Sur la piste du A couronné de Jehan II de Rohan. II : la façade du château de Josselin.
Voir :
Le duc et la duchesse de Rohan dans les sablières de l'église de Sizun (29).
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Résumé de l'épisode précédent.
Ayant constaté la présence d'un A couronné entouré de macles sur une pierre de fondation par le vicomte de Rohan Jehan II du pont de Landerneau datant de 1510, j'ai appris que ce A résumait le cri de guerre de la famille de Rohan, "A PLUS ROHAN". Mon enquête m'a révélé que les macles qui formaient le meuble de cette famille depuis le XIIIe siècle venaient d'une pierre caractéristique des terrains entourant la motte féodale d'Alain Ier de Rohan , à Sainte-Brigitte, dans le Porhoët. Ce château "des Salles de Rohan" contrôlait un site très riche en fer, et les Rohan développeront la métallurgie bretonne, sous forme de "forges à bras" mobiles dans la forêt, ou, au XVIIe siècle, avec la construction en 1621-1623 des Forges de Salles par le duc Henri II de Rohan.
Si bien que j'en suis venu à considérer que le A couronné, fait de branches écotées et dessinant dans une boucle de la barre transversale une macle, était un emblème de cette pierre emblématique au cœur de la forêt de Quénécan, ou du rôle du charbon de bois dans l'exploitation économique du sous-sol du fief ancestral.
J'ai eu donc envie de rechercher d'autres traces lapidaires de Jean II de Rohan. Le château de la ville de Rohan est détruit, celui de Pontivy ne se visite pas actuellement (courtine sud écroulée), je me rendais donc au château de Josselin. Justement, sa reconstruction par Jehan de Rohan s'acheva en 1510. Peut-être y trouverais-je un "A couronné" ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne revins pas bredouille.
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Je devais d'abord connaître un peu l'histoire de ce château.
En 1008, Guéthenoc, Vicomte de Porhoët, fils du Comte de Rennes, décide d’édifier sur ce promontoire rocheux dominant la vallée de l’Oust, un château adossé à ce système défensif, une construction en bois, comme à l'époque. Goscelinus, fils de Guéthenoc, donne son nom au château et à la localité qui s'installe peu à peu tout autour. Rasée une première fois par Henri II Plantagenêt vers 1170, la forteresse fut relevée dès 1173 par le vicomte de Porhoët, Eudes II, allié du roi de France. En 1370, elle passe entre les mains d'Olivier de Clisson, grand connétable (chef des armées) de Charles V. A partir du château existant, Clisson fait édifier la forteresse la mieux armée de Bretagne : une enceinte féodale de 4500 mètres carrés, avec un châtelet-résidence et des remparts de 25 mètres jalonnés de neuf tours et un énorme donjon de 26 mètres de diamètre et de 32 mètres de haut.
Les ducs de Bretagne, Jean IV et Jean V, vont s'acharner contre Olivier de Clisson. Emprisonné, puis relâché, Clisson est assiégé dans Josselin par Jean IV en 1393. C'est à Josselin qu'il meurt en 1407 après une brillante carrière militaire et politique. Il est enterré aux côtés de son épouse Marguerite, à Josselin dans l'église Notre-Dame du Roncier, où l'on peut encore aujourd'hui admirer leur gisant en marbre blanc. A sa mort en 1407, le château revint à son gendre, Alain VIII de Rohan, qui a épousé sa fille Béatrix. La forteresse demeure dans la famille depuis six siècles.
La lutte sourde entre les ducs de Bretagne et les rois de France reprend en 1488. François II, duc de Bretagne, veut punir Jean II de Rohan de son soutien au parti français. Il fait démanteler partiellement la forteresse dont l'un de ses capitaines vient de s'emparer. Peu après, Jean II, sans toucher aux défenses qui viennent d'être abattues, fait reconstruire le manoir d'habitation et sa belle façade sur la cour nord-est.
En 1629, Le puissant donjon qui ferme le château au Sud est démoli sur ordre du cardinal de Richelieu.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Rohan vivent à Paris et le château est laissé à l'abandon. . Vers 1835, Charles-Louis Josselin, duc de Rohan, décide d'engager une restauration en bonne et due forme de sa demeure, très largement délabrée et où le toit s'écroule par endroits. Le chantier débute vers 1855, sous la direction de l'architecte Jules de la Morandière, élève du célèbre Viollet-le-Duc. L'extérieur est remis en état, l'intérieur est presque totalement réaménagé. Le chantier est dirigé par Jules de La Morandière jusqu'en 1880, par Henri Lafargue de 1880 à 1904 et par Alain Lafargue en 1917, avant d'être ouvert au public vers 1930.
Le château de Josselin est une demeure privée. Le règlement interdit les photos à l'intérieur de l'habitation.
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Les travaux de Jehan II de Rohan.
Jean II de Rohan (1452-1516) récupère son château et entreprend, en 1490, une campagne de restauration du château de Josselin, qui va durer près de vingt ans (la restauration se termine vers 1510). Le grand logis de style flamboyant datent de 1495-1506 : il a été construit pour Jean II de Rohan. Il ne reste que quatre tours, à l'origine plus élevées et couronnées de mâchicoulis, puis abaissées au début du XVIème siècle par Jean II de Rohan. Ce dernier fit percer sur la façade extérieure Sud des fenêtres plus grandes et ajouter six grandes lucarnes. La grande longère, en surplomb de l'Oust, a été construite à la fin du XVème siècle et rénovée vers 1505 par Jean II de Rohan : la longère mesure 70 mètres de long sur 7,5 mètres de large et 16 mètres de haut. Les dix lucarnes, situées sur la façade intérieure Nord, datent du XV-XVIème siècle. Les lucarnes incrustées dans la toiture, la galerie ainsi que les cheminées sont parsemées de sculptures : hermines, lis, macles des Rohan, arabesques, animaux fabuleux, etc ... En 1504 et 1505, Jean de Rohan paye encore des sommes importantes à Rolland Crenn, son connétable de Josselin pour les employer à "l'œuvre et édifice de son château".
