Sortir d'une épidémie : le calvaire de Plougastel. III.
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Voir :
- Sortir d'une épidémie de peste (1598) et sortir d'une guerre (1598 ET 1944) : le calvaire monumental (microdiorite de Logonna et kersantite, Maître de Plougastel, 1602-1604) de Plougastel-Daoulas . Première partie. le soubassement
- Sortir d'une épidémie : le calvaire de Plougastel-Daoulas. Deuxième partie : la plate-forme.
Résumé.
J'ai tenté de montrer que le grand calvaire de Plougastel, réalisé 4 ans après la fin d'une épidémie de peste de 1598, mais aussi d'une situation de guerre (la Ligue) et de pénurie, a été une salutaire aventure de refondation des identités individuelles et collectives. La première partie présentait le soubassement, avec ses frises de personnages hiératiques aux visages défaits, comme une image de l'expérience traumatique. La deuxième partie décrivait une plate-forme aux personnages hauts en couleur, multipliant les marques identitaires par leur costume, leur postures expressives et théâtrales, comme la réponse résiliente des habitants, habilement traduite par le même sculpteur qui avait changé de style.
Néanmoins, sur le visage de trois saints personnages, Véronique, Jean et Marie, le sculpteur anonyme, dénommé "Maître de Plougastel" au XXe siècle, avait repris la marque de fabrique de l'atelier Prigent de Landerneau (1527-1577): trois larmes en stalactite sous chaque œil.
La troisième partie décrira les trois croix du Calvaire : les deux croix simples des deux larrons, et la croix à deux croisillons du Crucifié. J'y rechercherai quelle est la part d'originalité et d'innovation du Maître, et quelle est la part de fidélité à l'atelier des Prigent.
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Les calvaires à deux croisillons.
Nous pouvons d'emblée remarquer que le schéma du Christ entouré, sur le croisillon supérieur, de deux cavaliers, et sur le croisillon inférieur, des statues géminées de Jean et Marie, avec la Pietà au centre, se retrouve en Finistère sur de nombreux calvaires antérieurs à deux croisillons. Par exemple à Pencran en 1521(?), Lopérec en 1542-1552, Plomodiern en 1544, Saint-Ségal vers 1550, et sur les deux calvaires monumentaux de Plougonven en 1554 et Pleyben en 1555. Chacun de ces monuments est soit clairement attribué aux Prigent, ou comportent leurs marques stylistiques, comme les fameuses trois larmes (culte des larmes) ou à Lopérec notamment les anges aux calices culte du Précieux Sang).
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Pencran nord, (1521 par inscription). Trois fûts. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Deux cavaliers, Madeleine/ Yves, Jean/Pierre. Pietà, Vierge à l'Enfant . Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix.
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Plomodiern, chapelle Sainte-Marie-du-Ménez-Hom (1544, Prigent). Jean/Pierre et Madeleine/Yves. Pietà, Christ aux liens, Vierge à l'Enfant. Ange aux calices. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Trois larmes.
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Saint-Ségal, chapelle Saint-Sébastien (v.1541-1554, Prigent). Vierge et Jean géminés avec des archers. Trois larmes.
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Lopérec (1552) par l'atelier des Prigent. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Trois fûts . Deux cavaliers, Christ aux liens, Jean ?/Marie-Madeleine / et Vierge/Pierre, Christ ressuscité. Les trois larmes.
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Plougonven, (1554), Henri et Bastien Prigent. Calvaire monumental. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. les larrons sur des croix séparées (mais depuis le XIXe), saint Yves, Vierge et Jean non géminés.
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Pleyben (1555) par Henri et Bastien Prigent. Calvaire monumental. Marie-Madeleine agenouillée au pied de la croix. Vierge et Jean non géminés.
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Cléden-Poher (1575)
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Loqueffret (1576?)
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Plounéventer (1578)
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Guimiliau (1581-1588)
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Locmélar (vers 1600), par le Maître de Plougastel
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Voir aussi d'autres calvaires par les Prigent :
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La chapelle Saint-Laurent de Rozalghen en Pleyben. Le calvaire (Bastien Prigent, vers 1555).
