Chapelle Saint Guenolé à Plougastel:
sainte Gwenn aux trois mamelles.
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Cet article fait suite à : Vierges allaitantes V : Saint-Venec à Briec : sainte Gwen Trois-mamelles et ses fils.
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I. Présentation.
Le vaste territoire de la paroisse de Plougastel et ses 157 villages est divisé selon une double partition, celle des 6 Kordennad, et celle des 23 Breuriez, confréries des défunts du Moyen-Âge héritières des "tud" claniques celtes.
Parmi les six kordennad(ou) (du breton "corde"), la chapelle de St-Guénolé n'appartient ni à celle de Saint-Jean, ni à celle d'Illien, qui a Ste Christine, ni celle Douar-Bihan avec la chapelle de St-Claude, ni celle de Feunteun-Wenn et sa chapelle éponyme, ni encore malgré sa proximité celle de Larmor, qui est celle des pêcheurs de Porsmeur, de l'Auberlac'h ou du Caro, autour de la chapelle St-Adrien. Non, St-Guénolé est la chapelle du kordennad de Rozegat, qui a son port, le Tinduff, et une deuxième chapelle, celle du Trémeur.
Chaque chapelle, jadis desservie par un Kure (vicaire) spécifique, organise son propre pardon, celui de St-Guénolé ayant lieu le premier dimanche de mai.
Un passage au Musée du Patrimoine et de la Fraise de Plougastel permet de visualiser cela sur une carte, et sur un beau diorama :
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St Guénolé est au premier plan sur la gauche.
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Musée du Patrimoine et de la Fraise.
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Dans la partition des 23 Breuriez, St-Guénolé s'inscrit dans celui de Rozegat, et c'est donc avec les habitants de Pennaneac'h-Rozegat, de Keralkun, de Keramenez, de Skivieg, de Kereven, de Kergarvan, Keralgui, Traonliors, Kerlaurans et Runavel qu'à la Toussaint, on respectera lors du rituel du breuriez la tradition de bara an anaon ou pain des trépassés en partageant le pain bénit, et celle du gwezen an anaon ou arbre des trépassés en vendant celui-ci aux enchères pour faire dire des messes à l'intention des défunts.
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La chapelle est située à l'aisselle de l'Anse de l'Auberlac'h face à la chapelle St-Adrien ; deux ruisseaux l'encadrent, dotés chacun de leur lavoir et débouchant l'un au lieu-dit Pennaster ("bout de la rivière) et l'autre vers Penn an Neac'h (penn -extrémité et nec'h ou krec'h colline : extrémité de la colline) Rozegad. Ces toponymes ne sont pas indifférents puisque d'après le Cartulaire de Landevennec, (IX-XIe siècle), c'est un homme riche du nom d'Eucat (que l'on retrouve dans le nom Rozegat, le tertre ou la colline d'Eucat) qui, au VIIe ou au IXe siècle, fit don de la partie de ses terres nommée Lan Eluri à l'Abbaye de Landevennec pour s'assurer le repos éternel. Un lieu de culte y fut édifié et dédié au saint patron de l'abbaye, saint Guénolé. Le premier élément de datation de l'édifice actuel est une poutre de la nef, portant le chiffre de 1514 ; cette nef du XVe siècle a été complétée au XVIIe siècle par un clocher, un transept et un choeur, comme en témoigne une inscription sur le pignon est portant les mots : M :I : LE GALL P . I: CARIOV : 1706 reprenant des patronymes répandus sur la presqu'île de Plougastel. (Il est à noter que sur un calvaire de St-Claude portant la date de 1706 on trouve gravé M: LE GAL VIKERE ; et on rapporte que Corentin Le Gall fut prieur-recteur de 1710 à 1718. Le M . précédent un patronyme est s régulièrement réservé au recteur, avec le sens de "Messire").
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Le calvaire en kersanton porte à sa base l'inscription 1654 : L : ARGAL. Faut-il y voir Ar Gall, forme bretonnante de Le Gall ? Ce patronyme, qui représente avec les Kervella une foret partie de la population de Plougastel, désigne l'étranger, le Français, celui qui vient du pays gallo. Par contre, le patronyme Gall vient de l' irlandais signifiant "bravoure".