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Quelques images anciennes (Gallica).
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Mais la façade ajourée est si foisonnante et sa décoration si luxuriante que je sent bien que ma description va être assez ardue. Dix lucarnes à angles aigus et gâbles à crochets se succèdent, séparées par des galeries. Je me décide à désigner chaque lucarne et chaque galerie par un numéro porté sur ma photographie.
T1 à T3 : les trois tours féodales surplombant l'Oust.
L1 à L10 : les dix lucarnes.
G1 à G11 : les onze galeries ajourées.
P1 à P5 : les cinq portes.
Pour m'y retrouver également, je me déplacerais de gauche à droite de la façade.
Suivez le guide !
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De la première à la troisième lucarne.
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Corniche à double encorbellement sous la galerie G1.
Le balcon G1 est décoré par une rosace à 5 mouchettes centrée par un soleil. Ces galeries ne sont pas accessibles et ne permettaient donc pas aux propriétaires d'y apparaître. Il conviendrait de parler de fausses galeries à usage décoratif, et de leur (vraies) balustrades.
Toutes les balustrades sont taillées dans des dalles de granit.
Les moulures de la corniche se prolongent par un dragon ailé dont la queue est nouée. Ce monstre semble faire office de gargouille, mais l'eau de la toiture n'est pas évacuée par sa gueule, mais par des tuyaux qui empruntent des descentes d'eaux ouvragées plaquées contre la façade.
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La lucarne L1 et le premier A couronné (A1).
Ah ! Le voici donc ce A qui avive ma hâte ! Il est exactement semblable à celui que j'ai décrit sur la pierre de fondation de Landerneau, avec ses fûts diagonaux en branches écotées et le macle formé par l'entrecroisement de barres transversales. Mais ici, où il ne s'inscrit pas comme à Landerneau dans un carré d'1 centimètre, sa grande taille permet au sculpteur de dessiner des racines à la base de chaque bout de bois, de tresser deux tiges pour en coiffer l'angle de la lettre, et de tailler une macle parfaitement géométrique. Le contraste est donc franc entre la macle relevant de l'ordre minéral et les bâtons relevant du végétal. Cet A symbolise les richesses de la terre ancestrale associant la valeur économique de la forêt et celle du sous-sol. La macle qu'il intègre en fait indubitablement le "chiffre" de Jean II de Rohan. Je rappelle que ses armoiries comportent sept macles (losange évidé) d'or sur fond de gueules (rouge).
Roger de Gaignières (1642-1715) a fait relever (par Louis Boudan ?) les vitraux du couvent des Cordeliers de Nantes représentant en vis à vis Jehan II du nom, vicomte de Rohan et son épouse Marie de Bretagne. Les macles sont bien visibles sur le tabard et le prie-dieu de Jean II et sur la robe de la vicomtesse. Le nombre de macles (neuf) n'a pas de valeur héraldique.
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La couronne est peu visible, car détruite (par dégradation volontaire lors de la Révolution ?). Pourtant, je remarque un détail fort précieux : une frise de macles, ou du moins de losanges (dont on ne voit que le premier élément) devait courir à sa base.
Remarquez sur la photo les choux très frisés du gable. Et, dans l'angle de l'arcature de la fenêtre, l'ange présentant les armoiries de Rohan, aux macles martelées.
Faut-il en venir dès maintenant aux sujets qui fâchent ? Voici l'extrait que je découvre sur le site patrimoine-histoire.fr :
La polémique sur l'initiale A.
"L'interprétation des faits historiques et des créations artistiques a toujours été un art difficile. On en trouve une nouvelle preuve dans une petite polémique qui surgit là où on ne l'attendait pas vraiment : dans les lettres en granit garnissant la galerie de la façade Renaissance du château. La lettre A, d'ailleurs très souvent surmontée d'une couronne, y apparaît en de multiples endroits. Voir la série des cinq lettres A consécutives. Jusqu'au XIXe siècle, les historiens y ont vu l'initiale de la devise des Rohan «A Plus», c'est-à-dire «sans plus», donc «sans supérieur».
"En prenant pour acquit le fait que la façade a bien été reconstruite à l'initiative de Jean II Rohan, l'historien Roger Grand, dans son article du Congrès archéologique de France tenu à Brest et à Vannes en 1914, avance une explication assez déroutante. Il constate d'abord que cette lettre A est partout surmontée d'une couronne, ce que personne ou presque n'a remarqué. Il signale ensuite que la couronne, faite de huit fleurons égaux, n'est autre que la couronne ducale. Roger Grand poursuit : «Or la seigneurie des Rohan était alors une vicomté. En 1505, Jean II s'intitule lui-même vicomte de Rohan. L'A surmonté d'une couronne ducale ne désigne donc pas le seigneur de Josselin. Il faut l'appliquer, sans doute possible, à Anne, duchesse de Bretagne.» Et l'historien rappelle que la décoration de la façade est composée d'emblèmes rappelant les Rohan (devise «A Plus»), la duchesse de Bretagne (A couronné) et la reine de France (fleurs de lys). Comme on le sait, à la fin du XVe siècle, Anne de Bretagne, fille de François II, duc de Bretagne, était l'enjeu de toutes les chancelleries d'Europe. Épouser Anne, c'était hériter de la Bretagne. Le roi de France Charles VIII, l'empereur allemand Maximilien Ier, Louis d'Orléans (le futur Louis XII) et le duc de Buckingham sont sur les rangs. L'est aussi Jean II Rohan qui voudrait bien voir l'un de ses fils épouser la jeune fille, ce qui aurait uni définitivement les maisons de Rohan et de Bretagne.
