Les noms savoureux des algues : la Laminaire bulbeuse Saccorhiza polyschides, Batters 1902 : le "testicule de cheval" des goémoniers du Finistère.
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On trouve sur nos côtes, amené par les tempêtes qui les arrachent du fond, un goémon d'épave qui ne passe pas inaperçu par ses formes singulières.
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Rappel.
Une algue (en latin Alga) est un organisme végétal eucaryote (dont les cellules possèdent un noyau) chlorophyllien, aquatique ou terrestre.
Les algues sont généralement composées de trois parties :
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La fronde est la partie dressée de l’algue (partie supérieure de l’algue).
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Le stipe est une « fausse tige » reliant la fronde au crampon.
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Le crampon est le pied de l’algue, il permet son accroche à un rocher par exemple.
Cet ensemble est appelé le thalle de l’algue.
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DESCRIPTION. D'après le site DORIS.
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Saccorhiza polyschides étymologiquement « racine en forme de sac, divisé plusieurs fois » ou Laminaria bulbosa est une grande algue brune massive dont la taille peut varier de 1,5 à parfois 10 (!) mètres de longueur pour une largeur de 3,5 mètres.
Le crampon, caractéristique, est recouvert par un bulbe épais, jaune clair, verruqueux, bombé mais creux et de consistance cartilagineuse d'un diamètre atteignant parfois les 50 centimètres (la tête d'un enfant !). Il est fixé au substrat par de fines radicelles.
Il se poursuit par un stipe flexible ornementé d'une marge ondulée (les falbalas). Ce stipe lisse et plat (contrairement à Laminaria digitata qui a un stipe lisse et rond), d'une largeur de 10 centimètres pour une hauteur de 1 à 2 mètres forme un ruban coriace qui s'élargit en une fronde volumineuse de couleur brun doré. Cette fronde est découpée en un long et large éventail composé de nombreuses lanières souvent percées de trous et couvertes de touffes de minuscules poils brunâtres.
Le bulbe ou crampon verruqueux, qui est très souvent retrouvé échoué dans les laisses de mer, et qui évoque par sa forme de petits jouets pour chiens et chats est si caractéristique qu'on ne peut confondre cette espèce avec aucune autre ! Et ses falbalas ondulés à la base du stipe permettent de lever toute hésitation.
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REPRODUCTION - MULTIPLICATION
La reproduction de cette algue passe par une alternance de deux phases qui correspondent à deux modes de vie différents : le thalle est le sporophyte (stipe, bulbe et lame), et il fabrique donc des spores. Après germination, ces spores produisent des gamétophytes microscopiques qui se déposent sur un substrat bien spécifique : l'algue calcaire Mesophyllum lichenoides. A la fin de l'hiver, les gamétophytes produisent des gamètes. Une fois fécondé, le gamétophyte femelle sera à l'origine d'un zygote qui évoluera à son tour en un sporophyte de grande taille.
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VIE ASSOCIÉE : cette laminaire est un véritable observatoire grouillant de vie !
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Ainsi au niveau du crampon on pourra observer des algues rouges : Chondrus crispus, Gigartina stellata, Rhodymenia palmata, Corallina elongata. Qui dit algues dit brouteurs comme les oursins Echinus esculentus et Paracentrotus lividus. On trouvera également des filtreurs comme des ascidies, des éponges, des bryozoaires... Le crampon creux abrite des pontes de poissons, des mollusques éolidiens, des copépodes des vers polychètes, des ophiures et de petits crabes à la recherche de proies.
Le poisson Lepadogaster candolii , ou Porte-écuelle de Candolle, y veille sur sa ponte.
Sur le stipe, des helcions Patella pellucida adultes creusent des logettes menaçant de le briser. Sur la fronde se développent des algues microscopiques, des bryozoaires encroûtants, des lucernaires, des hydraires tels que Obelia geniculata, des hydrozoaires et des bryozoaires qui eux-mêmes attirent à leur tour des nudibranches comme Limacia clavigera ou encore de petits prosobranches...
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LE NOM SCIENTIFIQUE.
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1°) Le nom d'espèce.
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J. Lightfoot avait nommé initialement cette algue Fucus polyschides en 1777 dans sa Flora scotica :
Flora scotica: or, a systematic arrangement, in the Linnaean method, of the native plants of Scotland and the Hebrides. Vol. II. pp. 545-1151 [1-24], pls 1-35. London: printed for B. White at Horace's Head, in Fleet-Street. page 936-937.
https://www.biodiversitylibrary.org/item/111779#page/420/mode/1up
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L'épithète spécifique polyschides associe le grec poly "plusieurs" et le grec schizo "découpé, divisé" (cf. Schisme, schizophrène).
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Fucus polyschides est actuellement considéré comme le basonyme, et un synonyme, de Saccorhiza polyschides reclassé par E.A.L. Batters en 1902 dans le genre Saccorhiza.
