Les vitraux de l'église Saint-Louis de Brest.
Les années de l'Après-Guerre eurent, pour l'histoire des vitraux, une grande importance en raison du travail considérable qui y fut effectué et du patrimoine dont nous avons hérité : il s'agissait, pour les maîtres-verriers, de reposer les 50.000 m² de verrières anciennes mises à l'abri au début du conflit (en procédant aux restaurations qui s'imposaient), de remplacer par de nouvelles créations les verrières du XIXe qui avaient été laissées en place et que les bombardements avaient détruites, d'appareiller les églises construites de novo sur les ruines d'édifices anciens, et enfin d'habiller de vitraux les constructions nouvelles rendues nécessaires par l'augmentation de population. Ce corpus fut, pour une centaine de vitraux, l'oeuvre de grands artistes, mais aussi d'artisans verriers (un millier). Déjà, des informations précieuses sur les commanditaires, les ateliers ou les peintres, leurs cartons et leurs courriers, les anecdotes ou les motifs théologiques qui sous-tendent leurs thèmes disparaissent des mémoires orales ou des archives. Chaque détail est précieux.
Le contexte : renouveau de l'Art sacré et Reconstruction.
Cet ensemble de vitraux posés entre 1958 et 1962 n'a pas d'unité de thème et de style car il a été conçu par quatre artistes différents avec liberté de choix des motifs, mais il trouve sa cohérence en témoignant de l'élan créatif de l'art sacré dans l'immédiat après-guerre. Il est un précieux témoignage de la période 1950-1960 qui précède Vatican II (1962-1965), évènement majeur de l'histoire de l'Église contemporaine marqué par un grand souffle de liberté et de rénovation.
Il s'enracine dans une réaction qui avait débuté bien auparavant contre l'académisme dans l'art, et contre la médiocrité esthétique et symbolique de la production sulpicienne de l'ornementation des sanctuaires et sa miévrerie stéréotypée, déjà amorcée par Huysmans. Il faudrait remonter à la Société des Amis de Saint-Jean pour le renouveau de l'art chétien fondé en 1832 par Lacordaire, et sa Revue de l'art chrétien, remonter surtout aux Ateliers d'Art Sacré (1920-1964) ouverts à Paris par Georges Desvallières avec le soutien de Maurice Denis. Ces Ateliers basés sur l'esprit du compagnonnage et la réunion de l'art et de l'artisanat vont stimuler la création de fresques, de mosaïques, de gravures sur bois, de broderies, et bien-sûr de vitraux.
Il faudrait s'attarder sur les Chantiers du Cardinal, cette oeuvre créée en 1931 par le cardinal Verdier pour édifier chapelles et églises dans la banlieue parisienne, puis rappeller le contexte de l'après-guerre et les grands chantiers de reconstruction des églises.
Il faudrait, avec d'autres compétences que la mienne, retracer le parcours de l'Église évoluant du Syllabus de Pie X, avec sa condamnation du libéralisme et son antimodernisme sur le chemin qui la conduira à l'aggiornamento de Jean XXIII, de Paul VI et de Vatican II dans un nouveau projet d'ouverture au monde, d'action sociale et d'entrée dans la modernité.
Mais il faut surtout parler de l'un des premiers membres des Ateliers d'Art Sacré, le dominicain Marie-Alain Couturier (1897-1954), ancien élève de Maurice Denis, qui dirigea en 1935 avec Pie Raymond Régamey la revue Art Sacré (1935-1969) en évoluant vers une rupture avec les Ateliers d'Art Sacrés en déclarant obsolètes les choix esthétiques effectués.
C'est cette revue qui se consacra à la fois à l'art et à la spiritualité qui va dénoncer d'une part l'académisme dominant basé sur les Prix de Rome entretenant le passéisme et la médiocrité, l'art néo-médiéval et néo-gothique ; et d'autre part le manque de formation et l'incompétence esthétique des ecclésiastiques commanditaires des oeuvres. Luttant contre le conservatisme qui inspire les constructions architecturales, il va demander que l'on fasse d'avantage appel aux grands artistes contemporains, quelles que soient leurs convictions religieuses, arguant que "tout art véritable est sacré", et proclamant "aux grands hommes les grandes oeuvres".
Quelques constructions inspirées directement de cette mouvance voient le jour et servent de phares alimentant les controverses et stimulant les créateurs en osant faire appel aux grands talents artistiques de l'époque, quelques soient leurs convictions:
- L'église Notre-Dame-de-Toute-Grâce d'Assy en Haute-Savoie (1937-1946), par l'architecte Novarina, décorée par Rouault, Bonnard, Léger, Lurcat, Matisse, Bazaine, Bracque, Chagall, Lipchitz.
