Enquête sur le nom de la plante Belladonna (Atropa belladonna L.1753) et Belle-Dame.
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"Etymonline est un ouvre-boîte, un labyrinthe imaginaire avec de vrais minotaures à l'intérieur, mon roman jamais écrit, fragmenté en mots et disposé selon l'ordre alphabétique." (Douglas Harper)
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D'où vient le nom botanique latin belladonna ? Et notre nom Belladone ?
Jusqu'à présent, j'avais cru les nombreux auteurs qui affirmaient que ce nom venait de l'italien bella donna, "Belle-Dame", nom donné à la Renaissance parce que les Italiennes utilisaient un collyre de Belladone pour élargir leurs pupilles, ou une pommade pour embellir leur visage. J'avais d'autant plus de raison de le croire que le nom vernaculaire du papillon Vanessa cardui, la "Belle-Dame" (1762) provient de l'anglais The Painted-Lady ("La femme maquillée") attribué par Petiver en 1699 par traduction d'un nom latin plus ancien bella donna.
Or je constate aujourd'hui que cette étymologie n'est pas fondée. Le nom fut d'abord mentionné par Pierre André Matthioli en 1566, puis créé comme nom botanique par Charles de l'Escluse (Clusius) en 1583, mais l'explication de ce nom n'apparait qu'un siècle plus tard, rapportée, pour interpréter ce nom, par les botanistes anglais du XVIIe siècle (et J. Parkinson 1640 et J. Ray 1660). Ce sont ces derniers qui ont publié une étymologie orale et populaire plus ancienne, en la justifiant médicalement par un effet supposé de pâleur du visage, critère d'élégance féminine. C'est John Ray qui, le premier, constata l'effet de dilatation pupillaire de la plante, ce qui exclut que les Italiennes se soit servies de cette plante comme mydriatique au XV ou XVIe siècle.
Il est toujours pénible de déconstruire les mythes.
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I. L'ÉTYMOLOGIE TRADITIONNELLE ENCORE VIVANTE.
A. Le Littré 1880.
Dictionnaire de la Langue Française d'Émile Littré 1880 :
"— belladone (bèl-la-do-n') s. f. Plante vénéneuse de la famille des solanées, dont le nom spécifique est la belladone commune. ÉTYMOLOGIE Belladonna, de bella, belle, et donna, dame, les Italiens s'en servant pour faire du fard. "
B. Wikipédia 2015.
La plupart des auteurs d'encyclopédies ou d'ouvrages botaniques, homéopathiques (Hanhnemann a créé le remède Belladonna en 1799) ou généraux mentionnent l'étymologie du nom belladonna comme liée à la coquetterie des femmes italiennes, mais aucun ne cite ses sources. Il suffit de consulter (20 février 2015) l'encyclopédie Wikipédia pour trouver :
— Wikipédia (en) : « The name "belladonna" comes from the Italian language, meaning "beautiful lady"; originating either from its usage as cosmetic for the face or, more probably, from its usage to increase the pupil size in women. »
— Wikipédia (Fr.) : « Poison mortel, la belladone fut aussi utilisée pour parfaire la beauté des femmes de la Renaissance. Les Italiennes élégantes appliquaient sur leurs yeux une pommade à base de belladone qui avait pour effet de dilater leurs pupilles et de leur donner de profonds yeux noirs. D'où l'expression belladonne, c'est-à-dire « belle femme » en italien. La dilatation de la pupille est l'une des manifestations de l'excitation sexuelle et de l'admiration désirante [citation nécessaire]. La belladone faisait aussi légèrement loucher, ce qui, à l'époque, était caractéristique de la beauté (cf. l'expression « avoir une coquetterie dans l'œil »). »
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II. L'ÉTYMOLOGIE SELON LES LEXICOGRAPHES.
A. Wiktionary.
http://en.wiktionary.org/wiki/belladonna
"From Italian bella donna (literally “beautiful lady”), altered by folk etymology from Medieval Latin bladona (“nightshade”), from Gaulish *blātōnā, blātunā, from Proto-Celtic *blātus (“flower”), from Proto-Indo-European*bʰḷh₃tus, from *bʰleh₃- (“blossom, flower”). The folk etymology was motivated by the cosmetic use of nightshade for dilating the eyes."
-Traduction : "De l'italien bella donna (littéralement " belle dame " ), modifié par l'étymologie populaire du latin médiéval bladona ( " morelle " ), du gaulois * blātōnā , blātunā , du Proto-celtique * blātus ( " fleur " ), du proto-indo- européenne * bʰḷh₃tus , de * bʰleh₃- ( " fleur, fleur " ). L'étymologie populaire a été motivée par l'utilisation cosmétique de la Belladone pour dilater les yeux."
