Les vitraux de l'église St-Guénolé à Concarneau : des panneaux du XVe siècle.
Jusqu'en 1929, l'église paroissiale de Concarneau se trouvait intra-muros : la Ville Close de Concarneau disposait jadis d'une église Saint-Guénolé, mais qui n'était plus, après la Révolution, qu'une ruine si misérable qu'en 1830, elle fut rasée pour construire à la place "un triste monument...un des plus beaux spécimens du style dit de 1830" (Chanoine Abgrall) avec initialement un dôme métallique. Cette deuxième église Saint-Guénolé fut démolie à son tour en 1930, ne conservant que son pignon-clocher et sa haute tour cylindrique. De 1937 à 1980, elle fut transformée "en hospice pour vieillard", terme déplorable utilisé en ces temps obscurs qui ignoraient l'élégance discrète de notre terme d'ehpad*. * in french.
En 1912, on construisait sur les plans de l'architecte de Quimper Charles Chaussepied (1866-1930) l'église Saint-Cœur-de-Marie, en un style aussi imposant qu'improbable, auquel les mieux inspirés trouvaient des influences byzantines. Consacrée le 17 mars 1929 mais jamais terminée, ébranlée par l'ouragan de 1987, la basilique romano-byzantine menaçait de s'écrouler quand la décision fut prise de sa démolition, en 1994. Avant de le laisser disparaître, rappelons qu'elle comprenait "un porche ouest s'étendant sur toute la largeur de l'édifice, avec tribune adossée, une nef de trois travées avec bas-côtés supportant des tribunes, - puis une sorte de transept peu débordant actuellement mais qui devait à l'origine se terminer par une chapelle et deux absidioles, transept dont la partie centrale forme un tambour octogonal sur pendentifs, - une autre partie également de trois travées avec tribunes, - enfin un choeur semi-circulaire, au-dessus d'une crypte." (Le Maître, BSAF 1987). Un dernier remords imposa que l'on conserva sa tour-clocher.
Source image : blog paradoxitude.
A sa place fut bâtie sur les plans de J.F. Galmiche et V. Etasse une nouvelle église Saint-Guénolé. Elle a été consacrée pour la Saint-Michel, le 29 septembre 1999.
Avant d'en découvrir les vitraux anciens et la raison de leur présence ici, découvrons quelques objets de l'art sacré :
A tout seigneur tout honneur, la statue de saint Guénolé.
Concarneau était un prieuré de l'abbaye de Landevennec, dont Guénolé était le fondateur et l'Abbé. La statue provient de la première église Saint-Guénolé et date du XVIIIe siècle.
Crucifix.
Bannière Saint-Guénolé Priez pour nous.
Les deux vitraux du XVe siècle.
Ils ont été placés dans l'église récemment, mais on ignore tout du sanctuaire (sans-doute du Finistère sud, en raison de ressemblances avec ceux de la chapelle de Kerdevot en Ergué-Gabéric et de l'église de Locronan) dont ils proviennent. Ce sont deux scènes d'un cycle de la Vie de la Vierge du dernier quart du XVe siècle (règne de Charles VIII, et mariage avec Anne de Bretagne en 1491).
On ne connaît leur existence que depuis la fin du XIXe siècle, date à laquelle ils appartenaient au naturaliste Émile Deyrolle.
Voir le site des magasins Deyrolle :
La Maison Deyrolle a été, et est toujours, très renommée pour proposer aux naturalistes le matériel de chasse et de collection des insectes, et pour leur propre collection de taxidermie ou de boites entomologiques. Créée par son grand-père Jean-Baptiste en 1831, elle avait été reprise par Emile Deyrolle en 1866, et celui-ci étendit l'activité à la publication d'ouvrages spécialisés sur la faune et la flore, et des fameuses planches murales du "Musée scolaire Deyrolle". En 1888, il dispose d'un vaste magasin 46 rue du Bac à Paris, dans un ancien hôtel particulier.