Le mariage d'Anne et de Charles VIII à Langeais, en 1491, mit fin au rêve du vicomte qui restait bel et bien le premier vassal de la duchesse en Bretagne. Pour Roger Grand, Jean II prit en quelque sorte sa revanche en traduisant dans la pierre ce rêve de grandeur et d'ambition avortées."
Pourtant, la présence de la macle inclus dans le A , et d'un losange sur le cercle de la couronne s'opposent "sans-doute possible" à l'idée d'en faire la couronne de la duchesse Anne. Je continue ma lecture :
"Dans le livret sur le château de Josselin paru aux éditions Ouest-France en 2000, Antoinette de Rohan remet en question cette explication un peu poussée. «(...) comment expliquer, écrit-elle, la présence de l'initiale A, couronnée ou non, que l'on retrouve à de nombreuses reprises dans la décoration de la façade? On a longtemps cru qu'il s'agissait du A désignant la duchesse-reine Anne de Bretagne, comme l'affirmait Roger Grand.» Et Antoinette de Rohan avance une autre explication : «On peut se demander s'il ne s'agit pas plutôt du chiffre de Jean II. Olivier de Clisson avait un chiffre du même type, l'initiale M, que l'on retrouve à Blain, ainsi que dans son hôtel parisien.»
Voir ici sur le M de Clisson apposé sur un acte du 21 juillet 1370.
"À la représentation du rêve avorté, idéal bien romantique, proposé en 1914, par Roger Grand, il semble qu'on ne puisse opposer que l'hypothèse du chiffre du constructeur. Dans l'un et l'autre cas, ce ne sont que des conjectures et il faut bien avouer que le mystère reste entier.
Sources : 1) Congrès archéologique de France, Brest et Vannes, 1914 ; 2) Le château de Josselin, éditions Ouest-France, 2000."
Ah ! Le A couronné, "chiffre" de Jean II de Rohan ! Merci Antoinette, voilà bien mon hypothèse partagée . Et par une duchesse ! Voir son portrait dans mon article sur les blochets de Sizun :
http://www.lavieb-aile.com/2016/09/les-sablieres-de-la-charpente-de-l-eglise-de-sizun-apres-leur-restauration-par-l-atelier-le-ber-en-2012.html
Néanmoins, la guide, par ailleurs excellente, qui nous a fait visiter le château a décrit ces A couronnés comme l'initiale d'Anne de Bretagne.
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Les galeries G2 et G3 et les lucarnes L2 et L3.
— La galerie G2 comporte 4 fleurs de lys.
— La cheminée au dessus de G2 porte en couronnement deux hermines.
— La lucarne L2 porte un écu à sept macles entouré du collier de l'ordre de Saint-Michel. Je rappelle que les armoiries comporteront 7 macles jusqu'à Henri de Rohan Ier en 1552-1575. L'ordre de chevalerie de Saint-Michel a été institué en 1469 par Louis XI ; les 36 chevaliers portaient un collier d'or fait [de] coquilles lassées, l'une avec l'autre, d'un double las » auquel était suspendu un médaillon représentant l'archange terrassant le dragon. Ce dernier est bien visible sur la façade.
Quel est le seigneur de Rohan qui a été admis dans l'Ordre de Saint-Michel ? La liste des chevaliers ne mentionne que Pierre et Charles de Rohan-Gié. Je ne trouve pas d'abord pas d'indication formelle concernant Jean II de Rohan, hormis celles-ci :
1°) la chapelle de Cuburien, Saint-Martin-des-Champs (29). renferme un Vitrail début 16ème siècle montrant le portrait de Jean II de Rohan portant le collier de l’ordre de Saint-Michel.
http://www.rohan.fr/histoire_bruits2.html
2°) Hervé du Halgouet écrit en 1911 (cf. Annexe) que Jean II de Rohan avait "reçu ce collier par faveur spéciale de Charles VIII en 1469". Or, l'Ordre a été fondé à Amboise le 1er août 1469, mais... par Louis XI.
Enfin, je découvre la page 351 de Les chevaliers bretons de Saint-Michel depuis la fondation de l'Ordre, par J.F. d'Hozier et G. de Carné, ouvrage écrit en 1884 : d'après ce texte, Louis IX remit le collier de l'Ordre à Jean II, en 1472, d'après une lettre du 31 juillet 1472 au grand-maître Antoine de Chabannes sollicitant son avis
Je lis aussi qu'une lucarne du château de Pontivy "est décorée des armes de Rohan, inscrites dans un collier de l'ordre de Saint-Michel. Cette décoration se rapporte à René I, vicomte de Rohan (1527-1552). "
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Lucarne L2 : écu des Rohan et collier de Saint-Michel. Château de Josselin. Photographie lavieb-aile.