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B. Online Etymology Dictionary (© 2001-2014 Douglas Harper)
— belladonna (n.) 1590s, "deadly nightshade" (Atropa belladonna), from Italian, literally "fair lady;" the plant so called supposedly because women made cosmetic eye-drops from its juice (an 18c. explanation; atropic acid, found in the plant, has a well-known property of dilating the pupils) or because it was used to poison beautiful women. Perhaps a folk etymology alteration; Gamillscheg suggests ultimately of Gaulish origin.
— Traduction : belladone (n.) 1590, "belladone" ( Atropa belladonna ), de l'italien, littéralement «belle dame»; la plante dite supposément parce que les femmes ont fait collyres cosmétiques de son jus (une explication 18c;. l'acide atropique, a trouvé dans la plante, a la propriété bien connue de dilater les pupilles) ou parce qu'il a été utilisé pour empoisonner les jolies femmes. Peut-être une étymologie populaire altèrée; Gamillscheg suggère finalement une origine gauloise.
— Commentaire : La notice de Douglas Harper (un auteur qu'il faut saluer) est excellente. Ernst Gammilscheg (1887-1971) est un linguiste et romaniste de l'université de Tübingen auteur d'un Dictionnaire étymologique de la langue française , deux volumes, Heidelberg 1926-1929 (2e, édition révisée de 1966 à 1969), ce qui indique que la compréhension approfondie du terme est assez récente.
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C. Dictionnaire Historique de la langue française Robert, 1992.
"BELLADONE n. f. est la francisation de belladonna (1602), emprunt à l’italien belladonna, attesté en botanique chez Mattioli (1500-1577) et peut- être de même origine que le latin médiéval bladonna (VIIIe-XIe s.), adapté en moyen français sous la forme bladone (XVe s) . Belladonna serait peut-être l’adaptation d’un mot gaulois venant des dialectes alpins qui maintiennent le groupe -bl-, et passé dans les dialectes du Nord qui l’évitent et ont créé la forme beladona ; celle-ci a été adaptée en belladonna « belle dame » (de bella, féminin de bello, correspondant à beau, et donna, correspondant à dame) peut-être en raison du fard que les Italiens en tiraient. Le mot désigne une espèce de plante de la famille des solanées, aussi appelée belle dame, dont toutes les parties contiennent un poison violent."
Cet article énonce clairement ce qui va être présenté par le CNRTL avec les abréviations, mais avec toutes les sources et précisions nécessaires.
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D. Trésor de la Langue Française CNRTL.
http://www.cnrtl.fr/definition/belladone
« Prononc. et Orth. : [bεl(l)adɔn]. Passy 1914 et Warn. 1968 transcrivent le mot par [ll] géminées (cf. aussi Land. 1834,Fél. 1851, Littré et DG). Barbeau-Rodhe 1930 et Pt Lar. 1968 transcrivent [l] simple. Pt Rob. donne d'une part la possibilité de prononcer [l] et [e] fermé d'autre part de prononcer [ll] et [ε] ouvert à la 1re syll. Ac. 1798 enregistre bella-dona ou belle-dame; Ac. 1835 bella-dona ou plus ordinairement balladone; Ac. 1878 et 1932 belladone en soulignant : ,,on la nomme aussi belle-dame``. Cf. aussi Besch. 1845 qui donne parallèlement belladone, belladona ou belle-dame; Lar. 20e note s.v. belladone : ,,on l'appelle aussi belle-dame, morelle furieuse``; Rob. note s.v. belladone : ,,appelée vulgairement belle-dame``. Le reste des dict. emploie la vedette belladone (Lar. 19e et Nouv. Lar. ill. signalent : ,,on écrit aussi belladone``) et c'est s.v. belle-dame (terme d'entomol.) que la majorité d'entre eux ajoute : nom vulgaire de la belladone et de l'arroche des jardins. Étymol. et Hist. I. xves. bladone bot. « molène » (Le Grant Herbier, n°475, Camus dans Gdf. Compl. : Tapsus barbatus, tapse barbé ... Aucuns l'appellent queue de leu; l'en l'appelle flosmon et bladone). II. 1602 belladonna « espèce de solanée vénéneuse » (A. Colin, Hist. des drogues, trad. de l'Escluse, 540 [Lyon] dans Quem. : L'autre espèce de Nicotiane à [sic] les feuilles un peu plus petites, ressemblant fort au Solane, qu'on appelle communement Belladonna). I adaptation du lat. médiév. bladon(n)a, bot. « Verbascum Thapsus L.; molène commune » peut-être l'orig. gaul. (Gamillscheg dans Z. rom. Philol., t. 40, p. 136), la forme bladonna est attestée aux VIIIe-XIe s. (Glossae latino theodiscae, III, 105, 1, ibid., 1501, 2). II empr. à l'ital. belladonna (Kohlm, p. 32) attesté comme terme de bot. dep. av. 1577 (P. Mattioli [1500-1577] 2, 1131 dans Batt.), peut-être de même orig. que I, c.-à-d. adaptation du gaul. (Devoto; Migl.-Duro; Devoto-Oli) passé des dial. alpins qui maintiennent le groupe bl-, dans les dial. du Nord qui l'évitent et ont ainsi créé la forme *beladona adaptée par voie pop. en toscan en bella donna, littéralement « belle dame » peut-être en raison de l'espèce de fard que les Ital. en tiraient autrefois [La forme belladone ne se trouve pas dans la 1re éd. du Dict. des drogues simples,1698 (3e éd. 1733) de Nicolas Lemery comme l'indique le Lar. Lang. Fr., cf. Tolmer (ds Fr. mod., t. 14, p. 295) qui relève dans l'ouvrage de Lemery la forme belladona et non belladone; cf. aussi Trév. 1752, s.v. belle-dame, v. ce mot]."
