pas le fonctionnement d'une vielle à roue. D'abord parce que si touches il y avait, elles ne seraient pas sous l'éclisse ou le fond de l'instrument, mais sous le "plumier" ou boîtier où l'on voit ici les cordes, ensuite parce qu'il n'y en aurait pas que trois.

Mon hypothèse est que l'artiste, comme souvent, n'était pas familier avec l'instrument et l'a dessiné de mémoire ou à partir d'un croquis inexact. J'en veux pour preuve le nombre d'erreurs qui font que cette vielle n'est pas une reproduction fidèle d'un instrument existant : l'absence de touches donc, la disposition asymétrique des chevilles sur la tête, le cache-roue mal placé et succinctement dessiné, une décoration florale là où devrait être le cache-roue, l'absence d'ouïes, l'absence de cordes au niveau du corps de l'instrument (elles ne sont visibles que sur le manche, ce qui serait éventuellement possible plumier ouvert, mais dans ce cas seules une à trois cordes passeraient par là, le reste étant des bourdons disposés de chaque côté du boîtier, et l'artiste aurait alors négligé de représenter les tangentes et sautereaux), la mauvaise position du bras gauche de l'ange... 

Seule la forme générale de l'instrument rappelle des modèles connus antérieurement au Moyen-Âge et à la Renaissance, mais plus du tout en 1705. Le trait de renfort sur l'éclisse est en revanche un joli détail, conforme à de nombreux modèles comme la vielle du Manuscrit du Zodiaque (Lyon, 1430), jusqu'à la "Rixe des Musiciens de Georges de la Tour". 

Tout ceci étayerait l'hypothèse que l'artiste aurait basé cette représentation sur une ou plusieurs images anciennes plutôt que sur un instrument réel, et aurait pêché par oubli et imprécision sur nombre de détails."

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                        lambris 7070c

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Ange tenant un rouleau de musique , panneau 3.

La partition (qu'un musicologue pourrait peut-être étudier) comporte les lignes de portées, mais seuls quelques fragments des paroles (peut-être edi...clara ? ).

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                      lambris 7076c

 

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Ange jouant de la sacqueboute, panneau 3.

  Le nom tordu, et la forme en tuyau de plomberie qui pourrait être raccommodé avec un boud'ficelle dorée, de cet instrument en font, avec le serpent l'un de mes préférés. Sacquer et bouter, c'est pousser et tirer, et, à l'impératif, cela donne Sacque! Boute! Pousse! Tire!  mais en 1306, la sacqueboute est une arme, une "lance à bout crochu destinée à désarçonner l'adversaire" (Trésor de la Langue Française). Le mot apparaît en 1466 dans son emploi musical sous la plume de Pierre Michault pour désigner une trompette grave à pompe mobile.

  1466! Ce dessin du XVe est donc contemporain de l'apparition du mot.

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                        lambris 7071c

 

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Ange tenant une partition panneau 4.

 Je déchiffre "ipum e paschali lau(des) Agnius redemit mi..", ce qui renvoie à la séquence liturgique de Pâques Victimae paschali laudes, : A la victime pascale les chrétiens offrent leurs louanges ; l'Agneau a racheté les brebis. Composée par l'aumônier de l'empereur Konrad II Wipon vers 1040, elle figure dans le Codex Las Huelgas (1300) déjà cité ; parmi les seize séquences pascales médiévales, elle est la seule a été reprise dans le Missel Romain de 1570. Elle inspira le choral  Christ ist erstanden de Luther, repris par Jean-Sébastien Bach dans son choral BWV 4. Elle a donc donné lieu à des études approfondies http://www.bach-cantatas.com/CM/Christ-ist-erstanden.htm#Wipo1040

 

http://www.unavoce.fr/content/view/1198/64/

paques0_9_2_victimaepaschalilaudes.png

 

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lambris-7084c.jpg

 

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Ange du panneau 6 :

   Au dessus de saint Pierre, il déploie un instrument désormais invisible. Il s'agissait d'un manche à luth court.

