Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 décembre 2023 3 13 /12 /décembre /2023 14:56

La météorite d'Ensisheim (1492), le polyèdre de Dürer (1514), le crâne de cristal (XIXe siècle)  et la Tête crâne de Giacometti (1934) : un parcours macabre de l'exposition Voyage dans le cristal au musée de Cluny.

.

.

Voir :

La Mort et le cristal : la Danse macabre (cristal de roche, 2023), et autres œuvres  de Patrick Neu . Exposition Voyage dans le cristal au Musée de Cluny, Paris septembre 2023/janvier 2024.

.

PRÉSENTATION.

.

Au gré des six salles de l'exposition, et des cartels des œuvres présentées, c'est un étrange  ou macabre voyage qui est proposé au visiteur. Le rapport avec le cristal n'est pas toujours évident, notamment à propos de Dürer et de Giacometti, et c'est bien ces petites énigmes que nous allons tenter de débrouiller. Quand au crâne, et son rapport avec le macabre, central dans mon premier article, nous verrons qu'il tient également une place majeure, mais cachée, pour ces deux artistes.

Je débuterai donc, pour être limpide, par le Crâne de cristal du Quai Branly, avant de partir, tel Indiana Jones, à sa recherche chez Dürer puis Giacometti.

.

 

.

.

I. Le crâne de cristal.

.

Cette alliance du cristal, pierre de lumière symbole de pureté et d'inaltérabilité, et du crâne, image du memento mori dans les mosaïques romaines ou les Vanités baroques, crée un oxymore troublant, que Patrick Neu a repris dans sa Danse macabre (article précédent).

Il en existe douze autre exemplaires, mais tous n'ont pas cette pureté lumineuse du crâne du Quai Branly. Ce fut la fierté du Musée, comme représentant de l'art des lapidaires atzèques, jusqu'à ce que les analyses  scientifiques du Louvre prouvent qu'il s'agissait d'un faux, provenant d'Allemagne entre 1867 et 1886 et commercialisé par Eugène Boban, comme celui du British Museum et de la Smithsonian Institution.

Cette duperie, qui a triomphé pendant un siècle, est elle-même troublante : elle nous révèle la faillibilté de la science et de l'esprit, leçon d'humilité qui s'ajoute à la certitude de notre destin mortel : vanitas vanitatis et omnia vanitum est précisément le message muet des crânes qui nous fixent de leurs orbites creuses.

La lumière se fait un plaisir de passer comme en se jouant à travers ce crâne jadis si savant et d'en révéler l'ombre, creusée d'un cœur éblouissant.

.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A2ne_de_cristal

 

.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

.

.

II. Le crâne de la Melencolia I (1514) d'Albrecht Dürer, et la météorite d'Ensisheim.

.

La série macabre se poursuit par cette Mélancolie de Dürer, et si nous n'en étions pas convaincu, nous pourrions nous rappeler que cette gravure appartient à un cycle où figure le Chevalier, La Mort et le Diable (1513), qui est un Memento mori explicite, mais surtout Saint Jérôme pénitent (1496), puisque la retraite érémitique et pénitentielle est une préparation chrétienne à la mort ; et que saint Jérôme tient un caillou dans la main, pour se frapper la poitrine. Le sablier et le crâne sont présents dans les deux premières de ces œuvres, et s'ils sont absents de Jérôme pénitent, ils sont présents dans Saint Jérôme dans sa cellule.

.

https://artifexinopere.com/blog/interpr/peintres/durer/saint-jerome/2-la-serie-des-saint-jerome/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Melencolia_I

 

.

Melencolia I, Albrecht Dürer 1514.

.

.

Le crâne sur le polyèdre.

.

Un crâne est discrètement représenté sur l'une des faces du polyèdre, déformé  comme par une anamorphose. On peut imaginer que la surface polie reflète en une image macabre le visage de  la femme ailée, possible allégorie de la Mélancolie. Ce reflet morbide du soi pourrait être donc ce que contemple d'un regard songeur la femme. Et ce que dessine l'enfant sur sa tablette.

.

 

.

Le polyèdre et la météorite d'Ensisheim

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%BCrer_et_la_m%C3%A9t%C3%A9orite_d%27Ensisheim

 

 

Le matin du 7 novembre 1492, une météorite de pierre de 127 kg entre à grande vitesse dans l'atmosphère terrestre. La météorite laisse derrière elle une vive trainée lumineuse, avant de s'écraser dans un champ de blé, à proximité de la ville d'Ensisheim, à 22 km au nord de Mulhouse et à 44 km de Bâle. 

