Lieu : tourbières de Tromel, Crozon.
Date : 13 septembre 2011.
Le cocon de l'Argiope fasciée Argiope bruennichi ( Scopoli, 1772).
Comme la belle saison est brève pour l'entomologiste amateur! L'été n'est pas fini que déjà les près et les bois sont désertés de leurs faunes facètieux, de leurs naïades ou de leurs elfes que sont colèoptères verts ou rouges, lestes papillons et vives libellules. De rares et fatigués fadets passent comme des ombres des joyeuses troupes qu'ils formaient en dansant dans le soleil de juillet. Voir un myrtil est un évenement, trouver une coccinelle est une aubaine.
Il scrute encore les inflorescences des carottes ou des eupatoires, le vain entomologiste en herbe. Il redouble d'attention, cherche si ses pas font sauter devant lui des gerbes de criquets, detourne les feuilles, bats les branches, observe les troncs, soulève les souches, il hante les lieux jadis si prodigues en découvertes, mais il ne collecte que ses souvenirs.
Va-t-il se résoudre à partir à la chasse aux champignons ? En voilà un justement, dans l'herbe, une vesse de loup, à moins que ce ne soit que quelque capsule sèche de coquelicot géant, quelque calice de silène enflè, mais bien singulier avec ces teintes de vieux papier jauni et son amarrage en filet resille :
C'est cette forme de mongolfière à l'envers qui, soudain, réveille en son esprit les brides d'une lecture ancienne :
"Comme forme, c'est un aérostat renversé, du volume à peu près d'un oeuf de pigeon. Le haut s'atténue en col de poire, se tronque et se couronne d'une marge dentelée, dont les angles se prolongent par des amarres fixant l'objet aux ramilles du voisinage. Le reste, gracieusement ovoïde, descend d'aplomb au milieu de quelques fils qui donnent de la stabilité.
Le sommet s'excave en un cratère clôturé de feutre soyeux. Partout ailleurs est l'enveloppe générale, formée d'un satin, blanc, épais, dense, difficile à rompre et non perméable à l'humide. De la soie brune, noire même, déposée en larges rubans, en fuseaux, en capricieux méridiens, orne dans le haut l'extérieur du ballon. Le rôle de ce tissu est évident : c'est un couvert hydrofuge que ne pourront traverser ni les rosées ni les pluies. "
Le texte des Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre est vite retrouvé :
http://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/epeire_fasciee.htm , et c'est pour y lire la description de la joie de ma découverte en cette période stérile :
"Dans la rude saison, lorsque l'insecte chôme en ses quartiers d'hiver, l'observateur met à profit la clémence des abris ensoleillés et gratte le sable, soulève les pierres, sonde les broussailles, et bien des fois il est remué d'une douce émotion devant tel ou tel ouvrage d'art ingénu, découvert à l'improviste. Heureux les simples à qui suffit l'ambition de pareilles trouvailles ! Je leur souhaite les joies qu'elles m'ont values et qu'elles continuent à me valoir en dépit des misères de la vie, toujours plus âpres à mesure que se descend la rapide pente des années.
S'ils fouillent les gramens dans les oseraies et les taillis, je leur souhaite le merveilleux objet que j'ai maintenant sous les yeux. C'est l'ouvrage d'une araignée, le nid de l'Épeire fasciée (Epeira fasciata Latr.)."
Certes, le nom scientifique de la constructrice du ballon a changé, mais c'est bien à un cocon d' Argiope frelon que j'ai affaire, un nid de soie papyracée suspendu dans les herbes habilement dréssées en une sorte de tipee autour de l'aéronef, qui protégera une population de deux à trois cents oeufs pendant l'hiver du gel et de l'eau.
Après la première mue et les premiers beaux jours, les petites araignées se hisseront au sommet d'une tige et laisseront se dévider au vent un long fil qui bientôt les emporteront coloniser d'autres prairies.
Une vue de l'ouverture supèrieure : on y devine le feutrage intèrieur qui protège les oeufs :
Que devient la mère ? J.H. Fabre écrit sans ambage : " Languissante et fanée, elle traîne quelques jours, enfin elle périt". Je regarde autour du nid que je viens de découvrir, et je la vois qui se tient à une herbe. Par curiositè, je la pose sur le cocon, et la voilà qui s'étend pour le protèger. Mon montage photographique n'est pas tout-à-fait naturel, mais voila le résultat :
A quelques mètres, un autre exemple :