5 juin 2011
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Lieu : St Rivoal, à trois mètres d'un cours d'eau.
Date : 4 juin 2011, Sortie de formation aux invertébrés Bretagne Vivante dirigée par Mikaël Buord.
L'observation de la nature par le biais d'un objectif macro ou d'une loupe offre parfois des surprises telles qu'elles s'apparentent à la traversée du miroir pour la jeune Alice, et la chute vertigineuse qui aspira la jeune demoiselle dans un vortex mental après qu'elle se soit engagée dans un terrier me paraît peu de chose à l'égard du bouleversement suscité par le mécanisme copulatoire le plus inouï, le plus singulier, le plus incroyable, le plus imprévu (etc...), de cette araignée nommée la Tétragnathe étirée. Et j'aurais vu un lapin blanc aux yeux roses consulter l'heure sur son portable et s'écrier qu'il allait être en retard pour sa série télévisée que cela ne m'aurait pas ému d'avantage que de lire la description de l'induction spermatique chez les araignées, et d'apprendre comment, chez celles-ci, les deux pédipalpes des mâles se sont différenciés en un organe d'accouplement hautement original et sans équivalent direct dans les autres groupes animaux pour réussir un tour de force nommé induction spermatique.
Tout débute peut-être par les articles d'Ulrich Gerhardt 12 articles (soit un total de 1064 pages) publiés de 1911 à 1933 sur le comportement sexuel des araignées: ce docteur en médecine (Berlin, 1899) qui fut professeur de zoologie à Breslau écrivit entre autre :
• Neue morphologische und biologische Untresuchungen an Spinnen, Naturwissenschaften, Volume 11, N° 45, 1923,
•Biologisceh Studien an griechischen, corsischen und deutschen spinnen, Zoomorphology Vol. 10, N° 4 :576-675, 1928.
•Neue studien zur sexualbiologie und zur bedeutung des sexuellen grössendimorphismus des spinnen, Zoomorphology Vol. 1, n° 3 : 507-538.
Son étude de la reproduction de Tetragnatha extensa L. se trouve dans :
Weitere sexualbiologische untersuchung an Spinnen, Arch. Naturgesch. 89(A,10) : 18, 94 (1923)
1) Un peu d'anatomie :
a) les pédipalpes :
Situées entre les chélicères, première paire d'appendices prosomatiques, et les pattes ambulatoires qui forment la troisième paire, les pédipalpes ou pattes mâchoires sont formés de six articles. Le sixième, le tarse, est équipé d'une griffe palpaire chez la femelle, mais se différencie chez le mâle en un organe hypertrophié souvent comparé à un gant de boxe, et qui atteint une taille si extravagante qu'il en devient parfois invalidant et que certains Theridiidae doivent s'automutiler d'un coup de chélicère pour n'en conserver qu'un exemplaire.
Cet organe qui reste simple chez les haplogynes atteint une complexité considérable chez les entélégynes, c'est à dire la moitiè des araignées . Il est essentiellement constitué par un bulbe copulateur, qui s'éffile à son sommet en un embolus qui joue le rôle de penis. Mais ce bulbe repose sur une sorte de cuiller ou cymbium, parfois complété par un paracymbium, et puis il est étayé par des pièces chitineuses ou sclérites, et par un coussin extensible fibro-élastique ou haematodocha : c'est un grand moment que celui où l'anatomiste s'empare de l'emphase de Bossuet dans son Sermon sur la mort pour décrire comment, lors de l'acte de chair, les haematodochae jusqu'alors collabèes deviennent turgescentes sous la pression de l'hemolymphe et dressent les sclérites, les faisant se disjoindre et faire saillir l'embolus ! Et dans une vision apocalyptique, il ne manque pas de rappeller comment, chez certaines espèces, l'embolus vient serompre dans l'organe femelle et ainsi le boucher, afin de l'empècher de s'accoupler désormais !
A cet organe mâle répond, chez la femelle, un organe nommé épigyne ; chez Tetragnatha extensa, il est réduit à une simple fente transverse non chitinisée.
b) les chélicères.
Les chélicères (du grec khélé, "pince" et keras, "corne" ) ces appendices buccaux dotés de glande à venin sont particulièrement développés chez Tetragnatha extensa, et surtout ils (ou elles) sont dotès chez le mâle d'une "dent", un crochet qui va lui permettre une "prise de chélicères" : afin d'éviter de se faire dévorer par sa partenaire, le mâle lui bloque les chélifères en les tenant en pince au moyen de cette apophyse.
2. L'accouplement.
Il est précédé par une préparation du mâle qui, en juin-juillet, cesse de s'alimenter et confectionne une toile spermatique
petite toile où va se dérouler le phénomène d'induction spermatique :le mâle va déposer sur cette toile par "masturbation" ou éjaculation primaire le sperme, sous contrôle de sensilles gonoporales situées sous l'épigastre. Puis il va le réabsorber par ses bulbes palpaires : c'est " le remplissage des bulbes".
Guidé par les phèromones dont elle imprègne sa toile, il cherche une femelle de son espèce (il ne va pas s'aventurer sur la toile d'une espèce étrangère) et s'en approche prudemment pour ne pas se faire manger avant d'avoir réussi la fameuse prise des chélicères. Le femelle est alors immobilisée, comme sous l'effet dune osae-wasa de judo, et le mâle n'a plus qu'à introduire l'embolus de son pédipalpe dans l'épigyne de la face ventrale de l'abdomen femelle et à procéder à l'éjaculation secondaire. " N'a plus qu'à " , j'aimerais vous y voir, surtout qu'il est de règle de placer l'embolus droit dans l'épigyne droit, et/ou réciproquement, bien que dans son imperissable article copulation with controlateral insertion in entelegyne spiders, Nederlands Journal of Zoology, 47(1) : 99-102, (1997), B.A.Huber ait démontré que la règle connaissait des exceptions. De même, l'arbitre estimera que le combat est gagné si un style, ou embolus, est introduit, ou les deux, simultanément, ou par alternance : dans tous les cas cela vaut le point entier, "ippon", et le mâle n'a plus qu'à filer. Débloquant rapidement ses chélicères, il se laisse tomber au sol ou sur l'eau, et " Bonjour chez vous!".
Cet équipement du mâle tétragnathe pourrait faire suspecter l'odieux personnage de "machisme", or, traditionnellement, l'approfondissement des connaissances par les savants leur font émettre la "female choice hypothesis", l'hypothèse que c'est la femelle qui choisit son partenaire en fonction de ses genitalia plus ou moins avantageux, et que, dans l'acte reproducteur,elle coopère activement . Ou bien, dans la théorie du conflit des intérêts, on décrit une co-évolution des appareils et des stratégies, une "course aux armements" où les organes mâles évoluant pour mieux contraindre les femelles, et ceux des femelles cherchant à échapper à cette contrainte. Tetragnatha extensa et ses chélicères coinceurs est une bonne occasion pour s'initier aux travaux de Thierry Lodé sur la "Guerre des sexes " ou de W.G Eberhardt sur la coévolution antagonistique.
Published by jean-yves cordier