Bibliographie :
− Arveiller (R.). Sur l'orig. de qq. mots fr. R. Ling. rom. 1964, t. 28, pp. 308-313. [Arveiller (Raymond.) Sur l'origine de quelques mots français . in Revue de linguistique romane / 1964
− Colonna (P.). Au jardin des plantes. Vie Lang. 1952, p. 372.
− Hope 1971, p. 356.
− Quem. 2es. t. 1 1970, p. 7 [Cr. Arveiller (R.). R. Ling. rom.1971, t. 35, p. 215].
− Quillet Méd. 1965."
La référence compléte de Gammillscheg est GAMMILSCHEG (Ernst), 1920, "belle-dame", "Französische Etymologien", Zeitschrift für romanische Philologie, t.40 p. 135-136; elle est consultable sur gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15890c/f145.image.langEN
III. RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE ET ICONOGRAPHIQUE DE LA BELLA DONNA DANS LES PREMIÈRES FLORES.
A) Une synthèse universitaire par Daunay et Laterrot 2007-2008
a) DAUNAY (Marie-Christine) LATERROT ( Henri), 2008, "Iconography and History of Solanaceae: Antiquity to the 17th Century" Horticultural Reviews, Volume 34,
http://www.hort.purdue.edu/newcrop/pdfs/c01.pdf
b) DAUNAY (Marie-Christine) LATERROT ( Henri) JANICK (Jules) , 2007,,"Iconography of the Solanaceae from Antiquity to the XVIIth Century: a Rich Source of Information on Genetic Diversity and Uses", VIth International Solanaceae Conference Eds.: D.M. Spooner et al. Acta Hort. 745, ISHS 2007
http://hort.purdue.edu/newcrop/actahort745.pdf
Traduction au péril de mon incompétence (on vérifiera la source) :
"L' espèce très toxique Atropa belladonna est souvent désignés comme '' la belladone ''. C' est une plante vivace, un arbuste herbacée qui est une source riche d'alcaloïdes. Les racines, les feuilles et les graines sont toxiques pour les humains.
1°) Premieres descriptions.
"— Théophraste décrit une plante nommée Morion qui aurait pu être Atropa belladonna, et la question a longtemps été débattue entre les herboristes plus tard. Selon Heiser (1969), la description de l'apparence et le comportement des ménades (les préposés de de nymphes) des orgies dionysiaques suggère que la belladone a été mélangée dans le vin lors des Bacchanales.
— La première image trouvée de Belladone est le folio 237 du précieux manuscrit Horae ad Usum Romanum, également connu comme Grandes Heures d'Anne de Bretagne (MSS Res. 9474 latine), daté de ca. 1503-1508.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52500984v/f482.item
Bien que la licence artistique produise des calices rougeâtres (et non vert) et seulement de globuleux fruits mûrs verts et plat (au lieu de fruits noirs mûrs caractéristique globulaires), la branche peinte est facilement reconnu comme la belladone (nommé Barsines dans le vieux français de l'époque) avec ses feuilles entières, ses fleurs rougeâtres en forme de cloche, et le grand calice étoilé encadrant le fruit."