La famille Deyrolle possédait une villa au Coat Pin sur la Corniche à Concarneau, et avait fait monter ces vitraux dans l'escalier, dans une fausse baie gothique en bois. C'est le frère d'Émile, Théophile Deyrolle,(1844-1923) peintre et céramiste, qui avait fait construire là un immense atelier qui fut connue comme la "Villa Coat-Pin". [Le Coat Pin à Concarneau : site Filet Bleu]. C'est Théophile qui, mareyeur sur les parcs d'huître le matin, restaura le vitrail de saint Exupère à Dinéault, actuellement au Musée Breton de Quimper. Le vitrail est intégré au décor de la maison à la façon d'un vitrail civil pour susciter l'admiration des visiteurs, dont les nombreux "peintres du Groupe de Concarneau", son beau-frère Alfred Guillou, A. Granchi-Taylor, F. Le Gout-Gérard, etc.
De 1950 à 1989, cette villa accueillit une communauté religieuse, les Petites Sœurs de l'Assomption. Au moment de la dissolution de cette communauté, l'historien Louis-Pierre Le Maître découvrit les œuvres et les fit donner à l'association diocésaine.
Les panneaux ont été alors restaurés par le maître-verrier quimperois Jean-Pierre Le Bihan, comme il le relate sur son blog: http://jeanpierrelebihan.over-blog.com/article-13409317.html.
En 1995, on découvrit que quatre scènes d'une vie du Christ, d'origine bretonne, et de présentation similaire en lancettes dans des niches gothiques, étaient passées à la vente Drouot de 1927 en provenance des collections du Pr. A. Gilbert de Paris. Néanmoins, le compartimentage horizontale des deux ensembles ne coïncide pas, et a fait douter qu'ils proviennent d'une même origine.
Actuellement, ces verrières sont installés dans la baie sud du chœur, à droite de l'autel, dans un quadrillage stricte d'épaisses barlotières. Ces vitraux ne sont pas classés (!).
Il s'agit de deux lancettes trilobées de 2 mètres de haut et 0,80 m de large chacune. Elles ont en commun leurs niches architecturales d'inspiration flamande, à hautes tourelles et flèches, , traitées en grisaille et jaune d'argent et se détachant sur un ciel soit rouge, soit bleu.
I. L'Annonciation.
Devant une tenture rouge finement damassée, la Vierge, nimbée, en manteau bleu et robe pourpre, est face à un livre posé sur le prie-dieu, mais elle se retourne à l'appel de l'Ange en marquant sa surprise. Ses cheveux blond , dégagés sur le front par un bandeau perlé, ruissellent sur ses épaules. Un médaillon ovale fait office de fermoir du manteau.
L'Ange Gabriel est agenouillé. Ses vêtement rappellent ceux d'un évêque, avec un lourde chape verte aux bords richement ornés de pièces de cristal, une tunique blanche plus simple, un bonnet proche d'une mitre orfrayée. Ses ailes sont d'un beau bleu clair. Il tient dans la main gauche, non pas un lys, mais un bâton de pouvoir doré.
Marie et Gabriel sont réunis-séparés, dans l'espace intermédiaire qui est celui de la présence divine, par un bouquet de cinq lys dressés dans un vase, en symbole de virginité. Au dessus, c'est la parole divine qui circule, pliée en boucle par le manque de place. AVE MARIA GRATIA ... DÕS TECUM, (Ave Maria Gratia Plena, Dominus tecum, Salut Marie pleine de Grâce le Seigneur est avec toi).
Il reste à décrire le pavement en carreaux noir et blanc.
II. Le Mariage de la Vierge.
Cette fois-ci, c'est sur le fond d'une tenture vert foncé que Marie et Joseph se détachent face au grand prêtre. Celui-ci porte une tenue censée illustrer sa fonction hébraïque, mais qui diffère peu de celle que portait Gabriel. C'est sans-doute le chapeau perlé qui, par sa forme pointue, est le plus caractérisé. Il unit la main droite de Marie et celle de Joseph.
