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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 21:21

        La carte géographique de L'Histoire de                       Bretaigne de Bertrand d'Argentré :               description et origine.

 

 

  C'était il y a un mois : consultant à la Bibliothèque d'étude de Brest l'Histoire de Bretaigne de Bertrand d'Argentré dans son édition de 1588, je découvrais, soigneusement repliée à l'intérieur, une carte de la Bretagne. Keskelféla ? demandais-je à mon bonnet qui parle le Queneau comme un vrai sorbonnard.

  Intrigué par cette découverte, je cherchais à savoir quel était, à cette époque, l'état de la cartographie de la Bretagne, pour m'apercevoir que cette "carte d'Argentré" était non seulement la première carte imprimée de ma région, mais, tout simplement, la première carte jamais tracée de cette province seule, même dans un manuscrit (quelques cartes manuscrites montrent la Bretagne, mais associée à la Normandie).

  On sait l'importance de la représentation de soi et de la délimitation d'un territoire dans la constitution d'une identité : j'avais devant moi le premier média qui permit au peuple breton de se figurer lui-même.

  Cela me paraît si fondateur et si fondamental qu'en écrivant ces lignes je doute et je me dis que, si cela était vrai, cette carte ne resterait pas pliée incognito à l'intérieur de ce vieux volume, qu'on l'exposerait, qu'on aurait splendidement organisé l'anniversaire de sa parution en 1988, que des colloques lui seraient consacrée, qu'elle rejoindrait, dans la vitrine identitaire bretonne, l'hermine et le chapeau rond, la coiffe et les galettes, le gwen ha du et les bagadou. D'autres images l'ont certainement précédé, la détrônant du titre dont je la pare...

  Mais non, pas d'erreur, c'est bien LA PREMIÈRE CARTE DE LA BRETAGNE.

 Émouvant, non ?

  Émouvant et intriguant, car une carte géographique ne sort pas toute armée du cerveau d'un juriste comme Bertrand d'Argentré plus à même de prouver la nullité d'un acte de donation que de dessiner les tracés d'un littoral et d'y placer les villes et les fleuves. Cartographe, c'est un métier!

 

  Vous me direz que la première chose à faire, c'est de la regarder, cette fameuse carte ! Je frappe "carte d'Argentré" sur le moteur de recherche : rien, avec ou sans guillemets, aucune image. "Argentré's map" ? pas mieux. "Description du pays d'Armorique" ? Vous découvrez alors une carte très voisine, sa copie éditée par Bouguereau, mais pas l'originale.

  L'originale, la PREMIÈRE, la voilà, mise en ligne pour la première fois : 


DSCN7833c

 

 

  On voit d'emblée que ce n'est pas un travail d'amateur, une esquisse, un croquis, mais du vrai boulot de cartographe. Qui a bien pu la lever ? Par quel hasard ce document de géographie s'est-il égaré dans un livre d'histoire? Ouvrons vite les centaines de publication qui lui sont consacrées, les mémoires de maîtrise, les thèses, les revues...

  J'ai bien mal cherché, je n'ai trouvé que deux auteurs pour lui consacrer une étude :

 

  Ieuan E.  JONES, D'Argentré's history of Brittany and its maps. University of Birmingham - Department of Geography, 1987 : 62 p. - 33 fig. : ill. ; 30 cm .

Jean-Pierre PINOT  Les origines de la carte incluse dans "l'histoire de Bretagne" de Bertrand d'Argentré.  .Journées d'études sur la Bretagne et les Pays Celtiques : 1990-1991 : Kreiz 1 Brest, ED. C.R.B.C., 1991 .p.195-227; 21 cm .

  La grande qualité de ces deux travaux, dont le second émanait d'un professeur émérite de géographie de l'U.B.O. de Brest, compense le faible nombre des publications.

  Toutes les autres publications, tous les honneurs concernent sa copie publiée six ans plus tard par Bouguereau, à tel point qu'on attribue à la carte de Bretagne de Bouguereau tous les mérites de celle-ci.

 

  Je rappelle que j'ai fait précéder cet article par trois autres où on trouvera le portrait de Bertrand d'Argentré, la présentation des différentes éditions de son histoire de Bretaigne, et celle de l'exemplaire RES FB A88 de la Bibliothèque Municipale de Brest, grâce à laquelle j'ai pu photographier cette carte. Je rappelle encore brièvement que cette carte ne se trouve que dans la seconde édition de l'Histoire de Bretaigne, publiée à Paris par Jacques du Puys, et que parmi les 45 exemplaires recensés par I.E Jones de cette édition, seuls 14 possèdent cette carte. Il n'existe donc qu'une quinzaine d'exemplaires connus au monde de la carte éditée en 1588. Elle est rarissime. A Brest, l'exemplaire conservé par le CRBC de la même édition ne renferme pas cette carte ; et à Landevennec, qui possède la plus belle collection des diverses éditions de Bertrand d'Argentré, la carte est (paraît-il) incomplète.

 On ignore tout de l'auteur de la carte et du graveur qui la tailla. Elle est issue d'une plaque gravée en taille douce, et, elle précède donc comme premier exemple de carte en taille douce en France celles de Tavernier. La plaque de gravure n'a pas été retrouvée. 