Les statues géminées qui encadrent le Christ en croix montrent, coté ouest, saint Guénolé en tenue d'Abbé et saint Pierre tenat sa clef et un livre; une erreur a sans-doute été commise au remontage de ces statues, puisqu'en toute logique c'est la Vierge et saint Jean qui encadrent le Christ. Au pied de la Croix, deux anges "hématophores" au sourire lutin recueillent le Précieux Sang dans un calice.
Au centre, coté est, de l'autre coté de la croix à branches rondes et fleurons godronnés, on trouve la Vierge à l'Enfant.
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II. Le transept, bras nord.
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Depuis que j'ai découvert à la chapelle Saint-Venec de Briec la statue de sainte Gwenn Teir Bronn (aux trois mamelles), ma curiosité principale va vers le retable du bras nord du transept, où m'attend, à coté d'une statue de saint Louis, un nouvel exemple iconographique de polymastie.
Retable de saint Louis, bois polychrome, XVIIe siècle.
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Pour accentuer mon impatience, je commence par découvrir le volet "gauche" de ce retable du XVIIe : on y voit un personnage féminin non identifié, à la longue chevelure brune cerclé par une couronne de perles, le cou également orné d'un collier de perles, et vêtu d'une longue robe or à revers rouge, recouverte d'une tunique blanche, d'un justaucorps à pointe, rouge rehaussé d'or, et d'un manteau bleu. Et s'il s'agissait de la Vierge ? Elle repose, comme sainte Gwenn, sur un socle au dessus d'une gracieuse tête d'angelot.
A coté, saint Louis (statue d'1,30 m) porte la couronne royale bien-sûr, le camail d'hermine, le sceptre, le collier ressemblant à celui de l'ordre de Saint-Michel ( "fait de coquilles lassées l'une à l'autre d'un double las") mais celui-ci ne fut créé que par Louis XI. Ce collier aux coquilles de Saint-Jacques dorées porte une croix de Malte et se rapporterait plutôt à l''Ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
Il tient dans la main droite, par l'intermédiaire d'une sorte de sudarium frappé d'hermines,, la Couronne d'Epine qu'il avait racheté en août 1238 pour 40 000 livres tournoi après que le dernier empereur latin de Constantinople l'ait mise en gage auprès d'un banquier vénitien pour garantir ses emprunts. Il l'installa dans la Sainte Chapelle en 1248.
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Voici donc sainte Gwenn, ou Gwendoline, la mère des deux jumeaux nés Outre-Manche, Guethenoc et Jacut, et de saint Guénolé nè en Bretagne armoricaine et pour lequel Dieu la pourvut généreusement d'un troisième sein, d'où son nom breton de Santez Gwenn he teir vammen. Mais ici, contrairement à la chapelle de Saint-Venec en Briec, la statue est de petite taille (0,60m), et les trois enfants voraces ne permettent pas de compter les tétons et de vérifier si le compte est bon...
Je renvois à mon article sur sainte Gwenn de St-Venec pour les explications complémentaires ; une chapelle Sainte Guen lui est dédiée à Saint-Tugdual, Morbihan.
La présence de cette statue est parfaitement logique pour honorer la mère de saint Guénolé, Mamm sant Gwenolé.
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Ce n'est que sur un panneau du Musée de la Fraise que je finis par trouver la confirmation de ce qui semblait évident : "A St-Guénolé on venait prier sainte Gwenn pour l'abondance du lait des nourrices". C'est par contre à Notre-Dame de La Fontaine-Blanche que l'on vient demander la fécondité.
Dans l'angle de ce transept, on trouve aussi une statue en bois de saint Pierre bénissant, coiffé de la tiare et portant, comme de bien-entendu, sa clef.
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III. Le transept, bras sud
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La niche de saint Caradec ; XVIIe.
Cette niche n'est pas symétrique de celle de saint Louis, mais présente une statue en ronde bosse au centre, celle de saint Caradec, entourée de deux bas-reliefs représentant à gauche saint Goulven et à droite saint Gouesnou. Les trois saints bretons sont représentés de façon stéréotypée en saint-évêque avec mitre, crosse, cape et geste de bénédiction, sans attribut caractéristique. Il existe trois différents saints Caradec, dont l'un, passeur débauché de l'abbaye de St-Jacut, voit son âme sauvé par saint Jacut et saint Guéthénoc, qui ne sont autres que nos deux jumeaux téteurs de leur mère Gwenn.
Au dessous, on lit les inscriptions correspondantes :
- 1658 Sainct GOVLVEN.