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— La longue galerie G3 est formée de six panneaux à arcades entrelacées. Le motif reprend celui décorant le dessous de la fenêtre haute de la lucarne L1 .
Ce dessin peut être rapproché de celui que Viollet-le-Duc a donné en illustration des articles Fenêtre et Balustrade de son Dictionnaire de l'architecture et qui représente une fenêtre du premier étage de l'hôtel de la Trémoille à Paris.
Balustrade de l'hôtel de la Trémoille à Paris, Viollet-le-Duc, Dictionnaire...tome 2 fig. 28 page 96. (1867)
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L'hôtel de la Trémoille, nommé plus tard hôtel de Bellièvre, fut détruit en 1841. Il occupait l'espace entre les rues de Bourbonnais et Tirechape. Ancienne propriété en 1398 de Guy de la Trémoille, était estimé dater entre le dernier tiers du XVe et le tout début du XVIe siècle ; il aurait été construit par Louis II de la Trémoille, mort à Pavie en 1525. Yvonnig Gicquel décrit dans son ouvrage les nombreuses occasions de rencontre entre Jehan II de Rohan et Louis de la Trémoille.
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— La cheminée au dessus de G3 porte en couronnement deux A couronnés .
—La lucarne L3 porte aussi un A couronné semblable à celui de la lucarne L1.
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De la quatrième à la septième lucarne.
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Cinq d'un coup ! La galerie G4.
— La galerie G4 aligne cinq " A couronnés" , tous plus beaux les uns que les autres et que nous allons détailler.
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La première chose que je constate, c'est qu'ils sont dotés chacun de leur couronne. Le cercle des trois premières est trop usé pour y discerner d'éventuels losanges. Par contre, les deux dernières couronnes montrent clairement leur cercle alternant un losange et un bouton. Le losange peut, comme
La partie supérieure de la couronne montre clairement trois fleurons centrés par une perle. Peut-on, comme le suggère Roger Grand, parler ici d'une couronne ducale ? Et cette couronne stylisée répond-elle aux codes de l'héraldique ?
"Les ducs, en France, portent leur couronne, d'or, rehaussée de huit fleurons et enrichis de pierreries et de perles. Celle des marquis est surmontée de quatre fleurons, séparés chacun par trois perles qu'on posait autrefois sur une même ligne, mais qui sont réunis aujourd'hui en forme de trèfle. La couronne des comtes n'a point de fleurons; elle est rehaussée de seize grosses perles dont neuf visibles, portées chacune sur une pointe. La couronne de vicomte n'est rehaussée que de quatre perles, dont trois visibles."
Les trois premiers "A couronnés" de la galerie G 4.
Le premier A est très semblable à celui de la lucarne L1 : branches écotées munies de racines, traverse du A formant une macle géométrique .
Le deuxième A n'est plus fait de bouts de bois, mais de monstres à peau couverte de verrues, à gueule aux longues dents et à langue protruse, à oreilles longues et pointues, et à queue fine. En un mot,des dragons. Si c'était un hommage à la reine Anne de Bretagne, voici qui manque d'élégance. S'il s'agit au contraire de mettre en avant les forces très anciennes, souterraines, les forces vitales qui animent le fief des Rohan, avec ses forêts, ses fontaines, rivières et étangs, alors, cela fait sens. Après avoir affirmer leur alliance avec les forces végétales (bois) et minérales (macles), les Rohan revendiquent qu'ils relèvent aussi des forces animales profondes, mystérieuses et maléfiques. Classiquement, le dragon est le gardien des lieux souterrains (grottes, cavernes) et son double aquatique est le gardien des trésors. Mais ces puissances animales sont aussi les allégories de la fécondité sexuelle. Et donc de la vitalité de la lignée familiale.
Le troisième A est purement graphique ou architectural, comme construit avec des barres métalliques, des jambes de force aux extrémités pattées. La macle naît de l'entrecroisement de ces jambages.
Au dessous de la galerie, on remarque la corniche à double encorbellement embellie
d'entrelacs, de feuilles et de petits animaux, malheureusement très usés par le temps.
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Les deux derniers "A couronnés" de la galerie G 4.
Il reprennent sous forme de variations le thème des deux premier "A", et du couple végétal-animal. Mais le quatrième A est fait d'osier tressé, comme dans un plessis, ces clôtures de rameaux de bois vert et vivant. La barre transversale est brisée, mais devait former là encore une macle. A la notion de force végétale s'ajoute dans cette version celle de la force de l'union, et celle de la vigueur.
Le cinquième A, dont la barre transversale est également brisée, est dessiné par le corps de deux vouivres, dont les longues queues s'entremêlent et se nouent.
Notez sur cette image les losanges des couronnes.
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La quatrième lucarne L4.
Puisque L3 portait un "A couronné", l'alternance se poursuit et L4 porte un écu inscrit dans un losange. J'ai négligé de le photographier.
En dessous, la baie à meneaux est ornée de deux anges porteurs de blasons, et, au centre, d'un A couronné avec sa macle suspendue sous la traverse. Comme d'habitude.
Sous la fenêtre, le délicat motif en arcades inversées et croisées "de la Trémoille"
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LA GALERIE G5 : LES MACLES.
Cette galerie rythmée par quatre balustres pourrait passer pour être simplement ajourée de motifs en losanges, mais il s'agit bien entendu de véritables macles, qui se retrouvent aussi alignées sur la partie supérieure.
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Les galeries G5 et G6 encadrent la partie la plus noble de la façade, qui, dans le prolongement de l'allée principale et de son puits, inclut l'entrée d'honneur dotée de deux portes, et de deux fenêtres à meneaux et surplombée par la lucarne L5.
