Vous vous souvenez de ce conte d'Alphonse Daudet, Les Trois Messes Basses ? De cette nuit de Noël où le révérend dom Balaguère, chapelain gagé des sires de Trinquelage, est si pressé d'en arriver au réveillon à la fin des trois messes basses _car le jour de la Nativité tout officiant doit dire ses trois messes_ , et de pouvoir déguster les dindes truffées, les faisans, les huppes, les gelinottes, les coqs de bruyère, les anguilles, les carpes dorées, et les truites, si dévoré de gourmandise qu'il expédie les génuflexions, les oremus, les dominus vobis cumet le maniement des burettes avec une célérité accélérée par la sonnette infernale de Garrigou qui n'est autre que Satan déguisé en enfant de choeur ?
Alors vous vous souvenez aussi de l'étonnement de l'assistance, puis de sa confusion grandissante, et de ceux qui se lévent pendant que d'autres s'agenouillent, de ceux qui s' asseyent pendant que d'autres s'inclinent pour l'élévation, de ceux qui entendent dom Balaguère dire le Benedicite à la place du Kirié, de ceux qui battent leur coulpe alors que d'autres se signent le front et la poitrine, et vous revoyez Maître Arnoton, ses grandes lunettes d'acier sur le nez, chercher dans son
paroissien où diantre on peut bien en être.
Et pendant que Balaguère aiguilloné par Garrigou saute des versets, abrège l'épître,"effleure l'Évangile, passe devant le Credo sans entrer,saute le Pater, salue de loin la préface, et par bonds et par élans se précipite ainsi dans la damnation éternelle",...
... vous entendez comme si c'était hier la vieille marquise douairière qui s'est mise belle dans son brocart couleur de feu marmonner en agitant sa coiffe que : L'abbé va trop vite...on ne peut pas suivre!
Eh bien en ce mois de mai, je ne sais pas qui presse ainsi dame Nature, quel festin lui a été promis par Pomone lorsque toutes les couvées, tous les naissains, les fécondations polliniques auront été réalisées, quel orgie Pan, Bacchus et Dionysos ont annoncé lorsque tous les oeufs auront éclos, que tous les papillons auront été "in copula", que toutes les libellules auront émergées de leur exuvies, mais je peux vous dire qu' elle nous mène une sarabande endiablée, et que, quittant une "observation des craves à bec rouge" à Camaret pour gagner les vasiéres de l' Aulne où il faut "compter les Anatidés nicheurs" (en l'occurence les Tadornes accouplés et les mâles cantonnés), repèrant au passage une araignée-crabe avant de noter une chenille ou un papillon "pour l'Atlas de Jean David", partant à l'aube pour les toiles d'araignées ou les émergences, je rentre le soir pour chasser les hétérocères ( c'est les papillons de nuit, qu'il faut AUSSI saisir sur l'Atlas ), je lache mon guide des Orthoptères pour feuilleter celui des Lépidoptères, quitte les bouquins pour le Forum Bretagne Vivante, abandonne le Forum pour SERENA, reprend mon materiel photo mais j'oublie le filet à papillon, prend le filet mais entend chanter un oiseau qu'il faudrait identifier, je saisis la loupe vers un insecte quand on me signale qu'un rapace nous survole, vais à hue alors que ça s'agite à dia, et n'en pouvant plus de rechercher dans l'index de mes bréviaires naturalistes ou de manier des clès d'identification face à des serrures qui se multiplient comme des champignons, incapable de retrouver dans mon missel où nous en sommes de cet office célébré tambour battant, à mon tour je m' écris :
La Belle va trop vite... On ne peut pas suivre!
Loin de m'entendre, le ciel redouble de fureur de vivre. Heidegger décrivait l'Homme comme un Etre Jeté (Geworfenheit), projeté sur terre sans l'avoir demandé avec le lourd devoir d'exister, mais il oubliait que nous n'étions pas ainsi jeté sur une terre stable et paisible, mais sur une roulette folle, un tapis roulant accéléré, un maestrom, un champ de course où il fallait dès le premier souflle avancer, suivre le rythme, suivre le cours affolé des choses, tenir en équilibre dans la barque folle et ramer, suivre les autres, suivre, suivre, suivre !
Et voilà que survient la Sortie de Formation Invertébré de Bretagne Vivante ! L'Etre Jeté supplie :n'en jetez plus!
Cela avait lieu à Landeleau, commune du bassin oriental de Chateaulin situé à 10 km de Carhaix, ancien ermitage de Saint Théleau créé autour d'un gué franchissant l'Aulne. Le Canal de Nantes à Brest , et le confluent de l' Ellez, sont proches, ce qui est bien alléchant pour les chasseurs de dragons volants ou libellules. Inutile de dire que nous ne sommes pas revenus bredouilles.