Batters, E.A.L. (1902). A catalogue of the British marine algae being a list of all the species of seaweeds known to occur on the shores of the British Islands, with the localities where they are found. Journal of Botany, British and Foreign 40(Supplement): 1-107.
https://www.biodiversitylibrary.org/page/35243189#page/398/mode/1up
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2°) Le nom de genre.
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Le nom de genre Saccorhiza a été créé par Jean-Marie Bachelot de La Pylaie en 1830. On peut penser que le botaniste a associé le radical -sacco (du latin saccus, "sac" grec sakkos) à -rhiza, "racine", pour signaler la dilatation en bulbe du pied de l'algue.
Note : Bachelot de la Pylaie, né à Fougères en 1786 et ayant fait ses études à Laval est un familier de la Bretagne, de notre littoral, et notamment de la Presqu'île de Crozon. ,
" Au printemps 1816, il entreprend un grand voyage en Bretagne (de Fougères à Brest) avant d'embarquer à bord de la frégate Cybèle pour une tournée d’inspection de trois mois à Terre-Neuve et à Saint-Pierre-et-Miquelon1. Entre 1816 et 1818, il est le premier collecteur connu d'espèces locales à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les collections qu'il en rapporte sont conservées au Muséum national d'histoire naturelle. De retour de l’Atlantique nord, il mène une exploration naturaliste et archéologique des îles d'Ouessant, de Molène, de Béniguet, de Triélen, Lithiry, Bannec et Balanec. Au début de l'année 1819, il s'intéresse à la région du Mont Saint-Michel de Brasparts avant de réaliser son deuxième voyage à Terre-Neuve. En 1822, il explore durant plusieurs mois la presqu'île de Crozon.
Après un séjour d'herborisation sur Belle-Île-en-Mer, il passe le mois de décembre et de janvier 1826 sur les îles d'Hoëdic puis de Houat.
En janvier, les conditions climatiques hivernales ne lui permettent plus de s'adonner à sa passion, la collecte des algues. Au lieu de retourner sur le continent comme il l'avait initialement prévu, il s'attarde dans les îles, sympathise avec les habitants et entreprend de décrire leur vie, leurs activités, et l'histoire naturelle de leur environnement. Il est alors surnommé le « père-goémon ». Il séjourne de 1831 à 1834 sur l'île d'Yeu où il mène des recherches ichtyologiques et botaniques mais aussi sur les monuments mégalithiques de l'île. Ces recherches sont publiées dans un Précis sur l'île d'Yeu. L'inventaire mégalithique qu'il contient est quasi exhaustif, tout en incluant de simples rochers naturels, au point qu'il sera repris par la suite par de nombreux auteurs sans que ceux-ci ne se rendent sur l'île." (Wikipédia)
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3°) Synonymes :
- Laminaria bulbosa J.V. Lamouroux 1813.
Laminaria : "en forme de lame", du latin lamina, "lame".
Nom de genre désignant des algues brunes (Phaeophyceae), de la famille des Laminariaceae), aux longues lanières minces, d’où le nom, de consistance coriace, dont le stipe se fixe aux rochers par des crampons ramifiés. Plusieurs espèces sont abondantes sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique Nord-Est, notamment la laminaire palmée, Laminaria digitata (Hudson) J.V. Lamouroux ou L. Flexicaulis , et la laminaire nordique, L. hyperborea (Gunnerus) Foslie.
Bulbosa, "bulbeuse".
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Autres synonymes.
- Fucus polyschides Lightfoot 1777
- Fucus bulbosus Hudson 1778
- Ulva bulbosa A.P. de Candolle 1805
- Laminaria blossevillei Bory de Saint-Vincent 1838
- Haligenia bulbosa (Hudson) Decaisne 1842
- Saccorhiza bulbosa J. Agardh 1848
- Alaria pylaiei var. grandifolia (J. Agardh) Jónsson 1904
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LES NOMS VERNACULAIRES.
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1°) En français. "Laminaire bulbeuse", "Laminaire à bulbe".
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2°) En breton, d'après Alain Le Berre.
Toutes les Laminaires sont des bezin du, des "algues profondes". Le goémon d'épave est nommé bezin avel : « goémon de vent » , bezin pèse : « goémon d’épave » ou bezin distag : « goémon détaché »
Les désignations bretonnes de cette algue sont particulièrement riches, et singulièrement fournies en termes érotiques renvoyant à la forme de testicule des crampons en sacs.
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- Toser, pl. toserou dans le Nord-Finistère. [Favereau donne pour ce mot "dossière" ou ...Saccorhiza polyschides.]
- Baodrez, pl. baodrezenn ("baudrier"), et baodre. Favereau donne "algue en lanière". Une laminaire, Saccharina latissima ou Laminaire gaufrée est nommée "Baudrier de Neptune" en raison de ses frondes.