Belladonna in Horae ad Usum Romanum (Grandes Heures d’Anne de Bretagne), folio 237, 1503–1508. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52500984v/f482.item
"— Une image plus botaniquement exacte est celle du Codex Vienne 11 121 de Fuchs, daté de 1536-1541 dans le folio 535, qui affiche une plante nommée Mandragora Morion Dollkraut avec une grande feuille à la base avec, presque entre les nœuds, des fleurs en forme de cloche solitaires et rougeâtres, et de nombreux fruits verts ou noirs attachés à de longs pédoncules et encadrés par un grand calice. La gravure sur bois de Fuchs 1543 (folio 395), nommé Dollkraut, est la même mais en sens inverse et sans grande feuille (Fig. 1.4). Elle a été utilisée par Dodoens (1553), à nouveau inversée.
— Des plantes du même type sont présentes dans l' Herbier (Herbal) de Oellinger (1553, folio 346) avec le nom de Solanum somniferum et léthale et dans Il Teatro della Natura d'Aldrovandi (seconde moitié du 16ème siècle, vol. 5-2, folio 195) avec plusieurs noms, y compris Mandragora Theo, Solatron léthale, et Solanum manicum.
— Dodoens (1553, 1557) répète l'image 1543 de Fuchs (inversée), Lonicer (1587) affiche un dessin très brut et Matthioli (1579) illustre une plante assez raide portant les caractéristiques de la belladone. Cette gravure sur bois a été utilisé à nouveau par Bauhin (éd. 1707). Lobel (1576b), Clusius (1601), Dodoens (1608), Gérard (1633), et Parkinson (1640) ont utilisé une autre gravure sur bois [cf. Parkinson infra] affichant les caractéristiques des fleurs et des fruits avec leur grand calice en forme d'étoile."
2°). Les noms.
"Les noms identifiant les dessins de la belladone aux 16ème et 17ème siècles sont extrêmement divers. Ils comprennent Solanum léthale, S. hypnoticon, S. soporiferum, S. furiosum, Solatrum mortale, Solatrum léthale, Mandragoras Theophrasti, Morion (latin); Seukraut, Dollwurtz, Dollkraut, Schlafbeeren (haut allemand); Groote nascaye, Dulcruyd, Dulle Besien, Schlaaffkraut, Dollkraut (bas allemand); Dwale, deadly nightshade , Greate Morelle (anglais); Solanum dormitif, Solanu mortel, Morelle marine (français); Acarreadora de sueno, Yerva mora maire (espagnol); et Belladona Italorum, Solatro marino (italien). L'origine du mot belladone, maintenant utilisé comme épithète, est controversée. Une explication intéressante était la croyance que le jus, lorsqu'il est utilisé sous forme de gouttes placées dans les yeux des dames, a provoqué l'élargissement de la pupille, leur donnant un regard rêveur et hypnotique pensé pour être très attrayant pour les hommes. Le nom générique moderne, Atropa, se réfère au sort grecque Atropos qui a coupé le fil de la vie. En nommant la plante Atropa belladonna, Linnaeus capturé l'essentiel de la plante."
3°) utilisations.
"Fuchs (1543) met en garde sur la nature toxique de la plante. Selon Dodoens (1557), les feuilles et les fruits de la plante sont froids à la quatrième année et ont été utilisés en applications externes contre toute forme d'inflammation. Mais il contre-indique l'usage par voie interne, parce qu'il induisait le sommeil profond, la rage (colère), et même la mort, et Dodoens met en garde contre le fait de la planter dans n' importe quel jardin étant donné ses fruits attractifs (en particulier aux enfants) et ses effets dangereux. Les utilisations de la belladone dans la sorcellerie ne sont pas évoqués dans les Flores médicales de la Renaissance, mais selon Hansen (1978), cette espèce entrait dans le cadre des préparations des sorcières. L'hyoscyamine, le principal alcaloïde présent dans la plante, avec quelques autres, comme l'hyoscine, l'atropine, et la belladonnine, sont responsables des propriétés pharmaceutique et psychotropes de la plante (Evans, 1979). "
4°) Conclusion.
"Les images de Belladonna se trouvent dans les Flores médicinales beaucoup plus tard que celles de la mandragore et jusquiame, et cela peut éventuellement s'expliquer par la confusion avec d'autres solanacées induisant le sommeil. Cet effet vraiment malveillant de la Solanacées est particulièrement dangereux pour les enfants en raison de ses fruits noirs et doux brillantes attrayants, qui sont mortels. Belladonna est également fatale à de nombreux animaux domestiques et le bétail, bien que les lapins, les oiseaux et les cerfs ne semblent pas être affectés. L'atropine est encore utilisée par les ophtalmologues pour dilater les yeux et est utilisée comme un antidote dans les intoxications aux organo-phosphorés et aux carbamates."
