L'oeil-de-boeuf chez Flaubert
( à l'occasion de l'article Chapelle Sainte-Suzanne à Sérent , le dais de Saint-Sacrement.)
I. Le dais de la Fête-Dieu.
"couleur ponceau" et or.
Un dais (ou pavillon, ou parasol liturgique, ou encore un poële) de Saint-Sacrement est un baldaquin mobile composé d'une armature portée par quatre hampes, aux sommités parfois ornées de plumes d'autruche, et de quatre bandes de soie brodée appelées "pentes". Il est porté par quatre hommes, quatre notables choisis soigneusement. Il est destiné à abriter le prêtre qui présente le Saint-Sacrement lors de la procession de la Fête-Dieu. Le dais est encadré par les enfants de choeur, les diacres, des porteurs de cierges ou de photophore, de bannières et de croix, et par les thuriféraires ou porteurs des encensoirs, et il est suivi de la musique, des communiants de l'année, et des fidèles.
Cette fête qui célèbre la Solennité du Corps et du Sang du Christ a lieu soixante jours après Pâques. Sortant de l'église à l'issue de la messe, la procession se dirige en suivant un chemin de sciure et de pétales dans les rues pavoisées de draperies, de feuillages et de guirlandes vers les reposoirs que les paroissiens de chaque quartier ont réalisés. Ces reposoirs sont des autels ornés de décorations florales et d'objets pieux, devant lequel la procession s'arrête : le prêtre encense l'hostie contenue dans l'ostensoir et présente celui-ci à l'assistance avant de la bénir. Lors de cette station, des prières et des chants sont débutés par l'officiant et repris par les fidèles.
L'office du Saint-Sacrement a été codifié par Thomas d'Aquin afin de célébrer l'Eucharistie : on y chante l'hymne Pange Lingua, l'hymne Panis Angelicus, et on y récite le Lauda Sion. A chaque Salut du saint-Sacrement, deux strophes du Pange Lingua sont entonnées, sous le nom de Tantum ergo. Ce chant débute ainsi :
Tantum ergo Sacramentum veneremur cernui
Et antiquum documentum novo cedat ritui.
Il est si grand, ce sacrement ! Adorons le, prosternés :
Que s'effacent les anciens rites devant le culte nouveau !
Ce sont ces mots que l'on trouvent inscrits ici, sur le "ciel" du dais.
La Fête-Dieu selon Flaubert : la fin d' Un coeur simple.
Un coeur simple fait partie, avec La légende de saint Julien-l'Hospitalier et Hérodias du livre Trois Contes que Flaubert a fait paraître en 1877. On connaît le récit, dans Un coeur simple, de la vie de Félicité, servante de Mme Aubin à Pont-l'Évêque, et de sa passion pour Loulou, perroquet d'Amérique. C'est la fin de ce conte qui donne une belle description d'une procession de la Fête-Dieu et de sa station devant un reposoir, où Loulou, empaillé, figure parmi les objets de valeur qu'on y expose.
"Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers marchaient sur les trottoirs,-tandis qu'au milieu de la rue s'avançaient premièrement le Suisse armé de sa hallebarde, le Bedeau avec une grande croix, l'Instituteur surveillant les gamins, la Religieuse inquiète de ses petites filles. Trois des plus mignonnes frisées comme des anges jetaient dans l'air des pétales de roses ; le Diacre les bras écartés modérait la musique -et deux encenseurs se retournaient à chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais de couleur ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le Curé dans sa belle chasuble ; - un flot de monde se poussait derrière entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons et l'on arriva au bas de la côte."
[...] "Bientôt on distingua le ronflement des ophicleides, les voix claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur le gazon.
Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise pour atteindre l'oeil-de-boeuf, et de cette manière dominait le reposoir.
Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orné d'un falbalas, en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d'argent et des vases en porcelaine, d'où s'élançaient des tournesols, des lis, des pivoines, des digitales, des touffes d'hortensia. Ce monceau de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier étage jusqu'au tapis se continuant sur les pavés ; et des choses rares tiraient les yeux. un sucrier de vermeil avait une couronne de violettes, des pendeloques en pierre d'Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois montraient des paysages. Loulou, caché sous des roses, ne laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de lapis.
Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les trois cotés de la cour. Le prêtre gravit lentement les marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d'or qui rayonnait. Tous s'agenouillèrent. Il se fit un grand silence. Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs chaînettes.
Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements du coeur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au dessus de sa tête."
L'oeil-de-boeuf chez Flaubert.
" J'ai en moi, au fond de moi, un embêtement radical, intime, âcre et incessant qui m'empêche de rien goûter et qui me remplit l'âme à la faire crever." Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 20 décembre 1848.
Le passage d'Un coeur simple qu'on vient de lire fait certainement partie des chefs-d'oeuvre littéraires français, au même titre que l'incipit de Salammbô ou la fin de Madame Bovary, un texte rodé au gueuloir, réglé comme du papier à musique, parfait comme une oeuvre de Bach, et si j'éprouve du plaisir à le lire, ce plaisir est décuplé par la copie que je viens d'en donner, par la dactylographie qui vient faire frapper le rythme de la ponctuation en résonances corporelles. Chez Flaubert, la copie se transforme en interprétation musicale.
L'oeil-de-boeuf à travers lequel "la Simonne" contemple la scène est aussi l'oeil du lecteur, par un procédé littéraire permettant au romancier de conserver un point de vue placé dans la chambre où Félicité agonise, tout en donnant à voir ce qui se passe dans la cour de la maison. La chambre, présentée dans le premier chapitre page 5, se situe au second étage : "Une lucarne, au second étage, éclairait la chambre de Félicité, ayant vue sur les prairies". Mais c'est à la page 53 qu'on lit la première mention de l'oeil-de-boeuf :"En face de la fenêtre surplombant le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la cour." (Brouillons:" Vis-à-vis de la fenêtre donnant sur le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la cour").
La fonction de cette ouverture vitrée est donc précisée : ce n'est pas d'éclairer (la chambre) de donner sur (le jardin), fonctions passives, mais de regarder.
Si le lecteur est amené à suivre la description du romancier en se plaçant à la place de Simonne et de regarder l'arrivée de la procession, ce n'est pas par n'importe quel regard, car le voilà doté d'un oeil de boeuf, d'un regard bovin. Flaubert installe son lecteur, sur le plan spatial, à un point panoramique et plongeant, mais en outre il le réduit à n'être tout entier qu'un oeil dilaté, cyclopéen, et bestial.
Boeuf et oeil-de-boeuf dans et chez Flaubert.
On n'accorderait pas tant d'attention à ce détail sémantique si on ne savait pas que, chez Flaubert, la fonction bovine est tout, sauf accessoire. En effet, le boeuf (bos, bovis en latin) a une place de premier plan dans son onomastique puisqu'elle se retrouve dans le nom de Charles Bovary et dans celui de Bouvard dans Bouvard et Pécuchet. [pecuchet peut dériver du latin pecus, "bétail"], alors que le veau se retrouve dans le nom d'un artiste-peintre de Madame Bovary, Vaufrylard, ou dans le nom du comte de Vaubyessard et de son château, et la vache dans le nom du conseiller Tuvache, toujours Madame Bovary. On voit comme ces noms sont transformés par des finales dépréciatives en -ar, -ard et -ache.
Le boeuf se trouve aussi, dans Madame Bovary, à une place phallique notable, celle du nerf de boeuf de Charles, sa cravache dont la recherche permet le frôlement des corps de Charles et d'Emma lors de leur entrevue initiale.
Dans sa correspondance, Flaubert, dans son voyage sur le Nil en 1849, écrit " Mon oeil, stupide comme celui du boeuf, regardait l'eau, tout simplement.
On retrouve l'oeil-de-boeuf dans Madame Bovary lors de la scène des Comices agricoles. On sait qu'Emma et son amant Rodolphe contemplent toute la fête du haut de la fenêtre du premier étage de la mairie, voyant sans être vus, dans une position scopique proche de celle de Simonne dans la chambre de Félicité. On se souvient que la scène de séduction qui s'y déroule est entrecoupée de bribes du discours parlant de cultures et d'élevage, entrelaçant le vocabulaire amoureux avec les mentions "des races chevalines, ovines, bovines et porcines", et qu'entre les silences entre les amants, on entend "partir derrière soi un long mugissement de boeuf". On sait aussi que Félicité apparaîtra comme une résurgence du personnage de Catherine-Nicaise-Elisabeth Leroux, qui y reçoit une médaille d'argent pour "cinquante-quatre ans de service dans la même ferme". ("Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité").