Son point de chute  est alors marqué par un cratère de deux mètres de diamètre. Les habitants prélèvent des fragments de cette météorite, en guise d'amulette porte-bonheur. Le bailli  fait suspendre la météorite, comme signe divin de bon augure, dans le chœur de l'église paroissiale. Elle y reste jusqu'en 1793, date à laquelle elle est exposée à la Bibliothèque nationale de Colmar. De nombreux prélèvements sont réalisés : cadeaux pour des visiteurs d'importance, spécimen à analyser pour Ernst Chladni. En 1803, la ville d'Ensisheim la récupère et la replace dans son église. Le 6 novembre 1854, l'église voit son clocher s'effondrer. La météorite fut alors remisée à l'école, puis à l'hôtel de la Régence devenu par la suite l'hôtel de ville. Elle a été divisée en plusieurs morceaux qui se trouvent aujourd'hui pour la plupart d'entre eux dans des musées, dont le Muséum d'Histoire naturelle de Paris, galerie de minéralogie : elle fait partie des chondrites à olivine et hypersthène, du groupe LL6 dans la classification des météorites.

.

 

La chute de cette "pierre de tonnerre"  a été relaté par de nombreux auteurs notamment en 1492 par Sébastien Brant — De fulgerra anni xcii. Sebastianus Brant  — (dont Dürer illustrait alors la Nef des Fous) ou en 1493 dans la Chronique de Nuremberg de Hartmann Schedel : c'est la première chute observée d'une météorite depuis l'invention de l'imprimerie. Certains (W) pensent que Dürer a "assisté" à cette chute ; ou qu'il aurait pu entendre le son, perceptible jusqu'à Bâle, ou enquêter auprès de témoins indirects : son séjour chez des imprimeurs de Bâle est attesté, du moins à l'été 1492.

.

Sebastien Brant

.

Chroniques de Nuremberg

.

Cet évènement a en tout cas frappé  Albrecht Dürer qui l'a représenté dans sa gravure Hexensabbat (date inconnue) et  qui l'a peinte en 1496  au au verso du tableau Saint Jérôme pénitent :  la météorite jaune citron est au centre d'un tourbillon de flammes rouges et grises. 

.

Albrecht Dürer, au dos de Saint Jérôme pénitent.

 

.

C'est sa traversée incandescente  de l'atmosphère qui est représentée dans le ciel de Melencolia I, au dessus de la chauve-souris portant sur ses ailes le titre.

.

 

.

Le polyèdre contemplé par l'ange féminin est-il une "représentation idéalisée" de la météorite sosu la forme d'une  structure cristalline ? En tout cas, ce polyèdre est relié au cristal par la commissaire de l'exposition, puisque rien, sinon, ne justifie la présence de cette gravure (dans son exemplaire possédé par le Louvre) dans l'acte IV du parcours :

"À la Renaissance, la maîtrise de la glyptique et la passion de la taille du cristal atteignent une virtuosité jamais égalée. La redécouverte des codes antiques trouve une expression particulièrement perceptible au travers de rondes-bosses et de pièces d’apparat. [...]Parallèlement, les écrits scientifiques de Platon, Aristote et Euclide sont revisités. Luca Pacioli, avec son De Divina Proportione, est une figure centrale de ce mouvement. Dans la peinture et la gravure, les formes et facettes du polyèdre sont transcendées par Paolo Uccello et Albrecht Dürer qui cherchent à déployer les volumes en facettes."

Il a été prouvé que ce polyèdre est "un cube dressé selon sa diagonale, d’abord étiré selon son grand axe puis tronqué en haut et en bas". Le cube est une forme parfaite, comme la sphère posée juste en dessous. 

Jacques Bousquet y consacre un très grand nombre d'articles sur son site artifexinopere, car ce polyèdre est pour lui "avec le carré magique,  l’objet le plus intrigant de la gravure". Dürer n’aurait-il  pas  fait tourner le polyèdre autour de son axe vertical, de manière à ce que l’angelot regarde  dans la direction du rhomboèdre ?

Avec lui, et tous les auteurs dont il relate les calculs, les travaux et les hypothèses, ce polyèdre devient un abîme de réflexion, comme le crâne et son interrogation insondable.

.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

.

.

 

III. GIACOMETTI ET LE POLYÈDRE : LE CUBE, LA CAGE, ET LE CRÂNE-CUBE

 

 

Les commissaires de l'exposition nous prennent par la main pour souligner comment Giacometti reprend le polyèdre de Dürer, et sa réflexion mélancolique sur le crâne.