- Sainct CARADEC
- Sainct GOVENO
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Les armoiries :
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La niche de saint Caradec est surmontée de ces armoiries, que le livre consacré au Patrimoine Religieux de la commune décrit comme , Mi-parti au premier De gueules au chef d'azur chargé d'une Croix de Malte de gueules au second d'azur au chevron de gueules accompagné de trois roses d'argent ???
Entourée du collier de l'Ordre de Saint-Michel, l'écu correspondant à la partie gauche me paraît correspondre aux armoiries de la famille de Gouzabat , qui portent écartelé d'argent et d'azur, le premier quartier chargé d'une croix ancrée de gueules, surchargée de cinq coquilles d'argent et dont la devise est "uniment". Ces seigneurs de Kerverny ( Kervern?) sur la paroisse de Plougastel étaient aussi seigneurs de Kerropartz au Tréhou, de Penalan à Plourin. Ils étaient aussi seigneurs de Chef-de-Ville et De l'Estang. Ils se présentent aux réformations de 1446 à 1534, par. de Tréhou.
Le Nobiliaire de Courcy précise : "Henry, vivant en 1446, épouse Jeanne Guimarc'h".
Au début du XVIe siècle, cette famille s'allie à la puissante famille Du Chastel (mariage Jean Gouzabatz, écuyer et Françoise Du Chastel).
L'autre moitié de l'écu pourrait se lire actuellement d'azur au chevron d'or accompagné en chef de deux roses d'or, et en pointe de ?
Il s'agirait, pour résoudre l'énigme, de trouver le personnage commun à ces deux familles, et concerné par l'Ordre de Saint-Michel : je n'ai pas trouvé la solution.
En février 2018, Jean-Luc Deuffic me communique la solution : " il s'agit de Guillaume de Gousabatz marié à Françoise Le Mercier de Beaurepos (armes: De gueules (alias d’azur) au chevron d’argent accompagné en chef de 2 quintefeuilles (ou roses) de même et en pointe d’une cloche d’or bataillée de sable) ."
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Dans l'angle du transept se trouve encore une autre statue de saint-évêque, dont on ignore le nom.
IV. Le choeur.
Rappellons que ce choeur, avec son chevet plat a été édifié au XVIIe siècle et que la date de 1706 du pignon doit correspondre à ces travaux.
Le grand retable du maître-autel serait attribué à Yann Cevaer (?, Loperec-1717, Pleyben), à qui on doit les retables de Loperec (retable du Rosaire, après 1693), Pleyben ( retable du Rosaire, 1698), Saint-Sébastien en Saint-Segal (retable du maître-autel). Il a été démonté en 1898 par les habitants pour être stocké dans des hangars ouverts jusqu'en 1905, puis restauré en 1993 ( par Jean-Luc de La Bernadie, de Brest pour les boiseries, et par André Miossec, du Passage à Plougastel pour les peintures et dorures) mais ce remontage ne fut que partiel et la partie haute (trinité, angelots, guirlandes) attend en lieu sûr une décision à venir .
Les deux statues les plus latérales sont celles de saint Augustin et de saint Laurent, alors que celles du centre mesurant respectivement 1,70 et 1,60 m représentent saint Guénolé à gauche et saint Thomas à droite.
Saint Guénolé est le saint patron des oculistes après avoir rendu la vue à sa soeur Clervie; plus précisément il lui rendit ses yeux, qu'une oie avait gobés.
C'est aussi le patron des épouses des marins pécheurs : déjà tout un programme, mais on vient aussi le solliciter lorsque la pluie menace les récoltes : c'est dire que par ici, le pauvre homme ne prend pas beaucoup de repos .
D'autant que d'autres trouvent le moyen de le déranger aussi contre les névralgies et les maux de tête.
Bref, il a bien mérité sa place la place d'honneur dans le retable de sa chapelle.
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Saint Augustin est représenté avec une longue et large barbe noire ; il présente son coeur d'une main et tient son livre de l'autre ; la présence de ce dernier est facile à comprendre tant les Confessions de l'évêque d'Hippone sont célèbres. Mais le coeur ?
Il est sans-doute là pour rappeller combien saint Augustin a su écrire sur le thème de l'Amour tout en regrettant de l'avoir fait. Car il écrit bien, le sévère ascète :
Nondum amabam sed amare amabam, et amans amare quod amarem qoerebam.