- La chapelle dominicaine de Vence (1949-1951) décorée par Matisse.
- l'église du Sacré-Coeur d'Audincourt (1949-1951), conçue par Novarina dans la banlieue ouvrière de Montbéliard et Sochaux et décorée par Bazaine, Jean Le Moal et Fernand Léger.
A ce trio emblématique s'ajoutèrent bien d'autres églises et chapelles :
- Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp par Le Corbusier (1950-55)
- Eglise de Bréseux (Doubs), vitraux de Manessier
- Église de Carsac (Dordogne), chemin de croix de Léon Zack
L'entreprise, très contestée, et qui heurte bien-sûr les tenants du traditionalisme intégriste fut cependant exaltante par le paradoxe même d'amener des artistes athées et de conviction communiste, comme Fernand Léger, à réaliser pour l'art religieux parfois le meilleur de leur oeuvre. C'est la grandeur de ce paradoxe qui transparaît dans cette citation de Fernand Léger : " C"ets le même homme, au millimètre près, qui a réalisé les panneaux de l'ONU et les vitraux d'Audincourt. Je ne me suis pas dédoublé. Magnifier les objets sacrés, clous, ciboires ou couronne d'épine, traiter le drame du Christ, cela n'a pas été pour moi une évasion... J'ai simplement eu l'occasion inespérée d'orner de vastes surfaces selon la sticte conception de mes idéaux plastiques. Je désirais apporter un rythme évolutif de formes et de couleurs pour tous, croyants et non-croyants, quelque chose d'utile accepté aussi bien par les uns que par les autres, du seul fait que la joie et la lumière se déverse dans le coeur de chacun." P.L. Rinuy, link
L'instruction du Saint-Office vient condamner le 30 juin 1952 le recours à des artistes qui ne soient pas animés d'une foi profonde ; la Commission des évêques de France précise qu'on n'a "pas le droit de présenter des déformations qui risqueraient de choquer le peuple fidèle (allusion au beau Christ de Germaine Richier à Assy, déplacé par décision de l'évêque) et d'apparaître aux profanes comme indigne des personnes et des mystères représentés ou même injurieuse pour eux." (cité par P.L. Rinuy, op cité).
Ce sont des problèmes de fond qui sont alors posés : l'oeuvre sacré est-elle une cathéchèse, la mise en image des dogmes comme sous l'impulsion du Concile de Trente, ou bien cherche-t-elle à provoquer chez celui qui la contemple un élan spirituel et une participation active à une démarche religieuse ?
Ou encore : l'Église, dans ses choix artistiques, doit-elle nier le caractère tragique du monde contemporain et exclure la mise en image de la souffrance et du désarroi de l'être au motif qu'elle y apporte une réponse et y fonde une une espérance?
L'Après-Guerre et l'Art sacré en Finistère :
Là encore, je me contente de dégager quelques points :
- 1929-1945: création de l'Atelier Breton d'Art Chrétien autour de James Bouillè.
- Épiscopat de Mgr Fauvel de 1946 à 1968: succédant au long épiscopat du pétainiste Mgr Duparc ( de 1908 à 1946), Mgr André Fauvel encourage l'ouverture au monde contemporain dans le domaine artistique.
- 1949 : création de la Commission Diocésaine d'Art Sacré de Quimper.
L'église Saint-Louis de Brest : édification:
Le 14 août 1944, l'ancienne église Saint-Louis bâtie en 1688 est incendiée par les Allemands : après la Libération, alors que la ville est reconstruite sur ses décombres sous la direction de Jean-Baptiste Mahon, la municipalité choisit pour la nouvelle église Saint-Louis le projet de l'architecte brestois Yves Michel. La première pierre de ce qui est le plus grand sanctuaire reconstruit après-guerre est posée le 29 janvier 1955 par Mgr Fauvel ; le chantier s'achèvera à Noël 1957, et Mgr Fauvel consacrera l'église les 27 et 28 avril 1958.