 

  Pour planter le décor, et mieux me donner des repères, je propose les amers suivants :

  •   Les plus anciennes représentations cartographiques connues de la Bretagne sont la Table de Peutinger (qui est la copie du XIVe siècle d'un document datant du IIIe siècle) et celle du géographe arabe Ash-Sharif al-Idrisi, dressée en 1154. Les contours de la région y apparaissent méconnaissables.
  • 1454 : Impression de la Bible de Gutenberg.
  • 1477 : premiere impression de  la Cosmographie (traduction latine de Géographiké yphegesis) de Claude Ptolémée (90-168).
  • 1483 : Le Grand Routier de pilotage de la mer Gallica par P. Garcia Ferrande, premier hydrographe français ; il ne comporte pas de carte, mais un texte illustré par des croquis (amers, etc..).
  • 1513 : première carte imprimée d'une province de France, la Lorraine
  • 1543 à 1546 : cartes et almanachs de Guillaume Brouscon, cartographe du Conquet.
  • 1542 à 1635 : période des "hydrographes normands" : Guillaume le Testu, pilote du Havre, publie en 1556 un atlas de 56 cartes, Cosmographie universelle.
  • 1566 : carte du Berry de Jean Jolivet.
  • 1570 : premier atlas du Monde  : le Theatrum orbis terrarum d'Abraham Ortelius publié à Anvers chez Plantin : 75 cartes en 53 feuillets.
  • 1584 : premier atlas nautique imprimé : Spieghel des Zeevaert.
  • 1585 ; première apparition du terme "atlas" donné pour titre par Gérard Mercator à son Atlas, sive cosmographicae meditationes de fabrica mundi et fabricati figura. Complété, il est réédité en 1595.
  • 1588 : première carte de Bretagne par d'Argentré.
  • 1594 : premier atlas de la France, le Théâtre* Françoys par Maurice Bouguereau, Tours.
  • 1619-1632 : Théâtre géographique des royaumes de France de Jean le Clerc, Paris.
  • 1632 : Théâtre géographique des rouyaumes de France de Tavernier, Paris.
  • 1634 : Les cartes générales de toutes les provinces de france, Tassin, Paris.

* Le mot theâtre désigne au XVIe-XVIIe siècle un recueil de cartes modernes, et le terme de géographie les cartes à l'antique inspirées de Ptolémée.

 


 

  La plaque de cuivre de la carte de Bertrand d'Argentré fut peut-être perdue, mais sa carte fut recopiée à la demande de Maurice Bouguereau qui avait entrepris un atlas de la France, et avait confié les gravures des plaques à Gabriel Tavernier. Ce graveur mais aussi topographe et architecte (Anvers 1520?-Paris 1619) sans-doute chassé comme les autres d'Anvers après y avoir travaillé dans l'atelier de Plantin ( l'éditeur d'Ortelius), a travaillé à Paris avant de suivre la cour de Henri IV à Tours et d'y rencontrer Bouguereau.  a été le graveur en taille douce de "toutes les cartes du Le Théâtre francois ou sont comprises les chartes générales et particulières de la France", comme en temoigne un contrat passé entre lui et Maurice Bouguereau. Celui-ci s'était ingénié à rassembler un jeu de diverses cartes des provinces, à commencer par une carte générale de France de Guillaume Postel, et la tâche de Tavernier est de recopier ces cartes lorsque les cuivres n'étaient pas disponibles. Dix-huit cartes furent gravées entre 1590 et mars 1594,correspondant au centre Ouest du pays puis, Henri IV revenant à Paris, Tavernier  y retourna également. Son fils Melchior, apprenti chez Thomas de Leu, s'y installera comme Libraire et graveur.

 

  C'est donc sous forme incomplète qu'est publié en octobre 1594 à Tours Le Théâtre François où sont comprises les chartes générales et particulières de la France à chacune desquelles avons adjousté l’origine de la province. Chaque planche y est accompagnée à son revers d'un texte historique et de vers français et latin. Chaque planche est l'œuvre conjuguée du graveur et du libraire, mais aussi d'un homme de science compétent en géographie par ses connaissance en mathématique, en architecture ou autre science.

  Tavernier a donc copié, entre février et juin 1591 la carte de l'Histoire de Bretaigne parue en 1588 mais il l'a modifié.

  En 1618, Nicolas Buon publie à Paris une troisième édition de l'Histoire de Bretaigne avec la carte géographique, mais il utilise alors la carte de Bouguereau, la plaque de gravure de la carte originelle n'étant sans-doute plus disponible.

 Puis la plaque de Bouguereau a été utilisée par son associé et successeur Jean Le Cler dans son Théâtre géographique de 1619, puis, complétée, rognée et avec sa propre signature, par Jean Boisseau dans son Théâtre des Gaules de 1662.

 

 I.  La carte géographique de 1588.

  Alors que la carte de Bouguereau a été décrite par de nombreux auteurs (F. de Dainville, M. Navellou,M.  Pastoureau, Denis Jeanson, ...), la seule description technique que j'ai trouvée de la carte de 1588 est celle d'I.E. Jones, en anglais : c'est dire l'oubli où le désintérêt qui frappe cette carte. J'emprunte ce qui suit à cet auteur, à J.P. Pinot en complément, et à mes observations.

 

  Elle est pliée en deux dans le sens de la hauteur et en trois dans le sens de la largeur; elle est déchirée sur le bord par lequel elle est collée au livre ; la déchirure a été réparée jadis par une bande adhésive qui a laissé une trace jaunie. Elle est par ailleurs en bon état.

ex-libris---florilege-de-livres-0492c.jpg



 1. Echelle des lieues:

15 Lieues de Bretagne (pyramide graduée en bas à gauche) = 9 cm .

 La Lieue de Bretagne de 24 3/4 au degré et de 2300 toises de 1,949 m vaut 4,483 Km (Wikipédia), ou 4,489km (J.P. Pinot). L'échelle correspond à 1/ 748000.

2. Taille selon Jones: 35 x 47,3 cm (sans autres précisions).

La taille de la feuille de papier de l'exemplaire de Brest est de 32 x 48 cm.

la taille du cadre extérieur : 34 x 47,5 cm.

la taille du cadre intérieur : 32 x 46,8 cm.

 3. Titre.

  La carte porte le titre DESCRIPTION DV PAYS ARMORIQVE A PRESENT BRETAIGNE, placé en dessous de la bordure septentrionale.

Le titre de la carte provient, comme le fait remarquer Jones, de la Cosmographie de Belleforest, un ouvrage paru en 1595 et qui figurait dans la bibliothèque d'Argentré. La Cosmographie universelle de tout le monde, Paris, 1575, Nicolas Chesneau et Michel Sonnius, traduction en français de la Cosmographia de Sebastian Münster, est disponible en ligne, et effectivement, on trouve page 476 le début du chapitre consacré à la Bretagne, avec le titre : "description du pays Armorique, à présent Bretaigne".

