C'est la nuit dans le jardin : tout se transforme, et les pissenlits deviennent des pleines lunes, ou des fusées de feu d'artifice. C'est l'heure d'aller étendre le linge.
Oui, je fais faire sécher mes draps...ou plutôt tendre un drap blanc que je vais éclairer pour attirer les papillons.
Le premier à s'interesser à ma lessive est la Citronelle Rouillée, nom plein de charme de la Phalène de l'Alisier, un Géomètre . Linné l'a baptisé Phalaena luceolata, couleur jaune d'oeuf, dans l'édition n°10 du Systema Naturae de 1758 page 525, puis en 1761, dans Fauna suecica 2, p.336, il l'a appelé Phalaena crataegata, la phalène de l'aubépine Crataegus oxycanta. Sa cheniile se nourrit des feuilles de l'aubépine, mais tout aussi bien du bouleau, du saule, du pommier, du prunus spinosa, bref de tous les arbres de mon jardin. Comme on nomme Alisier le crataegus area, on peut, comme Duponchel, le nommer Rumie de l'Alisier (Godart & Duponchel, Hist. nat.Lepid. Fr. 7 (2), 1829, p.117 ).
Son nom vernaculaire de Citronelle rouillée vient de Geoffroy (tome II, p. 139, n°59).
Son nom scientifique est : Opisthograptis luceolata (Linnaeus,1758).
Le nom de genre Opisthograptis vient de Hübner, 1823. Il vient du grec opisthen, "derrière, au dos de" et graptos, " qui porte des lettres peintes", et A.M.Emmet (1991) suspecte l'allemand Hübner d'avoir pensé qu'ophisten signifiait plutôt "sur, au dessus", tant il est vrai que les marques brun-rouge des ailes antérieures se distingue mieux sur la face dorsale.... que voici:
Duponchel le décrit ainsi : Les quatre ailes tant au dessus qu'au dessous sont d'un beau jaune citron, avec trois taches couleur de rouille le long de la côte des supérieures, savoir : une près de la base, une au milieu qui est marquée d'un croissant d'argent, et la troisième à l'extrémité de l'aile : celle-ci est plus grande que les autres et de forme anguleuse. Chaque ailes est en outre traversée par deux lignes onduleuses noirâtres, et à peine marquées, avec un point de la même couleur au centre des inférieures. La frange, très étroite, est ponctuée de ferrugineux.
La tête et le corps sont du même jaune que les ailes, et les antennes légèrement ferrugineuses.
Couché à plat ventre sur mon gazon en train de la contempler, je rêvais d'un grand cerf-volant jaune qui m'emportais dans le ciel nocturne:
Mon deuxième invité m'a fait vive impression en arrivant dans un vrombissement de ses ailes qu'il n'a cessé de faire vibrer que longtemps après avoir atteri sur son brin d'herbe. C'est (ne riez pas) la Cucculie de la Scofulaire, Shargacucullia scrophulariae (Denis & Schiffermüller, 1775), une Noctuidée et même une cuculline.
Pour décrypter son nom barbare, il faut déjà se débarrasser du nom "scrofulaire", qui n'est qu'une plante assez répandue dans les terrains humides, mais qui est très utile en phytothérapie car elle est riche en harpagosides, les principes actifs anti-inflammatoires de l'harpagophytum ; aussi utilise-t-on avec profit les préparations de Scrofularia nodosa. C'est d'ailleurs de son usage médicale qu'elle tire son nom, car on la donnait aux scrofuleux, les porteurs d'écrouelles, autrement dit encore les glandeux, qui présentaient des ganglions.
Donc, c'est une cucullie dont la plante-hote est la scrofulaire, que ce soit S. Umbrosa ou S. nodosa.
Mais la cuculle, qu'est-ce ?
Là encore, rien de sorcier, Littré nous le dit, c'est, pour les chartreux, ce que les autres moines nomment un scapulaire : une coule, quoi, du latin cuculla, " capuchon de moine". Un vêtement formant capuche pour la tête, couvrant les épaules, et descendant jusqu'aux talons au dessus de la tunique. Mais nous ne sommes pas là pour déshabiller les bernardins, mais pour préciser que, par sens dérivé, la cuculle (aussi écrit cucule) désigne chez les papillons une touffe de poils en forme de capuchon.
La cuculle c'est cette coiffe de Cherokee punk que porte notre papillon.
Bon, très bien. Mais pourquoi Shargacucullia ?
Initialement, Denis et Schiffermüller l'avait nommé très simplement Noctua scrophulariae. Puis Schrank en 1802 a créé le genre Cucullia, et ce n'est qu'en 1992 que Ronkay et Ronkay ont formé le genre Shargacucullia.
Dans le genre, nous avons aussi Shargacucullia scrophulariphila Standinger 1859, mais ce papillon ne vole qu'en Espagne, au Maroc ou en Tunisie. Et encore Shargacucullia scrophulariphaga (Rambur, 1833), qui ne se trouve qu'en Corse et en Sardaigne.
Mais voilà le doute, le doute terrible : et si c'était une Brèche, ou Cucullie du Bouillon-blanc, Shargacucullia verbasci (Linnaeus,1758) ?
Et bien je le confesse, il s'agit très probablement de ce S.verbasci, la Cuculie du verbascum, qui est beaucoup plus commun que le précédent, et qui ne se distingue pour Heiko Bellmann que par "la bande costale brun-rougeâtre foncé de l'aile antèrieure dépourvue de cette suffusion grise " que porte le S. scrofulariae. En pleine nuit, à la lampe de poche, identifier la suffusion de la bande costale, c'est peut-être surestimer légèrement mes capacités, d'autant que Ian Kimber, sur le site UK Moths, dit que les formes adultes des deux papillons sont extrémement difficiles à distinguer, sauf à procéder à l'examen des genitalia, mais qu'il ne reconnaît que deux cas authentiques d'observation de S.Scofulariae au Royaume-Uni, en 1949 et en 1994.
Décidément, j'ai du me tromper : mais aussi, pourquoi mon guide Nathan me présente-t-il la Cucullie de la scrofulaire en vedette, et ne mentionne Cucullie du Verbascum qu'en option ?
Sans-doute pour que mon plaisir de répéter avec gourmandise tous ces Cucullie , ces Shargacucullia, ces scrofulariae et ces verbasci soit à son comble. Et c'est réussi.