Lieu : devant ma porte à Plouzané (29)
date : 23 août 2011
La decticelle cendrée Pholidoptera griseoaptera (de Geer, 1773).
C'est un peu comme La Solitude de Barbara : "Je l'ai trouvée devant ma porte
un soir que je rentrais chez moi"
car c'est collée à la menuiserie de la porte que j'ai découvert ma première Decticelle cendrée. Bien la peine de courir au diable Vauvert ! Que me vaut cette visite, beau mâle ?
Comment la reconnaître ? Sans commencer par aller chercher l'épine qui se trouve à la base des cerques (mais j'ai vérifié, elle y est), on remarque la brièveté des élytres, réduits à des vestiges, on constate que le pronotum est brun, sans carène médiane et surtout que les bords postérieurs du lobe latéral de ce pronotum, noir par ailleurs,est souligné d'un fin ourlet blanc, ou blanc-jaunâtre ; le sommet de la tête est brun, la couleur générale est brun foncé. Quand on aura dit qu' elle mesure 13 à 18 mm ( la version mâle est la plus courte), que les tegmina sont d'un brun très clair, qu'elle fréquente de juillet à octobre "les jardins sauvages" (c'est gentil pour le mien), les ronciers (encore merci), les friches ( n'en jetez plus), on aura tout dit, sauf....
...sauf qu'il faut encore découvrir son gilet jaune, presque aussi célèbre que le gilet rouge -ou rose- que Théophile Gautier endossa à la Première d'Hernani ! La couleur jaune assez vif de l'abdomen est un critère nécessaire de l'identification.
J'entends dans l'assistance des cris : on réclame la zoonymie de cette sauterelle. Soit ! Je m'y livre !
Pholidoptera.
Genre créé par l'entomologiste belge Constantin Wesmaël (1798-1872) en 1838. Ce zoonyme est construit avec le mot grec pholidotos qu' Aristote utilise pour désigner les animaux à écaille, qui fut reprit par Blasius Meriam (1790) dans l'étude des amphibiens et par Brisson qui fait des Pholidota son second genre des mammifères. L'ordre des Pholidota est aujourd'hui encore l'ordre des mammifères édentés dont les Pangolins sont de notables représentants.
Constantin Wesmaël a associé ce mot au mot grec ptera , "aile", j'en déduis qu'il voulait caractériser un genre aux ailes " à écaille", ou à allure d'écaille, et comme le genre est monospécifique, c'est sans-doute l'élytre vestigiale de notre decticelle qui l'a inspiré. (petite confirmation dans une description d' Audinet Serville : "les élytres de la femelle consistant chacune en une petite écaille")
Griseoaptera
L'espèce a été décrite par Charles (ou Carl) de Geer, le Baron (1720-1778) dans le tome 3 de ses Mémoires pour servir à l' Histoire des Insectes page 436 dont le titre, identique aux Mémoires de René -Antoine Ferchault de Réaumur, rend à jamais hommage à notre inventeur du thermomètre à alcool.
De Geer utilise le protonyme de Locusta griseoaptera, la Locuste grise aptère, sans aile.
Nom vernaculaire
En 1839, Audinet Serville (Hist. Nat. Ins. Orthopt. vol. 1, p. 494 ) la nomme Pterolépe aptère, reprenant le Pteropepis apterade Rambur. Il donne divers synonymes scientifiques : Locusta aptera (Fabricius et Latreille), Locusta griseo-aptera, Locusta clypeata (Panz. Faun. germ.) Locusta cinerea (Hagenb. Symb. Faun.), liste à laquelle on peut rajouter Thamnotrizon cinereus Finot, 1890 et Olynthoscelis cinereus Azam, 1901.
Intéressons-nous à la publication de Jean-Jacques Hagenbach, puisque c'est lui qui emploie l'épithète latin cinerea qui, traduit en français, donnera l'épithète "cendrée" de notre nom vernaculaire, et allons voir, comme nous l'avions fait pour la Decticelle bariolée La Decticelle bariolée Metrioptera roeselii. , le Symbola Faunae Insectorum Helvetiae de 1822, page 30 fig. 17 &18 . c'est ici :
http://edocs.ub.uni-frankfurt.de/volltexte/2006/3489/pdf/Hagenbach1_Text.pdf
et voilà le mâle ; ressemblant, non ?
Avec la Locusta cinerea d' Hagenbach, nous avons donc trouvé l'origine de la seconde partie du nom vernaculaire, "cendrée". Mais le premier terme, celui de Decticelle, d'où vient-il ?
Le nom féminin "decticelle" me semble récent, puisque mon moteur de recherche n'en trouve pas d'occurrence avant 1959, date d'un article de la revue Alexanor.
C'est le nom masculin de "dectique" qui semble avoir été utilisé auparavant, avec une première mention en 1811 (Ann. des Sc. Nat. vol. 1 à 30, table), puis une diffusion à partir de 1830 concomitante de l'usage du nom scientifique decticus.
Quelle est l'étymologie de dectique et de decticelle ? Ces mots dérivent du grec dektikos,qui signifie piquant, mordant, mais aussi corrosif, âpre, ou acerbe, acéré, voire blessant, sarcastique ou caustique. Le grec a donné le latin decticus et l'italien dettico.
En zoologie, il est utilisé avec le sens de "mordant", "capable de mordre", " qui mord, qui aime à mordre"( J.H Fabre), par exemple pour qualifier des larves decticous capables d'utiliser ses mandibules pour se libérer du cocon en opposition aux larves adecticous aux mandibules non fonctionnelles.
Jean-Henri Fabre, qui utilise toujours le nom de dectique en 1920, invite ses lecteurs à redouter les puissantes mandibules de la Dectique à front blanc. Voici ce qu'il écrit : " Ce goût pour les tendres semences me surprend. Δηκτικός, qui mord, qui aime à mordre nous dit le grec. un nom ne disant rien, numéro d'ordre, peut suffir au nomenclateur ; à man avis, s'il a une signification caractéristique, tout en sonnant bien, il est encore meilleur. C'est ici le cas. le Dectique est, par excellence, un insecte enclin à mordre. Gare au doigt saisi par le robuste locustien : il est pincé jusqu'au sang." Souvenirs Entomologiques, Livre VI, chap. IX., 1899.
La Decticelle verrucivore (Wart Biter en anglais) peut servir à préciser l'étymologie, puisqu' elle est ainsi nommé en raison d'une tradition qui l'employait en application sur les verrues : on la pensait capable de mordre la verrue ou de faire agir des sucs digestifs caustiques.