  Cet emprunt d'Argentré (s'il vient de lui) est étonnant lorsqu'on lit avec quelle vivacité Belleforest attaque un "Annaliste" qui n'est sans-doute personne d'autre qu'Alain Bouchart, l'auteur des Grandes Croniques et Annales de Bretaigne : "Mais je n'y ai pas eu sitôt l'œil dessus (ô bon dieu)  que je  n'ai vu son commencement tout farci de folies et rendu indigne de foi pour l'infinité des fables qui y sont racontées. Vu qu'il fait sortir ne sait quel Brute troyen, lequel il fait père des peuples de cette île qui a prèsent se nomme Angleterre, et depuis de ceux-là il peuple notre petite Bretagne Gauloise, afin qu'elle ne peut se vanter d'être dispensée des griffes troyennes, non plus que le reste des provinces des Gaules." Il s'en prend ensuite à Geoffroy de Monmouth et ses vers sur Brutus (qu'il ne manque pas de nommer Brute), reproche à l'annaliste breton de reprendre à son compte "le bourbier du susnommé Monumeteen", et après avoir décrit le pays et ses habitants, dénonce la prétendue royauté bretonne : "Je sais bien que l'annaliste Breton, voulant chatouiller les Princes, auxquel il écrivait son histoire, et qu'il voyait affectionné à la mémoire troyenne, et prendre plaisir à se voir estimés sortis d'une si grande antiquité, s'est aussi efforcé sans nulle preuve à faire que les Ducs Bretons soient sortis d'un ne sait quel Brute, duquel nous avons fait mention ci-dessus. Mais le succès des choses vous a fait connaître combien sont éloignés du vrai ceux qui s'amusent à de telles fables et réveries de discours". Aprés avoir souligné que les Comtes bretons "confessérent franchement qu'ils tenaient le pays en fief des Roys de France", il conclue après plusieurs pages du même ton par " Le Duché breton vint, et tomba en la maison de France et à la fin a été uni et incorporé inséparablememnt à la couronne.[...] Et ainsi la Bretagne étant française, je la laisserai avec ce peu de description pour rentrer en Poitou."

 

  L'idée de placer une carte géographique dans son Histoire de Bretaigne est peut-être venue à l'esprit de Bertrand d'Argentré par la lecture de Histoire du Berry, de Jean Chaumeau, livre appartenant aussi au catalogue de la bibliothèque de d'Argentré, et dont le frontispice est semblable à celui de l'édition de 1588 de l'Histoire de Bretaigne. En effet cet ouvrage paru à Lyon en 1566 comporte la gravure sur bois d'une carte du Berry de 39 x 37,25 cm, placée entre les pages 222 et 223 et associée à un pourtrait de la ville de Bourges, comme le plan de la ville de Rennes qui accompagnera la carte de Bretagne de l'édition de 1618 de Charles d'Argentré.

 

  4. La bordure graduée.

La bordure est constituée de six lignes : une ligne extérieure délimite le cadre, doublée de deux filets rapprochés ; puis un espace sert à inscrire les degrés de longitude et latitude, et les orientations, il est divisé par les barres des degrés. Une double filet intérieur crée une bordure découpée par les barres des dizaines de degré, puis une dernière ligne délimite un dernier espace haché par les soixante traits des minutes entre deux barres de degrés.

La carte est ceinturée par ce cadre gradué en longitude et latitude, lequel porte les inscriptions SEPTENTRION, ORIENT, MIDI, OCCIDENT pour le Nord, l'est, le Sud et l'Ouest : ce sont les noms des vents, car ainsi que l'énonce J. Nicot dans le Thrésor de la langue françoise (1606), Ainsi que le monde est divisé en quatre parties principales, Orient, Occident, Septentrion, Midi: aussi sont quatre vents principaux. Les cartes de la même époque portent les termes latins Septentrio, Oriens, Méridies et Occidens.

  La graduation supérieure des longitudes est marquée 15, 16, 17, 18, 19 puis, par erreur, 02. Cette erreur n'est par répétée dans la partie inférieure. Selon cette graduation, la carte s'étend de 14°20 à 20°50, et la Bretagne de 15° (Ouessant) à environ 20° (Vitré).

  De même la graduation latérale porte les chiffres 46, 47, 48, chaque écart étant divisé en 60 sous-divisions : la carte s'étendant de 48°20' à 46°50'.

  La Bretagne s'étend, sur nos cartes, en latitude de 48°54'03 au Nord (Les Sept-Îles) à 46°51'37 au Sud (Commune de Lége, Loire-Atlantique) et en longitude de 5°08'29'' Ouest à Ouessant jusqu'à 0°55'23"" (Commune de Le Fresne sur Loire). Sur la carte d'Argentré, elle s'étend en latitude de 47°50 (Pointe du Grouin à Cancale) à 45°40 (Locmaria à Belle-Île, qui se trouve en réalité à 47°31). I.E Jones écrit que "les parallèles se situent 1½° trop au nord".

Le méridien d'origine.

  La carte donne bien des indications de longitude, mais ne précise pas le méridien de référence. 

  Rappel : 

Le méridien est, selon la définition du pilote du Havre Jacques Devault en 1583, celle-ci :"Méridien est une ligne qui se imagine de l'un des polles du monde et passe droict par dessus nostre teste auquel le soleil en y arrivant fait midi à tous ceulx qui habittent desoubz icelle ligne". 

  Les premiers cartographes prirent généralement comme origine le méridien de l'Île de Fer : cette île également connue sous le nom El Hierro ou Ferro, est la plus petite et la plus occidentale des îles Canaries, et  on la considérait comme placée à l'extrémité du monde. Cela permettait d'avoir une valeur positive pour toutes les longitudes de l'Europe. Ptolémée le premier aurait fait passé son cercle d'origine du comput des longitudes par les Îles Canaries, sans préciser laquelle, et tout en réalisant tous ses calculs à partir du méridien d'Alexandrie. La première inscription du méridien des Canaries sur une carte nautique date de 1519 avec l'Atlas dit Miller.