La Vierge a gardé la même tenue que dans la scène précédente, mais les pans du manteau laissent largement voir le revers frappé d'hermine : doit-on y voir une influence du mariage d'Anne de Bretagne ?
Joseph, robe bleue, chapeau ou capuche rouge, visage en verre blanc plaqué de rouge, tient un rameau fleuri (fleurs à quatre ou cinq pétales : aubépine ?). A la différence de Marie (mais en conformité avec la tradition iconographique française), Joseph n'est pas nimbé.
Le thème est, en vitrail, plus original que celui de l'Annonciation. Il est construit non pas sur les évangiles (Luc, 1,26-27 ne dit que "Au sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, /auprès d'une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie.) Ce sont les évangiles apocryphes (Livre de la Nativité de Marie) et La Légende Dorée de Jacques de Voragine qui précisent comment cela se passa.
Légende Dorée de Jacques de Voragine Livre III, Nativité de la Bienheureuse vierge Marie, 15-18
"Quand elle eut atteint l’âge de quatorze ans, le pontife annonça publiquement que les vierges élevées dans le temple, qui avaient accompli leur temps, eussent à retourner chez elles, afin de se marier selon la loi. Toutes ayant obéi, seule la sainte Vierge Marie répondit qu'elle ne pouvait le faire, d'abord parce que ses parents l’avaient consacrée au service du Seigneur, ensuite parce qu'elle lui avait voué sa virginité. Alors le Pontife fut incertain de ce qu'il avait à faire ; d'une part, il n'osait aller contre l’Ecriture qui dit: « Accomplissez les vœux que vous avez faits » ; d'une autre part, il n'osait induire une nouvelle coutume dans les pratiques suivies par la nation. Une fête des Juifs étant sur le point d'arriver ; il convoqua alors tous les anciens ; leur avis unanime fut que dans une affaire si délicate, on devait consulter le Seigneur. Or, comme on était en prière et que le Pontife s'était approché pour connaître la volonté de Dieu, à l’instant du lieu de l’oratoire, tout le monde entendit une voix qui disait, que tous ceux de la maison de David qui étant disposés à se marier, ne l’étaient pas encore, apportassent chacun une verge à l’autel, et que celui dont la verge aurait donné des feuilles, et sur le sommet de laquelle, d'après la prophétie d'Isaïe, le Saint-Esprit se reposerait sous la forme d'une colombe, celui-là, sans aucun doute, devait se marier avec la Vierge. Parmi ceux de la maison de David, se trouvait Joseph, qui, jugeant hors de convenance qu'un homme d'un âge avancé comme lui épousât une personne si jeune, cacha, lui tout seul, sa verge, quand chacun avait apporté la sienne. Il en résulta que rien ne parut de ce qu'avait annoncé la voix divine ; alors le pontife pensa qu'il fallait derechef consulter le Seigneur, lequel répondit que celui-là seul qui n'avait pas apporté sa verge, était celui auquel la Vierge devait être mariée. Joseph ainsi découvert apporta sa verge qui fleurit aussitôt, et, sur le sommet se reposa une colombe venue du ciel. Il parut évident à tous que Joseph devait être uni avec la sainte Vierge. Joseph s'étant donc marié, retourna dans sa ville de Bethléem afin de disposer sa maison et de se procurer ce qui lui était nécessaire pour ses noces. Quant à la Vierge Marie, elle revint chez ses parents à Nazareth avec sept vierges de son âge, nourries du même lait et qu'elle avait reçues de la part du prêtre pour témoigner du miracle. Or, en ce temps-là, l’ange Gabriel lui apparut pendant qu'elle était en prière et lui annonça que le Fils de Dieu devait naître d'elle."
On voit toute l'importance du rameau tenu par Joseph.