Si chaque galerie est desservie par une gouttière, un tuyau à l'intérieur d'une colonne de pierre sculptée, les deux colonnes verticales qui encadrent les deux portes sont particulièrement soignées. En les décrivant, nous ne sortirons pas de notre sujet puisqu'on y retrouve les vouivres, ou dragons-serpents, des A couronnés précédents. Ce choix d'ornementation souligne bien la nature aquatique de ces créatures.
La créature monstrueuse qui se situe sous la galerie aux macles (G5) a la gueule épatée, le corps marqué de larges écailles, doté d'ailes de chauve-souris, et la queue entortillée autour de la conduite.
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Celle qui draine la galerie G6 a le corps couvert de verrues, des courtes ailes ou ailerons à nervures, des pattes de reptile et une queue qui, après avoir contourné la colonne, forme par sa pointe un beau nœud en huit.
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Les portes d'entrées P2 et P3.
L'arcature gothique qui surmonte P2 se termine par deux anges présentant les blasons des Rohan (à sept macles). Celle de P3 s'achève sur des animaux.
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La quatrième cheminée.
Avant de parler de la lucarne L5, il faut examiner la cheminée qui la précède . Elle porte deux A couronnés, encadrant le blason des Rohan.
Le A supérieur est végétal, du type de la lucarne L1, mais aux bâtons simplifiés, et sans la macle centrale. Toujours le même type de couronne, à fleurons, et à cercle orné de perles et de losanges.
Le blason est simple, à sept macles.
Le A inférieur est strictement identique à son jumeau supérieur.
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LUCARNE L5
Comme sous l'effet d'une règle d'alternance, nous trouvons ici la version animale du A couronnée.
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A y regarder de près, le A est formé de six animaux identiques : deux pour les fûts, deux pour la traverse et deux pour la barre horizontale entourant la pointe. La macle est absente ... ou plutôt elle est formée par l'entrecroisement des fûts et des traverses. La couronne, rongée par la corrosion, est l'épanouissement des queues de deux dragons.
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Galerie G6 et G7 encadrant la lucarne L6.
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La sixième galerie : A PLUS.
Jean II de Rohan y exprime clairement sa détermination à faire de son château une vitrine de la volonté de domination et de la fierté de sa famille, mais aussi de témoigner des forces animales qui bouillonnent en son sang. En effet, chaque lettre est tracée par les cabrioles et les contorsions de dragons ailés et couverts de pustules vénéneuses. Les forêts ne sont pas oubliées, par la présence d'une branche de chêne. L'élément végétal se retrouve aussi sur la partie supérieure, constituée d’une dentelure présentant des couronnes et des fleurons alternés.
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Viollet-le-Duc a représenté le A et le P de cette devise dans l'article "Balustrade" de son Dictionnaire ; néanmoins, on note des différences importantes entre le dessin (avec des lettres de bois écoté), et la galerie G6 (avec des dragons) :
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Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné tome 2 page 96, https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Viollet-le-Duc_-_Dictionnaire_raisonn%C3%A9_de_l%E2%80%99architecture_fran%C3%A7aise_du_XIe_au_XVIe_si%C3%A8cle,_1854-1868,_tome_2.djvu/99
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La sixième lucarne L6.
Elle reçoit le blason des Rohan entouré du collier de l'ordre de Saint-Michel.
Pas de photo.
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La septième galerie aux huit hermines.
Marie de Bretagne (1446-1511) est la fille du duc François Ier et d'Isabelle d'Écosse, et l'épouse de Jean II de Rohan depuis 1462.
De leur union naissent sept enfants :
- François, tué à 18 ans dans le parti breton à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, proposé au duc François II comme époux de la duchesse Anne de Bretagne
- Jean, né en 1476 et mort en 1505
- Georges, mort en 1502
- Jacques de Rohan, vicomte de Rohan, chef de la maison de Rohan.
- Claude de Rohan, évêque de Cornouaille
- Anne, vicomtesse de Rohan après son frère, épouse Pierre de Rohan, fils de Pierre de Rohan-Gié dit le maréchal de Gié.
- Marie, épouse de Louis IV de Rohan Guémené
Ses armoiries familiales sont d'hermines plain, adopté par le duc Jean III en 1316. Comme épouse, elles sont mi-parties de Bretagne et de Rohan.
Il est donc logique que les hermines figurent à droite de l'entrée principale, au dessus de la porte P4.
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Elles sont répétées huit fois, très joliment stylisées, alors que des hermines passantes affrontées deux à deux figurent sur le montant supérieur, alternées avec des fleurons pour répondre à l'alternance couronne/fleuron de la galerie G6.
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La septième lucarne L7.
Elle a été relevée par Viollet-le-Duc qui illustre l'entrée "Lucarne" de son Dictionnaire raisonné avec la gravure suivante.
https://upload.wikimedia.org/wikisource/fr/thumb/3/30/Illustration_fig4_6_198.png/440px-Illustration_fig4_6_198.png
Mais on gagnerait vite au jeu des sept différences, tant celles-ci abondent, dans la forme du A du fronton, celle du A de la devise, ou dans les motifs des deux galeries !
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La galerie G8 : huit rosaces.
Elles on été décrites comme des triskels celtes...
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La lucarne L8 : quatre A.
Sous la fenêtre haute sont sculptés quatre A reprenant les motifs précédents : on trouve successivement un A animal à quatre dragons à queue nouée, un A végétal en bois écotés et à racines, un A en osier tressé, et un A animal à deux dragons à queue nouée.