 Néanmoins  jusqu'à l'accord international sur le Méridien de Grennwich en 1884, divers autres "premiers méridiens" seront utilisés, centrés sur Copenhague, Amsterdam, Rome, Madrid. Les espagnols choississent Tolède, les portuguais l'île de Terceire aux Açores, les hollandais l'île de Teneriffe ou le Cap-Vert etc... L'école cartographique dieppoise (ca 1540-1560) a hésité à utiliser le méridien des Canaries et celui des îles du Cap-Vert, utilisé par Jean Rotz. Les Açores ont aussi été utilisées.

 Le 24 avril 1634 Louis XIII prend une ordonnance fixant l'origine des longitudes à L’île de Fer située arbitrairement à 20° ouest de Paris. La référence par le méridien de Greenwich place l'Île de Fer à 18°02W et Paris à 2°20'14"" E.

 Si l'on considére plusieurs cartes de Bretagne des débuts de sa cartographie, et que l'on y compare deux points extrème choisis arbitrairement (l'île d'Ouessant, IO et le Mont Saint-Michel MSM), on constate les différences suivantes :

  • Carte d'Argentré 1588 :              IO : 15°         MSM : 19°25'.
  • Ortelius par Arsenius, 1601:       IO : 15°
  • Blaeu                                          IO : 11°30     MSM : 15°25
  • Maximien de Guchen 1643 :       IO : 14°30     MSM : 18°30
  • Sanson d'Abbeville 1650 :          IO  : 14°30    MSM : 18°40
  • Berey 1654 :                              IO : 11°30     MSM : 15°30
  • Merian 1657 :                             IO  : 14°15    MSM : 18°40
  • Sanson 1660 :                           IO : 14°30      MSM : 18°40.

 

  Ces imprécisions ne sont pas étonnantes lorsque l'on sait que  la longitude fut fort difficile à mesurer, surtout en mer et qu'en 1707, le Parlement britannique offrit, par le Longitude Act, un prix équivallent à plusieurs millions d'Euros à celui qui découvrirait un moyen fiable de mesurer la longitude à bord des navires.

  Pour I.E Jones, "l'étendue des longitudes, probablement mesurée à partir d'un premier méridien situé aux Canaries, est excessive, même pour une carte dessinée avant les relevés des côtes de France de Picard et La Hire en 1664." En fait, l'abbé Picard et Philippe de la Hire relevèrent les coordonnées de Nantes et de Brest, pour la première fois, en 1679, sur mission de Colbert, et par la méthode des éclipses des satellites de Jupiter, ce qui permit aux relevés des ingénieurs préparant les cartes du Neptune Français (1694) de se baser sur des positions validées. 

 

La carte est traversée par deux parallèles et deux méridiens, ainsi que par deux diagonales.

 

5. Ornementation et Roses..

  La carte n'est pas "enluminée", mise en couleur ; elle porte quatre ornementations, dont les trois dernières font partie du corps des légendes et aides de navigation. Aucun ornement ne s'inscrit dans un cartouche.

DSCN7840c


1. Les "Armes de Bretagne" (l'écu d'hermine plain surmonté de la couronne ducale, dont le fleuron médian forme une sorte de fleur de lys...), dont on remarquera qu'elles sont entourées par le collier de l'ordre de l'Hermine et de l'Épi, à l'hermine passante avec la devise A MA VIE,  motif ornemental, identitaire voire revendicateur d'une Bretagne ducale autonome et fastueuse, qui est repris à la dernière page de l'Histoire de Bretaigne.

2. La pyramide ou plus exactement l'obélisque servant d'échelle, graduée de 1 à 15 lieues et portant sur le piédestal Lieues de bretaigne

DSCN7834c


3. Trois Roses des vents ou cadran des marées, sur lesquelles je vais revenir.

4. Des rinceaux qui déploient leurs volutes au large des côtes.  

 

6. Inscriptions.

  Outre le titre et les Vents, on trouve en grandes capitales les inscriptions LA GRANDE MER OCEANE, à l'Ouest, BASSE BRETAIGNE et HAVTE BRETAIGNE en deux diagonales inverses, et en caractères plus petit les provinces limitrophes PARTI DE NORMANDIE (d'un caractère typographique différent), PARTIE DV MAINE,  DVCHE DE RAIZ (érigé en duché en 1581) et PARTIE DE POICTOU ( ces trois derniers en petites capitales dont les hampes des A, R et V se prolongent).

On a compté plus de 300 noms inscrits sur la carte. Les toponymes sont écrits horizontalement pour la plupart, en caractère italique de taille grossièrement identique à l'exception des villes de Ren(n)es St Brieu, Brest, Kemper corentin, Vanes, et Nantes (Lorient ne sera fondée qu'en 1666).

 Les îles sont soigneusement nommées : Sesambre, Bréhat et Isle vert, Sept Isles, Isle de Baz, I. brach [ile Wrac'h, l'île Vierge], Ouessant, Bazlanec, Molenes, Quemenes, Biniguet, Trestan, Teuzec, Isle de Sain, l'isle Studi Benodet, Gleran et Les cases, Groaye, Belle Isle, Houat, Hiedic.

  Les écueils principaux recoivent leurs toponymes : Helle et Four dans les chenaux du même nom, Gaulec, Queroret (Querourot, Nept. Fr.1693), Les Questes à Crozon, Orozuen, La Baza Frede (Basse Froide),  Le Raz.

Les hydronymes sont inscrits parallèlement au cours d'eau et qualifiés fl. ou R. : Coisnon ; Rance;  L'Elorne, AusnOdet fl,  Ell (pour Ellè), fl. ; Blanet, fl ; Vilaine, fl. ; Aoust, fl. ; Loyre, fleuve. J.P. Pinot a fait remarquer l'absurdité du croisement de l'Ellé et du Scorff.