C'est dans les brouillons du texte des Comices que le terme "oeil-de-boeuf" est utilisé ; Flaubert décrivait des ouvriers tentant d'accrocher des lampions, mais ses phrases vont penser à une image obsédante dont l'auteur tente de faire quelque-chose : "Le bras cependant apparaissait toujours dans l'oeil de boeuf (sic)", "Lorsque, tout en haut du milieu de l'oeil de boeuf (sic) percé dans le tympan de l'édifice, on vit un bras sortir puis s'allonger".
Dans Bouvard et Pécuchet, l'oeil-de-boeuf est employé au chapitre X consacré à l'éducation des enfants : "Le cabinet noir au fond du couloir devint leur chambre à coucher. Elle avait pour meuble deux lits de sangle, deux cuvettes, un broc. L'oeil-de-boeuf s'ouvrait au dessus de leur tête, et des araignées couraient le long du plâtre." Cet oeil là ne sert pas à regarder une scène, mais semble placé ironiquement, par un effet visuel, au dessus des deux têtes comme les cornes d'un trophée de chasse au dessus de celle d'un mari trompé : comme la figure de la Bêtise, idée fixe de Flaubert lors de la rédaction de ce roman.
Le boeuf dans Un coeur simple.
Si dans Un coeur simple, c'est un perroquet qui, parmi les animaux, occupe la place principale, le boeuf occupe la seconde ; ou plutôt, un troupeau de boeuf et un taureau. Je veux parler, bien-sûr, de la scène du premier chapitre :
" Des boeufs, étendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans la troisième pâture, quelques-uns se levèrent, puis se mirent en rond devant elles.--"Ne craignez rien ! " dit Félicité ; et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur l'échine, celui qui se trouvait le plus près ; il fit volte-face, et les autres l'imitèrent."
Nous voyons d'abord ces boeufs être associés à la fonction de regarder ; puis au rond ; et enfin, nous découvrons des liens d'affinité entre eux et Félicité, qui par "une sorte de complainte", sait les manoeuvrer. La servante, qui a été jadis "fille de basse-cour" (Edition Louis Conard 1910, http://fr.wikisource.org/wiki/Trois_Contes p. 7) et savait "brider un cheval, engraisser les volailles, battre le beurre" (p.1) est à son affaire. (Flaubert n'est peut-être pas si averti des subtilités agricoles, et a peut-être pris pour des boeufs ce qui n'était que des vaches )
"Mais quand l'herbage suivant fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un taureau que cachait le brouillard. Il avança vers les deux femmes. Mme Aubain allait courir.
_ Non ! non ! Moins vite !
Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie ; voilà maintenant qu'il galopait !"
Brouillard : la fonction visuelle s'efface au profit de l'ouïe : beuglement, souffle, martellement des pas. Mais il se trouve que ce martellement est repris à la scène finale, ma première citation, pour décrire le bruit de la procession de la Fête-Dieu : "Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur le gazon." Ce retour de la scène du taureau dans le récit d'une cérémonie religieuse observée dans un oeil-de-boeuf doit être interprétée, tant elle est frappante. Je propose d'y voir :
- une dépréciation de la manifestation religieuse dont la description n'est pas donnée comme vécue par un de ses participants et en partageant sa foi, son exaltation et ses émotions, mais comme observée froidement de l'extérieur : non seulement sans adhésion participative aux émois et aux croyances collectives, mais dans un traitement particulier des informations qui rompt avec les présupposés consensuels (spiritualité, admiration respectueuse, dévotion) pour les inverser en une manifestation de force primitive, irrationnelle, menaçante par son échauffement. Cette dépréciation est retrouvée dans la description de la procession par l'utilisation régulière de majuscules dont sont affublées les personnalités, ainsi déshumanisées et transformées en "types" : Le Suisse, Le Bedeau, L'Instituteur, La Religieuse, Le Diacre, M. l'Abbé...L'art de Flaubert (c'est ce qui a empêché Ernest Pinard de faire condamner Madame Bovary) est d'être un prince du pince-sans-rire et de jongler si bien avec l'ambiguïté que rien n'est attaquable en soi. Les majuscules seront une marque de respect, le mot "falbala", malgré son usage péjoratif fréquent, n'est qu'un terme technique pour une "bande d'étoffe froncée en largeur garnissant les toilettes féminines (certes) et l'ameublement " (vous voyez !), les portraits des personnages sont exacts (mais écrire le Suisse "avec sa hallebarde", le Bedeau "avec une grande croix", le Diacre "les bras écartés modérait la musique" n'est pas innocent, pas plus de que choisir, dans la décoration du reposoir, de montrer les éléments les plus prosaïques, les vases en porcelaine et surtout le sucrier de vermeil. Certes l'ophicléide est un instrument dont l'usage est attesté dans les fanfares (militaires) et à l'église de 1820 à 1880, il n'y a rien à redire... mais cet instrument en forme de serpent prête à rire et Flaubert le sait bien.