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Le fronton de la lucarne L8.
Il comporte un écu carré, vide ou martelé, entouré d'une moulure qui porte quatre macles et quatre éléments ovoïdes non identifiés.
Notez, au dessus de la fenêtre, le A couronné en bois écotés.
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La galerie G9 : quatre rosaces.
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La lucarne L9 : A PLUS.
La lucarne L9 est placée au dessus de la porte P5.
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La lucarne est surmontée d'un gâble très aigu dont le tympan est orné d'un A couronné. Ce gâble est lui-même «surmonté d'un fleuron à cinq rangs de choux frisés superposés et bordé de rampants à crochets très fouillés.» (Congrès archéologique de France, Brest et Vannes, 1914).
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L'encadrement des fenêtres de la lucarne L9 : A PLUS / idem en miroir.
Le A est créé par l'entrelacement que six dragons. Les corps et les queues tracent au centre un losange.
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Notez la couronne à fleuron qui entoure la colonne.
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Le L et le V sont en branches écotées, le S est formé par un reptile à tête de serpent qui se mord, et dont la queue forme un nœud.
Notez les deux animaux (un sanglier et un cerf), que nous retrouverons sur le dessus de cheminée intérieure, intégrés cette fois à une scène de chasse. Ils sont présents aussi au dessus de l'inscription A PLUS du coté droit.
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La porte P5.
En anse de panier, elle est soulignée par une arc gothique s'appuyant sur des culots ornés de deux personnages allongés.
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Ces deux personnages ne portent pas d'ailes ; ils sont coiffés de bonnets ou toques et leur coupe de cheveu est celle des seigneurs durant le règne de Louis XII.
Celui de gauche est vêtu d'une jupe plissée qui doit correspondre à son tabard. Il tient dans la main droite un poisson et dans la gauche une dague.
Celui de droite porte une robe ou un manteau long.
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La galerie G10 : la lettre S.
La galerie G10 possède deux panneaux différents. le premier représente un S dessiné par un reptile à tête et bec d'oiseau (comme sur la lucarne L9 ou la cheminée intérieure). Cette lettre appartient bien sûr à une devise A PLUS . L'autre panneau est géométrique mais il est surmonté d'une rangée de macles, qui sont brisées au dessus du S.
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La lucarne L10.
La galerie G11.
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LES CHEMINÉES DES APPARTEMENTS.
Les photographies ne sont pas autorisées à l'intérieur des appartements. De mémoire, trois cheminées sont décorées sur leur devant de la devise A PLUS, mais certaines datent de la restauration du XIXe siècle.
L'internaute pourra néanmoins trouver des photographies en ligne :
http://lapassiondupatrimoine.fr/monuments/ressources/files/demeures/aa22d77b7ac90c1209ae95d1f01378d3.jpeg
http://www.tout-sur-google-earth.com/t10008-chateaux-et-manoirs-de-bretagne
http://www.odile-halbert.com/Paroisse/Cartes/Cartes_56/56_Josselin.htm
La cheminée monumentale la plus intéressante est sans doute celle dont la photographie (autorisée) a été publiée dans le Bulletin monumental 1911 vol . LXXV page 495 (Gallica) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31101f/f650.vertical.r=%22jehan%20II%20de%20rohan%22
Elle porte la devise A PLUS en bas-relief doré sur fond rouge (les couleurs d'or et de gueules des armoiries). La graphie reprend celle de la lucarne L9. La lettre A est en branches écotées munies de leurs racines, elle est bien sûr surmontée de la couronne à fleurons. Le fût du P est perlé par une virole strié et ses empâtements sont crénelés. Surtout, un portrait est placé dans sa boucle. C'est celui d'un homme jeune, dont la coupe de cheveux associe une frange droite et des cheveux longs et bouclés en deux masses latérales.
Au dessus du P est représentée une scène de chasse avec un seigneur à cheval et son veneur à pied. Le cerf et la biche se retrouvent à l'extrémité droite.
La lettre L a les mêmes caractères que la précédente. une branche se loge dans sa concavité, s'élève en donnant des feuilles ; un oiseau est venu s'y percher.
La lettre V, également perlé de deux viroles cannelées, et aux empâtements également édentés, voit sa pointe s'enfoncer dans une barre transversale qui crée une symétrie en miroir avec le A.
La lettre S est, comme sur la façade, formée par le corps verruqueux d'un reptile à tête d'oiseau.
Les rinceaux qui encadrent cette devise complètent le tableau cynégétique.
Le linteau porte un A couronné en bois écoté, entre le blason à sept macles de Jean II de Rohan et celui mi-parti de Bretagne et de Rohan de son épouse Marie de Bretagne.
Comme le laissait présager le choix ornemental de la façade, le propriétaire fait preuve d'insistance à honorer le cri de guerre de sa famille, "A plus, Rohan" et son chiffre personnel le "A couronné" d'une référence aux forêts et aux animaux sauvages, et donc aux forces primitives de la nature. En tout début de la Renaissance, l'ornementation du château de Josselin ignore les valeurs humanistes et la culture de cour qui vont se développer ultérieurement (le Livre du Courtisan, il cortegiano de Baldassare Cortiglione ne sera publié qu'en 1528) , et ignore également les références à l'antique et à la mythologie gréco-latine. Elle reste médiévale dans son esprit et gothique flamboyant dans son style.
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CONCLUSION.
