Ma visite de la Grande Singerie de Chantilly. Deuxième partie.
Voir :
La Grande Singerie de Chantilly. La Grande Songerie ? Première partie.
Retour au château de Chantilly, dans l' antichambre, située dans les Grands appartements, entre la Galerie des Batailles et le cabinet de travail du prince de Condé, où je poursuis ma visite de la Grande Singerie : suivez le guide !
IV. La porte à double vantail du fond : le singe géographe et le singe sculpteur.
situation : entre le panneau du "Magot chinois" et celui de "l'Idole chinoise".
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Image Mélanie Demarié
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Description.
Comme les deux autres portes, celle-ci comporte deux vantaux, chacun orné d'un panneau supérieur, d'un petit panneau intermédiaire et d'un panneau inférieur. Le vantail de droite s'inscrit sous le thème de la Géographie, le vantail .gauche sous celui de la Sculpture, et la porte est ainsi dédié aux Arts et aux Sciences. Par allusion spéculaire aux passe-temps du duc de Bourbon à Chantilly, lorsqu'il n'y chasse pas à courre.
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a) Le vantail de droite : le singe géographe.
Ce singe studieux est assis sur une mappemonde. Il porte une veste jaune moutarde à revers noirs, et sa queue, qui s'échappe derrière lui, tout comme les poils blancs de sa gueule et de ses favoris, pourraient aider un simiologue à en déterminer le genre, si ce n'est l'espèce. Accroché à sa ceinture par une chaînette, un étui lui sert à ranger son matériel de travail, mais je ne le décrire plus précisément qu'en parlant d'une sorte de pince, et d'une sorte de couteau. Christophe Huet n'oublie pas de le ridiculiser par un chapeau chinois ou mongol en fourrure d'où s'échappent, comme les flammes du Stromboli, deux plumes rouge et orangé.
Notre homologue primate a déroulé devant lui une carte tendue entre deux baguettes, et y mesure une distance à l'aide d'un compas à pointe sèche. Quelqu'un parvient-il à lire le nom inscrit dans sa partie haute ?
— FLAN... peut-être Flandre ? Ce serait une carte de l'Europe de l'Ouest ?
— On reconnaît aussi un cartouche rond tenu par des Allégories.
— Comme il serait amusant de s'approcher et de chercher avec une loupe d'autres indices !
— Mais ne trouverions-nous pas des indices dans la Bibliothèque du château, par lequel nous sommes passés ce matin ? Attendez-moi, j'y cours.
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— Cela vaut ce que cela vaut, mais j'ai trouvé ceci : un parchemin du XVIe siècle, Cote Ms 701, .dans sa reliure ancienne de maroquin vert, aux armes de Bourbon-Condé : Description des côtes de Flandre et de Zélande, par Jean Roche , dédicacé au " très magnanime et très crestien roy Henry deuxième de ce nom, Jehan Roche, dict le petit boiteux.... ». Mais ce n'est là qu'un des 17 titres ...tenez celui-ci , en maroquin rouge du XVIe : Abrégé de géographie des quatre parties du monde, par N. Clément .
Le singe géographe : inspiré par Joris Hoefnagel ?
L'enlumineur Joris Hoefnagel avait peint en 1591-1594 sur le Livre de modèles calligraphiques écrit par Georg Bocskay divers singes, dont , sur le folio 76, deux singes manipulant des instruments de géographie; Bien-sûr, ce précieux manuscrit restant dans les collections privées n'était pas accessible au peintre français, mais l'influence peut avoir cheminé par d'autres voies.
L'image est de mauvaise qualité et en noir et blanc, car elle est photographiée sur le livre de Théa Vignau-Willberg (Vignau-Schuurman), Die Emblematischen Element im Werke Joris Hoefnagel provenant de sa thèse soutenue en 1969 à Leyden.
Joris Hoefnagel, ( Frankfurt, 1591-1594) Georg Bocskay, 1571-1573, Schriftmusterbuch, folio 76, Kunsthistorisches Museum, Wien, KK.975
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Joris Hoefnagel, ( Frankfurt, 1591-1594) Georg Bocskay, 1571-1573, Schriftmusterbuch, folio 76, Kunsthistorisches Museum, Wien, KK.975
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Joris Hoefnagel, ( Frankfurt, 1591-1594) Georg Bocskay, 1571-1573, Schriftmusterbuch, folio 76, Kunsthistorisches Museum, Wien, KK.975
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Dans la partie haute du panneau, le peintre a suspendu un rapporteur, une équerre, une règle graduée, un compas d'épaisseur, un fil à plomb. Les outils d'un géomètre, d'un maçon ou architecte plutôt que ceux d'un géographe.
— A la bibliothèque, je n'ai compté que 4 ouvrages traitant des Arts mathématiques.
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— Voyons la partie basse du panneau. Quel est cet objet doré ?
— Un cadran solaire, avec son style triangulaire central projetant son ombre. Une fois de plus, il faudrait revenir avec un expert en gnomonique, et pouvoir scruter la peinture à la loupe.
— El les lorgnons ! Avec quel humour ils sont accrochés à des traits graphiques purement décoratifs, sans aucune réalité concrète !
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Le panneau inférieur.
Il représente un hommage au cabinet de physique du duc de Bourbon.Un peu de lecture :
Germain Bapst , Histoire d'un cabinet minéralogique, Revue des Deux Mondes, tome 110, 1892
"Le duc de Bourbon, premier ministre de Louis XV, après la mort du régent, avait fait, dans les opérations de Law, une fortune colossale. Disgracié et exilé dans son château, en 1726, à l’arrivée au pouvoir de son successeur, le cardinal Fleury, il se livra à l’étude de l’histoire naturelle et s’occupa à réunir une collection des plus complètes.
A peine est-il retiré à Chantilly, où il vit dans la plus grande opulence, qu’il recrute des correspondants dans toutes les parties du monde : tantôt il prie le supérieur des Récollets du Canada de lui envoyer les types des oiseaux les plus bizarres de l’Amérique du Nord ; une autre fois, il donne mission à un capitaine de vaisseau de la compagnie des Indes de lui rapporter tout ce que l’on peut acheter de coquillages dans les Indes occidentales. D’autres missionnaires, jésuites, lazaristes ou franciscains et des diplomates même, sont sans cesse chargés de lui procurer des pièces pour sa collection ; à Paris, enfin, il achète à des marchands, ou se fait céder par des amateurs, des séries d’objets déjà toutes constituées [1]. Aussi, lorsqu’il meurt, en 1740, le cabinet de Chantilly existe-t-il déjà, et son fils et héritier, le futur généralissime de l’armée émigrée, appelle pour le diriger un savant français du nom de Valmont de Bomare .