 On retrouve plusieurs indications Pas ou Paβ, que j'attribuerais à une abréviation de "Passage", notamment à Plougastel, et sur l'emplacement du Fret et à Roscanvel en Presqu'île de Crozon.

  La carte permet de rencontrer des formes toponymiques anciennes comme Lantriguer (la forme bretonne de Tréguier est Landreguer) dont on remarque que c'est celle qu'utilise d'Argentré dans son texte (Livre 8, chap. 3), ce qui tend à confirmer que l'auteur a supervisé ces indications toponymiques. D'un autre coté, c'est sous ce nom et cette orthographe que le port est inscrit sur les cartes de Guillaume Brouscon.  Le terme deviendra Lantragues dans la copie qu'en fera Bouguereau. On note aussi Abrach pour Aberwrach, graphie utilisée aussi par G. Brouscon. On trouve encore Aberviniguet, ancêtre de notre Aber Benoît. 

Je n'ai pas résolu ou retrouvé par exemple Les Questes*, Orozuen (ar rozven?), Queroret et Gaulec ou Goulec  en mer d'Iroise. Nous verrons que les toponymes, indiqués sur le modèle manucrit à partir de sources plus nombreuses en Basse-Bretagne, puis gravés par un étranger à la Bretagne avec les erreurs inhérentes à la méconnaissance du breton, et des nomx de pays, furent corrigés par un Haut-Breton, laissant subsister le plus grand nombre de fautes dans le Finistère. Ainsi, derrière Teuzec (au nord de Sein), il faut deviner Tevnec, notre Tévennec. De même faut-il corriger Biniguer en Biniguet, Abrach en Aberach (Aberwrac'h). Ploudalmézeau/ Guitalmeze est orthographié Guitalmozeff, mais on note la forme bretonnante. Par contre, Landeneau a été corrigé en Landerneau par un r suscrit, Golchen a été corrigé Goulchen en laissant la première forme .

* Le Gest, îlot du Guest : nom breton de la roche du Lion près de la Pointe du Toulinguet.

 

                        DSCN7848c

 

                          DSCN7849c

 

 


7. Les marques ou "vignettes".

  Les points et lieux remarquables sont représentés par des signes conventionnels , vignettes ou "caractères géographiques", dont la signification n'est pas légendée par un tableau. On sait que ces signes furent gravés à l'aide de poinçons, mais je ne peux déterminer si c'est le cas ici ; ce qui est sûr, c'est que chaque marque est construit autour d'un cercle centré par un point. La forme des marques est d'une grande variété (ce qui fait douter d'un jeu de poinçons) mais sur un modèle steréotypé : un carré ou un clocher entouré de deux bâtiments latéraux, deux clochers pour une ville plus grande ; certains toits recoivent des traits verticaux comme des piquets. Le clocher de Nantes porte un long fanion. Certains clochers recoivent un signe en forme de crosse, signalant les évêchés, à Dol, St-Malo, St-Brieuc, Lantriguer (Tréguier), St-Pol, Rennes, Vannes, Nantes (le clocher de Quimper est peu lisible).

  Il n'y a aucune autre marque de moulin, de gibet, de tour, de monument ou d'industrie. Quelques rares ponts sont indiqués.

  Une carte comprend les "traits" (tracé), les "marques", et la "nature", ou indication des monts et des bois : ici, la nature est signalée par des marques en forme de bosquet pour les forêts, et par des lignes arrondies ombrées de hachures pour les reliefs des collines ; les marais de Guérande sont indiqués par la mention marestz.

  Les récifs sont indiqués par des croix.

 

 

 

8. Le filet des eaux.

  Le contour du littoral est souligné par un ombrage fait de courtes hachures horizontales. François de dainville signale que cette pratique se nomme, chez les graveurs cartographes, "couper l'eau" . Cette "eau hachée", qui est une eau salée, s'oppose aux eaux fluviales qui sont rendues en les remplissant de lignes parallèles à leur lit : l'eau n'est plus hachée, mais "filée".

  La mer elle-même dans sa vaste étendue est traitée par un pointillé qui confond par la somme de travial représenté.

    

 

                               DSCN7838c

 

 

9. Le contour.

 I.E. Jones (op. cité, fig.13) a comparé les contours donnés par la carte d'Argentré avec ceux d'une de nos cartes modernes et révèle ainsi la belle performance réussie en 1588 :

                 DSCN8365c

 

10. La partition entre Haute et Basse-Bretagne.

  La frontière linguistique  est très précisément établie par une ligne pointillé qui part de Port toriao (Portrieux) pour rejoindre Comblac (Escoublac)  au sud en contournant par l'ouest Loudéac, Josselin et Malestroit.

Arrivée au sud, cette ligne, au lieu de suivre le cours naturel de la Vilaine, délimite une enclave vers l'est sous la forme de la presqu'île de Guérande, terre alors encore traditionnellement bretonnante comme nous l'avons vu en étudiant Alain Bouchart, natif de Batz-su-mer et bretonnant.

   Cette frontière est ancienne, mais au IXe siècle, elle partait de l'embouchure du Couesnon pour atteindre Pornic. La langue bretonne a mieux résisté au nord qu'au sud à la pression du français et la frontière atteint Dinan au XIIe siècle. En 1371 la charte du duc Jean IV reconnaît la division entre Bretaigne gallou et Bretaigne bretonnante puis au xve siècle, la chancellerie pontificale, qui demandait au clergé de parler la langue des fidèles, distingue la Brittania gallicana et la Brittannia britonizans. Au XVI siècle, la ligne de front recule jusqu'à Saint-Brieuc.

        La carte de Bertrand d'Argentré  est donc un document de référence capital par la précision et le caractère complet des informations fournies sur ce point important de l'histoire de la région.

carte-argentre-frontiere-linguistique.png

voir Wikipédia pour la progression de cette frontière:

220px-Dialectes_Breton.png

 

 

11. Les inconnues.

La carte est-elle commanditée par Bertrand d'Argentré, par son fils Charles, ou ajoutée à son livre sur l'idée du libraire parisien ?