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B. Ma propre enquête : origine du nom et de l'étymologie populaire de la Belladone.
La plupart des auteurs mentionnent l'étymologie du nom belladona comme liée à la coquetterie des femmes italiennes, mais aucun ne cite ses sources.Je les ai donc recherché. En résumé, Matthioli en 1566 puis Clusius en 1583 citent ce nom en usage en Italie pour désigner leur Solanum maius ou Solanum lethale, mais il faut attendre J. Parkinson en 1640 pour rapporter ce nom à un usage esthétique, non pas comme mydriatique, mais comme vasoconstricteur pour conférer aux dames la paleur de teint qui était alors recherchée.
a) Fausse piste ? : la Blandone du Grant Herbier.
Le Trésor de la Langue Française me renvoie à la consultation du Grant Herbier (1486-1488), dans lequel je finis par trouver le paragraphe De Tapso Barbato ou Tapse barbé :
Tapsus barbatus taple barbe cest une herbe commune qui a les feuilles velues et porte une branche longue dont on fait ung brandon ardent quant on l'engrasse. Aulcuns l'appellent queue de louv. On l'appelle flosmon et blandone et argimon. Elle est froide et seiche et en est de deux manières la masle et femelle. La femelle est plus grant et a plus grant feuilles et aussi est la meilleure. Chaudiement fait de vin ou ceste herbe ara cuit vault contre les emorroides. A ce vault aussi a essuyer fondement de ces feuilles quant on lesuve hors. Petit baing fait en l'eaue ou elle a esté cuite valt contre esprainson et flux de ventre.
La pouldre de ces feuilles mise sus chancres il vault moult. Pour chasser les poissons d'ung lieu soient ses feuilles mises dedens l'eaue et pour l'amertume il s'en suiront. Celle qui a petites feuilles il vault aussi. Contre les petis et menus vers du ventre soient fais petis torteaux de farine avec les feuilles du petit tapse barbe et soient donnés a mengier.
Comme on le constate, on ne trouve ici aucune description d'effets mydriatiques et d'aucun usage esthétique ou cosmétique de cette Blandone. Normal, la plante qui est décrite ici est le Bouillon-Blanc ou Molène, et elle n'intervient ici que parce que son nom, passé en Italie et déformé de Bladone en Beladone puis appliqué à une Solanacée, va favoriser le développement de l'étymologie populaire.
En France, cette Solanacée est alors connue sous le nom de Barsin ou Barsines (bien que la seule mention de ce nom soit celle des Grandes Heures d'Anne de Bretagne, à ma connaissance), et/ ?/puis sous le nom de Morelle (de maurella, de Maure, "noir"), mais en 1602 est mentionnée la belladonna « espèce de solanée vénéneuse » (A. Colin, Hist. des drogues, trad. de l'Escluse, 540 [Lyon].
L'introduction du nom belladonna a été attribué au botaniste italien Petrus Andreas Matthioli (1500-1570) mais c'est dit-on le botaniste flamand Charles de l'Escluse, Carolus Clusius (1526-1609 qui l'utilisa le premier en nom de genre (?).
b) 1566 et 1572 : Matthiolus, Commentaires : Le Grand Solanum ou Herba Bella donna.
Pierandrea Mattioli, 1566 Commentarius : Ces Commentaires seront traduit en français en 1572 par Antoine du Pinet. Les commentaires sur les six livres des Simples de Pedacius Dioscoride Anazarbeen :
Chap. 69 page 401 : "Solanum quintum, sive Solatrum maius : François, Solatrum dormitif commun ; Italiens, Herba bella Donna.Le grand Solanum (ou Solatrum) pousse dans les montagnes, a les feuilles plus grandes que la morelle, ...de ces fleurs sortent des perles ...lesquelles sont encloses en petits boutons, qui sont détaillés à mode d'étoile. Ces perles deviennent noires à leur maturité,prenant la grosseur d'un grain de raisin & ayant leur peau de dessus luisante. Elles sont remplies d'un jus vineux, ensemble de force petite graine. Sa racine est longue, grosse, blanchâtre, et succulente.[...] Appliquée au dehors, elle est bonne aux érysipèles, et feu Sainct-Antoine. Ses feuilles broyées résolvent les apostumes chaudes de yeux & paupière, et apaisent la douleur."
On voit qu'aucun usage cosmétique n'est connu alors.
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c) Carolus Clusius 1583 et 1601 : Solanum lethale ou (vulgus) Bella donna.