Vous êtes prêts ? Il va falloir suivre....suivre...suivre... suivre...suivre.
Le Hanneton des jardins Phylloperta horticola (Linnaeus, 1758).
La Trichie fasciée Trichius fasciatus (Linnaeus, 1758) : un scarabée, sous-famille des cétoines.
Le Cardinal, Pyrochroa serraticornis (Linnaeus, 1761) .
La Cantharide Cantharis fusca (Linnaeus, 1758) :
Le Carabe purpurin Carabus purpurascens si j'en crois le site insecte .net, ou bien une autre espèce,( intricatus)mais pas le carabe violet qui serait très rare, désolé je dois passer au suivant. De toute façon je ne l'ai pas observé à Landeleau, mais dans mon jardin à Plouzané.
Où on pourrait voir les palpes maxillaires spatulées et les mandibules puissantes :
Aux chenilles à présent, j'appelle la Chenille du Bombyx disparate Bombyx dispar, la terreur des forêts :
C'est au tour de la chenille du Cul doré Euproctis similis :
Vous suivez ? La chenille de la Livrée des arbres Malacosoma neustria (Linnaeus, 1758):
La chenille de la Buveuse, Euthryx potatoria :
La chenille de la Grande Tortue Nymphalis polychloros (sur tronc de peuplier)
Après la Grande Tortue, la chenille de la Petite Tortue Aglais urticae Linnaeus, 1758, servie sur sa feuille d'ortie bien-entendu (on ne s'appelle pas Vanesse de l'Ortie pour rien)
La chenille de la Thécla du chêne Neozephyrus quercus (Linnaeus, 1758) :
C'est une observation intéressante car l'imago est rarement observé : il se pose sur le sommet des chênes, les ailes fermées, et comme le verso des ailes sont grises, il échappe régulièrement aux investigations. On découvre sa présence sur un site en recherchant ses oeufs, ou en trouvant ses chenilles. Celle-ci a eu la bonne idée de tomber sur ma veste, en plein milieu d'un cercle de naturalistes chevronnés consommant leurs pique-niques : bien vu !
La chenille de Poecilocampa populi :
Passons aux imagos : de soit-disant papillons de nuit ou plutôt héterocères étaient de sortie de jour :
L'Écaille fermière Epicallia villica (Linnaeus, 1758) :
La Bordure jaune Euclidia glyphica :
Bien-sûr, les papillons de jour étaient là :
La Piéride du navet Pieris napi :
L' Azuré de la burgane Polyommatus icarus :
La mélitée du Melampyre : déjà présenté dans un article précédent;
Mais aussi : la Carte géographique,
le Fadet commun,
le Tircis,
le Gazé,
le Cuivré fuligineux, et le cuivré commun,
la Sylvaine,
la Piéride du chou,
le Citron
l'Aurore de la cardamine,
le Vulcain...
Ne quittez pas! On continue avec les orthoptères :
Tetryx undulata
Tettigonia viridissima...
... et les Longicornes :
Le Clyte bélier
L'Agapanthia villosoviridescens,
Revenons aux papillons :
On remarquait la présence de ce cousin bleuté des zygènes, la Turquoise Adscita statices :
Bonne occasion pour réviser la clef de détermination que Maël Garin vient de diffuser sur le Forum de Bretagne Vivante :
Parmi les Procridinae, on trouve essentiellement en Bretagne Adscita statices, sur les Rumex. On les identifie par la forme particulière de l'antenne du mâle, qui ressemble à un peigne, mais dont la pectination s'arrète avant l'extrémité.
Ici, une femelle, aux antennes filiformes, paraît-il un peu dilatées en massue à l'extrémité :
Quelques araignées :
Une araignée-crabe sans-doute, avec ses deux paires de pattes de devant très développées pour être tendues vers la proie qu'elle attend :
Une araignée-crabe dont les pattes sont faites de tiges de soja : Misumena vatia (Clerck, 1757).
C'est à coup sûr une femelle, car les mâles ne mesurent que 3 à 5 mm.
En toute rigueur je ne l'ai pas observé à Landeleau, mais au bord de l'Aulne près de Chateaulin.
Arianella opisthographa (Kulczynski, 1905) : les images sont mauvaises, mais je la trouve si belle que je vous les montrent : on la trouve dans le fameux n° 73 de la Hulotte consacré aux toiles d'araignées sous le sobriquet d' Epeire concombre, "une des plus jolies orbitèles d'Europe" ; ou plutôt, il s'agit de sa cousine Arianella cucurbitina, car les araniella se distinguent en comptant (lorsque la photo est nette...) les points noirs du coté de l'abdomen en arriere des six points centraux. Moi, j'en compte ici 3. Pierre Deom indique que 4 boutons, c'est la cucurbitina, 3, c'est l'epeire dépliée, A. displicata, 2, c'est l'alpina, et zero, c'est inconspicua. Il ne mentionne pas l'opisthographa. Je trouve dans le site d'André Bon Toutunmondedansmonjardin ce commentaire à propos de l'Epeire concombre : il existe des espèces voisines. Il est possible de les différentier par le nombre de points noirs sur le côté de l'abdomen bien que cette méthode soit considérée comme très peu fiable par les spécialistes.