La minéralogie était de beaucoup la partie la plus importante de ce cabinet. [...trouva place dans ] ..la première des quatre salles de la galerie d’histoire naturelle qui existaient au moment de la Révolution.
La première était le cabinet de physique ; on y pénétrait par une galerie célèbre dans l’histoire du château, nommée galerie « des Conquêtes » ou des « Actions de M. le Prince , » parce que les victoires du grand Condé y étaient représentées en douze grands tableaux. [...].
En entrant par la galerie « des Conquêtes » dans ce cabinet de physique, qui était à l’un des angles du château, on trouvait à gauche et en face des fenêtres qui éclairaient la pièce, des séries d’armoires ou vitrines murales renfermant des instruments de physique.
Entre les croisées, il y avait d’autres vitrines et, dans le fond, au milieu du panneau, on voyait le fameux meuble minéralogique, ayant, devant lui, au centre, divers objets de dimension assez grande tels qu’un planétaire, des télescopes, une balance romaine, etc."
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On trouve ici représenté un télescope, une sphère céleste , dite sphère armillaire, et un buste de femme, dont le seul indice d'identification est un croissant dans les cheveux, évoquant Diane.
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Le panneau intermédiaire.
.Je vous le présente maintenant , car il est en rapport avec le cabinet d'histoire naturelle du duc, qui vient juste après le cabinet de physique. je reprends ma lecture :
"Par un passage étroit, dont les murs étaient entièrement couverts de panoplies, d’armes et de vêtemens de sauvages, on pénétrait dans trois autres pièces consacrées au cabinet d’histoire naturelle proprement dit. Elles étaient, comme la première, garnies tout autour d’armoires et de gradins au centre. Dans les armoires se trouvaient des bocaux, des oiseaux et des animaux empaillés, et sur les gradins, des coquillages et d’autres objets qui n’avaient rien à redouter des injures de l’air ni de la poussière. Au plafond et au-dessus des portes étaient accrochés des crocodiles empaillés, des lézards, des cornes de cerfs et de rennes, des fanons de baleines, des noix de coco et d’autres objets analogues, qui aujourd’hui nous paraîtraient d’une ornementation un peu bizarre."
Certes, les éléments les plus faciles à identifier, ce sont les dix grelots dorés suspendus par de grands anneaux à une ficelle —un ruban si vous voulez— aux supports fictifs. Par les sons cristallins qu'on imagine tinter au moindre souffle, ils confèrent une légèreté de bon aloi, légèreté à laquelle participent aussi les plumes jaunes ou rouge et bleu qui hérissent en joyeuse crinière les formes chimériques dorées, mi-feuillage, mi-concrétion marine.
— Cela me rappelle ces vers de Voltaire dans La Pucelle, chapitre III
Voici le temps de l'aimable Régence,
Temps fortuné, marqué par la Licence,
Où la Folie, agitant son grelot,
D'un pied léger parcourt toute la France,
Où nul mortel ne daigne être dévot,
Où l'on fait tout, excepté pénitence.
— Oui, Huet met des grelots partout, c'est presque sa marque de fabrique.
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Mais au centre, nous trouvons un flacon de verre serti sur un support doré, et, si nous y prêtons attention, nous découvrons à l'intérieur un orthoptère (plus vraisemblablement qu'une libellule). Les longues antennes le classent parmi les sauterelles. Peut-être Tettigonia viridissima.
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Les autres formes sombres de la boite entomologique sont donc d'autres insectes.
— Dites, c'est passionnant, car le cabinet d'histoire naturelle de Chantilly était de tout premier ordre !
Dezallier d'Argenville l'a décrit en 1742 , je devrais vous trouver ça sur mon portable...Voilà, écoutez :
" Le Cabinet de M. le Duc de Bourbon , qui se voit à Chantilly proche Senlis , à dix lieues de Paris, réunit toutes les parties de l'Histoire Naturelle dans deux pièces de suite, placées à l'entrée du petit Château. La première de forme longue toute entourée d'armoires, offre une grande quantité de Bocaux étiquetés aux armes du Prince. Cette pièce consacrée au régne Minéral, outre les Bols, les Sels, les Souphres, les Bitumes, les fossiles, et les Pierres figurées qui s'y voient en abondance, expose les Pierres précieuses parmi lesquelles se remarque une Améthiste renfermant une bulle d'air qui suit la direction qu'on lui donne , & quantité de Dendrittes . La suite des Métaux, et des Minéraux de France et d' étranger , est des plus complètes, on y voit plusieurs végétations chymiques en or ou en argent. Les tiroirs qui occupent le bas des armoires, sont remplis de quantité de Pétrifications , de Congellations , de Cristallisations , de Marbres , Icthyopetres , Ardoizes arboriées d'Allemagne, de Suisse et de saint Chaumont. La deuxième pièce qui est plus grande & de forme quarrée, renferme le règne Végétal de l'Animal. Des armoires pareilles à celles de la première pièce , contiennent des Bocaux remplis de fruits , de feuilles d'arbres, de plantes terrestres et marines de l'Europe & des Païs étrangers , des bois differens , des plumes de diverses parties Animales, Le Plafond est orné de grands Poissons de Reptiles & d'Amphybies. On trouve dans les tiroirs d'en bas les Eponges, les Coraux , les Plantes marines , ou les Coquillages compris dans quatorze tiroirs , partagés en compartimens revêtus de Taffetas verd , où chaque pièce est encastrée avec beaucoup d'art. On a pratiqué dans la croisée en face de la cheminée des gradins garnis de Phioles, dont l'arrangement est de bon goût. Les vitres de cette croisée sont peintes en jaune, pour faire un fond agréable à toutes ces belles choses : y on y voit des Serpens , des Oyseaux, des Reptiles , des Madrépores, de très belles Roches , d'Amethiste et de Calcédoine Orientales Dans une petite antichambre à côté, est une armoire en vernis rouge , remplie de tiroirs, où sont arrangés sous des verres et dans des tubes, différens insectes rares & curieux."