Parmi les décisionnaires, une équipe diocésaine est acquise aux conceptions de la revue Art Sacré, et bien décidée à tourner le dos aux entreprises spécialisées dans le prêt-à-porter de l' industrie religieuse :
- Monseigneur Fauvel lui-même,
- l'abbé Joseph Le Beux, ex-professeur de dessin et d'histoire au petit séminaire de Pont-Croix et directeur de la Coopérative de reconstruction des églises sinistrées du Finistère à la suite de l'abbé le Gall,
- le chanoine Helou, secrétaire général de l'évêché,
- le chanoine Balbous, curé-archiprêtre de Saint-Louis surtout célèbre comme fondateur du Stade Brestois.
Ce sont eux qui vont suivre le conseil de la revue Art Sacré et effectuer un voyage d'étude pour découvrir les églises modernes de France et de Suisse, puis solliciter l'aide de Dom Delaborde et de Dom Le Corre, de Solesmes, qui leur proposera les noms des grands artistes de l'art sacré français : le sculpteur Philippe Kaeppelin ( qui créera le grand calvaire en bois qui domine le choeur), et les peintres et verriers Maurice Rocher, Paul et Jacques Bony. Plus tard, Léon Zack pour la chapelle du Saint-Sacrement, et le maître-verrier quimpérois Jean-Pierre Le Bihan pour la chapelle annexe, furent choisis. D'autres conseils furent trouvés auprès du Père Morel, peintre et critique d'art familier des artistes.
1. Mur ouest, vitraux de Jacques Bony.
Ils occupent le long mur du coté ouest en deux séries, supérieure presque au sommet, et inférieure à trois mètres du sol. Ils composent en vingt panneaux une mélodie faite de l'abstraction pure du jeu de la lumière à travers des pièces géométriques colorées, un travail nourri du cubisme.
Jacques Bony (1918-2003) entra à l'École des arts décoratifs en 1943, puis crée son premier vitrail l'année suivante et rejoint son frère Paul également peintre-verrier, (voir infra) à l'atelier Hébert-Stephens. Délégué au Recensement des Monuments de la France de 1944 à 1946, il a rénové des vitraux pour des églises de Franche-Comté de 1946 à 1950, realisé les vitraux de Matisse, Rouault, Braque, ou a travaillé sous la direction de Jean Bazaine pour la cathédrale de Saint-Dié de 1984 à 1986, mais pour ses oeuvres personnelles, il a conçu de purs filtres diffusant la couleur et la lumière. De 1949 à 1954, en tant que secrétaire de la revue L'Art Sacré, il milite avec les Pères Couturier et Régamey pour le renouveau de l'art sacré par l'introduction de l'art contemporain à l'intérieur des églises. Il participa à la reconstruction d'églises en Normandie et en Franche-Comté.
Pour présenter Jacques et Paul Bony son frère, il faut parler de l'atelier Hébert-Stevens, ouvert en 1924 rue de Bagneux (Paris 6e) et qui fut dès sa création un lieu de rencontre pour Maurice Denis, Georges Devaillières, Valentine Reyre, le Père Couturier, ou Georges Gallet. C'est là que Georges Rouault, Marcel Gromaire et Jean Bazaine firent réaliser leurs premiers vitraux dès 1939. Or Paul Bony rejoint cet atelier en 1934, y fait la connaissance d' Adeline Hébert-Stevens qu'il épouse, et son frère Jacques Bony les rejoint tout naturellement dans ce qui devient un des lieux de réalisation de vitrail pour la restauration de monuments historiques ou pour les architectures contemporaines. En 1939, Jean Hébert-Stevens et Marie-Alain Couturier organisent au Petit-Palais l'exposition Tapisseries et vitraux modernes en commandant des œuvres à Gromaire, Bazaine et Rouault. C'est lors de cette exposition que le père Devémy, curé d'une chapelle de Haute-Savoie et qui cherche à orner sa chapelle est frappé par la spiritualité d'un vitrail de Rouault : rentré à Assy, il constate que les dimensions de ce Christ aux Outrages correspondent exactement à l'ouverture qu'il fallait orner, c'est le "miracle d'Assy", point de départ, après que Rouault ait offert son œuvre, de la grande aventure de Notre-Dame d'Assy...
Ce "miracle" fut aussi déterminant pour les frères Bony puisque Paul réalisa alors en vitrail quatre tableaux de Rouault, et les cartons des premiers vitraux de Chagall, de Berçot et de Brianchon, puis créa deux verrières au Plateau d'Assy, avant de devenir le verrier attitré de Matisse, notamment pour la chapelle de Vence.