- Une reprise, tel un leitmotiv, au moment où Félicité se meurt, du thème du Taureau dont le souffle des naseaux vient la menacer.
- Je proposerai une hypothèse plus audacieuse : on sait que le grand évènement traumatique de la vie de Flaubert n'est pas d'avoir été poursuivi par un taureau, comme Félicité, n'y d'avoir, comme Montaigne (Livre II, 6) frôlé la mort dans un accident de cheval, n'y encore, comme Rousseau, d'avoir été renversé par un mâtin à la barrière de Ménilmontant, mais d'avoir été terrassé par une première crise"d'épilepsie" à l'âge de 22 ans en janvier 1844 : "Ma vie active s'est arrété avec mes 22 ans...j'ai les nerfs qui ne me laissent pas tranquille" "ma nature de saltimbanque". Il se trouve que cette attaque nerveuse est survenue dans un cabriolet sur la route de...Pont-l'Évêque. Il est possible de penser qu'à la suite de cette attaque, Flaubert se soit mis à redouter toute exaltation mentale, qu'elle soit sexuelle ou intellectuelle et qu'il se soit imposé (ou se soit crut imposer) une castration de toute force vitale, cherchant à acquérir un regard bovin sur le monde, désactivé, desimpliqué, regard de l'"ermite de Croisset" toujours repris comme saint Antoine pourtant par de vieux démons.
" Félicité se retourna et elle arrachait à deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment franchir le haut-bord. Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de terre qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait : Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous !
[...] Le taureau avait acculé Félicité contre une claire-voie ; sa bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il l'éventrait. elle eut le temps de se couler entre deux barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta.
On voit comment les choses se sont inversées, et comment l'oeil-de-boeuf, regard distant et circonscrit sur le monde, devient l'oeil-du-taureau, qu'il s'agit d'aveugler. Comment cette folie furieuse de l'emballement des forces animales se tempère par le terre-à-terre. Et comment nos relations humain-animal peuvent basculer, comme tout face-à-face avec l'altérité, de la connivence à la terreur.
"Quand au Bovarysme, n'est-il pas d'abord un bovinisme, une sorte de contagion bovine de la bêtise et de la torpeur ?" Didier Philippot, Le rêve des bêtes, Flaubert et l'animalité, Revue Flaubert n° 10, 2010, http://flaubert.univ-rouen.fr/revue/article.php?id=44
En conclusion, l'oeil-de-boeuf témoigne chez Flaubert de la place ambiguë de l'animalité dans son oeuvre : ce qui ne semble d'abord qu'une technique littéraire de prise de vue plongeante se révèle être aussi le reflet de notre bêtise, mais aussi l'aspiration à un regard placide, distant et dépassionné porté sur le monde.
Dans Un coeur simple, le motif du boeuf accompagne en contrepoint celui du perroquet, dévaluation ironique de la Parole Sainte, du Paraclet et de l'élan mystique, et miroir caustique de notre propre psittacisme lorsque Loulou imite Mme Aubain dans ses automatismes face aux coups de sonnette en répétant "Félicité ! La porte ! La porte ! "
Dans les deux cas, il s'agit de venir contester le regard habituel que les contemporains de Flaubert portaient sur leur société, celle du Second Empire campé sur la morale, la religion et la foi dans les bienfaits du Progrès, ou de contester notre propre regard encore chevillé à ses certitudes de supériorité à l'égard des autres races animales.
On se souvient peut-être de ce passage de la Recherche où Proust compare un artiste de génie à un oculiste qui nous tend un nouveau verre à travers lequel se modifie notre vision du monde. C'est le même Proust qui écrivait dans un article sur le style de Flaubert que celui-ci "a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant, avec ses Catégories, les théories de la Connaissance et de la réalité du monde extérieur".
Le verre d'oculiste de Flaubert, c'est un oeil : l'oeil du boeuf. A travers lui, nos confortables fictions consensuelles apparaissent comme frappées du sceau de la Bêtise.