On peut s'intéresser aux pattes des mouches, et à leur anatomie, certes remarquable par la présence de ces coussinets à la base des griffes, qui se nomment pulvilles , des ventouses ou pelotes de soies adhésives (les "soies" en entomologie sont des poils qui sécrètent une substance) qui collent à tous les plafonds ; ou on peut chercher l'empodium de soie placé entre ces pulvilles. Cela permet d'ajouter deux noms nouveaux à la collection ( le mot pulville est attesté en ancien français sous le sens de "compresse" dans le dictionnaire de Moyen français (CNRTL) et dans un ouvrage de 1320 du chirurgien de Philippe le Bel et de Louis le Hutin, Henri de Mondeville).
Mais impossible de dicerner les dites pulvilles sur mes photos :
Pour tout comprendre sur "pourquoi les mouches peuvent-elles marcher au plafond", il faut lire l'article ayant ce titre, dans la revue Insectes de l'Opie : http://www.inra.fr/opie-insectes/pdf/i122guillaume.pdf
A défaut de mouche sous la main et de binoculaire pour les pulvilles et les empodium, je me tourne vers ce que j'ai : un clavier. Et si le climat de Brestdistribue si parcimonieusement les jours de pluie qu'il oblige le naturaliste à parcourir les dunes pour ne pas laisser passer une chance de saisir l'oiseau rare dans le filet à papillon et le lépidoptère non descriptus dans l'oculaire de sa longue vue (ou inversement), aujourd'hui, Deo gratias, il pleut: un jour à ramasser les pieds-de-mouche à grand coup d'ordinateur.
Si on voulait faire de l'entomologie typographique, on étudierait l'écriture en patte de mouche, les pieds de mouche (lettres très menues et mal formées utilisées par cryptographie par les médecins), bien-sûr, mais surtout les
Pieds-de-mouche et les Puces.
Que sont les puces ? Les Puces naissentde l'accouplement de la touche alt et du chiffre 7 du clavier, qui produit l'éclosion d'innombrables puces : • • • • •, qu'on utilise en typographie en alternative au tiret demi-cadratin qui est - - - - . Mais les puces s'ordonnent en ligne verticale dans une énumération :
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Les Pieds-de-mouche naissent du même clavier pangenerator, des noces d'alt et de 0182 , ce qui donne :¶ ¶ ¶
Il servent aux typographes à lutter contre les veuves et les orphelins.
Quoi ? lutter contre la veuve et l'orphelin? Vite, S.O.S Veuvélorf, allo, c'est un scandale !
Oui, les typographes affichent cyniquement leur adage : " le bon typographe ne défend pas la veuve et l'orphelin, mais les combat et les chasse énergiquement "
La veuve, désigne en effet "la dernière ligne d'un paragraphe, qui se trouve seule au haut d'une page, le reste d'un paragraphe se trouvant sur la page précédente ".
L'orphelin, lui, n'est rien d'autre que " la première ligne d'un paragraphe se trouvant seule en bas d'une page, le reste du paragraphe se trouvant sur la page suivante " : la honte.
Le pied-de-mouche, avec ses tirets demi-cadratin sans lesquels il n'est qu'un presque rien, sert à signaler au typographe le dèbut et la fin d'un paragraphe.
a) le pied-de-mouche médiéval.
Du temps de jadis où les moines copistes écrivaient à la plume d'oie sur des parchemins sans aucun espace entre les mots et sans retour à la ligne les pieds-de-mouche servaient à s'y retrouver un peu, à moins qu'un capucin inculte se charge, et cela s'est vu, de creuser le plein du symbole en le grattant car il pensait qu'il s'agissait de la lettre q dont l'encre avait bavé.