L'espèce très voisine, Épeire dépliée (Araniella opisthographa) ne possède que trois points sur le côté de l'abdomen mais ne peut vraiment être séparée que par un examen à la binoculaire.
L'Épeire alpine (Araniella alpica) ne possède que deux points sur le côté de l'abdomen. Elle peut aussi être reconnue par les quatre taches claires sur une bande foncée visibles sur la face ventrale.
L'Épeire anodine (Arianella inconspicua) ne possède pas de points noirs sur le côté de l'abdomen.
J'aimerais bien que cela soit l'opisthographa, car cela permet de faire connaissance avec Władysław Kulczyński ( 1854 à Krakow-1919, Krakow) , un zoologiste polonais spécialiste des araignées.
Les Arianella tissent des toiles creusées en entonnoir, de moins de dix centimètres, dotées de 15 à 30 rayons sur les arbustes des champs, ou des lisières, sur les lilas ou les rosiers de nos jardins, et elle se tient à l'affut au centre. Je regrette d'avoir négligé cette rencontre photographique et me promets de prendre ma revange, mais l'animal n'est pas bien gros : 5 mm peut-être.
Est-ce ça suit derrière ? On termine avec les libellules :
Parmi les zygoptères, les inévitables Caloperyx splendens et virgo étaient là, ils ne manquent aucune réunion de famille, et il y avait aussi les Ischnures élégants,
Nous avons croisé l'agrion jouvencelle, mais je vois bien que cela ne suit plus, je ne montrerais que Platycnemis pennipes:
Parmi les Anisoptères, nous avons eu le droit au Gomphe vulgaire (qui n'a pas sa place sur ce blog de bonne tenue, d'autant que, non content d'être vulgaire, il l'est au superlatif : Gomphus vulgatissimus. Exit), à l'Aeschne printanière, et aux Libellulla Quadrimaculata, Fulva et depressa.
La Libellule à quatre taches Libellula quadrimaculata Linnaeus, 1758.
La Libellule fauve, Libellula fulva Müller, 1764.
Dècrite par Otto Friedrich Müller (1730-1784), zoologiste danois, dans Fauna insectorum Friedrichsdaliana : 62. Gleditsch, Copenhague.
Le mâle :
Libellule déprimée Libellula depressa Linnaeus, 1758.
Description dans le Systema Naturae, 10ème édition, 1 :544, Stockholm, sous le nom de Platetrum depressa.
Une femelle:
Alphonse Daudet raconte que dom Balaguère fut puni de sa gourmandise sacrilège et de sa hâte excessive, et qu'il dut, pour son rachat, célébrer trois cent messes de minuit. Mais Nature elle-même n'est-elle pas la déesse Perséphone condamnée éternellement , pour sa gourmandise_ on se souvient qu'elle a croqué dans la grenade et qu 'Ascalaphos l' a dénoncé _à ne rester sur terre que durant les six mois de printemps et d'été, et de retourner aux Enfers auprès d'Hades comme Reine du royaume Très-Profond ? Le temps lui est compté comme à nous, et comme je la comprends de courir, de mettre les bouchèes doubles pour croquer, tant qu'il est temps, le beau fruit de la Vie, quitte à nous bousculer et nous ennivrer de cette valse géante qu'on nomme le Printemps !
Et cette valse me fait entendre la chanson de Queneau :
Si tu t'imagines
Si tu t'imagines, fillette fillette
Si tu t'imagines
Qu'ça va qu'ça va qu'ça
Va durer toujours
La saison des a
La saison des a
Saison des amours
Ce que tu te gourres fillette fillette
Ce que tu te gourres
Si tu crois petite
Si tu crois hum hum
Que ton teint de rose
Ta taille de guêpe
Tes mignons biceps
Tes ongles d'émail
Ta cuisse de nymphe
Et ton pied léger
Si tu crois qu'ça va
Qu'ça va qu'ça va qu'ça
Va durer toujours
Ce que tu te gourres fillette fillette
Ce que tu te gourres
Les beaux jours s'en vont
Les beaux jours de fête
Soleils et planètes
Tournent tous en rond
.....
Allons cueille cueille les roses, les roses
Roses de la vie
Roses de la vie
Et que leurs pétales
Soient la mer étale
De tous les bonheurs
De tous les bonheurs
Allons cueille cueille
Si tu le fais pas
Ce que tu te gourres fillette fillette
Ce que tu te gourres