En Bretagne, il a créé 14 vitraux pour l'église Notre-Dame du Relecq-Kerhuon (1958), 6 vitraux pour l'église saint-Armel de Ploermel (1956-1964), 12 vitraux de l'église de la Sainte-Croix au Conquet (1960 et 1970)
Pour les vitraux suivants, je n'ai pas trouvé d'information sur leur auteur :
Mur est : vitraux de Maurice Rocher, Les Saints 1957.
Avec Maurice Rocher (1918-1995), nous rencontrons l'un des derniers élèves de Maurice Denis dans ses Ateliers d'Art Sacré de 1936 à 1939. Il est décrit par le site http://www.mauricerocher.org/ comme l'un des grands expressionnistes du XXe siècle à la peinture sombre et dépouillée dans la lignée de Goya, Soutine ou Bacon, qui a perdu la foi après Vatican II et dont l'oeuvre religieuse dans les églises de Normandie et les Chantiers du Cardinal n'était qu'un gagne-pain, avant de développer vers 1970 une oeuvre plus personnelle revenant sur des thèmes récurrents, les Suppliciés, les églises anthropomorphes les couples, les notables ou les visages matières...
Mais s'il est plus connu pour son oeuvre de chevalet, ses vitraux ont pourtant une grande place : initié dans l'atelier Hébert-Stephens et de Pauline Peugniez l'épouse de Jean Stephens (nous ne cesserons de voir se croiser les données concernant nos artistes), il fut cofondateur avec J. Le Chevallier du Centre d'Art Sacré rue Furstemberg dont il dirige l'atelier de peinture et de dessin de 1948 à 1952. Vingt-cinq églises de Basse-Normandie et une centaine d'autres dans le monde lui doivent leurs verrières (par exemple Guernes (Yvelines), Saint-Sauveur à Beaumont-en-Auge, le Templo Expiatorio de la Guadalajara au Mexique). En Bretagne, on lui doit à Brest les vitraux de la chapelle de Keraudren, à Châteaulin les vitres de la chapelle de Kerfeunteun, celles du séminaire de Ste-Anne-d'Auray, celles de l'abbaye de Landevennec , de la maison mère des soeurs à Kermaria, du chevet de l'église de l'Île Tudy, de l'abbaye de Kergonan à Plouharnel, de la chapelle des soeurs de Guilmarais à Vitré, et 14 vitraux et deux roses en la basilique Sainte-Anne à Ste-Anne-d'Auray.
Onze verrières de 15 mètres de haut suffisamment lumineuses pour éclairer la nef échelonnent leurs personnages de quatre mètres le long des 220 m² de surface. Si le choix est figuratif, il est suffisamment stylisé dans leur graphisme noir sur une bande colorée pour rester en harmonie avec la facade opposée. On intitule parfois cette séquence Les Sept Saints Fondateurs, mais on n'y trouve que trois saints bretons qui succèdent aux grandes figures de la Bible et des Évangiles.
Outre le noir, trois couleurs sont privilègièes : le rouge, le jaune, et le violet, sous forme d'une bande de fond, mais aussi sous celle d'un rectangle isolé, motif monochrome comme une note de musique tintant à part.
Chaque personnage est accompagné d'un ou deux attributs, la lyre de David, les clefs de saint Pierre, connus de tous.
Enfin, le fond n'est pas "blanc" : vu de près, c'est un travail important de structuration des rythmes par des effets grillagés de "plombs" rectilignes dont la direction horizontale ou verticale et dont la densité varie selon l'effet recherché.
De la nef vers le choeur : Abraham, Moïse, David, Jean-Baptiste, Saint Pierre :
...Saint Paul, Saint Jean l'Évangéliste, Saint Corentin, Saint Pol de Léon, Saint Guénolé, Saint Yves :
Le maître-verrier : Jacques Degusseau.
Jacques Degusseau (1910-1977) a créé son atelier à Orléans en 1945. Il employait sept à huit ouvriers et réalisa quelques trois cent chantiers autour d'un intéret marqué pour la dalle de verre et la collaboration de plusieurs artistes majeurs comme Jacques Le Chevallier, Léon Zack, Philippe Kaeppellin, Simone Flandrin-Latron, et, principalement Maurice Rocher. Ce dernier étant parisien, Degusseaux achète en 1955 un atelier dans le 15e, square Desnouettes; il s'y installera définitivement en 1977. Son fils Gérard suivra sa voie, auprès de Jacques Le Chevallier puis de Max Ingrand.