- Tuad, pl. tuadou.
- Bagad (Nord-Finistère, Penmarc'h)
- Bol (Penmarc'h)
- Teilh Siliou, (Penmarc'h)
- Tali penn ("Algue à tête") (Sein).
- Pennou-chas (Sein) ("têtes de chiens"), ou pennu Jas, pl., « têtes de chiens »
- pen-ki, sing. « tête de chien »,
- Kalgenn (Le Guilvinec)
- Folgorn, confondu avec L. Saccharina et L. digitata.
- ar burs ' med , le bulbe seulement, «la bourse de miel », en raison du goût sucré de cette Algue.
- kalkod, de kalh , « phallus », par confusion avec L. hyperborea d'après un nom en usage en Cornouaille.
- sier ' kalkod , «sacs de kalkod », le bulbe.
- kalkyd , col., ar galkyden, sing. f. désignant le stipe.
- bezin ty:ad : ty:ed . an delu , « les thalles ». ar sku:r , « le stipe » ; ar grifu, « les griffes » (le bulbe).
- sah-marh , le bulbe, « testicules de cheval » («sac »).
- Jos an dali:en, le bulbe seul d'un pied de tali
- toser
- si:er bu:dri , « sacs de baudrier», le bulbe .
- sah an toser , « sac du toser », le bulbe .
- melkern , « corne à miel », le bulbe
- marh , sing., marhu , pl. « cheval », par allusion au bulbe
- doser , sing., doserju, pl. le bulbe seul.
- sah-'maut, sing., si:er'maut , pl., testicules de bélier» («sac »).
- sah-la:ro , sing., si:er-tirvi , pl., « testicules de taureau ».
- spâ:nel, sing, spânellu, «spatule», allusion au thalle en lamelle (du nom breton de la spatule à tourner les crêpes).
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Nous nous sommes plu, en photographiant ces bourses, euh, ces bulbes, à demander au soleil de s'amuser à projeter des images grimaçantes sur les roches du Veryac'h (Crozon).
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Nous nous sommes amusés à photographier les formes de vie associées au stipe, et, surtout, à relever le défi de les identifier alors que nous n'y connaissons rien. Merci à ceux qui confirmeront ou infirmerons nos hypothèses.
Ainsi sur ce cliché, ce sont sans doute des bryozoaires encroûtants qui forment ces plages blanches en nid d'abeille, et des Helcions Patella pellucida , un gastéropode caractéristique, qui correspond aux deux perles ovales.
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1°) Les Bryozoaires encroûtants.
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Sont-ce des membranipores, membranipora membranacea , alias "écorce marine" ?
http://souslesmers.free.fr/f.php?e=152&mapz=pays
Les spécimens photographiés correspondent aux descriptions : "des colonies blanches, dont les petites logettes rectangulaires sont disposées les unes à côté des autres en quinconce, et dont les bords sont arrondis et forment un liséré d'un blanc plus clair."
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2°) Et ceci ? Ces formations blanchâtres envahissent la concavité des "falbalas".
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Juste à côté : des Bryozoaires aux spicules en réseau d'une géométrie saisissante.
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Pour terminer avec le sourire, cette photo d'un sac bulbeux quo cligne de l'œil.
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SOURCES ET LIENS.
—ANDERSEN, H. 2011, Gastropods Associated with Laminaria hyperborea and Saccorhiza polyschides in a Norwegian Kelp Forest : Comparison of Sampling and In Situ Imaging Techniques
— FLOCH (Jean-Yves), 1982, "Biologie des algues exploitées en Bretagne", Penn ar Bed n° 108-109 page 28.
https://pmb.bretagne-vivante.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=6821
—KUBALA Sylvie, ZIEMSKI Frédéric in : DORIS, 09/11/2020 : Saccorhiza polyschides (Lightfoot) Batters,
https://doris.ffessm.fr/Especes/Saccorhiza-polyschides-Laminaire-a-bulbe-777
— LE BERRE (Alain), 1968, "Influence des noms de goémons en breton sur la toponymie nautique des côtes du Léon". In: Etudes Celtiques, vol. 12, fascicule 1, 1968. pp. 201-235; doi : https://doi.org/10.3406/ecelt.1968.1425 https://www.persee.fr/doc/ecelt_0373-1928_1968_num_12_1_1425
— LE BERRE (Alain), 1964, "Le nom des algues en breton", Penn ar Bed n°34 p. 210.
— TREDAN (Maélig), 2021, "Les algues en Bretagne. Une déjà longue histoire, du néolithique à nos jours."
https://www.nhu.bzh/algues-en-bretagne/
— Groupe mycologique nazairien
http://www.groupemycologiquenazairien44.fr/images/phocadownload/algues/Fiche%20n-24%20Saccorhiza%20bulbosa%20=%20Laminaria%20bulbosa.pdf.