Qui l'a gravée ? René Boivin qui est l'auteur du frontispice ? Tavernier, qui demeurait chez le libraire Jacques du Puys en août 1588 avant de suivre la Cour à Tours ? Des arguments s'opposent à ces hypothèses.

 

 

II.  Les rinceaux et les cadrans de marée de la carte de Bretaigne de 1588.                                                 

Le père F. de Dainville a écrit à leur propos : "Cette carte offre aux historiens de la cartographie une singulière synthèse des points de vue du terrien et du marin. Les gracieux rinceaux qui semblent orner la mer au large des côtes ne sont pas en effet fantaisie du dessinateur, mais répondent à des préoccupations précises. Ils partent des baies pour rejoindre une courbe principale qui aboutit à trois roses des vents chacune entourée de quatre cercles qui indiquent de l'extrérieur vers l'intérieur :

a) les 29 jours de la lunaison;

b) les phases de la lune et les marées de vives et de mortes eaux;

c) les heures des pleines mers;

d) celles des basses mers pour chaque jour de la lunaison.

Selon qu'il se dirigeait vers les ports compris entre Granville et Morlaix, Morlaix et Brest, Brest et Noirmoutier, le pilote pouvait savoir en consultant la rose NE, NO ou S, à quel jour de la lune, à quelle heure il jouirait de la marée haute pour rentrer dans tel port."

 

Chaque cadran est composé de huit cercles concentriques dont les trois premiers forment une rose des vents anthropomorphe, graduée en 32 aires de vent et dont le nord dirigé vers le haut est indiqué par une marque spécifique.

Les derniers cercles sont divisés par trente rayons correspondants aux trente (29,5) jours de la lunaison. Nous trouvons successivement :

  •   deux premiers cercles comportant des chiffres de 1 à 12 indiquent l'heure de la basse mer mer et de la pleine mer.
  •  le troisième  cercle où se disposent les 4 symboles des phases de la lune et des phases lunaires, et 2x2 symboles des marées de Vive-Eau et du Morte Eau.
  •  un quatrième cercle numéroté de 1 à 30 pour les trente jours de lunaison. 

 

 Grâce à elles, les pilotes pouvaient savoir à tel jour de la lune, à quelle heure la marée haute les autorisait à rentrer au port :

 " Si vous voulez savoir comment va la marée dans un port quelconque vous devez chercher d'abord si elle est à l' Est ou à l'Ouest ou à tout autre rumb et vous le trouverez en consultant la carte du littoral.  La rose des vents y est divisée en 32 parties ou quarts d'où partent des lignes qui aboutissent aux divers ports. Par exemple si vous voulez connaître la loi des marées à l'embouchure de la Tamise cherchez d'abord à la description shématique des ports anglais. Vous y verrez une ligne tracée du sud de la rose à l'embouchure de la Tamise d'ou vous conclurez que le SUD caractérise la marée de la Tamise. Vpus trouverez alors à la page SUD du Recueil un graphique de cercles concentriques : vive eau, morte eau, pleine mer et basse mer.

1°) L'âge de la lune donné par votre almanach est porté sur le cercle extérieur.

2°) Supposons le 3ème de la lune. Le cercle qui se trouve au dedans du cercle de la lune est le cercle des vives eaux et juste sous le 3 vous trouverez qu'il s'agit de la plus grande vive eau de cette période de la lune.

3°) le cercle suivant est celui du flot, et sous le 3 vous trouverez qu'il y aura pleine mer à l'embouchure de la Tamise à  11 heures un quart de l'horloge.

4°) le cercle suivant qui est celui des basses mers vous indique que la basse mer a lieu à 5 heures un quart." (Guide nautique de G. Brouscon, in Dujardin, p. 4-5). Sur les cadrans de ce guide, un système de 1 à 3 poins complète le chiffre de l'heure de marée pour donner une précision au quart d'heure.

  Le cadran fonctionne -t-il toujours ? : pour le jeudi 7 février 2013, 26ème jour de la lune, la pleine mer annoncée au Conquet par le cadran est à 1 heure et la basse mer à 7 heures, à deux jours de la morte eau. Les heures annoncées par l'officiel des marées sont de 14h42 et 21h04 en UTC +1 avec un coefficient de 61. 

 

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 Le cadran de marée pour le tiers nord-ouest de Morlaix à Brest:

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 Cadran de marée du tiers nord-est, de Granville à Saint-Jean-du-Doigt :

 Elle comporte une erreur : deux cercles de pleine lune figurent pour le quinzième et le seiziéme jour de la lune.

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Cadran de marée du tiers sud de Camaret à Noirmoutier:

 

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  Ces cadrans proviennent des almanachs des Cartographes du Conquet (29) que les travaux du Dr Dujardin ont fait connaître, et notamment de Guillaume Brouscon et de Jean Troadec. On les comparera à celles-ci :

Portulan de Guillaume Brouscon (Initiales G et BR dans les roses) in Manuel de pilotage à l'usage des pilotes bretons, 1548, Parchemin (17,5 x 14 cm) BNF, Manuscrits, français 25374, f. 25 v°:

Fichier: 039 Portulan de Guillaume Brouscon 1548.JPG

      les toponymes bretons indiqués sont pour les îles : briat, cetill, oesant,  moelene, sain, penmarc, glenan, groe, belile.

et pour les ports : S malo, dinan, guildan, daoet, s brieu, pontreo, lantreger, port blanc, lanuon, morles, s poll, abral, porsall, abirildut, conc, brest, odierne, lotudi, benodet, conc, blavet, etell, crah, morbian, le vuidan?, le croasic, poulguen

 

Deux cadrans de marées de l'Almanach de Guillaume Brouscon de 1546 : (l'original est rehaussé à l'encre rouge sur le rond correspondant à la pleine lune); les chiffres sont remplacés par des combinaisons de traits, de points et de sigles ronds, que la comparaison avec les autres cadrans permet de déchiffrer. Sur le cercle extérieur numéroté de 1 à 30, un trait vaut 1 jusqu'à quatre traits, puis la crosse vaut 5 (6 : crosse et trait, 7 : crosse et deux traits) jusqu'à 10 représenté par une croix, 15 par croix et crosse, 20 par deux croix, 30 par trois croix. Les 9, 19 et 29 se forment comme en numérotation romaine avec un trait avant la croix du 10,etc...