Source : http://www.centrechastel.paris-sorbonne.fr/archives_orales_vitrail_article.pdf
Paul Bony, Scènes de la vie de saint Louis (1957):
Paul Bony (Le Mans, 1911-1982) Arts appliqués, licence de l'institut d'art appliqué et d'archéologie
J'ai dit comment Paul Bony était devenu le gendre de Jean Herbert-Stevens. Avec son épouse Adeline, il a pris la succession de l'entreprise, rue de Bagneux devenue rue Jerrandy à Paris, qui a participé à la réalisation des vitraux de plus de 180 églises de Normandie, 86 en Alsace, 12 à Paris, etc...
Il a réalisé en Bretagne des vitraux de l'église Saint-Marc à Brest en 1951, 18 vitraux à St-Pierre-Quilbignon à Brest en 1949-56, 3 vitraux à la chapelle Saint-Pierre de Lossulien du Relecq-Kerhuon, et des verres pour l'église Sainte-Thérèse à Nantes.
Son épouse Adeline Bony a créé un vitrail à Brest pour la chapelle Notre-Dame-du-Bon-Port.
Maurice Dilasser a écrit (sculpter la lumière, 2000) qu'un commanditaire devait savoir donner aux artistes dont il sollicitait le travail créatif un théme et des directives et comment, à Saint-Louis de Brest où on donna carte blanche aux créateurs, ils " se répartirent les emplacements, conçurent eux-mêmes le programme, le plan de lumière et déterminèrent le langage figuratif ou non et les thèmes de leur figuration". Le chanoine prudent n'en écrit pas plus, mais on peut deviner que ce sont ces Scènes de la vie de saint Louis qui lui semblaient les moins accordées à l'ensemble. C'est du moins mon avis, et l'écart est grand entre les réalisations des deux frères.
Le site Topic-topos, toujours bien informé, signale que sur cette verrière de 100 m², l'artiste a repris un ensemble de neuf vitraux réalisés quelques annèes plus tôt pour l'église de Saint-Pierre-Quilbignon. On y honore le patron de la paroisse et le symbole de l'union de la monarchie de droit divin et de l'Église, en reprenant les poncifs des vitraux historiques du XIXe dans des images d'Epinal qui ne sont pas sans rappeler les illustrations de Joubert pour la collection Signe de Piste pour défendre l'idéal chevaleresque. Saint Louis est victime de la peste sous sa tente devant Tunis lors de la 8e croisade, ou rend la justice sous son chêne, ou bien porte la couronne d'épine, crée la Sainte-Chapelle, entouré de symboles monarchiques, militaires et héraldiques propres à combler un vexillographe collectionneur d'emblèmes de l'Ancien-Régime. Et il faut avouer que lorsque les officiers de marine, dont c'est la paroisse, assistent en grande tenue à un office dominical, au coté de leurs épouses et des enfants blonds et sages dont les regards montent fascinés vers le saint Roi en armure, cela a de l'allure !
C'est, dira-t-on, la moindre des choses d'honorer Saint-Louis en son église. Certes, mais pour citer à nouveau Dilasser, Délégué de la Commission d'Art Sacré : "Lors de la commande, la consultation locale penche le plus souvent en faveur de vitraux historiés, par besoin de lire et d'interpréter les thèmes, pour renouer peut-être avec ce temps où la lecture des vies édifiantes accompagnait les veillées familiales. Par réaction conservatrice face aux courants multiformes, les garants du patrimoine veulent prolonger dans leur église la tradition de ces personnages aux visages anonymes, aux poses conventionnelles, identifiable à leur seul attribut. Malgré les exhortations de l'église pour rattacher et soumettre les pratiques dévotionnelles au culte du Christ mort et ressuscité, un courant particulariste donne aujourd'hui encore regain aux saints locaux, dont on désire retrouver les figures peintes comme des portraits de famille dans la chapelle du village. [...] Mais quel peintre fera de ces récits littéralement interprétés une nourriture spirituelle tonique, un soutien pour assumer sa vie sans évasion, un cadre pour la célébration actuelle du mystère pascal ?" ( Sculpter la lumière, les vitraux contemporains en Bretagne, château de Kerjean, 2000)
Yann Celton constate dans son article pour Ar Men que, quoique les architectes aient soulignès que cette verrière ouest avait comme fonction essentielle "d'éclairer l'autel du choeur plus fortement que la nef, l'artiste, libre de s'exprimer à sa guise, réalisa une composition assez sombre" (p. 70), ce qui confirme l'opinion de Dilasser sur les dangers du "carte blanche".