L'armoire en vernis rouge ! Ses tiroirs ! Ses verres et ses tubes ! Ses insectes rares et curieux ! Ils m'apparaissent !
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b) Le vantail de gauche : le singe sculpteur.
— Ah, je vous réserve une surprise ! Mais regardons le panneau supérieur : un singe portant bésicles, tablier jaune sur robe blanche...et amarante, un foulard à franges sur les épaules, un bonnet où se dresse l'inévitable et ridicule plumet, s'affaire devant un bloc de marbre. Il a posé maillet, marteau à tête triangulaire, ciseaux, pointerolle, et il vérifie au fil à plomb la verticalité du bloc qu'il a dégrossi. Il a dessiné l'épure des contours d'une statue de femme grecque à l'aide d'une pierre noire ou d'un crayon de maçon. Le modèle qu'il reproduit est placé au dessus de lui, c'est, à l'antique, une femme à la toilette, tentant de dissimuler sa poitrine et de ramener le pan de sa robe tandis qu'elle se sauve.
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— je fais circuler une copie de la planche gravée du Peintre sculpteur de Huet .
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— Et la surprise ?
Je suis sûr que vous n'avez rien remarqué de particulier, mais approchez-vous, en prenant garde au mobilier. Voyez, sur le bloc de marbre, on peut lire une date. Non ?
— Si ! 1757 ?
— Nicole Garnier, lors de sa préparation en 1994 du catalogue des peintures du XVIIIe, s'est aidée de la lumière ultra-violette (lampe de Wood) et elle a lu : 1737. Or, auparavant, cette Grande Singerie était attribuée à Watteau, notamment par le duc d'Aumale et par Goncourt, mais Watteaui est décédé en 1721. Cela l'excluait donc, de même que les autres candidats comme Jean Berain, célèbre comme son père dans les arabesques mais décédé en 1726.
— Et Claude Autran III, qui avait eu Watteau comme élève ? C'est le maître du genre des arabesques et des grotesques ! C'est lui qui a peint les plafonds de l'hôtel de Flesselles et de l'hôtel de Mme de Verrue. Sans compter celui récemment découvert à Paris, rue de Condé !
— C'était un candidat de choix, mais il est décédé en 1734.
— Et Claude Gillot ?
— Il était mort depuis 1722 !
Aussi cette date a permis d'attribuer sans ambages la Grande Singerie à Christophe Huet. Remarquez que le boudoir de la Petite Singerie porte elle aussi un indice permettant de l'attribuer à Huet : sous le jeu d'arc surmonté des armes de Condé , on lit PRIX RAMPORTE 1735. C'est cohérent, car Huet travaillait en 1734-1735 pour la famille de Condé.
— Et au château où nous nous trouvons, nous sommes passé dans la chambre du prince de Condé où nous avons vu cinq tableaux animaliers de Christophe Huet, où celui-ci s'est inspiré des animaux de la ménagerie de Chantilly !
— Certes, mais ces cinq tableaux ont été peints en 1735 pour Mademoiselle de Clermont, Marie-Anne de Bourbon-Condé, la sœur du prince, pour son hôtel parisien du Petit-Luxembourg.
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Panneau intermédiaire.
Il ne manque pas de charme et d'ironie non plus, puisqu'il représente deux oiseaux posés sur des dentelles dorées autour d'un miroir : celui-de droite s'y mire, s'y découvre déformé et grossi, et gonfle ses plumes comme s'il était en face d' un mâle concurrent.
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Panneau intermédiaire, Porte du fond, Grande Singerie, château de Chantilly, photographie lavieb-aile.
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Panneau inférieur.
Parmi les rinceaux et guirlandes, les mousselines vaporeuses et les couronnes, les lignes d'arabesques en volutes et en formes géométriques, les coiffes de plumes faisant l'éventail, les faveurs de velours et les rubans noués, un premier miroir est suspendu à un abat-jour, puis un miroir à main est lié à une canne et à un autre objet que je n'identifie pas.
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V. L'Idole chinoise, d'après la déesse Ki Mâo Sao de Watteau. L'Europe. L'Odorat.
— Que voyez-vous ?
— Une dame sous une tonnelle, accoudée à un banc de jardin, parmi les fleurs. Des pêchers ou cerisiers comme au Japon, mais où se remarquent des gousses comme des pois-de-senteur.
— Ah "senteur", je te crois, car un peu plus haut, les fleurs par brassées (pivoine ? roses?) sont si épanouies qu'elles doivent embaumer. La dame doit être enivrée.
— Et elle tient une ombrelle...
— Non, ce n'est pas une ombrelle, mais un jeu d'enfant, un moulin à vent en papier ! Je t'assure !
— Et dans l'autre main ? Prêtes-moi les jumelles...ah c'est trop drôle, c'est une sorte de marotte à quatre faces qui doivent tourner au vent et faire sonner les petits grelots qui y sont attachés : drelin drelin, drelin drelin...Et le plumet bleu doit s'agiter avec des frou frou... C'est délicieux !
— C'est la reine des zéphyrs et des effluves...
— Regardez sa coiffure : une plume noire, légère, légère, mais l'axe qui déploie la dentelle de gaze rouge ou transparente se termine par un petit bras où quatre perles sont pendues. Si on ajoute les deux perles noires en goutte d'eau de ses oreilles, lorsqu'elle tourne la tête, ses Non Non Non doivent être accompagnées d'une cascade de clochettes !
— Bleu, bleu pâle, blanc jaune, rose, les couleurs de sa robe, de sa veste sans manche et de sa ceintures sont un rappel adouci de celles du propriétaire de Chantilly.
— Les deux singes sont prosternés et font monter vers elle les fumées de leur brûle-parfum. Où le peintre a-t-il été chercher cela ?
— Il s’agit probablement d’un pastiche de la scène d’adoration de la déesse Ki Mao Sao peinte par Watteau pour un plafond du château de la Muette (détruit) et gravée par Aubert , Paris 1731 sous le titre "Idole de la déesse Ki Mâo Sao dans le royaume de Ming au pays de Laos ".