" Quelques années avant Le Cube, Giacometti produit une mélancolie, La Cage, dans laquelle on peut voir un squelette enfermé dans un cristal, nous rappelant sa fascination pour la Melancolia de Dürer. Ce rapprochement formel se double d’un autre point commun, celui d’une expérience initiatique. Le polyèdre de Dürer est une référence à une expérience personnelle extraordinaire. En 1492, Dürer est témoin de la chute de la météorite appelée «Pierre du tonnerre d’Ensisheim».

De son côté, Giacometti évoque le caractère fondateur de la vision d’une pierre dans la montagne suisse de son enfance : Ce fut mon père qui, un jour, nous montra ce monolithe. Découverte énorme, tout de suite je considérai cette pierre comme une amie, un être animé des meilleures intentions à mon égard; nous appelant, nous souriant, comme quelqu’un qu’on aurait connu autrefois, aimé et qu’on retrouverait avec une surprise et une joie infinie ."

La figure de Dürer (découverte dans l'enfance sous l'influence de son père peintre), sa Melencolia, et en particulier son polyèdre renvoie donc à la figure paternelle, Giovanni Giacometti, qui lui appris à dessiner et à modeler.  Alberto découvrit directement Melencolia à l'exposition deu Petit Palais de 1933 sur les estampes de Rembrandt et de Dürer.

La figure maternelle, Anetta Giacometti, est néanmoins centrale,  et elle fut le modèle de nombreuses œuvres peintes ou sculptées.

Giacometti est fasciné par Dürer et son premier dessin exact fut, dès 1915 (à 14 ans) la copie de Le Chevalier, la Mort et le Diable.

 

.

.


 

.

.

1.  "La Table" bronze, 1969, d'après l'original en plâtre, 1933. Centre Pompidou AM1705 S.

"Il appuie son coude sur la table, et reste absorbé dans ses pensées comme un somnambule" (Lautréamont, Les chants de Maldoror)

"Signé et daté par Giacometti, le plâtre fut probablement conçu pour l’« Exposition surréaliste. Sculptures, objets, peintures, dessins » (galerie Pierre Colle, 7-19 juin 1933). C’était, comme le rappelle Giacometti à Pierre Matisse en insistant sur sa fonction d’objet mobilier, « une table pour un couloir » : la conçut-il, déjà entraîné à d’autres commandes de pièces d’ameublement – chenets, vide-poche, cheminée – pour Charles et Marie-Laure de Noailles, qui de fait achètent l’œuvre, le 20 juin, et la placent dans un couloir de leur maison d’Hyères (où elle restera jusqu’en 1951)? Quoi qu’il en soit, en l’exposant galerie Pierre Colle, face à Femme qui marche (1932), il la présente aussi comme une sculpture à part entière. Instabilité ontologique de l’œuvre en effet : à la fois meuble, avec son dos plat s’ajustant au mur et ses objets déposés sur la table, comme l’étaient les bibelots dispersés au-dessus de la cheminée que le sculpteur dessine alors pour l’ensemblier Jean-Michel Franck, et sculpture figurative, offrant un dispositif plastique complexe, très scénographié. Quatre pieds disparates et trop grêles supportent le buste, en forme de pion d’un jeu d’échecs géant, d’une femme à la figure à moitié cachée par un voile, dont le lourd pan menace de déséquilibrer la table ; sur le plateau, devant cette sorte de voyante, sont posés un objet polyédrique (réduction du Cube), un mortier d’alchimiste et une main coupée, motifs récurrents de cette époque de grande angoisse.

Au-delà de la poétique de ce dispositif, qui n’est pas sans posséder la force d’inquiétante étrangeté du Cerveau de l’enfant de De Chirico et qui pourrait presque apparaître comme un « poncif » du surréalisme (la sculpture fut fameuse en son temps, photographiée par Man Ray, exposée à Londres en 1936, reproduite dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme de Breton et Eluard en 1938, etc.), c’est, semble-t-il, un ouvrage de « mélancolie » que dresse encore ici Giacometti, dans l’incertitude du saisissement de la figure humaine, dans son aveuglement. Dans le dessin-poème « le Rideau brun », qu’il livre au Surréalisme au service de la révolution (n° 5, 15 mars 1933), il écrit en place des yeux, au centre d’une figure aveugle : « aucune figure ne m’est aussi étrangère même plus un visage de l’avoir tant regardée, elle s’est fermée sur des marches d’escaliers inconnus ». Le propos ésotérique qu’il expose dans Table s’éclairera dans un dessin, Figure (1935) : la table se déploie comme un cube ouvert, pour faire corps avec un buste féminin enfin dévoilé, tenant un cristal polyédrique. En 1935, Giacometti sera prêt à se dégager des énigmes fantasmatiques de la période surréaliste passée pour revenir à la vision directe de la figure humaine." (Agnès de la Beaumelle)

.