J'ai souhaité diffuser en ligne une riche iconographie sur la façade du château de Josselin, tout en étant conscient de n'en avoir pas épuisé les richesses. Je conseille aux visiteurs de se munir d'une paire de jumelles pour dénicher de nouvelles surprises.
Ma conviction est que la présence de macles à l'intérieur de nombreux "A couronnés" exclut l'hypothèse proposée par Roger Grand : ces A ne sont pas des hommages à Anne de Bretagne, mais le chiffre personnel du vicomte Jehan de Rohan, et une citation abrégée du cri de guerre A plus, Rohan de son lignage.
Ceci dit, l'un des privilèges des chiffres et des monogrammes est de laisser plâner une ambiguïté, comme le monogramme HC d'Henri II et de son épouse Catherine de Médicis, dans lequel la maîtresse du roi Diane de Poitiers pouvait lire un D et les deux croissants qui la caractérisaient.
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ANNEXE.
Hervé du HALGOUET , 1911, Discussion sur la date de la façade nord du château de Josselin,
"L'année dernière MM. Chappée et Aubert ont remis en discussion; dans le Bulletin Monumental (LXXIV, 1910, p. 489), l'époque de la construction de la façade nord du château de Josselin, en contestant la date que lui attribue l'opinion courante. Depuis notre travail sur le Porhoet, où nous adoptions les vues de M. Cayot-DeIandre, l'archéologue le plus autorisé du Morbihan, l'étude des domaines des Rohan en Bretagne et notamment de la vicomte de Rohan. nous a mis à même de faire des observations sérieuses sur les monuments de cette seigneurie, qui conduisent à des conclusions utiles à connaître.
Pour plus de clarté. donnons ici l'opinion de Cayot-Delandre sur Josselin « Le chiffre d'un A et d'un V entrelacés, dit-il, qui se trouve répète plusieurs fois dans la devise de Rohan A PLUS, et dans les autres ornements de la façade, révèle le nom d'Alain VIII, vicomte de Rohan; mais l'hypothèse qu'il est l'auteur de cette construction ne peut être admise qu'a la condition d'en attribuer une part a son fils Alain IX, comme le font supposer les macles et hermines souvent répétées dans l'intervalle des ornementations et qui ne sont autres que les armes Rohan-Bretagne d'Alain IX. Alain IX épousa Marguerite de Bretagne en 1407, l'année même où mourut Clisson, son grand-père Alain VIII devint donc à cette époque propriétaire du château de Josselin, du chef de sa femme Beatrix de Clisson, et il put entreprendre, en continuation des travaux du connétable, la reconstruction de la façade intérieure. Il mourut en 1429, et son fils, Alain IX, dut achever ce grand et beau travail, sur lequel il mit son écusson.Il faut donc placer cet achèvement dans la période de 1429 à 1462. »
Les objections faites à ce raisonnement par MM. Chappée et Aubert sont de valeur différente et non absolue. II est très juste que le V ne tient pas à l'observation minutieuse et qu'il faut simplement voir dans la figure légèrement angulaire qui accompagne la lettre A une forme ornementale de la barre transversale. La majuscule représente-t-elle l'initiale du nom d'Alain, ou de la devise A PLUS ? Nous le verrons plus loin.
L'aménagement des fossés n'était pas terminé en 1497, le vicomte faisait encore à cette date des acquisitions de Rohan, en 1505 et 1500, pour « l'œuvre et édiffice » du châtel de Josselin, ils sont simplement significatifs de travaux à cette époque.
Les critiques de Cayot-Delandre ne se sont pas arrêtés aux semis d'hermines que l'on rencontre soit dans la façade, soit a l'intérieur du château: personne n'ignore que les Rohan prétendaient se rattacher à la maison de Bretagne et qu'ils se plaisaient à regarder les hermines comme un symbole de leur glorieuse origine. Mais l'écusson mi- partie Rohan et Bretagne révèle une alliance qui doit être considérée comme une indication essentielle cependant, pour que celle-ci fut précise, il faudrait qu'il n'y eût point plusieurs alliances de Bretagne or, à un demi-siècle d'intervalle, deux Rohan ont épouse des héritières de la maison ducale. Quant aux paiements prescrits par le vicomte de Rohan, en 1505 et 1500, pour « l'œuvre et édiffice » du châtel de Josselin, ils sont simplement significatifs de travaux à cette époque.
Il est donc difficile, d'après ces données, de formuler mieux que des hypothèses, mais ces hypothèses pourront se transformer en probabilités très sérieuses lorsqu'on aura vu que plusieurs motifs décoratifs de la façade septentrionale de Josselin se retrouvent sur deux édifices de la vicomté de Rohan, dont l'un est d'une époque parfaitement déterminée, et l'autre est daté.
L'an 1427, Alain, vicomte de Rohan, désirant fonder dans sa ville de Pontivy un monastère de frères mineurs observantins, leur donna le lieu et emplacement du premier châtel de cette ville, appelé les Salles. Son fils, Jehan II, ne voulut pas laisser le chef-lieu de sa principale seigneurie sans forteresse, et, pour assurer la défense, construisit un château sur la limite nord de l'enceinte. Fondation ou reconstruction, nous ne saurions trop nous prononcer sur ce point; toujours est-il que le 16 décembre 1480, le duc François II accorda au vicomte de Rohan l'autorisation de fortifier ce château de Pontivy et d'y établir le guet. Ces lettres furent confirmées le 23 décembre 1491 par le roi Charles VIII .