Prenons par exemple le Tracatus Astrarii, le traité des Astres de Giovanni Dondi, ce médecin, astronome et horloger de Padoue, ville qui doit l'horloge de son campanile à son père Jacopo. Ce traité d'horlogerie planétaire médiévale fut écrit dans les années 1380, et son manuscrit est conservé à la Bibliotheca Capitolare di Padova. S'il n'a pas été écrit par des frères copistes, il donne à voir des titres rubriqués précédés de pieds-de-mouche d'une belle couleur bleue : c'est le travail du rubrificateurresponsable des légendes des figures, des titres des chapitres, et des pieds-de-mouche : lorsqu'ils précédent les titres des figures, ils sont en bleus, et lorsqu'ils parsémentle texte pour indiquer au lecteur un paragraphe, le scribe en a indiqué l'emplacement par deux petits traits obliques, et le peintre en lettres en alterne la couleur, l'un rouge, l'autre bleu. Ce n'est pas simple, car l'artiste commence par peindre tous les signes typographiques rouges, tout en en profitant pour rehausser de rouge quelques lettres capitales intermèdiaires; puis il passe à la couleur bleu, mais s'aperçoit qu'il a fait des erreurs, et qu'on va voir deux pieds-de-mouche rouge, ou deux bleus, consécutifs. Alors il ajoute des pieds-de-mouche supplèmentaires là où ils ne sont pas indiqués...
b) le pied-de-mouche imprimé.
Au risque de vous laisser penser que je dispute sur un pied de mouche(proverbe usité pour souligner qu'une discussion porte sur des broutilles, des pécadilles ou des vétilles), ou que je ne me mouche pas du pied (que jem'la joue, que je suis imbue de moi-même avec mes prètentions culturelles), je poursuivrais mes recherches sur ce pied singulier.
Quand l'imprimerie fut inventé ( la fameuse B42, la Bible à 42 lignes de Gutenberg en 1455), on reprit les usages médiévaux, les abréviations pour économiser le papier ou la sueur du copiste, l'absence de paragraphe, de page de titre, de reliure, et on plaçait ses pieds-de-mouche à l'ancienne, en jouant sur les couleurs, un bleu, un noir, un rouge : ce qui nécessitait de confier l'ouvrage à un rubrificateur qui mettait en rouge les têtes de rubrique (d'où le nom) et les pieds-de-mouche. Bien la peine d'inventer Gutenberg s'il faut reprendre le texte à la plume, puis le donner au miniaturiste qui allait faire ses enluminures sur les capitales ! C'était le temps des Incunables, ces livres imprimès de 1450 à 1501, le berceau (incunabulum) de l'édition : vendus en cahiers non reliés comme nos livres actuels, certes imprimés recto-verso sur papier mais avec un texte placé en deux ou trois colonnes de 30 à 70 lignes par colonnes, en lettres gothiques, avec jusqu'à 202 caractères différents et 10 sortes de lettres a pour optimiser la mise en page. Mais au moins, les corrections étaient faciles, alors que le calligraphiste qui se trompait après des heures de tarvail sur une page était réduit à inscrire le punctum delens, le "point effaçant" des manuscrits irlandais.
Au seizième siècle, on licencia les rubrificateurs, et on procéda à des réformes :
- Les pieds-de-mouche, tous en noir, et pas d'histoire.
- Suppression des ligatures : elles étaientutiles pour la lisibilité des manuscrits, ces lettres particulières remplaçant deux lettres qu'on pouvaient confondre, les ae, oe, ff, ii, fs, ffi, qu'on remplaçaient par des eperluettes (& pour et) des ij à la place de ii surtout quand on omettait les points sur les i.
- suppression des abréviations, et Dieu sait combien les moines en avaient inventé, des abréviations : notamment le tilde, le titulus latin, qui , placé sur une lettre, permettait d'omettre le n qui devait suivre : plutôt que d'écrire bon, on écrivait au dessus du o le signe ~, (bien connu pour l'espagnol : doña par exemple).
- réformes orthographiques réglementation de l'usage des accents, de la ponctuation, et, en 1549, le Défense et illustration de la langue française, de Joachim du Bellay.