—Caroli Clusii ... Rariorum aliquot stirpium, per Pannoniam, Austriam page 503
— Carolus Clusius Plantarum Historia 1601 page 85-86
"Solani porro genu illud quod lethale vocant, & Theophrasti Mandragoras esse, a quibusdam non inepté forté censetur, apud vulgus Italorum Bella donna nomen obtinuit apud Germanos Dollwurtz & Dollkraut, apud Belgas grootenascape & Dulce besien : multis Pannoniae & Austriae silvolsis montibus sponte provenit : nusqueam vero frequentius unquam videre memini, quam in silva illa Zollonok III. Dn de Batthyan urbi vicina, rumulo quodam, qui ab urbe circiter germanicum miliare abest. "
Nota bene : Charles de l'Escluse avait traduit, avec une révision, en 1557 en français sous le titre Histoire des plantes le Cruydeboeck en flamand de son ami et collègue Rempert Dodoens paru en 1554. Dans cet ouvrage, paru avant celui de Matthioli, la notice sur Solanum lethale cite les noms en haut et bas allemand, le nom français Solanum mortel, mais ne comporte pas le nom italien Bella donna. Voir L'Histoire des plantes, Rembert Dodoens traduit par Charles de l'Escluse, de l'Imprimerie de Iean Loë, 1557 - 584 pages, Chap. XC Lib. 3 page 303 . Voir aussi le chapitre 87 du Cruyseboeck :folio 478 et folio 479 :
http://caliban.mpiz-koeln.mpg.de/dodoens_3/high/00471.jpg
http://caliban.mpiz-koeln.mpg.de/dodoens_3/high/00472.jpg
...et la transcription du texte de Dodoens:
http://leesmaar.nl/cruijdeboeck/deel3/capitel087.htm
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Figue. 1.5. Belladonna, Aldrovandi, Il Teatro della Natura, vol. 5-2, folio 195, 16ème siècle (de moitié 2d). Source: www.filosofia.unibo.it/aldrovandi. Copyright: Bologne, Bibliothèque de l'Université
Bella donna, Clusius page LXXXij https://archive.org/stream/mobot31753000810538#page/lxxxvi/mode/2up
d) Rempert Dodoens, 1583, Stirpium historiae pemptades sex.
Chapitre XXVIII De solano lethale : "...Italis ac Venetis Bella dona."
https://books.google.fr/books?id=YaJDAAAAcAAJ&pg=PA456&lpg=PA456&dq=%22solanum+lethale%22+%22+historiae+pemptades+sex%22&source=bl&ots=QGiJBOe3Qq&sig=poCXjIoN3u_Jw3DmZCMhHKMKMCw&hl=fr&sa=X&ei=ylbsVKH_Epbjaoy5gYAM&ved=0CCEQ6AEwAA#v=onepage&q=%22solanum%20lethale%22%20%22%20historiae%20pemptades%20sex%22&f=false
e) John Gérard 1597 Herball, Or General Historie of Plants.
The Herball est une traduction-adaptation en anglais du Stirpium historiae pemptades sex de Rempert Dodoens (1583) par John Gerard (1545-1612). Les 1800 (ou 2100) gravures sur bois sont prises dans leur majorité (à l'exception de 16 d'entre elles) du Eicones plantarum (1590) de Jacob Theodorus Tabernaemontanus.
Chap. 51 page 259 . Of Sleepy Nightshade Solanum Lethale Dwale, or deadly Nightshade.
http://caliban.mpipz.mpg.de/gerarde/gerarde_herball.pdf
"The names
"It is called of Dioscorides, [illegible]: of Theophrastus, [illegible]: of the Latins, Solanum somniferum, or sleeping Nightshade; and Solanum lethale, or deadly Nightshade; and Solanum manicum, raging Nightshade; of some Apollinaris minor ulticana (?) and Herba Opsago: in English, Dwale, or sleeping Nightshade: the Venetians and Italians call it Bella donna: the Germans, Dollwurtz: the low Dutch Dulle besien: in French, Morellemorselle: it commeth very near until Theophrastus his Mandragoras (which differeth from Dioscorides his Mandragoras)
"the virtues
"This kind of Nightshade causeth sleep, troubleth the mind, bringeth madness if a few of the berries be inwardly taken, but if more be given the also kill and bring present death. Theophrastus in his sixth book doth likewise write of Mandrake in this manner; Mandrake causeth sleep, and it aslo much of it be taken it bringeth death.