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Saint-Ségal : le calvaire du bourg (vers 1550 et 1630, kersanton, atelier Prigent et Roland Doré) (3 larmes)
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Une remarque s'impose. La composition de cette partie du grand calvaire est strictement la même que le calvaire de Lopérec, à un détail près. Mêmes statues Vierge/Pierre et Jean-Madeleine, même Pietà et même Christ aux liens, même couple de cavalier, mêmes anges au calice au pied. Mais les deux anges voletant pour recueillir, à Lopérec, le sang des plaies des mains sont absents ici. Or, ceux-ci sont attestés à Plougastel, car on voit autour du pagne du Christ les deux consoles qui les portaient.
Autre différence : à Lopérec (et à Pencran, aux chapelles de Ste-Marie du Ménez-Hom et de St-Sébastien), sainte Marie-Madeleine est agenouillée au pied de la Croix. Or, Flaubert décrit lors de sa visite à Plougastel en 1847, au pied de la Croix, "La Madeleine en pleurs [qui] répand sa belle chevelure tressée".
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Le calvaire de Lopérec est daté de 1542 ou 1552 (avec un doute sur la lecture du chronogramme). Il est attribué à un certain Fayet par Y.-P. Castel, et ce "Fayet" serait un compagnon des Prigent de Landerneau, tant les styles sont proches ou identiques.
Nous ne pouvons pas assimiler le Maître de Plougastel avec ce "Fayet", mais je peux souligner la filiation entre les œuvres. Comme je ne peux dresser un parallélisme photo après photo avec ce calvaire, je renvoie à mon article :
Le calvaire (Fayet, 1552 ou Prigent 1542?) de l'église de Lopérec.
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LE CROISILLON INFÉRIEUR.
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Le coté principal , tourné vers l'ouest, montre la Vierge à droite et Marie-Madeleine à gauche et la Pietà au centre.
Les statues latérales sont géminées, portant un second personnage au dos : nous avons les couples Marie/Pierre et Marie-Madeleine/Jean.
La disposition actuelle relève d'une erreur au remontage car nous devrions trouver face à l'ouest, entourant le Crucifié et donc au pied de la croix Marie à gauche et Jean à droite. La statue Jean/Marie-Madeleine a subi une rotation de 180°. Le chanoine Abgrall, en 1904, a observé la disposition correcte, avec la Pietà entre la Vierge et Jean.
Je n'ai photographié que la face occidentale.
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La Vierge.
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Bizarrement, E. Le Seac'h décrit celle-ci sous le nom de Marie-Cléophas
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Marie-Madeleine.
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Elle tient le flacon d'aromates de l'embaumement (Luc 24:1 "elles se rendirent au sépulcre de grand matin, portant les aromates qu'elles avaient préparées") .
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Le très habituel bandeau occipital de la sainte se transforme en un linge qui enrubanne les cheveux en deux nattes. C'était déjà le cas dans la Mise au Tombeau de la plate-forme. Mais Marie-Madeleine ne porte plus le voile à pans cassés.
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La Pietà.
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La Vierge porte le corps de son Fils sur son genou droit fléchi et sur son genou gauche abaissé, si bien que le corps est presque couché horizontalement. Les pieds sont croisés. La Vierge ne soutient pas la tête de la main droite, ou le bras de la main gauche, comme ailleurs, mais elle prie, mains croisées.
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Ma photo ne permet pas de dire qu des larmes sont présentes, mais pas non de l'exclure. Il faudrait revenir.
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LE CROISILLON SUPÉRIEUR. LES DEUX CAVALIERS.
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Longin le lancier guéri de son trouble de la vue.
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Il tient dans la main droite la poignée de la lance (en bois, brisée) et place l'extrémité de l'index sous la paupière gauche. Le sang qui a jailli de la plaie qu'il a causé au flanc droit du Christ a atteint son œil et instantanément, il a été guéri d'un trouble visuel.
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Comparez avec le même cavalier à Lopérec (cliquez si besoin). La différence principale provient de la profusion des lichens à Lopérec. Le harnachement du cheval, la coiffure du cavalier (un bonnet conique entouré d'un turban) sont identiques.