Le calvaire en bois avec son Christ de quatre mètres de haut sculpté par Philippe Kaepellin, reçoit son éclairage naturel de la verrière réalisée par Paul Bony et son éclairage artificiel des projecteurs:
Léon Zack, 1962, chapelle du Saint-Sacrement :
Léon Zack (1882-1980), né à Nijni-Novgorod en Russie, participe au Futurisme puis émigre en 1919 vers Constantinople, Florence, Rome, Berlin avant de se fixer à Paris en 1923 : il prend la nationalité française en 1938. Juif non pratiquant, il doit se cacher pendant la Seconde Guerre Mondiale dans un village de l'Isère, et en 1941 il se convertit au christianisme.
Outre son oeuvre principale en peinture, qu'il expose dans de nombreux salons, il emploie son talent à illustrer des livres de bibliophilie, à créer des tapisseries, des décors d'opéra. Ses premières toiles abstraites datent de 1953.
Dans le domaine des vitraux, il est l'auteur de 60 panneaux non figuratifs à l'église Notre-Dame-des-Pauvres d'Issy-les-Moulineaux en 1954-1955, avant de créer dans les années 1955-1965 une trentaine de verrières comme celles du séminaire de Keraudren, de l'église Sainte-Jeanne-d'Arc à Paris (1965), l'abbaye de la Prée à Ségry (1961), abbaye N.D. de Protection à Valognes (1957).
Il est aussi l'auteur d'autres oeuvres d'art sacré : chemins de croix sculptés, mosaïques à Dortmund, autel de l'église Saint-Jacques à Paris.
En 1958, le chanoine Pailler, curé-archiprêtre de Saint-Louis (et qui devint peu après évêque) avait demandé à l'artiste un vitrail abstrait créant une atmosphère de joie et de recueillement.
Lèon Zack y voyait " un plongeon dans les espaces et les profondeurs de cet océan infini qu'on appelle la peinture, où l'eau nous porte si fort qu'on ne fait pas de grands efforts pour nager" : quelque chose comme le "sentiment océanique" dont Romain Rolland s'entretenait avec Freud, une plongée dans le grand Tout où le moi se dilue ; ou quelque chose de ce que cherchait la mystique rhènane et les béguines :
Deviens comme un enfant
Deviens sourd, deviens aveugle !
Le quelque-chose que tu es
Doit devenir néant ;
Toute chose, tout néant
Doit être dépassé
Laisse le lieu, laisse le temps
Laisse aussi les images,
Va sans chemin
Sur l'étroite montée :
Ainsi tu parviens sur les traces du désert.
O mon âme,
Sors, entre en Dieu,
Englouti tout ce qui est mien
Dans le néant de Dieu,
Abîme-toi dans les eaux sans fond !
Si je fuis loin de Toi
Tu viens à moi ;
Si je me perds je Te trouve,
O Bien suressentiel !
Cantique de la Trinité ou Dreifaltigkeitslied, anonyme, seconde moitié XIIIe siècle ed. K. Bartsche 1858.
Dans la chapelle du Saint-Sacrement, l'autel en cuivre est de Philippe Kaeppellin. Il se détachait initialement sur le fond d'une tapisserie de l'artiste polonais Jean Olin représentant les instruments de la Passion.
Chapelle du Saint-Sacrement : l'ange et la Vierge à l'Enfant.
La chapelle adjacente et Jean-Pierre Le Bihan.
Les vitraux de cette "chapelle de secours" ou chapelle ouest ont été réalisés par Jean-Pierre Le Bihan sur ses propres cartons, ou, pour le chevet, sur ceux de Jean-Michel Vallaud, de l'atelier Le Bihan.
Maître-verrier quimpérois, il est né le 26 juillet 1934, et a suivi l'enseignement du Centre d'Art Sacré et Monumental à Paris, avant d'ouvrir son atelier en 1963. (lire : Revue Ar Men n° 34, avril 1991). Il est l'auteur d'un blog très riche en informations sur les vitraux de Bretagne : http://jeanpierrelebihan.over-blog.com/article-17876459.html
Alors que cet artiste reste très modeste sur ses créations, et que son travail à Saint-Louis semble souvent passé sous silence, c'est en pénétrant dans cette chapelle qui a l'architecture ingrate d'un hall (simple pièce rectangulaire) que j'ai ressenti le plus fort plaisir esthétique, celui d'un bain de lumière joyeuse, tonique, exaltante et musicale.
Sources :
Yann Celton, Revue Ar Men n° 62.
Maurice Dilasser, Sculpter la lumière, le vitrail contemporain en Bretagne 1945-2000.