"The green leaves of deadly Nightshade may be with great advice be used in such cases as Pettimorell: but if you will follow my cousil, deal not with the same in any case, and banish it from your gardens and the use of it also, being a plant so furious and deadly: for it bringeth such as have eaten thereof into a dead sleep wherein many have died, as hath been often seen and proved by experience both in England and elsewhere. But to give you an example hereof it shall not be amiss: it came to pass that three boys of Wisbich in the Isle of Ely did eat of the pleasant and beautiful fruit hereof, two whereof died in less than eight hours after that they had eaten of them. The third child had a quantity of honey and water mixed together given him to drink, causing him to vomit often: God bless this means and the child recovered. Banish therefore these pernicious plants out of your gardens, and all places near to your houses, where children or women with child to resort, which do oftentimes long and lust after things most vile and filthy; and much more after a berry of a bright shining black colour, and of such great beauty, as it were able to allure any such to eat thereof.
"The leaves hereof laid until the temples cause sleep, especially if they be imbibed or moistened in wine vinegar. It easeth the intolerable pains of the head-ache proceeding of heat in furious agues, causing rest being applied as aforesaid. "
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e) Caspar Bauhin, 1623, Pinax Theatri botanici.
IV Solanum μελανοκερασυς [melanoceratus]
-Solanum hortense nigrum, Trag.
-Mandragora Theoph. Dod. Gal. Ang. Guiland. Morion. Fuch. Ico. Lon. Tertia species, Cord. In Dioscor.
-Solanum majus, Marth. Cast. Caef . Cam.
-Solanum somniferum Fuch. Tur. Ad. Lob. Lugd.
-Solanum lethale, Dod. Clus.hist.
-Solanum sylvatica Ges.hor.syl.sive lethale, Thal.
-Belladona Clus.pan.
Duum est generum : I. foliis amplioribus & flore majore. II. Foliis & floribus minoribus.
f) 1640 : John Parkinson, Theatrum : Solanum lethale : Dwale or Deadly Nightshade. "Italiens called Bella Donna"
Theatrum Botanicum: The Theater of Plants : Or, An Herball of Large Extent .Chap. 6 Tribe 3 page 348.
"Dames use the juice or distilled water thereof for a fucus, peradventure by the excessive cold quality, to take away their high colour, and make them loke paler." Cet auteur cite ces prédecesseurs : Matthiolus : Solanum majus ; Ceasalpinus : id ; Camerarius : Tragus Solanum hortense nigrum ; Fuchsius, Lobel ; Lugdunensis, Solanum somniferum ; Dodoens ; Clusius : Solanum lethale /Thalius ; Gessner Solanum sylvaticum
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Parkinson, Teatrum Botanicum 6;3 page 346 http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=ucm.5325114272;view=1up;seq=396
g) John Ray 1660 Catalogus plantarum circa Cantabrigiam nascentium
— page 157 Solanum lethale, Deadly Nightshade, Bella donna.
Solanum lethale Park. Ger. Dod. Clus. hist. Bacciferum IV, sive melanocerasos C.B. Bella Donna Clus. Pan italorum. Solanum manicum multis, sive Bella Donna J. B. Solan. Maniacum primum Dioscoridis & mandragora Theophrasti Ifo Bodae. In Theophr. Hist. Deadly Nighshade or Dwale. In the lanes about Fulborn plentifully. N. Né Haec quidem lethalis planta cochlearum terrestrium & limacum dentes fugit ; sed vere novo hujus etiam folia ab eisdem rotuntut. De animalcullis hisce obiter monere liceat, quod eorum singula de utroque sexu aeque participan & sunt androgyna : Vicissim enim agunt & ptiuntur, immittunt simul & recipiunt, ut cuilibet satis constabit qui vere coeuntes separaverit ; esti nec Aristoteles nec alii, quod scimus, rei naturalis Scriptores ejus rei meminerint. Hujus baccae esu mortiferae sunt. Vide Lob. In Adv. Bod. In Theophr. Hist. Lib. 6 cap.2 p. 586. Gerardum & alios.
— Page 43 : Italis & Venetis dicitur vel per Antiphrasin, quoniam baccae ejus minimé pulchrae sunt : vel potius quia ex ejus succo sive aquâ destillatâ sucum conficiunt foeminae quo faciem oblinunt, ex rubicunda pallidam efficiunt frigoris vehementiâ.
Traduction ou trahison ? :" Il est dit par les Vénitiens et des Italiens , que ses baies minimales sont belles, ou plutôt à cause de son jus ou de l'eau pour faire le jus distillée dont les femmes font (usage) pour faire pâlir leur visage taché de rouge sous l'effet de vent froid. "
h) John Ray 1686 Historia plantarum
Chap. XXIII page 679 : Venetis aliisque Italis dicitur, quia ex ejus succo vel aqua destillata fucum, conficiunt mulieres quo faciem oblinunt,& ex rubicunda pallidam efficiunt frigoris vehementiâ.