  Le troisième cercle porte le même système, mais certains "chiffres" sont dotés d'un point.

La comparaison des chiffres du cadran Suroest avec le cadran de marée de Camaret à Noirmoutier montre que les chiffres sont les mêmes ; ainsi pour la pleine lune du 15ème jour, on trouve de l'exterieur vers l'intérieur : 15(ème jour) ; PL ; 3 ; 9. Pour la Vive-Eau située en bas, à l'opposé, on a : 3(ème jour) ; VE ; 5 ; 11.


 Fichier: Brouscon Almanach 1546 diagrammes de marée en fonction de l'âge de la Moon.jpg

 

Le même almanach montrant les rinceaux vers les ports ; l'une des caractéristiques des portulans est d'inscrire les toponymes perpendiculairement au littoral :

  Fichier: Almanach Brouscon 1546 portant Boussole des hautes eaux dans le golfe de Gascogne quitté la Bretagne à Douvres right.jpg

 

 

      Cadran de marée du manuel de pilotage folio 25 gallica:

Depuis suest jusque à oest noroest POUR TOVTES MARES

  Par rapport au cadran de la carte d'Argentré, on retrouve le même positionnement des symboles, mais le luxueux manuscrit permet de mieux les voir, de constater la signature GB au centre et de découvrir des précisions supplémentaires comme un cercle intérieur chiffré ou porteur d'une étoile verte. On constate surtout qu'il s'agit du même cadran que celui qui est relié, sur notre carte, aux ports de Camaret à Noirmoutier, qui représente bien le secteur sud-est à nord-ouest. Je replace ce cadran en dessous pour comparaison. Pour reprendre les exemples précédents nous retrouvons 15(ème jour) ; VE; 3 ; 9 . et 3(ème jour); VE ; 5 ; 11.

  Nous avons donc trois exemples du même cadran de marée pour le même secteur et qui portent les mêmes indications.

 

 

 

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Guillaume Brouscon (dates et origines mal connues, XVIe siècle)  un des premiers cartographes bretons du Conquet est l'auteur d'un manuscrit intitulé Traité de navigation datant de 1543, un Manuel de pilotage à l'usage des pilotes bretons datant de 1548, ainsi que quatre Almanachs pour marins (Un almanach est un calendrier où l'on peut connaître les phases lunaires ou encore la durée des jours)

Le caractère figuré du guide de Brouscon, n'imposant pas la maîtrise d'une langue, l'a rendu utilisable par les marins de nombreux pays.

 Le Conquet tirait son importance de son voisinage avec l'abbaye de Saint-Matthieu, et de l'importance du commerce de la Bretagne ducale avec l'Europe du Nord ; ce commerce perdra de son importance au XVIIe siècle.

  

 

  Sources sur G. Bouscon: 

Dr  L. Dujardin-Troadec. — Les cartographes bretons du Conquet. La navigation en images 1543-1651 

Hubert Michea, capitaine au long cours : http://hubert.michea.pagesperso-orange.fr/Pages/marteloire.htm et http://www.la-mer-en-livres.fr/brouscon.html



 III. L'origine de la carte d'Argentré.

  Une carte géographique ne s'improvise pas. Il faut d'abord accumuler une documentation en interrogeant les voyageurs (souvent les marchands) qui indiquent les distances séparant les villes, les marins pour le relevé de la côte et de ses récifs, les scientifiques, qu'ils soient mathématiciens ou autre. On cherchera des plans, des cartes à la main levées pour préparer des tarvaux civils ou militaires, des relevés de territoire dressés dans un but juridique. Il faut retrouver les descriptions donnés dans les livres, faire les listes des toponymes, échanger des correspondances, confronter les données, critiquer les sources, noircir des centaines de feuillets. Ce travail de cabinet peut dépasser les capacités d'un homme seul et exiger des secrétaires.

  On peut alors procéder à une première esquisse graphique, puis à un projet qui est réalisé à une échelle beaucoup plus grande que la carte définitive afin de travailler à l'aise. Lorsque l'œuvre prend forme, la carte est réduite à sa taille de publication, puis passée à l'encre et envoyer la carte à la gravure.

  La gravure elle-même suppose cinq opérations successives : 1) Faire le trait :  établir le calque du dessin fourni et reporter le calque sur la plaque de cuivre brunie, durcie et polie avec soin, puis tracer les méridiens et parallèles, puis décalquer le trait grâce au calque enduit de sanguine. Tracer le trait géographique des contours. Frapper les emplacements des villes avec un poinçon positionnaire. Graver au burin le trait légèrement incisé. 2) L'écriture : elle est confiée au graveur de lettres. 3) Graver les montagnes et les bois. 4) Filer ou hacher les eaux. 5) Procéder à la Finition : ornements, par un autre graveur ; pointiller les sables ou la mer ; retoucher ou reprendre et harmoniser l'ensemble ; faire la bordure.  

 Il s'agit alors de corriger les épreuves gravées avant que le commanditaire ne signe le bon à tirer.

 Enfin, ou d'abord, il aura fallu financer l'opération qui peut atteindre des sommes très élevées.