De l'autre côté du plateau, Giacometti a posé la main coupée de la femme, un de ses "objets désagréables" qui revet une étrange morbidité, à l'instar des reliquaires parlants du Moyen-Âge. (Catalogue)

.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

.

.

 

2. Le polyèdre : "Le Cube", plâtre [1934-1934 ] Centre Pompidou.

.

"Le monolithe polyédrique aux douze faces irrégulières – objet de géométrie descriptive et de stéréométrie bien connu pour constituer notamment un des éléments de la Melencolia de Dürer – apparaît à maintes reprises dans l’œuvre de Giacometti des années 1932-1935, comme une citation de la fameuse allégorie gravée du maître allemand, qu’il revoit, en mai 1933, dans une exposition au Petit Palais. Avec ce Cube , qui radicalise la grande colonne polyédrique de Figure (1931-1932), conçue pour le jardin de la villa Noailles à Hyères, et qui annonce sa résolution figurative de Tête-Crâne (1934, AM 1986-58) – les deux œuvres se trouvent côte à côte sur une page de Minotaure , n° 5, mai 1934 –, se pose la question, pour le sculpteur, qui perd son père en juin 1933, de la possibilité ou non d’une apparition de la figure, du saisissement ou non du réel.

.

Les pieds dans le plat 1933, 1935, Fondation Giacometti, copie d'écran.

 

.

"Étroite association, pleinement mélancolique et récurrente chez Giacometti, du polyèdre et de la tête de mort : déjà un cristal irrégulier, enfermant un pantin-squelette, apparaît sur le dessin de L’Atelier (1932), un caillou de forme identique est posé sur la Table surréaliste (1933, AM 960 S), aux côtés d’une voyante à demi voilée, un autre, à moitié ouvert, apparaît dans la gravure Lunaire (1933), un crâne cristallin polyédrique constitue la Tête gravée (1933-1934, New York, MoMA), un polyèdre irrégulier encercle une figure féminine dans une gravure quasi inédite de la même date ( Giacometti, Le dessin à l’œuvre , cat. exp., Paris, Centre Pompidou / Gallimard, 2001, n° 56), tandis qu’un « objet invisible » polyédrique semble apparaître enfin entre les mains de la grande figure de 1934 : autant d’objets géométriques regardés comme des figures d’énigmes, entachés d’une blancheur lunaire, et associés toujours à des figures comme s’ils en incarnaient le cercueil ou la réduction.

La masse blanche, presque phosphorescente et aux arêtes vives de Cube , qui apparaît à première vue comme un météorite tombé au sol sous l’effet d’on ne sait quel désastre, semble se dématérialiser, s’ouvrir, engageant celui qui regarde à en franchir les parois pour saisir, dans son hallucination, le possible fantomal d’une présence.

Dans la méditation mélancolique du sculpteur, qui vient d’ériger une stèle « cubique » sur la tombe paternelle au cimetière de Borgonovo (*), le Cube , intitulé d’abord par lui Pavillon nocturne (ainsi à l’exposition « Abstrakte Malerei und Plastik, Arp, Ernst, Giacometti, González, Miró », Zurich, 11 octobre-4 novembre 1934), constituerait dès lors le lieu d’apparition / disparition, d’émergence / enfouissement de la figure paternelle : hypothèse étayée encore par la gravure d’un portrait d’homme sur une face d’un des deux exemplaires en bronze du Cube (Zurich, Kunsthaus, Alberto Giacometti Stiftung) (**). À cette méditation se noue étroitement le questionnement, à nouveau crucial pour Giacometti en 1934, sur les perspectives de son travail de sculpteur : l’affrontement devant le modèle avec la tête humaine, qui sera « de retour » définitivement en 1935 avec la Tête-Crâne qui en est la résolution explicite, est ici en gestation. La présentation du Cube à Lucerne (Kunstmuseum, 24 février-31 mars 1935), dans l’exposition « Thèse, antithèse, synthèse », sur un « socle » mobile à quatre pieds coniques (identique à celui qui soutenait en 1927 les Danseurs), socle dont on retrouve plusieurs exemplaires dans les photographies de l’atelier à cette époque, confirme la signification figurative de l’étrange objet géométrique. Ce Cube ainsi finalement nommé, un objet « abstrait » ? « Je le considérais en réalité, dira Giacometti à James Lord, comme une tête »." (Agnès de la Beaumelle)

 

.