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Page 680, Ray rapporte une observation où, appliquant la feuille de la plante près de l'œil pour soigner un ulcère chancreux, il observa une remarquable relaxation de la pupille. Nobilis Domina mihi nota ulcusculo cuidam paulo infra oculum, dextrumne an sinistrum oblitus sura, nec multum refert, quod cancrosum esse suspicabatur, folii recentis particulam imposuit ; quae noctis unius spatio uveam oculi tunicam adeo relaxavit, ut omnem explicandi sese & pupillam contrahendi facultatem ei adimeret : siquidem pupilla clarissimo lumini onbversa vehementer dilatat perstitit, socio & pari suo plus quadruplo amplior ; donec amoto folio uvea musculosam vim suam & tonum paulatim recuperaret.
Ce n'est qu'après que Ray ait signalé cet effet de dilatation de la pupille provioqué par la plante que Reimarus, Grasmeyer, Himly et d'autres l'utilisèrent en préparation de l'opération de la cataracte. (Chaumeton, Flore médicale p. 12)
i) Nicolas Lémery, [1698] et 1716, Dictionnaire ou Traité des drogues simples.
Page 75 :" Les Italiens ont donné le nom de belladonna à cette plante, à cause que les Dames s'en servent, ou s'en servaient autrefaois pour l'embellisement de la peau : car belladonna signifie belle Dame."
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j) Carl Linné, 1753 Species Plantarum
Page 181 Création du genre Atropa et de l'espèce Atropa Bella donna (sic, une seule majuscule et deux mots). Linné donne en référence a) ses propres Hort. cliff et Hort. ups. b) John Ray, lugd. c) Caspar Bauhin Pinax, pour le nom Solanum melanocerasus d) Clusius pour le nom Solanum lethale.
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k) A. Richard in Bory de Saint-Vincent 1822 Dictionnaire classique d'histoire naturelle, Volume 2
page 275 "Le nom de Belladone, Bella dona , que porte cette plante, lui vient de l'usage où l'on était autrefois, en Italie, de préparer avec ses fruits une sorte de fard dont les femmes se servaient pour rehausser l'éclat de leur teint".
Les propos de Parkinson et de Ray se déforment ici, et on passe de l'idée de provoquer par le remède la pâleur des Dames à celle de "rehausser l'éclat du teint". Mais nul mention n'est fait encore des yeux dilatés des Vénitiennes.
Par contre, l'auteur décrit désormais parfaitement l'effet atropinique (le terme n'existe pas) de la belladone : sur la pupille :
"L'un des effets les plus constants produits par cette substance , c'est la dilatation considérable de la pupille, dont l'ouverture reste fixe et immobile. Cette singulière propriété n'a pas manqué d'attirer l'attention des médecins qui ont eu la mettre à profit pour faciliter l'exécution de certaines opérations qui se pratiquent sur le globe de l'œil, en particulier la cataracte. Un cataplasme est arrosé avec la solution d'extrait de belladone, ou des compresses imbibées de cette solution, placées sur l'œil, peu de temps avant l'opération, déterminent la dilatation de la pupille et facilitent ainsi l'introduction des instruments destinés à abaisser ou à extraire le cristallin cataracté."
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C. Apparition du nom "Belle-dame" en botanique.
a) Cotgrave's dictionary : 1611
"belle-dame : Great Nightshade ; or ; a kind or Dwale, or sleeping Nightshade"
b) Antoine Oudin 1655 Recherches Italiennes Et Françoises Ou Dictionnaire Volume 2
page 59 : "Belle dame, plante, bella donna."
D. Un papillon nommé Bella donna, puis Painted-Lady, puis Belle-Dame.
Cette espèce est illustrée depuis la fin du XVIe siècle par Joris Hoefnagel, sans mention de nom, mais dans le cadre de Vanités ou d'Allégories de la fraglité de la beauté, la beauté du papillon aile étalées étant mis en parallèle avec celles de fleurs (roses, tulipes) placées dans un vaes.
— Première mention :James Petiver 1699; Musei petiveriani. n° 326 "The Painted-Lady Bella donna dicta" Cette précision "dite Bella donna" indique que Petiver a repris un nom pré-éxisatnt qu'il a adapté en anglais. Mais il n'a pas été possible de trouver trace de cet usage d'une appelation latine antérieure de cette espèce. Elle porte le nom scientifique de Vanessa cardui.
— John Ray et John Lister, 1710, Historia insectorum page 422
— Etienne-Louis Geoffroy, 1762, Histoire des insectes : création du nom français La Belle-Dame".