 

                    lambris 7063c

 

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Ange tenant une partition panneau 6 :

 

 On déchiffre ..  quem .....p..

 s'agit-il du répons grégorien  ii, quem vidisti pastores ? de quem quaeritis ? de Beatus quem elgisti ? ou du second verset du Regina Coeli laetare, "quia quem meruisti portare alleluia" ? Bien que les fragments de lettres suivantes ne le laissent pas parfaitement imaginer, c'est la solution que j'adopte, puisque la première ligne de cette antienne est présentée par l'ange du panneau 7.

           lambris-7063cc.jpg

 

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Ange tenant un psaltérion, Panneau 7

  Cet instrument , que les anges affectionnent particulièrement, sans-doute-parce que son nom indique qu'il est destiné à accompagner les psaumes, est représenté depuis le XIIe siècle ; il se tient comme il nous en est donné ici une démonstration, la caisse de résonance plate appliquée contre le thorax, suspendu autour du cou par une sangle. La forme de" groin de porc" est caractéristique, de même que la tenue des plectres (en plume d'oie) entre index et majeur ou plutôt ici entre majeur et annulaire. Les cordes métalliques (une quinzaine) sont tendues entre des chevilles en os, et résonnent par sympathie lorsque l'une d'entre elles est pincée. Dès le siècle suivant, les anges l'abandonneront.

  On voit une rosace centrale et quatre ouïes rondes à chaque coin.

 

                            lambris-7061c-copie-1.jpg

                    

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Ange tenant une partition Panneau 7:

 Il s'agit de celle de l'antienne à la Vierge Regina celi letare, l'une des quatre antiennes mariales du catholicisme, et dont le texte est lié à la joie de la Résurrection : Regina coeli laetare alleluia / Quia quem meruistit portare alleluia / Resurrexit, sicut dixit alleluia / Ora pro nobis Deum alleluia. Elle est chantée à la fin des Complies du dimanche de Pâques à celui de la Trinité.

 

  Cet ange se tient au dessus de saint Jean.

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                       lambris 7060c

 

 

II. Anges tenant les instruments de la Passion.

Panneaux 4 et 5

Un ange porte, à droite, la colonne de flagellation.

L'ange de gauche tient un instrument haut de deux mètres, nommé Trompette marine, Trompa marina, un monocorde (mais il a pu avoir jusqu'à 4 cordes) à corde frotté par un archet droit (visible ici). J'ai observé cet instrument à Beauvais, joué par une sirène sur une peinture murale datant vers 1313 :

 http://www.lavieb-aile.com/2015/10/les-quatre-sirenes-musiciennes-de-beauvais.html

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Sirène joueuse de trompette marine, Beauvais, tour nord du palais épiscopal, photographie lavieb-aile.

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Je l'ai aussi entendu joué par un ange des voûtes de la chapelle mariale de la cathédrale du Mans. instrument à deux cordes).

http://www.lavieb-aile.com/article-un-concert-de-noel-pour-nicole-et-michel-125275886.html

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concert 1722c

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Enfin, on peut voir un ange musicien jouant de la Trompa marina sur le retable peint par Hans Memling pour Santa Maria la Real de Najera. (Merci à "P.L" pour ces informations en commentaire).

lambris 7083c

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      Panneau 5, registre moyen :

      L'ange porte la lanterne et l'éponge imbibée de vinaigre. 

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 lambris 7092ccc

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      Panneau 8;

L'ange porte la lance qui frappa le flanc droit du Christ en croix.

                         lambris 7062c

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Au dessus de lui, un ange porte la croix :

lambris-7089cc.jpg

 

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      III. Le cycle de sainte Catherine.

 Il s'agit de la légende de sainte Catherine d'Alexandrie, telle qu'elle a été recueillie par l'italien Jacques de Voragine et écrite en latin dans la Légende Dorée entre 1261 et 1266, chapitre CLXIX pour la fête du 25 novembre. Mais une Vie Sainte Katherine versifiée avait précédé la Légende dorée, écrite en français par Clémence de Barking, moniale de l'abbaye de Barking, entre 1153 et 1175.  On peut citer aussi :

  • La vie me damne sainte Kateline Vierge, vers, anonyme
  • De Sainte Catherine (1616 octosyllabes d'une version picarde)
  • Dés le XIIIe siècle une Passion de sainte Catherine fut écrite par Aumeric Talbert en dialecte poitevin.
  • La Légende dorée est traduite en  français en prose vers 1348 par Jean de Vignay.
  • Cette traduction est reprise en 1476 par le dominicain Jean Batallier, de l'Université de Paris.
  • La vie de sainte Katherine en prose par Jean Miélot paraît en 1457, commanditée par Philippe III le Bon, duc de Bourgogne. 
  • La première version connue publiée en breton date de 1576, à Curburien, imprimerie St François. (Aman ez deraov buhez an itron sanctes Cathell guerhes ha merzeres en Brezonec neuez Imprimet e Cuburien euit Bernard de Leau, peheny a cho e Montrolles, voar pontz Bouret : en bloaz M.D.LXXVI)

  Il est très vraisemblable que des Passions de Sainte Catherine, Vierge et Martyre ont figuré dans le répertoire du théatre religieux, avec leur très nombreux figurants, et que les scènes que nous découvrons ici avaient été vues par les paroissiens sur les tréteaux avant de figurer sur les lambris. Le 26 février 1454, à Rouen, on joua le Mystère de sainte Catherine sur le Marché aux Veaux (M. Bouhaïk-Girones), et le Jeu de sainte Catherine à Metz en 1434 (durant trois jours) sur la place du marché. Cette fois-là, le rôle de Catherine était tenu par un notaire nommé Jean Didier, les femmes étant sévèrement exclues.