— Montrez la reproduction que vous avez amené. Ah, mais Huet surpasse de beaucoup Watteau par sa fantaisie !
https://fr.pinterest.com/pin/463941199092758701/
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Au dessus d'elle, quatre instruments sont suspendus : une mandoline, un tambourin sans peau, une corne en S comme un serpent, et le triangle où sont enfilés des anneaux de métal. De chaque coté, encore deux parasols à 12 grelots. Plus haut encore, des brûle-parfums.
Ô plaisirs des sens, ô polyphonie des sens jusqu'à l'ivresse ! Emmenez-moi à Chantilly sous Louis XV !
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VI. L'Alchimiste. [L'Ottoman]. La Vue.
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Rapprochez-vous. Faites attention à l'écran de cheminée. Tout le monde voit ?
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Emprunt sur la toile de cette photo : Copyright François Pitrou-Charlie
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J'attendais d'être arrivé à ce panneau pour préciser que cette antichambre était destinée à accueillir les collections de porcelaine chinoise et autres objets extrême-orientaux du prince de Condé. Celles que vous avez admiré dans la salle des porcelaines du Musée Condé.
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Animé par le souci d' éviter les importations coûteuses, le duc avait décidé, pour occuper son exil à Chantilly, de rechercher le secret de la porcelaine de Chine et du Japon. Pour cela, il fit venir un chimiste nommé Cicaire Cirou, et créa une manufacture de porcelaine tendre à Chantilly entre 1725 et 1735 (cette porcelaine ne contient pas de kaolin, argile blanche dont les gisements en France ne seront découverts que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à Limoges). Le duc de Bourbon possédait une collection de porcelaines japonaises décorées à l'émail selon les techniques découvertes par Sakaida Kaikemon et poursuivies par sa famille. Il en fit alors copier les décors , il fait construire illico une manufacture de porcelaine et, parallèlement, il crée pour son usage personnel une manufacture de laques et une manufacture d’indiennes, si proches des originaux qu’on ne peut les distinguer, selon les contemporains.
Jean-Antoine Fraisse, responsable de la manufacture d’indiennes, copie donc en 1735 les motifs "kakiemon" des porcelaines et les dessins des indiennes de la collection du duc de Bourbon, et les reproduit en taille-douce, procédé de gravure en creux sur métal, dans son Livre de Desseins chinois. Nous sommes seulement deux ans avant la décoration de la Grande Singerie .
— Ce Livre de Desseins est-il dans la Bibliothèque de Chantilly ?
— Bien-sûr, c'est l'un des trois exemplaires enluminés à la main. La Bnf en possède un autre. Je vous ai amené une planche, folio 55 mise en ligne par la Réunion des Musées Nationaux. Regardez les dignitaires prosternés, ceux qui tiennent des brûle-parfums, et vous imaginerez que Huet a pu s'en inspirer.
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Cette introduction étant faite, découvrons le panneau, et cherchons les indices permettant de décrypter le portrait de cet Alchimiste comme celui du duc industrieux.
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L'indice le plus évident, c'est ce grand mongol ou cet ottoman en bonnet et col de fourrure, robe à franges, chaussures pointues qui tient d'une main une longue cuillère plongée dans un pot, tandis que sa main gauche est posée sur un livre, comme une ménagère en train de suivre une nouvelle recette. Mais il regarde un bocal où sont conservés des serpents, dont on espère qu'ils ne figurent pas dans la liste des ingrédients du potage. Tout cela sent un peu la sorcellerie, d'autant qu'un dragon, certes de petite taille, traverse en volant le toit de la pergola.
— Que contiennent les bocaux en grès ou en verre des étagères basses ? Vous arrivez à lire les étiquettes, vous ?
— Là où vous voyez l'exercice de pratiques occultes, je ne vois qu'une description de la fabrication de la porcelaine. Le chaudron central, dont on pense qu'il est posé sur un brasero, domine une motte jaune crème accompagné d'un couteau : n'est-ce pas un bloc d'argile ? Je vous lis la description de la fabrication de la porcelaine de Chantilly : "Cette pâte est obtenue à partir de matériaux extraits des sols de la région (marne de Luzarches, sable d'Aumont, etc.) et de poudre d'os broyés. Cuite à plus basse température que la porcelaine dure, elle permet l'usage d'une gamme de couleurs sous couverte beaucoup plus variée."
— Dans ce cas, le singe de gauche est en train de dessiner un décor un un vase...qui n'est pas vraiment en porcelaine, tant-pis.
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— Et le singe de droite, lui, est en train de peindre sur une feuille de papier-peint des motifs chinois car, même s'il s'applique sur un ananas assez proche de nos damas à grenades, je vois au dessus de lui une belle courtisane, un seigneur à chapeau pointu, et un guerrier .
— Vous avez une bonne vue, ou une excellente imagination? Mais je suis d'accord, ce sont trois personnages orientaux.
— C'est le portrait de Jean-Antoine Fraisse, en singe !
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— Au dessus, deux hirondelles s'abreuvent à une vasque tulipée où sont dressées des fleurs blanches en pompon.
— Papa, c'est toujours les mêmes qui décrivent. A moi maintenant ! Moi je vois un serpent qui a été noué sous un abat-jour, et de l'autre coté un lézard sous son parasol. Pouah !
— Et moi un soufflet, comme Mamie pour sa cheminée!
— Et moi, un entonnoir !
— Un tamis !
— Papa, là, c'est une canne !
— Sur le coté, un seau et sa pelle !
— Dites, vous êtes venu avec vos six enfants !
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La description de la partie basse va être plus ardue. Un écureuil, bien-sûr...
...L'animal emblématique de Nicolas Fouquet, Surintendant des finances avant d'être déchu, mais à une autre époque.
...le symbole de l'épargne ?
...ou celui de l'économie ?
— Sans-doute un peu tout cela, car l'instrument sur lequel il est installé est considéré comme étant une presse à billets. Adieu la porcelaine, nous abordons un autre aspect de la personnalité du duc de Bourbon.
— Presse à billets ?
— C'est ce qui est écrit partout.
— Je reconnais plutôt là une presse à balancier, pour la frappe des monnaies !
— De la monnaie de singe !
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— J'peux lire, p'pa, j'peux lire , dis ?
"Le balancier se présentait comme une presse agissant par percussion du flan par les coins au moyen d'un arbre posé sur un socle, portant une vis et muni de deux bras d'acier, qui étaient prolongés par de lourdes boules de plomb et actionnés par 8 à 12 hommes au moyen de courroies attachées à des anneaux à l'extrémité des barres. La vis portait le coin mobile qui venait frapper le flan posé sur le coin fixe. Les équipes se relayaient tous les quarts d'heure tant le travail était pénible et fatigant." (Wikipédia)
C'est en 1840 que cette presse fut supplantée par la presse à levier.