Le thème a été traité en peinture au XIVe siècle par Giotto à Padoue et par Fra Angelico à Florence, et à la fin du XVe siècle/début XVIe par Ghirlandaio, le Pérugin et Raphaël. En Bretagne, on le trouve dans les peintures murales de l'église de Kernascleden
L'autre détail intéressant est le personnage féminin qui apparait à moitié derrière la Vierge. En peinture (où les artistes disposent d'une place suffisante), les personnages qui entourent Marie, Joseph et le Grand Prêtre sont soit les prétendants éconduits (qui brisent leur baguette restée stérile), soit le cortège nuptial, soit les parents de Marie, Anne et Joachim, soit encore les autres vierges souhaîtant se marier. Cinq à sept vierges accompagnent alors, en procession, Marie. Ici, deux personnages masculins sont visibles derrière Joseph, le premier coiffé d'un bonnet pourpre.
Ce personnage féminin portant le voile (alors que les jeunes filles ne couvrent pas leurs cheveux), je postule qu'il s'agit de sainte Anne, et que l'homme au bonnet pourpre est Joachim ; on comparera avec la peinture de Kerascleden, où leur identification est claire. Pour être complet, on notera qu'à Concarneau, une deuxième femme s'aperçoit, à coté de Anne.
Remarque-t-on la discrète signature du maître-verrier restaurateur, qui semble gravé sur le socle de marbre, sous un pan de la robe de Marie ? (la meilleure place pour un artiste chrétien). On lit LE BIHAN 1996 QUIMPER.
En comparaison, voici le même thème traité à la chapelle N.D de Lansaläun à Paule (22), et qui date de 1528 :
Le vitrail de l'arbre de Jessé de la chapelle N.D. de Lansalaün à Paule. Ce n'est que maintenant que je prête attention aux deux (demi) personnages latéraux, qui, à Paule, au vu des autres panneaux, sont clairement Anne et Joachim.
III. Le Baptème du Christ (XIXe siècle).
Il s'agit, selon le Corpus Vitrearum d'un "médaillon récent, figurant dans le style du XIIIe siècle le Baptême du Christ, monté dans la chapelle des Fonts". Il a le mérite d'être, dans le sas d'entrée de l'église, à hauteur d'homme, parfaitement accessible à la contemplation et à l'étude, ce qui permet d'observer la complexité du travail de peinture sur verre à la grisaille ou la sanguine : les traits dessinant le nez et les sourcils, l'œil, sont des calligraphies parfaites, mais la manière dont le modelé est obtenu par la peinture diluée. Cette observation devient passionnante si on se souvient de la technique que le moine Théophile recommandait dans son Livre 2 De arte vitriaria Chapitre 20 " Des trois teintes pour illuminer à travers le verre" : Une première grisaille très diluée sur le verre, en lavis laisse passer la lumière au maximum. Avec un chiffon on enlève les parties qui doivent rester à la lumière, c'est la technique des enlevés. Puis on applique une deuxième teinte plus épaisse pour les modelés et les ombres. Et enfin la troisième couche de grisaille pour les traits plus noir et plus épais des contours.
Sources et liens:
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2005 Les Vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum, Presses Universitaires de Rennes, Rennes page 123.
— Notice du Diocèse de Quimper Chanoine Abgrall
http://catholique-quimper.cef.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf_notices/concarneau.pdf
— Topic-Topos :http://fr.topic-topos.com/vie-de-la-vierge-concarneau
— FERRARO (Séverine) Les images de la vie terrestre de la Vierge dans l’art mural (peintures et mosaïques) en France et en Italie Des origines de l’iconographie chrétienne jusqu’au Concile de Trente Thèse du 8 décembre 2012 pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Bourgogne en Histoire de l’art médiéval Ecole Doctorale LISIT UMR ARTeHIS. Chapitre consacré au mariage de la Vierge page 224-266.
http://nuxeo.u-bourgogne.fr/nuxeo/site/esupversions/17fe4751-4062-42ea-ad2f-f4128184e83e