Exposition temporaire du Musée de la Fraise à Plougastel : Coq ou Killog ? Détail fascinant du costume féminin.
Et nous appelons "coquettes" les poules qui se panardent devant le coq ; et métaphoriquement les femmes qui veulent être cajolées. Gilles Ménage, Dictionnaire, 1694.
Le diable est dans les détails. Proverbe.
Lorsque je suis rentré pour visiter le Musée de la Fraise de Plougastel, j'ignorais tout du Killog ; sinon, j'aurais remarqué, dans le dos de la Plougastéloise dont la silhouette m'accueillait à l'entrée, certain détail bien caractéristique, qui me saute aux yeux désormais : une sorte de petite queue, un pli d'étoffe légèrement coquin car attirant non seulement le regard mais stimulant aussi le désir de prise, et qui porte, dans la patrie des fraises, ce nom de killog qui signifie en breton "le coq" (sous la forme Kilhog dans le dictionnaire Gériadur). Les oiseaux, c'est bien connu, s'attrapent en leur versant du sel sur la queue ; mais les jeunes-personnes de Plougastel ? Je ne sais pas, mais si j'ai appris ici quelque chose, c'est qu'il faut les contourner avant de les aborder.
Sous la houlette d'Anne-Marie Le Gall, mémoire vive du costume local et organisatrice de l'exposition, je vais découvrir, par des panneaux, dans des vitrines, sur des mannequins, ou à travers des croquis relevé par René-Yves Creston, la raison d'être et toute la déclinaison selon les époques et selon les âges de cet accessoire du corselet .
Mais d'abord, quelques exemples :
Ici, le corselet bleu (le krapoz ) est passé par-dessus la camisole (saë-noz) vert-billard. A la taille, deux fronces de tissus sur chaque coté encadrent le galon qui borde un pli sagittal roidement campé au milieu, le fameux killog.
Là, le même killog montre son rôle allégué, qui est de retenir les rubans du tablier (tavenjer). La jupe (lostenn) gris-noir apparaît en dessous, montée sur des fronces ou rides très serrées et régulières de 10 cm, s'arrétant au niveau des hanches.
Traditionnellement, le corselet ( un justaucorps très échancré aux emmanchures et lacé par devant) est en "drap amazone", un drap cati, c'est-à-dire tondu et lustré qui présente au toucher un tissu bien clos, bien serré, d'un grain et bien fin imitant la peau, proche du casimir utilisé pour les pantalons et gilets.
Les rubans de soie à motifs floraux fabriqués à Lyon avait tant de succés auprès des Plougastelenn qu'ils finir par porter le nom de "ruban de Plougastel". Ces dames les achetaient lors des pardons, en même temps que des épingles, des coeurs à accrocher en pendentif et autre objet si tentant de ce que nous nommons pacotille.
D'autres galons venaient de Bohème.
C'est le moment de rappeller que notre terme de galanterie n'est pas étranger à celui de galon, et d'ailleurs, en tchéquie, c'est lui qui signifie "mercerie". Plus sérieusement, galanterie provient de l'ancien verbe galer, "dissiper (en plaisir)" venant lui-même de la forme franque wala, "bien" et du gallo-romain wallare, "se la couler douce". Bien que cela soit discutable (voir les définitions du Trésor de la langue Française), le terme galonner (attesté dès 1160) puis celui de galon ( 1379) pourraient dériver également du verbe galer, galoner qui signifie à l'origine "orner les cheveux avec des rubans, des fils d'or ou d'argent" correspondant alors un peu à "faire le galant" ou "bien s'amuser".
Inutile de confondre pour autant galon vert et vert galant.
D'après le dessin de René-Yves Creston (Femme de Plougastel, de dos, Musée d'Art et d'Histoire de St-Brieuc): le killog est bleu clair.
On l'aura compris : le killog est cette pièce brodée, rigidifiée par une âme de zinc puis plus tard de carton, encadrée de deux rabats ou godrons, qui pointe dans le dos de ces dames à la manière "d'une queue ou d'un croupion de coq" (sic). Son rôle est de soutenir les rubans du tablier ou tavenjer, mais il contribue aussi au parfait maintien du costume.
Cette utilité pratique ne peut guère cacher qu'il s'agit aussi, ou surtout, d'un élément de coquetterie. De même que cet accessoire, l'adjectif "coquet, coquette" est dérivé du mot "coq", par référence au comportement fier et fringant de cet animal toujours dressé sur ses ergots, et le terme français "coquet" qualifie dpuis 1643 le souci de plaire. Et les ruses les plus efficaces des coquettes sont celles qui sont les plus discrètes et qui semblent renier leur but ultime pour le rendre plus imparable.
On remarquera que le mot "coquet" attire vite à lui le mot "coquin", qui , sans en être un cousin étymologique, s'apparente volontiers dans son acceptation de "malicieux, espiègle", au domaine sémantique de la coquetterie.
Les dignes Plougastéloises jureront sans-doute que leur killog n'a rien à voir avec le "Suivez-moi-jeune-homme", ces deux pans de dentelle que les femmes du XIXe laissaient flotter derrière leur robe. Et Mr le Recteur n'aurait certes pas autorisé un colifichet aussi ostensiblement destiné à n'être qu'un accroche-coeur. Pourtant ce killog apparaît bien comme un "Attrape-moi-si-tu-peux" très efficace.
Cet accessoire de mode a d'ailleurs une autre essentielle fonction, que nos étiquettes et code-barres ont mal remplacé, celle d'une signalétique précise et rigoureuse pour afficher de nombreux renseignements :
- L'époque : au début, les corselets étaient plus grands, et les killogs également, puis leur taille a diminué. Mais alors que les couleurs vives du corselet laissaient place, après la Grande Guerre, au noir du costume de deuil, le ruban malicieux a compensé cette rigueur par d'avantage de couleur, de fantaisie et de vivacité.
- L'âge : ruban coloré (rose) pour les jeunes, il est brodé ton sur ton au fil bleu (foncé) ou noir après 50 ans.
- Le statut : en cas de deuil, une jeune-femme va recouvrir son killog d'un tissu noir, alors qu'une veuve plus âgée portera un killog brodé au fil noir.
Muni de ces codes, il nous reste à nous perdre avec délice dans le labyrinthe des couleurs et des étoffes :
On note ici l'apparition de perles :
Pour finir, voilà le killog qu'Anne-Marie Le Gall préfère : une broderie au fil noir sur l'étoffe noire. Ton sur ton, c'est le fin du fin, un raffinement du costume que personne ne voit mais dont la présence remplie sa propriétaire de fierté ; c'est celui des dames d'un certain âge.
C'est peut-être plus encore : lorsque le désir de plaire devient moins fort, la coquetterie devient une éthique, le tuteur d'une exigence personnelle, et le killog peut servir à maintenir sans concession une droiture, l'affichage d'un cap , et, quoique en carton ou en zinc, une "âme". Bref, il s'inscrit comme la cryptographie d'un slogan acquis dans l'enfance auprès des parents et transmis fidélement, en même temps qu'on "met les épingles" ou qu'on redresse un mauvais pli : quoiqu'il arrive, avoir de la tenue !
Merci à l'équipe du Musée de la Fraise pour son accueil. Non, le Killog n'est pas mort, et il chante ici, l'espace d'un été, un fameux et glorieux Cocorico.
J'ai trouvé des informations également dans Costumes de Bretagne, Yann Guesdon, Ed Palantines 2011, pp. 166-174. Mais toutes les erreurs sont de moi.