- surtout peut-être, la spécialisation des métiers : au lieu que chaque imprimeur fonde ses propres caractères, on voit des graveurs qui les fabriquent et les proposent. C'est le travail de Claude Garamont en 1530 qui invente la police de caractère Garamond, base de l'imprimerie d'auteurs latins de la Renaissance. Avec Alde Manuce de Venise qui utilise la police de caractères penchés nommée italique ou aldine créé par le graveur Jean de Bologneet qui permet d'éditer les textes classiques de la culture humaniste en petit format in 8°, ils imposent après ce qu l'on nomme les humanes (des caractères inspirés de la minuscule caroline, restaurant l'écriture latine _celle de la lapidaire des monuments romains, pour les lettres capitales_, et s'opposant aux lettres gothiques des imprimeurs allemands), les caractères nommés de la fusion de leur nom, les garaldes aux empattements triangulaires, et aux pleins et déliés bien contrastés.
Un pied-de-mouche à la page 25 de Historiae animalium qui est de avium natura, Conrad Gesnner, 1555.
Au XVIIème siécle, le pied-de-mouche ne fut plus utilisé pour signaler les paragraphes, qui se signalaient eux-même par la mise en page: c'est le rôle de l'alinéa. Cette marque typographique de dèbut de paragraphe (à ne pas confondre avec la subdivision de paragraphe d'un texte administratif ou juridique ) peut se faire par un simple retour à la ligne (l'alinéa aligné), ou en laissant un interligne (l'alinéa se nomme alors pavé), mais plus communément par un retour à la ligne (a linea en latin)et la création d'un espace équivalent au tiret long _ , nommé cadratin : c' est l'alinéa rentrant. Pour les publications de luxe, prodigues d'espace, les typographes peuvent laisser en blanc le quart, la moitié de la ligne, c'est la justification. Aller, c'est la fin du paragraphe, je vais à la ligne, je vous offre un pied-de-mouche, et un alinèa rentrant de la valeur d'un cadratin. Et sans veuve ni orphelin, s'il-vous-plaît!
¶ Désormais désuet, Il ne fut employé que pour signaler un point particulier dans un traité de droit, ou bien pour séparer dans un dictionnaire les différentes acceptations d'un même mot. Mais, me direz vous, à juste-titre puisque c'est moi qui vous le souffle, le symbole typographique nommé "paragraphe", le § alors, à quoi sert-il ?
Je vais d'abord en mettre quelques uns avec mon clavier magique : § § § § ; Ce "paragraphe" est utilisé pour désigner dans les renvois bibliographiques : " Lisez les Observations sur la reproduction parthénogénésique chez quelques larves d'insectes diptèrespar MM. N. Wagner, Meinert, Pagenstecher et Ganine, § 1, p.252, dans les Annales de Sciences Naturelles, cinquième série, Paris 1865 : on y donne une excellente description des pattes de mouche " ou bien en doublant :"consultez le Traité de la typographie d'Henri Fournier, Partie I, chap.I,§§ 8 à 11 " .
Mais il fut aussi utilisé dans le texte lui-même d'un livre "pour servir de titre à une classe de subdivision, et en général de dernier ordre" (Henri Fournier, Paris 1824, op.citè, p.50), comme on le voit d'ailleurs dans les Annales de SciencesNaturelles où ces derniers servent de subdivision ( Ann. Sc. Nat. 1865, op. cité).
Mais ne partez pas, ce n'est pas fini, et c'est là où je suis récompensé d'étudier les clopinettes : car le paragraphe §
sert aussi, en zoologie, à représenter le type nomenclatural. Le type nomenclatural ! Celui que j'avais étudié dans mon article sur la taxinomie et les collections des muséums ! Taxidermie et collections ornithologiques au XVIIIè et XIXè (3)
c) Le pied-de-mouche contemporain et le traitement de texte.
Désormais, le pied-de-mouche est tombé en désuétude dans l'édition, mais il n'est pas obsolète pour autant, car nos logiciels de traitement de texte les utilisent régulièrement pour frapper de leur sceau la fin d'un paragraphe, sans qu'ils soient imprimés. Et sur la barre d'outil de mon traitement de texte, je le trouve, le pied-de-mouche, tenant compagnie à la boussole, à la loupe et à la paire de jumelles : lorsque je clique, il fait apparaître ou disparaître à mon grée les caractères non imprimables : ses collègues pieds-de-mouche du texte, le point devant chaque mot indiquant que .pied .de .poule en trois mot différe de .pied-de-poule en un mot, la sinuosité rouge sous les fautes d'orthographe et autres symboles.