 

Nous avons affaire (comme sur les vitraux des Vies de Saint du XVe) à des images placées au dessus d'une inscription gothique, comme une bande dessinée. Pour les décrire, je placerai les panneaux selon l'ordre narratif logique, et je débuterai par l'inscription.



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Panneau 5 : 

Saincte Katherine devroy convertist a nostre foy cinquante grans mestres en ars quelle par macence furent c...

Soit ; Sainte Catherine en vérité convertit à notre foi 50 grands maîtres (ou philosophes païens) en argumentation  quele par Maxence furent c..

  On note les tildes et les P barrés abréviatifs.

  L'image décrit peut-être aussi une première rencontre de "Catherine, fille du roi Coste, née dans la pourpre et élevée dès l'enfance dans les arts libéraux" et de Maxence, empereur romain : la jeune (et extrêmement jolie, selon Maxence) demoiselle s'adresse sans vergogne à l'empereur alors qu'il s'apprête à offrir un sacrifice aux idoles et à contraindre les chrétiens à y assister ; et la voilà discutant "conformément aux diverses modes du syllogisme, par allégorie et par métaphore" et laissant Maxence stupéfait et coi.  C'est alors qu'il décide de convoquer à Alexandrie "tous les grammairiens et rhéteurs du temps" en leur promettant de fortes récompenses s'ils parvenaient à répondre à cette effrontée à la pernicieuse éloquence qui prétend que les dieux romains ne valaient rien à coté de son Seigneur Jésus-Christ.

  On voit donc Maxence assis sur le trône impérial et tenant son sceptre, entouré de huit philosophes vêtus à la mode du XVe siècle, comme les bourgeois du temps de Louis XI. Catherine, aidée par un ange qui lui dicte secrètement  répond point par point à ses interlocuteurs, chacun utilisant le fameux comput digital scholastique. Au VIIIe siècle Bède le Vénérable (Beda venerabilis) en avait conseillé l'usage dans son De loquela per gestum digitorum, dont la lecture est, à mon sens, trop négligée.

  La future sainte est déjà auréolée, elle porte une robe longue damassée et dorée recouverte par un corselet (ou cotte cintrée) frappé d'hermines. Elle est couronnée puisqu'elle est fille de roi. Les cheveux longs tombant dans le dos sont ceux d'une jeune vierge.

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                                        catherine 7095c

 

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catherine 7081c

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Panneau 4 : 

La roigne la va visiter en la charte par compagnie Katherine luy va precher la foy divine et fut convertie.

 

  Les cinquante philosophes s'avèrent non seulement incapables de démontrer que les propositions de Catherine étaient erronées, mais au contraire si convaincus de le justesse de ses dires qu'ils se convertissent au Christ ; si bien que Maxence les fait brûler vifs.

 

"Pendant que les chrétiens s'occupaient de les ensevelir, Maxence dit à Catherine : "Noble fille, aie pitié de ta jeunesse, et je te ferai impératrice dans mon palais, et le peuple adorera ton image au milieu de la ville!". Mais elle : "cesse de dire des choses dont la pensée même est un crime. J'ai pris le Christ pour fiancé, lui seul est ma gloire et mon amour ; et ni caresses ni tourments ne pourront me détourner de lui!". L'empereur la fit alors dépouiller de ses vêtements ; il la fit frapper de griffes de fer, puis, l'ayant jetée dans une obscure prison, il ordonna que pendant dix jours on la laissât sans nourriture."

   "Or sa femme qui avait pour amant un officier nommé Porphyre, vint la nuit dans la prison de Catherine. Et, y étant rentrée, elle vit la cellule remplie d'une clarté immense, et elle vit que les anges pansaient les plaies de la prisonnière. Et celle-ci, s'étant mise à lui décrire les joies éternelles, la convertit et lui prédit la couronne du martyre. Ce qu'apprenant, Porphyre alla se jeter lui-aussi aux pieds de Catherine, et il reçut la foi du Christ avec deux cents de ses hommes." (Jacques de Voragine, Légende dorée).

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                          catherine 7094c

 

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Panneau 3 :

Puis ung a(n)ge  luy envoia.  d' paradis qui onguent po(u)r la guerir lui apporta + la co(n)forta doulcement.