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Le duc de Bourbon joua un rôle clé dans le krach du système de Law, en se rendant demandant en février 1720 au siège de la banque générale (devenue banque royale) rue Quincampoix pour y convertir en or ses billets pour un montant de 25 milions de livres, comme le fit au même moment son cousin le Prince de Conti, pour 14 millions. Le duc en sort grandement enrichi , mais Law démissionne le 29 mai de sa charge de Contrôleur général et s'enfuit de Paris en décembre.
La peinture de Christophe Huet reste évasive, et met en place des motifs que les invités du duc , conviés à admirer ici la collection de porcelaine, décryptent parfaitement comme un éloge du maître de Chantilly dans sa capacité à développer ses richesses.
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C'est au cours de cette période qu'il joue un rôle clé dans le krach du système de Law, en demandant au printemps 1720 à convertir ses billets de la Banque générale en or, comme le fit au même moment son cousin le Prince de Conti.
Il s’était grandement enrichi (plus de 20 millions de livres) grâce au « système de Law ». Cela lui permettait de mener grand train à Chantilly où il entretenait un magnifique équipage de vénerie. Louis XV y passa un mois, du 30 juin au 1er août 1724, chassant presque tous les jours. Il y revint en 1725, y passant cette fois-ci deux mois (du 8 juin au 8 août).
Après deux ans d’exercice, le duc de Bourbon se trouvait détesté de tous. Suite à l’effondrement du système de Law, il fallait assainir les finances, exercice qui rendait peu populaire, même s’il était en réalité conduit par le financier Joseph Paris Duverney. Un lit de justice fut nécessaire, le 8 juin 1725, pour faire enregistrer par le parlement de Paris les mesures fiscales indispensables.
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VII. La porte vers la Galerie des Batailles.
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L'un de ses vantaux nous offre un singe musicien, un autre un singe funambule,
1°) Le vantail de droite : le singe funambule.
a) le panneau supérieur.
C'est ce panneau supérieur qui montre un singe (à favoris blancs, et doté d'une longue queue) jouant un funambule. Il est vêtu d'une chemise blanche et porte des nœuds de satin rouge (ou "amarante") et bleus. Il s'agit peut-être d'une allusion au maître de maison, mais, dans tous les cas, la figure de l'acrobate s'aventurant dans les airs participe du ton général de ce cycle des Singeries, celui de la légèreté et de la grâce aérienne.
Singe funambule, porte vers la Galerie des Batailles, Grande Singerie, château de Chantilly, photo lavieb-aile
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Singe funambule, porte vers la Galerie des Batailles, Grande Singerie, château de Chantilly, photo lavieb-aile
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b) Le panneau intermédiaire.
Il reprend le motif des grelots dorés accrochés à un fil, qui évoque aussi les mouvements animés de l'air qui les mets en branle. On retrouve aussi le tambourin sans peau déjà rencontré. Un hautbois (ou chalemie, musette, ) est associé à un grelot d'argent. Nous retrouvons aussi les plumes bleues et blanches en éventail sur une coque annelée et épineuse, jaune vif.
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c) Le panneau inférieur.
Il porte un simple bouquet , et un couple d'hirondelles (approximatives) posées sur un support circulaire. Légèreté, fragilité éphémère de l'instant...
2°) Le vantail de gauche : le singe musicien.
Ce joueur de tambourin et de flûte, coiffé d'un chapeau de paille et vêtu d'un costume blanc comportant une veste longue à 8 boutons médians évoque les tambourinaires provençaux jouant une flûte à trois trous nommée galoubet
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Le tambour du singe porte, bien-sûr, le soleil d'or et les couleurs bleu et blanc de l'étendard du Prince de Condé.
— Holà ! J'ai trouvé mieux : un dessin de Christophe Huet lui-même, de 1741 :
C. Huet, Le Tambourin, Pl. 11, "Singeries ou différentes actions de la vie humaine, représentées par des singes,", Guélard 1743.
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Singe musicien, porte vers la Galerie des Batailles, Grande Singerie, château de Chantilly, photo lavieb-aile
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Le panneau intermédiaire.
Voilà un panneau qui m'intéresse ! Non pas pour le bleuet, les pois de senteurs, les anémones, et pas non plus pour l'escargot, (sans-doute quelque Helix aspersa ou Petit-Gris) ...
— Quoique... vous êtes sûr qu'il ne s'agit pas d'une forme enantiomorphe, dont la coquille est enroulée à gauche ? Car la coquille de tous les escargots terrestres est dextre, et non senestre , hormis quelques cas rarissimes !
— Là, je laisse cela aux spécialistes. Non, ce qui m'intéresse, c'est ce papillon. En 1737, Réaumur a déjà publié les deux premiers tomes de ses Mémoires pour servir à l'histoire des Insectes :
Tome I : Sur les Chenilles et les Papillons, Imprimerie royale, Paris, 1734, 654 p., 50 pl. .
Tome II : Suite de l'Histoire des Chenilles et des Papillons et l'Histoire des Insectes ennemis des Chenilles, Imprimerie royale, Paris, 1736, 514 p., 38 pl. . Il y donne les représentations précises (en planches gravées et donc monochromes) des principaux papillons autochtones.
Or, le papillon représenté par Huet n'a pas de réalité entomologique. Sa trompe en spirale pourrait être celle d'un Sphinx colibri, ses couleurs celles d'une Petite Tortue ou d'une Vanesse, et son ocelle, celle d'une Mégère ! Ce qui montre qu'au deuxième tiers du XVIIIe siècle, on peint toujours les papillons tels qu'on les imagine, et non comme on les observerait si on en prenait le temps. Il restent hors du champ du naturalisme scientifique. C'est d'ailleurs vrai dans cette Grande Singerie pour toutes les espèces qui ne sont pas du gibier pour les chasseurs.
— Mais sur un autre plan, les papillons manquaient jusque là dans ce grand déploiement du vocabulaire de la danse aérienne, après les fleurs agitées par la douce brise, les oiseaux, les plumes, les parfums et les rubans.
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Le panneau inférieur.
