Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'eglise Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris et exposée au musée Carnavalet.
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PRÉSENTATION.
Mon article sur la Danse macabre de Kermaria an Iskuit m'a donné l'occasion de présenter l'un des personnages entrainés dans la danse par les morts, le Sergent, reconnaissable à sa masse d'armes (seizième personnage).
La peinture assez dégradée ne permet pas d'examiner la tenue de ce soldat, bien qu'on reconnaisse très bien son attribut. Celle de La Chaise-Dieu (1450) montre un personnage assez prestigieux, avec, outre sa masse d'armes, un large chapeau et une tenue noble. Mais les gravures des versions imprimées de la Danse macabre de Guy Marchant en fournissent une illustration, en 1485 ou en 1486. Notez le bonnet à plumet, les chausses à taillades, l'épée ou les chaussures à extrémités arrondies. La masse n'est dilatée (en quatre lames) qu'à une extrémité.
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Néanmoins, les dalles gravées provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Écoliers, déplacées ensuite en 1773 dans l'église des Jésuites, puis après la Révolution à Saint-Denis et enfin récemment au musée Carnavalet, fournissent des données iconographiques plus précoces sur cette fonction militaire. Elles sont classées à titre d'objet depuis 1906.
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Rappel :
Le terme de sergent provient du latin latin serviens, signifiant « qui sert ».
Au Moyen Âge, les sergents d’armes sont des soldats permanents, au service de simples chevaliers, ou de villes, d'évêques, d'abbayes ou même de corporations.
Philippe Auguste, avant de partir en Croisade, crée deux fonctions portant ce nom :
- les sergents royaux : chaque prévôt dispose de sergents pour exécuter ses décisions de justice ;
- des sergents d’armes, ou Massiers du roi qui formaient sa garde de son corps. Philippe-Auguste les institua pour la garde de sa personne : ils étaient gentilshommes, et en 1214, ils combattirent vaillamment à la bataille de Bouvines. En 1342, Philippe VI en fixa le nombre à cent. Charles V, étant régent, les réduisit à six en 1359.
Ils étaient armés, pour cette protection rapprochée, de la masse d'armes, dont la massue permettait d'enfoncer et de déformer les armures, d'enfoncer les casques et de briser les os. À partir du XIVe siècle, ces masses perdent leur usage d'armes pour prendre une signification symbolique. Elles sont alors de plus en plus ouvragées, voire faites de métaux précieux.
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Lors de la bataille de Bouvines en 1214, les 150 sergents d’armes du roi gardèrent efficacement le pont de Bouvines, unique moyen de retraite à travers les marécages, ce qui fut déterminant pour la victoire. Les sergents firent vœu, en cas de victoire, de faire bâtir une église en l'honneur de Sainte-Catherine. Louis XI fonda à leur demande le couvent Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers, qui sera détruite à la fin du XVIIIe siècle. Deux plaques commémoratives y furent apposées au XVe siècle.
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Les deux plaques de pierre gravées, colorées et dorées : description.
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Selon Philippe Plagnieux, les dalles de pierre, de 78 cm sur 194 cm, montrent, sur la première, deux sergents d'armes, qui, en costume civil et portant leur masse baissée en signe de respect, demandent l'aide de saint Louis qui lève la main gauche en signe d'approbation. Sur la seconde plaque, les sergents en armures s'adressent au prieur des Ecoliers qui, de l'index, désigne l'église, accomplissement de leur voeu. Une inscription en lettres gothiques court sur le bord supérieure :
A la priere des sergens d'armes mons. saint Loys fonda ceste eglise et y mist la premire pierre et fu pour la joie de la vittoire qui fu au pont de Bovines l'an mil CC et XIIII / Les sergens d'armes pour le temps gardoient ledit pont et vouerent que se Dieu leur donnoit vittoire ilz fonderoient une eglise en l'honneur de madame sainte Katherine et ainsy fu il.
"Si le type des armures évoque la fin du XIVe siècle, le fond de ces dalles, traité à la manière d'une tenture comme les riches vêtements de cour correspondent davantage aux premières années du XVe siècle : hauts cols, larges manches plongeantes, bordures de festons ou de franges sont fréquents dans les enluminures et les tapisseries vers 1400-1410. La réalisation de ces plaques peut donc être mise en relation avec la reconnaissance de privilèges aux sergents par Charles VI en septembre 1410 - acte qui mentionne d'ailleurs les deux épisodes illustrés par ces dalles (cf Ordonnances des rois de France, p. 541-543)." (Philippe Plagnieux, Paris 1400 : les arts sous Charles VI, Paris, RMN, 2004, p. 163)
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LA PREMIÈRE PLAQUE.
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Les trois personnages se détachent sur un drap d'honneur doré, damassé de grenades (centrées par deux esses affrontées) et d'e rinceaux croisés en étoiles, tricolores (bleu, rouge et jaune). Ils sont debout sur un sol fleuri et herbu.
Devant le roi, les deux sergents portent leur masse, et l'épée à la ceinture, côté gauche comme il se doit.
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'eglise Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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1°) Le premier sergent.
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Il est coiffé d'un couvre-chef rouge rappelant le mortier de juges, et vêtu d'une houpelande aux bords déchiquetés dont lea manches touchent le sol, sur une tunique courte frangée et des chausses ajustées bleu-émeraude. Sa gorge est couverte d'un gorgerin de cuir, entourant tout son visage.