    On remarque toujours les tildes remplaçant les "n", le signe + remplaçant "et",  le mot "a(n)ge oublié qui a été suscrit, l'élision du "u" dans "du paradis", les lettres conjointes pa (paradis), po (pour), do (doulcement), ou encore l'abréviation de "pour" par por.

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 catherine 7067c

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catherine 7073c

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Panneau 2:

Comment les roues so(n)t paretz. pour Katherine marturer. ung foueld(r)e du ciel desce(n)d qui quat(re) m(ille) païe(n)s destruit..

Le mot "marturer" est la forme en moyen français (martyrer, martirier) de "martyriser". (Glossaire de la langue romane de Jean-Baptiste de Roquefort).

  Maxence revenant de voyage retrouve celle qu'il a enfermée 10 jours sans nourriture aussi fraîche qu'une autre jouvencelle ; il lui propose à nouveau de l'épouser, et devant son refus il lui donne le choix entre l'abjuration de sa foi, ou la mort dans des tourment effroyables : il ne fallait pas en promettre tant à la vierge exaltée : "Quelques tourments que tu puisses imaginer, n'hésites pas à me les infliger, car j'ai soif d'offrir ma chair et mon sang à Jésus."

  " Alors un préfet conseilla à l'empereur de faire garnir quatre roues de pointes de fer, et de s'en servir pour déchirer les chairs de Catherine, de façon à épouvanter par un tel  exemple les autres chrétiens. Et l'on décida que de ces quatre roues, où on attacha la sainte, deux seraient poussées dans un sens, et deux dans un autre, pour que les membres de Catherine furent arrachés et broyès en morceau. Et voici qu'un ange secoua si fortement la masse énorme des quatre roues que quatre mille païens périrent écrasés." (Jacques de Voragine, Légende dorée) 

 

 Le peintre, qui ne manquait pas d'humour, a placé au dessus de cette scène l'ange qui tourne, comme un tournebroche, la manivelle de la vielle à roue...

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                      catherine 7068c

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                  lambris 7070c

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 catherine 7072c

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Panneau 1 :

Quand le roy luy la fist ...denude entière.

 

  On pourrait penser qu'il s'agit d'un nouveau supplice réservé à Catherine, celui de l'arrachage des seins, comme celui que connut son alter ego sainte Barbe. Mais on lit :

"En ce moment, l'impératrice, qui avait assisté à la scène [celle des roues ] du haut du palais, s'enhardit à descendre, et reprocha à son mari tant de cruauté. Le roi lui fit arracher les mamelles, puis trancher la tête." (ibidem)

En réalité, le panneau représente sainte Catherine flagellée par deux bourreaux, dont on voit au dessus des quatre planches de restauration, l'extrémité des fouets dardés de barbelés. 

 

                                        catherine 7069cc

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Panneau 8 :

Les anges l'ont enseveli

"Après quoi la sainte eut la tête tranchée, et de son corps jaillit du lait au lieu du sang. Et des anges, recueillant ses restes, transportèrent son corps sur le mont Sinaï." (ibid.)

 

                        lambris 7066c

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IV Un saint Pierre et saint Jean.

 

Panneau 6 : saint Pierre (?) ou un saint évangéliste.

Pas d'attribut visible ; la chapelle Notre-Dame de Carmés était autrefois dédiée à saint Pierre et saint Paul. Mais l'absence de calvitie et de toupet, de clefs ou d'épée ne plaide pas pour cette hypothèse. 

   Ce panneau était placé dans le chœur face à saint Jean, et il s'agit donc peut-être d'un des trois autres évangélistes (Matthieu, Luc et Marc). L'objet qui apparaît mal entre les mains du saint se révèle être un livre (caractéristique des apôtres en général et des évangélistes en particulier) sur les clichès qui précèdent la restauration, et peut-être un animal ou l'ange de Matthieu peut s'imaginer en dessous. 

                   pierre-et-jean 7064c

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Panneau 7 : saint Jean

  Jean l'évangéliste est représenté avec deux de ses attributs, l'aigle à ses pieds et la coupe d'où sortent les serpents témoins du poison qu'elle contenait.

On lit l'inscription (S)aint J.h.n

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                      pierre-et-jean 7065c

 

 

 

                             pierre-et-jean 7088c

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 Remerciements.

  Merci aux auteurs des commentaires (cf infra), qui m'ont permis de corriger mes erreurs et contre-sens.

 

      Sources et liens: 

http://carmes.alvinet.com/visite/lambris-xv.html 

http://delestienne.eu/France/Neulliac/Notre-Dame-de-Carmes.html

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Published by jean-yves cordier - dans Peintures murales Anges musiciens Neuillac

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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