 

  Lorsque l'on constate le niveau de qualité atteint par cette première carte, on comprend vite qu'elle a fait appel à de multiples compétences ; et si on pouvait imaginer Bertrand d'Argentré dans son cabinet de travail rédigeant seul son Histoire en puisant dans sa bibliothèque, il est évident que sa Carte n'est pas de sa main. On ignore tout des cartographes auxquel il a pu faire appel, aux dessinateurs et aux graveurs qui l'ont réalisés ; mais Jean-Pierre Pinot, au terme d'une étude critique poussée de la carte, et d'une déduction de détective, a pu aboutir à la conclusion suivante : 

La plaque gravée était de faible épaisseur, d'où des corrections difficiles avec un éffaçage incomplet des erreurs. Les incisions y étaient de faible épaisseur, d'où un encrage médiocre.

1. C'est une bonne carte marine dans le style des portulans.

 "La représentation des côtes, très supérieure à tout ce que l'on connaissait jusque là, et la bonne toponymie des côtes et des îles supposent que l'on parte d'une bonne carte marine, établie selon les principes des portulans : des lignes de rhumbs, et de bonnes appréciations des distances. La plus grande précision à l'Ouest de la Bretagne indique que l'origine de ce portulan se situe en Basse-Bretagne, et tout porte à croire qu'il s'agit d'une œuvre de l'école du Conquet, c'est-à-dire de Guillaume Brouscon ou d'un de ses élèves. Les contours d'ensemble manifestement issus de la carte des côtes de Bretagne de Brouscon, la présence de cadrans de marée quasiment décalqués sur les siens, l'identité de certains détails des côtes avec ceux figurés sur l'une des tables du père Le Nobletz, celle des Cinq Talents, et l'identité de l'échelle graphique avec un figuré d'une autre table, celle de l'Exercice Quotidien, tout cela converge vers le Conquet, puisque l'on peut penser que ces tables sont dues, l'une à Françoise Troadec, l'autre à Alain Lestobec, tout deux du Conquet."

  La présence des lignes horizontales, verticales et diagonales sont selon J.P. Pinot des restes de rhumbs, qui signent l'origine maritime de la carte : ce réseau de lignes des vents formaient un réseau en toile de fond (italien mar teloio, d'où le nom français de marteloire) des portulans. Cette toile de fond n'a plus aucune utilité pour les terriens, mais susiste comme stigmate de ses origines.

  Les portulans ne fondaient pas leur utilité sur les coordonnées de longitudes et de latitudes et donc sur la capacité du pilote de faire le point, mais sur la navigation à l'estime par la mesure des distances (par le loch) et du cap (par la boussole).

  Cette origine marine, qui se moque des longitudes et latitudes, explique aussi les erreurs constatées dans les valeurs des coordonnées : Jean-Pierre Pinot est clair : "Le cadre est donc totalement fantaisiste. On ne peut déduire de la comparaison d'une échelle graphique parfaite [l'échelle en lieues et la mesure directe des distances sur la carte] et de coordonnées fantaisistes qu'une chose : les coordonnées ont été rajoutées au petit bonheur, sur un fond de carte antérieur confectionné selon des méthodes autres que celles de la mise en place de chaque lieu par l'observation des astres".

  De même, les cadrans de marée, parfaitement inutiles à l'utilisateur de cette carte, ne participent plus qu'à la décoration. 

2. Celle-ci a été complétée dans les terres d'une part par un bon connaisseur du nord de la Basse-Bretagne (Léon), d'autre part à l'aide des informations fournies par les commerçants ambulants.

Il y a eu d'abord un document de marins, et il a été complété dans les terres par les informations des voyageurs. Les toponymes sont plus nombreux et mieux placés en Léon et Trégor; la densité de paroisse diminuant de moitié entre le Léon d'une part, et le secteur Nantes-Vannes-St-Malo, d'autre-part. Celui qui a complémenté le fond de carte était vraisemblablement bretonnant puisque des formes bretonnes existent. Les commerçants itinérants ont fournis des indications de distance et de terrain autour des axes routiers, et (en dehors du Léon) les seuls hameaux figurés sont des points de passage difficiles sur les grandes routes. La source ecclésiastique semble absente, les abbayes étant soit mal placées, soit omises.

3. La gravure a été faite au loin par un graveur ne connaissant pas la région.

Le graveur était un bon artisan, presqu'autant que Tavernier, mais responsable de fautes de copies de la carte manuscrite par méconnaissance de la Bretagne. Le relief et le rendu des côtes est soigné, plus précis que la seconde gravure par Tavernier.


4. La correction a été faite par un habitant connaisseur de la Haute-Bretagne septentrionale (D'Argentré ?).

Car les erreurs corrigées prédominent dans cette région et que, inversement, les erreurs subsistent en Basse-Bretagne et région nantaise. Par ailleurs des noms de lieux ont été ajoutés après-coup et en biais dans la région de Rennes.

5. Un tirage définitif opéré hors de la surveillance de la géographie de la Bretagne.

6. Un exemplaire du tirage définitif a été corrigé par un correcteur identique ou proche du correcteur du premier cuivre. , permettant une seconde gravure (par Tavernier pour Bouguereau) améliorée.

7. Une plaque gravée perdue ou détruite (guerre...) après un faible nombre de tirage, imposant aux successeurs une nouvelle gravure, mais qui, faute d'être supervisée, accumulera les erreurs.

  En résumé, Jean-Pierre Pinot conclue à la collaboration de cartographes Bas-Bretons at d'un éditeur de Haute-Bretagne, soit en clair, des ateliers de l'école de cartographie du Conquet et de l'équipe secrétariale de Bertrand d'Argentré.

 

 

SOURCES :

L. Dujardin-Troadec, Les cartographes bretons du Conquet, la navigation en images, 1543-1650, Brest 1966.

  Ieuan E.  JONES, D'Argentré's history of Brittany and its maps. University of Birmingham - Department of Geography, 1987 : 62 p. - 33 fig. : ill. ; 30 cm .

 Jean-Pierre PINOT  Les origines de la carte incluse dans "l'histoire de Bretagne" de Bertrand d'Argentré.  .Journées d'études sur la Bretagne et les Pays Celtiques : 1990-1991 : Kreiz 1 Brest, ED. C.R.B.C., 1991 .p.195-227; 21 cm .

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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