Ses chaussures à la poulaine sont boutonnées sur le côté et remontent, comme des bottines, à mi-mollet.
La masse semble fixée à un baudrier. L'une de ses extrémités est crenélée.
Roger de Gaignières en a donné un dessin :
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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2°) Le deuxième sergent.
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Son costume est très différent, laissant penser qu'il n'y avait pas d'uniforme propre à cette fonction. Il est plus élégant que l'autre —qui semblait en tenue de combat — avec un costume de cour et d'apparat .
L'extrémité plate et circulaire de la masse à plateau porte un émail aux armes de France (Laurent Hablot, com. pers.). On voit aussi les trois lys sur la base du tulipage, et sur le manche. Gaignères a omis de les représenter sur le plateau:
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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3°) Saint Louis.
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Les éléments remarquables sont la couronne, la robe et le manteau fleurdelysée, un sceptre à longue hampe, et des chaussures souples.
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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LA DEUXIÈME PLAQUE.
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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1°) Le prieur de l'église Sainte-Catherine des Ecoliers.
Le prieur porte un manteau noir sur une robe brune serrée par une ceinture à long bout. Il désigne de la main droite la direction de l'église dont la plaque commémore la fondation.
Rappel :
" En 1201, quatre professeurs de l'université de Paris, préférant la solitude au monde et la vie privée à la réputation que leurs lumières et leurs talents leur avaient acquise, se retirent dans une vallée déserte de la Champagne où ils bâtissent des cellules et un oratoire, fondations du premier prieuré du Val des Écoliers. Leurs écoliers les y suivent. Une congrégation se forme, dite l'ordre du Val-des-Écoliers. Les jeunes gens qui la composent font le vœu de chasteté sous le patronage d'une vierge, sainte Catherine. Moins de trente ans après, cet ordre compte vingt prieurés.
En 1228, l'un de ces prieurés est établi à Paris par Nicolas Giboin, bourgeois qui cède trois arpents de terre (environ un hectare) qu'il possède près de la porte Baudet à l'extérieur de l'enceinte de Philippe-Auguste (aux alentours de l'actuelle rue de Sévigné). L'église est alors fondée par les sergents d'armes de la garde du roi, en mémoire de la bataille de Bouvines. Le roi saint Louis pose la première pierre du couvent en 1229 et le dote de revenus.
L'établissement faisait partie de l'université de Paris. Les sergents d'armes font de cette église le siège de leur confrérie, et presque tous y ont leur sépulture. Ainsi, y sont enterrés les maréchaux de Champagne et de Normandie tués sur l'ordre d'Étienne Marcel .
Louis XI octroie des dons à l'église le 22 octobre 1461 et le 3 juin 1477. Il confirme encore ses privilèges en juin 1480."
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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2°) Un sergent d'armes en armure complète.
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Il est coiffé d'un bonnet ; les solerets sont à la poulaine. Il tient sa masse à extrémité dilatée frappée des lys royaux (qu'on retrouve comme précédemment sur la base et sur le manche) et à l'autre extrémité divisée en quatre ailettes.
Le relevé de Gaignères :
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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3°) Le dernier des sergents d'armes, en armure complète.
Il ne diffère du précédent que par sa coiffure qui est un chaperon. Les lys de la masse d'arme sont fidélement sculptés.
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Le relevé de Gaignières :
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Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
Les deux dalles (pierre, vers 1410) du vœu des sergents d'armes à Bouvines provenant de l'église Sainte-Catherine du Val des Ecoliers à Paris. Photographie lavieb-aile 2023.
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CONCLUSION.
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Sur ces dalles, les Sergents royaux sont richement vêtus et porte l'épée. Faut-il différencier par leur statut ceux de la première dalle, où ils sont en tenue civile, et ceux de la seconde dalle, qui sont en armure ?
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COMPLÉMENTS D'ICONOGRAPHIE
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Sur le site Mandragore, pour le XVe siècle à Paris, 68 résultas sont proposés. En voici quelques uns :
Grande Bible historiale BnF5 f3v, audience royale;
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Sur cette enluminure du XVe siècle des Chroniques universelles, nous voyons deux sergents d'armes, en rouge et coiffés d'un chaperon, au second plan, et deux autres devant le pavillon.
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BnF fr.131. Un sergent dans l'entourage immédiat du roi. La masse est tenue sur l'épaule gauche, le sergent est coiffé d'un chaperon.
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Dans les Danses macabres.
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https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k503981r/f18.item#
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Dans les danses macabres imprimées du XVIe siècle, le Sergent laisse la place à l'Homme d'armes, armé d'une hallebarde ou d'une lance, à Genève ou à Lyon.
Genève, Jean Bellot 1500:
https://www.e-rara.ch/gep_g/content/zoom/12538015
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Lyon, Claude Nourry 1501:
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1510028q/f20.item
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SOURCES ET LIENS.
— HABLOT (Laurent), 2007, « Le bâton du pouvoir dans l'image médiévale », In: Des signes dans l'image. Actes du colloque de l'EPHE (Paris, INHA, 23 - 24 mars 2007), dir. M. Pastoureau et O. Vassilieva-Codognet, Turnhout : Brepols, p. 191-209, ill.