18 juin, l' Aber à Crozon : dans une prairie humide fleurant bon la menthe, des araignées se sont regroupées sur quelques mètres carrées. Ce sont des Thomisidae, une famille dont les membres se plaisent à imiter les crabes, capables de marcher sur le coté autant qu'en avant et en arrière, et dont les deux premières paires de pattes de beaucoup d'espèces sont hypertrophiées comme des jambes d' Hercule. Elles chassent à l'affût, immobiles, les deux paires de pattes-pinces écartées prêtes à se refermer sur l'innocent insecte attiré par la fleur où elles guettent.
La plus commune est Misumena vatia (Clerk, 1757), l' "araignée-caméléon" ou "araignée-crabe des fleurs".C'est la femelle qu'on rencontre le plus souvent, parce qu'elle est plus grosse ( 9 à 11 mm, plus du double du mâle), et qu'elle présente une belle robe abdominale blanche ornée de deux bandes rouges. Mais comme elle est capable d'adopter la couleur de la fleur qui l'accueille, elle peut devenir jaune, ou plus rarement verte, grâce à des pigments ommochromes ; ses bandes rouges peuvent se réduire à des taches, ou être absentes. Elle choisit souvent des fleurs à corolle blanche, ou jaune.
J.H.Fabre, dans ses célèbres Souvenirs entomologistes, écrit que la Misumène ne chasse que les abeilles, se précipitant pour planter ses chélicères " derrière la tête, à la naissance du cou", mais si J.M.Roberts confirme que leur venin est particulièrement puissant à l'égard des abeilles, celles-ci ne sont pas les seules victimes de la thomise qui s'en prend à tous les insectes butineurs, et qui les saisit et les mord là où elle le peut.
Lorsqu'elle joue au chat et à la souris avec des coléoptères, ou des insectes non butineurs, elle n'est pas la gagnante, et se les met souvent sur le dos :
A-t-elle mangé trop de Citrons ?
Cette Misumène est toute jaune. On lit souvent que c' est une ruse de camouflage et que ces araignées qui sont blanches (en réalité plutôt transparentes, dépourvues de pigments) deviennent jaunes sur une fleur jaune, son épiderme se chargeant de pigment. Mais alors, la misumène précédente, comment choisit-t-elle entre le coeur de la fleur qui est jaune, et les "pétales" qui sont blancs?
On croyait que cette ruse avantageait les chasseuses, or (selon le site "Le Jardin des Plantes" du Muséum), des biologistes qui ont surveillé par 10 caméras de vidéosurveillance les 8000 visites d'insectes et les 78 captures de Misumena se sont aperçus que les araignées camouflées ne réussissent pas plus de prises que les autres.
Le pigment jaune pourrait être semblable à notre carotène, qui nous fait bronzer pour nous protéger du soleil.
Et puis, l'alimentation joue un rôle, et les araignées utilisent les pigments de leurs proies.
Alors, celle-ci a-t-elle trop mangé de Citrons ? Ou prépare-t-elle sa saison avec un bronzage intégrale? Ou a-t-elle besoin de lunettes ? Car la vision est capitale pour cet effet caméléon, et les misuménes rendues aveugles restent blanches comme des navets, même si on les placent en séjour forcé sur un pissenlit.
II. Une Thomise grise, Xysticus robustus peut-être.
Je l'observe à deux pas des Misumènes précédentes : l'une se dissimulait, en compagnie d'une coccinelle, derrière un réseau lâche de fils de soie ; mais une autre, identique, est à l'affût sur la corolle, se prenant pour Misumena. C'est bien une araignée-crabe, avec ses pattes antérieures de pancrace, mais les Xysticus chassent habituellement au sol, et se tiennent sous les pierres.
Et celle-ci ? elle est encore différente!