Les leitmotiv reviennent ici à qui mieux mieux : grelots, plumes, plumes de paon, ombrelles en suspension balancées par le zéphyr, fleurs, fruits et cynorhodons, et la musique continue, avec ici sous un lutrin et sa partition, une viole de gambe à cinq cordes, un tambour, une guitare, une cornemuse, que Catherine et Jean-Luc Matte n'ont pas oublié de placer dans leur encyclopédie http://jeanluc.matte.free.fr/invchantilly.htm. Ils y détaillent "le sac vert et un seul tuyau visible : le tuyau mélodique, cylindrique, à léger pavillon et doté de 6 trous. Il est monté sur le sac via une petite souche en forme de tête animale."
— Et un serpent, comme sur le lutrin de Saint-Louis à Brest, qui date de 1759 !
— Maman, un serpent, c'est un instrument de musique ?
— Puisqu'on te le dit !
— Bien qu'il soit en bois, il appartient à la famille des cuivres.
— Nicole Garnier le désigne sous le nom d'ophicléide...
— C'est une erreur, l'ophicléide est apparu près d'un siècle plus tard, tout équipé de clefs, puisque son nom signifie précisément "serpent à clefs".
Observons maintenant cet espèce de tête de Pierrot Gourmand sous son éventail de plumes : il porte un costume de bouffon, avec la collerette dentelée à grelots et le bonnet bicolore.
— Et ses boucles d'oreilles à grelots aussi !
Il porte en guise de coiffe des ailes de papillon à ocelles et macules noires, sans aucune vraisemblance entomologique à nouveau.
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VIII. Le plafond.
La fortune amassée par le Prince de Condé lui permettait de mener grand train à Chantilly où il entretenait un magnifique équipage de vénerie. Louis XV y passa un mois, du 30 juin au 1er août 1724, chassant presque tous les jours. Il y revint en 1725, y passant cette fois-ci deux mois (du 8 juin au 8 août). La chasse est donc tout naturellement à l'honneur sur le plafond de la Grande Singerie.
Alors que les peintures précédentes étaient réalisées sur bois, celles-ci sont peintes sur plâtre, celui qui enduit le lattis de bois du plafond. Ce dernier a beaucoup souffert des infiltrations d'eau (il fut un temps où on ne se déplaçait pas dans la galerie voisine sans son parapluie), et le travail de Christophe Huet a été largement restauré.
Ce décor fonctionne peut-être en écho ironique de celui des Grandes Écuries construites par l'architecte Jean Aubert à la demande de Louis-Henri de Bourbon en 1721. Dans la Cour des Chenils on y soignait cinq meutes de chiens (500 chiens), alors que le personnel qui s’en occupait habitait à l’étage. Les écuries accueillaient 240 chevaux .
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1°) La chasse au sanglier.
C'est une action de chasse , celle où un sanglier grimpé sur un rocher est "au ferme", c'est à dire tenu sur place par la meute. C'est le moment culminant. Quelqu'un saurait-il préciser de quelle race sont les chiens blancs à taches noires ? "A l'époque de Louis XV, indique Guy de Laporte en 2004, le chien français de la vénerie princière a une robe toute blanche, avec quelques petites taches oranges, jaunes ou fauves disséminées, les oreilles foncées avec de nombreuses marques blanches et une bordure fauve dorée vers la face qui est blanche" (p.59)
A droite, un singe piqueur porte son cor en bandoulière, tandis qu'à gauche, un singe chasseur épaule son fusil.
Ce que je remarque, c'est la façon dont le réalisme de cette chasse est habilement superposé à une infrastructure parfaitement onirique de formes imaginaires (la "rocaille en or au centre), de feuillages et de fleurs qui font figure d'arbres, de palmiers fort déplacés à Chantilly, de fruits rouges (fraises ou cynorhodons) dont l'échelle n'est pas respectée, sans compter le réseau d'architecture bleu et or incluant des scènes à l'antique (qu'il faudrait identifier l'une après l'autre) : tout un monde dont l'extravagance ne nous choque pas, car chaque élément participe à l'impression générale féerique, joviale et festive, comme un ballet donné sur une scène de théâtre et dont personne ne nous demande d'être dupe plus d'un instant.
Rien à voir, donc, avec les sombres et héroïques tableaux cynégétiques habituels, mais un coté déluré bien en accord avec le propos général des Singeries : l'art de singer les humains.
La tenue des singes est celle de la livrée de chasse de Chantilly, ventre-de-biche et amarante, avec pour le piqueur une ceinture bleue (couleur du prince de Condé) et pour le chasseur une gibecière ou une cartouchière.
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2°) La chasse au daim.
Selon Guy Laporte, "de 1748 à 1760, les principaux animaux courus furent le sanglier et le chevreuil ; de 1760 à 1775, le cerf, le daim et le chevreuil ; de 1775 à 1785, tous les animaux courables." Sous le duc d'Aumale, "Le cerf et le sanglier sont donc les animaux de la vénerie des Princes, le chevreuil et le daim sont chassés épisodiquement faute de cerf, et sont souvent tirés avant d'être pris" (Chasse à courre, chasse de cour, 2004, page 54).
— Tonton, c'est quoi la différence entre le cerf et le daim ?
— Demandes à ta tante...
— Euh, la diff... le daim, c'est la femelle du cerf, non?
— Et le chevreuil alors ?
— C'est leur petit, quoi !
— Un vieux monsieur, docte : Tout faux ! Ce sont trois espèces animales, le Cerf élaphe Cervus elaphus, le Daim Dama dama ...
— Le dalaï lama ?
— ... et le Chevreuil Capreolus capreolus. La robe du cerf adulte est très différente de celle du daim par le fait qu'elle n'est tachetée en aucune saison (elle est brune rougeâtre l'été, et gris brunâtre l'hiver). Tandis que le daim est fauve tacheté de blanc. Seule la robe du faon du cerf n'ayant pas encore atteint l'âge de six mois est ornée de mouchetures blanches. Pas de risque de se tromper : une robe tachetée d'un adulte, c'est un daim. Le chevreuil, lui, a une robe unie ; il est aussi plus petit et moins lourd que le daim. Les bois du cerf et ceux du daim sont également différents, car le bois du daim est plat, terminé par une palette, ses bouts sont aplatis et palmés alors qu'il se finit chez le cerf par une empaumure formée de plusieurs pointes de section rondes ressemblant à des andouillers. La queue du daim est plus longue que celle du cerf.