(*) La tombe de Giovanni et Anetta Giacometti à Borgonovo, Italie :

.

.

(**) Bien sûr, on souhaite voir cette "gravure d'un portrait" grattées à la fin des années 1930 sur la face de la deuxième version du Cube (moulage de la version précédente) , du Kunsthaus de Munich. Elle a été effacée du modèle en plâtre inventaire GS 128 mais est conservé sur le moulage en bronze de 1959, GS 025. Les lignes gravées sont décrites comme "une représentation de l'atelier et à un autoportrait". Mais la photographie proposée ne permet pas de discerner le motif :

.

Le Cube, moulage en bronze CS 025, 1959, Kunsthaus, Munich

 

.

Le Cube, moulage en bronze, détail

.

Inversement, le Cube en plâtre conservé au Centre Pompidou montre des lignes sur trois faces, dont un cercle et une croix.

Le Cube, Centre Pompidou.

.

Y-a-t-il un lien entre ces lignes gravées, comparées (pour GS025) à un portrait d'homme, évoquant peut-être la figure paternelle décédée en juin 1933, et le crâne du polyèdre de Dürer ?

Les faces du Cube exposé à Cluny et visibles sans contorsion pour le visiteur ne permettent pas de voir ces gravures.

.

 

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

.

.

3.  "La Tête-crâne". Terre-cuite chamottée, 1934, Centre Pompidou AM1986-58

https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cxxAeLz

Pour les auteurs de l'exposition, "Ainsi le Cube et la Tête-crâne sont-ils un seul et même geste, qui ancre l'artiste dans une métaphysique poètique du cristal".

"La Tête-crâne est inscrite dans la suite créative du Cube, y surlignant par le motif l'association mélancolique du polyèdre et de la mort (les deux œuvres apparaissent sur une même planche dans le Minotaure de 1934). De face et de profil droit, un crâne est reconnaissable, les orifices ronds des yeux suggérant le côté osseux et squelettique. Le profil gauche ne révèle plus que la fente rectangulaire de la bouche dans un volume facetté (elle n'est jamais autant une tête cubique que sous cet angle. Par l'arrière, il semble que le bloc soit une macle et alors, sans-doute, sommes-nous face à la « tête-pierre » de Giacometti : Si je vous regarde en face, j'oublie le profil, si je regarde le profil, j'oublie la face ». La correspondance formelle avec le crâne de cristal qu'il avait vu au musée d'ethnographie du Trocadéro est l'indice d'une probable inspiration directe, Tête cubiste (gravure, 1933, New-York, Moma inv.42.1968) constituant un jalon intermédiaire entre le crâne du Trocadéro et sa sculpture." (Catalogue)

 

.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

Exposition Voyage dans le cristal, Musée de Cluny, Paris décembre 2023. Photographie lavieb-aile.

.

.

CONCLUSION.

.

L'exposition de Cluny nous révèle de façon argumentée les liens étroits qui existent entre le Crâne-cristal du Quai Branly, le Melencolia I de Dürer, et les trois œuvres d'Alberto Giacometti, la Cage, le Cube, et la Tête-Crâne.

Le crâne est l'élément central. Le cristal est présent sous la forme indirecte du polyèdre, d'une pierre de structuration géométrique. 

La mélancolie est celle qui naît de la méditation devant le crâne, figure de la mort (les Vanités) mais aussi de celle qui naît devant la pierre, le monolithe, la météorite, l'organisation géométrique de la Nature et ses échelles de temps confondante.

La pierre jette l'effroi et place l'artiste devant le défi de le résoudre  ; ce défi n'est relevé que partiellement, sous forme d'une création, et d'un échec imposant de poursuivre l'œuvre.

Pour Giacometti, la pierre est d'abord féminine, amicale, et nostalgique, un être animé des meilleures intentions à mon égard; nous appelant, nous souriant, comme quelqu’un qu’on aurait connu autrefois, aimé et qu’on retrouverait avec une surprise et une joie infinie. Mais c'est ensuite la pierre tombale de la mort du père.

Les deux  fils conducteurs les plus visibles, crâne et cristal, tissent donc les motifs en entrelacs de la Lumière, du Cosmos, de la Mort, du Temps, et de la création artistique. Le Macabre est là, mais se fait discret.

.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Published by jean-yves cordier - dans Macabre Sculptures Exposition

Présentation

  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
  • Contact

Profil

  • jean-yves cordier
  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué). "Les vraies richesses, plus elles sont grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)

Recherche