"je n'aimais pas encore mais j'aimais à aimer, et aimant à aimer je cherchais un objet à aimer" dit-il pour décrire son adolescence;
C'est aussi Augustin l'auteur de la sentence suivante :
Semel ergo breve praeceptum tibi praecipitur, Dilige, et quod vis fac ( Ep. Johannis ad parthos, livre VII, 8 (PL 35, 2033) :
" Dieu vous donne une règle bien brève : "Aime, et fais ce qui te plais." "
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Saint Laurent en habit de diacre tient le grill de son martyre.
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On pensait que ces panneaux sculptés en bas reliefs représentaient le Christ et la Vierge, mais la restauration révèle qu'il pourrait s'agir du profil de deux donateurs :
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V. La Nef (XVIe).
C'est la partie la plus ancienne de la chapelle, dont le chevet se situait jadis, dans un plan rectangulaire simple, à la jonction actuelle avec le transept. Sombre avec ses petites fenêtres (dont deux en oculus) et ses deux portes basses encadrées de Kersanton, elle est rythmée par ses poutres, dont deux à engoulants (la troisième, qui porte la date 1514, est à l'abri en un autre lieu). L'une des poutres est une poutre de gloire.
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Statue en bois de saint François, XVIe siècle.
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On remarque la corde à trois "nœuds de capucin" représentant la Sainte Trinité et qui caractérise les "cordeliers"; les stigmates ; et le N rétrograde de la graphie St FRANCOIS.
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Statue en bois de sainte Claire ( XVIe siècle):
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La présence dans cette chapelle de Claire d'Assise (1194-1253), disciple de St François et fondatrice de l'Ordre des Clarisses, en face de celle de St François témoigne de l'emprise de l'ordre des Franciscains dans ce sanctuaire fondé par les moines de Landevennec, qui, eux, ont adopté depuis 818 la régle de Saint Benoît.
Revenons sur les Cordeliers : cette appellation qui désigne les Franciscains de France date de la septième Croisade menée entre 1244 et 1254 par saint Louis, lequel aurait admiré le zèle au combat contre les Sarrasins de ces moines à la robe de bure brune, au capuchon arrondi, qui étaient "de corde liès" et dont l'Ordre venait d'être créé en 1210.
On comprend qu'il existe une relation entre les deux statues de ces ordres mendiants et celle de saint Louis dans le retable nord. Au début du XIVe siècle, cinq couvents de Cordeliers existaient en Bretagne ; l'un se situait sur l'Île Vierge à l'Aberwrac'h, l'autre à Quimper auquel appartint Jean Discalceat, le Santig Du qui lutta tant contre la peste. Une épidémie de peste a-t-elle suscité ce culte ?
Sainte Claire est classiquement représentée en habit de bure avec la corde à trois noeuds, tenant un lys (chez les peintres de Sienne ou d'Ombrie), l'ostensoir avec lequel elle repoussa les Sarrasins sur les remparts d'Assise, une lampe à huile ou une lanterne (c'est la patronne des aveugles...et des brodeuses qui s'usent les yeux au travail). Ici, elle tient un livre, et de la main gauche l'amorce d'une croix mutilée qui témoigne du véritable amour qu'elle porta pour le crucifix. Un voile recouvre sa tête, rappelant qu'elle renonça à sa chevelure et que saint François lui-même lui coupa les cheveux.
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La Poutre de Gloire.
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C'est une oeuvre du XVIIe, belle mais sans surprise...si on excepte le N rétrograde du titulus. Plus exactement, le Christ daterait du XVIe et les deux autres statues du XVIIe.
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L'ex-voto.
J'aurais aimé en apprendre d'avantage sur cette maquette de navire en grand pavois, dont on sait qu'elle a "été réalisée par un marin à son retour de Chine, sain et sauf, au début du (XXe) siècle". Il pourrait s'agir d'un membre du Corps expéditionnaire de Chine envoyé pour faire face à la guerre des Boxers, lequel Corps termina sa mission en 1901. Les navires qui y participèrent, comme le croiseur d'Entrecasteaux lancé en 1896, ne ressemblaient bien-sûr pas à cette lourde goelette armée de dix canons.
Je m'interroge aussi sur la présence des deux éléments à franges qui pendent à l'avant.
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Merci à l'Association des Amis du Breuriez de Rozegat, qui assure l'ouverture de la chapelle les dimanches d'août.
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