J'ajoute que si la femelle du cerf est est la biche, celle du daim est la daine et celle du chevreuil la chevrette. Et que les petits des trois espèces portent le nom de faon.
— Eh ben voilà, tu vois. Maintenant, regardes sur le plafond pour vérifier.
— Sur le rocher doré, il y a un serpent. Et un oiseau dans son nid.
— Un faucon pèlerin . Et à coté, un oiseau blanc à crête jaune.
— Un dragon, à gauche. Un autre, à droite !
— Un faisan en vol, au dessus du singe. Tiens, ce singe en tenue de chasse de Chantilly part à l'attaque du daim avec un épée...
— Et le singe de droite porte son épée à la ceinture et brandit une dague. Je vois sa trompe de chasse !
— Non, c'est sa corne d'appel, retenue par son lacet de cuir.
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3°) Chasse au filet.
Deux branches de jeunes saules ont été réunies et servent à accrocher un filet, vers lequel sera rabattu le gibier à plume levé par les chiens. Mais la chasse a pris fin, et un faisan est suspendu au filet, ainsi qu'un cor de chasse. Deux chiens, blancs à taches fauves, se reposent. Dans le ciel évoluent des hirondelles et autres oiseaux, comme par une belle fin de journée d'été. Deux serpents grimpent dans le filet. Un porc-épic et un lièvre encadrent la scène.
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4°) Autre chasse au filet.
C'est le même dispositif d'un filet entre deux saules (déracinés), mais ici un carquois, une corne, une dague et une gibecière composent le trophée. Les serpents sont remplacés par des reptiles. Les chiens ont des taches noires et non plus fauves. Les mêmes oiseaux volent dans les airs, tenant dans leur bec les brindilles nécessaires à leur nid. Un lapin a remplacé le lièvre, et un écureuil le porc-épic. On retrouve la tenture damassée bleue et or, peut-être aux armes du duc, à revers de rayures, de chaque coté du filet. Et aussi, en cherchant bien, on trouve le papillon qui ornait le milieu de porte, près d'un gland ou autre graine en train de germer.
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5°) Les quatre coins.
a) La chinoise rouge au parasol.
Un paon ; un luth ; une clochette; une mandoline.
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b) Un chinois musicien.
Chinois à tresse rituelle robe rouge damassée de grenades d'or, portant une épée (?) à la ceinture et un étui en bandoulière. Un instrument de musique suspendu sous le parasol.
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c) La dame jaune.
Traits vaguement asiatiques. Robe bleue à fleurs ou feuilles argent. Instrument à cordes suspendu sous le parasol.
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d) Chinois en kimono bleu.
Chapeau de paille à grelot. Ustensile à long manche (lanterne ?). Lyre, ombrelle et moulinet à vent. Guirlandes de fleurs.
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La restauration de 2007-2008.
La Grande Singerie a connu plusieurs campagnes de restauration au cours de son histoire. La précédente restauration datait de 1841, et avait été réalisée par les équipes du Louvre.
Celle de 2007 a été assurée par la Fondation pour la Sauvegarde et le Développement du domaine de Chantilly et le World Monuments Fund. Des mesures de conservation préventive et de protection des œuvres ont été prises, vue la rareté de cet ensemble décoratif. Cette dernière restauration s’est effectuée “en conservation”, rien n’a été démonté et restauré ailleurs. Le public a pu, de juin 2007 à janvier 2008, observer sur place, le travail de l’équipe des restaurateurs. Restaurateurs des peintures : Equipe Société ARCANES Cinzia Pasquali- Véronique Sorano (mandataires) . Restaurateurs de dorures : Atelier Mariotti (Nicolas Mariotti)
Le plafond de la Grande Singerie du Musée Condé de Chantilly, en cours de restauration, 2007
© Musée Condé de Chantilly
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Le mobilier en place :
Il s'agit de quatre chaises et un canapé en bois doré de Georges Jacob et d'un écran de cheminée avec une huile sur toile de Christophe Huet, La leçon de lecture des singes, acquis par le duc d'Aumale en 1880
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ANNEXE. Une initiation à la vénerie.
Conservé en archive d'un forum par "Rekkared, Archiviste" :
http://archivesrr.forumactif.com/t601-de-la-cynegetique-de-la-venerie
La cynégétique est l'art de la chasse dont une branche est la vénérie, l'art de la chasse à courre.
La vènerie est l'art de chasse avec des chiens courrants des animaux sauvages - lapin, lièvre, renard, cerf, daim, chevreuil, sanglier, loup & ours.
Les principes de la vènerie médiévale
La vènerie repose sur l'action de chiens courants chassant en meute. Ce sont les chiens qui chassent l'animal couru jusqu'à sa prise, animal qui bénéficie de la fuite ou de la ruse pour sa défense.
Le rôle du veneur
Dès l'âge de sept ans, un maître-veneur devait lui apprendre à aimer et à soigner les chiens par tous les moyens, y compris le châtiment corporel. L'enfant devenait successivement "valet de chien", puis vers vingt ans, "aide" ; enfin, il "veneur", portant cor, couteau souvent estortoire, pour écarter les branches. C'était l’homme le plus important de la chasse à courre et son existence était dévouée à son métier.
Le veneur devait soigner les chiens, entretenir les chenils, tresser des filets, relever les traces et débusquer l'animal, crier et sonner : il chasse "à cor et à cri", avec sa corne de chasse et sa voix, fait le bois avec son limier, chien courant employé à la recherche du gibier et se déplace à cheval ou à pied.
Le veneur, chargé de mener les chiens courant, prend soin de ne pas s'immiscer dans la confrontation entre la meute et l'animal chassé, mais il peut, s'ils tombent en défaut, les relever.
Il faut distinguer cinq races de chiens de chasse : l'alant, le lévrier, le courant, le chien d'oiseau et le mâtin. Hormis le lévrier, ce sont des chiens lourds et lents. Les chiens les plus forts et les plus sauvages étaient choisis pour chasser l'ours, le loup et le sanglier. Le lévrier était placé en tête en tête pour ses qualités esthétiques et sa sociabilité, et ensuite les chiens courants qui sont la base des meutes.