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Le Bon centenier convaincu que le Crucifié est le Fils de Dieu.
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Il ne serait pas d'origine, et pourrait être (Le Seac'h) dû à Millet après 1944.
Son homologue était présent sur la plate-forme, en tête du portement de Croix.
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LE CHRIST EN CROIX.
Notez les "bosses" du fût, rapprochés des bosses de la peste.
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Les quatre anges.
Deux anges joignent les mains à l'extrémité du bras de la croix. Deux anges tiennent en commun un calice qui recueille le sang s'écoulant des pieds du Christ. Les deux mêmes anges sont présents sur le calvaire de Lopérec.
Les consoles vides près du pagne accueillaient les deux autres anges au calice.
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LE BON LARRON. UN ANGE CONDUIT SON ÂME AU CIEL.
Ses jambes sont fléchies en grenouille car, selon les évangiles, on leur brisa les jambes des larrons pour précipiter leur mort en les privant de cet appui qui, seul, leur permettait de respirer.
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LE MAUVAIS LARRON. LE DIABLE S'EMPARE DE SON ÂME.
Il grimace et tire la langue, et détourne son regard du Christ. Tout faux.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), 1904, "Le calvaire de Plougastel-Daoulas", Bulletin de la Société archéologique du Finistère t. XXXI p. 182-189
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207669n/f239
https://societe-archeologique.du-finistere.org/bulletin_article/saf1904_0250_0258.html
— ABGRALL (Chanoine Jean-Marie), 1902, Les croix et les calvaires du Finistère , Bulletin Monumental Année 1902 66 pp. 176-209,
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1902_num_66_1_11302
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31081n/f255.item.texteImage#
— CASTEL (Yves-Pascal), 1980, Atlas des croix et calvaires du Finistère.
http://croix.du-finistere.org/commune/plougastel_daoulas.html
— CASTEL (Yves-Pascal), 2005 (trad. Lorañs Stefan, Job an Irien, photogr. Jean Feutren), « Guide des sept grands calvaires bretons / Ar seizh kalvar braz », Minihi-Levenez, août 2005, p. 0-106 (ISSN 1148-8824)
— CASTEL (Yves-Pascal), articles du Progrès de Cornouaille / Courrier du Léon
Plougastel-Daoulas, le Calvaire au péril de son grand âge... 0485 Pedenn An Deiz... 14.01.89. Yves-Pascal Castel : articles du Progrès de Cornouaille / Courrier du Léon
“0484 Plougastel-Daoulas, le Calvaire au péril de son grand âge... 0485 Pedenn An Deiz... 14.01.89.,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 8 avril 2020, https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/1972
-CASTEL 1336 Auscultation des Calvaires à Plougastel et Guimiliau par la CGG... 18.10.97.
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/bfdc8148eb09d0bc7254d5705e51fd16.jpg
-1014 Plougastel-Daoulas, Calvaire, Évangile de Pierre... 26.03.94.
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/c1955e8d223fda5940d8ef924d117b36.jpg
— COUFFON (René), 1988, Couffon, Répertoire des églises : paroisse de PLOUGASTEL-DAOULAS, notice extraite de : Diocèse de Quimper et Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, par René Couffon, Alfred Le Bars, Quimper, Association diocésaine, 1988.
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/daea80685ebe3292bb10ce1933e48782.pdf
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIe siècle. Presses Universitaires de Rennes.
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1409573610_doc.pdf
— LE GOFFIC (Charles), 1924, -Édouard Champion série 4 - L'Âme bretonne page 10
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%82me_bretonne_s%C3%A9rie_4/Une_cellule_de_l%E2%80%99organisme_breton_II_Le_calvaire
— PÉRENNÈS Henri, “Plougastel-Daoulas,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 6 avril 2020, https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/9785.
— LIST OF THE WORKS OF THE MAÎTRE DE PLOUGASTEL
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_the_works_of_the_Ma%C3%AEtre_de_Plougastel
— INFOBRETAGNE
http://www.infobretagne.com/plougastel-calvaire.htm
— WIKIPEDIA
https://fr.wikipedia.org/wiki/Calvaire_de_Plougastel-Daoulas