Un équipage doit découpler un nombre minimum de chiens courants créancés de races spécialisées. Ce nombre est fixé à :
30 pour le cerf et le sanglier, le loup et l'ours,
20 pour le chevreuil et le daim,
10 pour le renard,
6 pour le lièvre et le lapin
Le déroulement de la chasse à courre
La vènerie médiévale était une chasse qui se pratiquait en dehors de la période de reproduction des animaux, soit en automne et en hiver.
Au jour dit, dès l'aube, le veneur s'en va "faire le bois" en forêt avec son "limier", afin de reconnaître l'emplacement des animaux susceptibles d'être chassés.
Ensuite, un "équipage" se rassemble dans un lieu ouvert avant la chasse. La chasse se déroule sous l'autorité d'un "maître d'équipage" qui reste à cheval, qu'il s'agisse d'une vénérie à cheval ou à pied, l'équipage chassant montée ou démontée, selon. Là, le maître d'équipage "prend le rapport", décide de se porter sur telle ou telle "brisée" et donne haut et fort aux membres de l'équipage, aux invités et aux suiveurs toutes les recommandations qui conviennent pour le bon déroulement de la chasse.
Les chiens sont ensuite emmenés sur le lieu choisi pour "fouler", derrière un veneur à pied ou à cheval. Si "l'attaque" est faite avec des "rapprocheurs", les chiens de meute devaient être donnés dès que possible après le "lancer", à la voie de l'animal déhardé ou encore donnés à l'écoute.
La chasse débute alors. Elle est ponctuée par les fanfares de "circonstances" signalées avec la corne de chasse et la voix du veneur, qui chasse "à cor et à cri", indiquant ses différentes phases : "la compagnie", "la vue", "le bien-aller", "le défaut", "le change", "le débuché", "le changement de forêt", "le relancé", "le bat-l'eau", etc... Si l'animal est pris, il sonne "l'hallali".
La prise marque la fin de la chasse. Au chevreuil, au renard, au lièvre et au lapin, les chiens "coiffent" l'animal pris. Au cerf, au sanglier, au loup et à l'ours, le veneur intervient pour servir l'animal qui tient les "abois" ou le "ferme". Les armes utilisées étaient l'épieu ou l'épée pour tuer alors l'animal. Par rapport à la fauconnerie, la vénerie offrait un plaisir plus sportif, plus violent et plus dangereux. C'était pour l'aristocratie une manifestation de sa force guerrière. Le maître d'équipage prenait toute disposition pour que cette conclusion soit aussi rapide et nette que possible.
Après la prise, la curée vise à rappeler les circonstances de la chasse, récompenser les chiens et saluer les participants, est sonnée selon le rituel de la vènerie.
La journée se clôturait par un banquet au cours duquel le gibier pris était consommé.
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Sources :
- Centre d'études médiévales de Nice (org. par), La chasse au Moyen Age : actes du colloque de Nice, 22-24 juin 1979, "Publications de la Faculté des lettres et des sciences humaines de Nice", 20, Les Belles Lettres, Paris, 1980, 554 p.
- LONGUEVIALLE Christian de (préf.) & ANTHENAISE Claude d', Le Livre de la chasse de Gaston Phoebus, comte de Foix [Gaston III, 1387-1391], Bibliothèque de l'Image, Paris, 2002, 94 p.
- TILANDER Gunnar (éd. avec introd., glossaire et reproduction des 87 miniatures du manuscrit 616 de la Bibliothèque nationale de Paris par), Gaston Phébus, Livre de Chasse, E. G. Johansson, Karlshamn, 1971, 453 p.
- Site officiel de la vénérie.
SOURCES ET LIENS.
—Exposition 2011 Singes et Dragons. La Chine et le Japon à Chantilly au XVIIIe siècle
http://www.institut-de-france.fr/fr/article/903-exposition-singes-et-dragons-la-chine-et-le-japon-%C3%A0-chantilly-au-xviiie-si%C3%A8cle
— Bibliothèques et manuscrits du château de Chantilly.
http://www.bibliotheque-conde.fr/collections-et-catalogues/bibliotheque/manuscrits/
— FRAISSE (Jean-Antoine) / GARNIER (Nicole), 2011, Livre de desseins chinois d'après des originaux de Perse, des Indes, de la Chine et du Japon [Reprod. en fac-sim.] 1 vol. (159 p.) Fac-sim. de l'exemplaire conservé au Musée Condé, Chantilly. - En appendice, inventaire du duc de Bourbon Édition : Saint-Rémy-en-l'Eau : M. Hayot , impr. 2011 Éditeur scientifique : Nicole Garnier-Pelle
— GARNIER (Nicole), PASQUALI (Cynxia) SORANO STEDMAN (Véronique) , 2009, « La restauration de la grande singerie de Christophe Huet à Chantilly », in Technê, n°30, 2009, Les peintres autour de Watteau.
— GARNIER (Nicole), PASQUALI (Cyntia) SORANO STEDMAN (Véronique), 2008, « Chantilly, musée Condé : Restauration de la Grande Singerie », N. Garnier, C. Pasquali, V. Sorano Stedman, in La Revue des Musées de France – Revue du Louvre, février 2008.
— HUET (Christophe), 1741-1743,- Singeries, ou différentes actions de la vie humaine représentées par des singes / gravées sur les desseins de C. Huet ; gravure de Guélard, édité par J. Guélard . 2 suites de 12 planches gravées à l'eau-forte. Bnf Dept Estampes et photographie 4TF-11
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55006444q
— L'art des arabesques de Jean Berain : http://www.meublepeint.com/jean-berain-style-reduit.htm
— INIZAN (Christelle), 2011, -« Découverte à Paris d’un plafond peint à décor de singeries attribué à Claude III Audran, Antoine Watteau et Nicolas Lancret », In Situ [En ligne], 16 | 2011, mis en ligne le 22 août 2011. URL : http://insitu.revues.org/805 ; DOI : 10.4000/insitu.805
— LAPORTE (Guy) 2004, Chasse à courre, chasse de cour : fastes de la vénerie princière à Chantilly au temps des Condés et des Orléans, 1659-1910 La Renaissance du livre 2004 Collection Références 363 p. ; ill. en coul., couv. ill. en coul. ; 32 cm
— Singes et singeries à la Renaissance
http://singeries.picnpin.com/singes-et-singeries-a-la-renaissance