L'aménagement des fossés n'était pas terminé en 1497, le vicomte faisait encore à cette date des acquisitions de terrains au pied du château « pour meptre et employer os douffves". D'ailleurs le caractère architectural de la forteresse ne laisse aucun doute sur l'époque de la construction, elle porte toutes les transformations que subirent les places fortes à la fin du XV" siècle, par suite des progrès de l'artillerie. Le logis seigneurial est encore de nos jours un bâtiment de faible élévation, rehaussé de lucarnes à gables élances couronnant les fenêtres. Les gâbles ont été remaniés depuis la construction, mais ils ont conservé sur leur face ou tympan des motifs d'ornementation très caractéristiques, qui changent d'une fenêtre a l'autre; c'est, d'une part,l'écusson de Rohan à sept macles, encadre dans le collier de Saint- Michel. que par faveur spéciale Jehan II avait reçu du roi en 1469 : d'autre part, un A couronné, qui ne peut être à coup sûr que le rappel de la fière devise A PLUS.
Ce cri n'aurait pas déjà été consacré comme devise par la maison de Rohan, que Jehan Il l'eut imaginé et adopté pour lui et les siens. On sait les querelles dont souffrit la Bretagne quand s'ouvrit la question de la succession de François II. Jehan de Rohan.qui avait épouse Marie de Bretagne. fille de François voulut être « plus grand que oncques seigneur de Roban n'avait été » et se laissa entraîner à des intrigues fâcheuses. Le roi ayant promis de le faire duc de Bretagne, il courut à lui, abandonnant la province où il eût réussi à rallier le vieux parti breton qui aurait peut-être triomphé des étrangers.
La proie lui échappa pour l' ombre. Cependant, renonçant à ses prétentions de souveraineté en faveur de ses enfants, il chercha à obtenir l'union de ses deux fils avec les deux héritières du duché. Anne et Isabeau. La devise A PLUS semble bien incarner la pensée dominante de Jehan II de Rohan. On trouve également à Pontivy, dans la même façade du logis, d'élégantes colonnes de pierre servant à l'écoulement des eaux pluviales, terminées par des têtes d'animaux fantastiques formant gargouilles. Une superbe rampe de perron et des balustrades en fer forgé y rappellent le XVIe siècle. Jehan II fut un grand constructeur; outre les châteaux de Pontivy et de Corlay qu'il édifia à la fin du XV siècle, c'est à la même époque qu'il rebâtit la plus grande partie de son château de Blain et qu'il travailla à La Garnache. Mais restons dans la vicomte et quittons Pontivy pour aller à peu de distance de là, au siège de la forteresse qui donna son nom à cette maison illustre sortie des Porhoët. Le châtel de Roc'han ou Rohan, sur les rives de l'Oust, était encore debout au commencement du XVIe siècle, mais sans doute déjà fort endommagé par les guerres; en 1628, il n'en restait rien, si ce n'est des ruines. Des fenêtres de sen château de Rohan Jehan II pouvait voir, au flanc de la colline rocheuse formant le versant oppose de la vallée, une modeste chapelle dont l'état lamentable lui rappela les obligations dues à une fondation ancestrale et les devoirs à la Vierge invoquée en ce lieu sous le nom de Notre-Dame-de-Bonne-Rencontre. Elle faisait partie du temporal du prieuré de Rohan ou de Notre-Dame fondé par un seigneur de Rohan. Il vit la une nouvelle occasion d'affirmer sa piété et peut- être aussi chercha-t-il devant le Tout-Puissant un palliatif à ses fautes .
Sur l'emplacement même de l'ancienne chapelle prieurale, Jehan II construisit un sanctuaire de style flamboyant, digne cette fois de la mère de Dieu. Une inscription gothique gravée au-dessus de l'entrée principale porte le millésime 1510 et le nom de Jehan de Rohan. Sur les deux contreforts qui soutiennent la chapelle de ce côte, se remarquent des A couronnés, exactement semblables à ceux de Pontivy. et même l'un de ces contreforts était orné dans sa partie supérieure de l'écusson a sept macles avec le collier des ordres du roi. Ces motifs ne frappent pas à première vue; ils ont été martelés par les vandales de la Révolution et fortement mutilés. L'écusson est presque entièrement effacé, mais la trace en reste encore visible.
En 1505 et 1506 d'après les documents publiés par MM. Chappée et Aubert, d'importants travaux étaient en cours au château de Josselin, travaux qui semblent même avoir rendu la demeure seigneuriale inhabitable, puisque ces ordres de paiements ont été signes aux châteaux de Rohan et de Blain.
La façade nord de Josselin est un joyau d'architecture gothique; les détails d'ornementation, où le ciseau du sculpteur s'est exercé dans le granit avec une délicatesse, une patience, un caprice d'imagination incroyables, sont aussi souples et légers que variés et artistiques. Cependant certains motifs reviennent fréquemment: ce sont l'écu de Rohan encadré du collier de Saint-Michel et l'initiale A couronné, identiquement les mêmes que ceux déjà rencontres à Pontivy et a Rohan. De plus. ici comme là on trouve les mêmes colonnes pour l'écoulement des eaux pluviales.
Subsiste-t-il encore quelque doute sur la signification de l'initiale ? Entrons à l'intérieur du logis : la cheminée principale, qui offre en relief la devise A PLUS, donne le type du grand A couronné qui orne les cheminées et les gâbles de la façade. On ne peut mettre en question Alain VIII ni Alain IX de Rohan, et par ailleurs, puisque la cordelière traditionnelle de la veuve de Charles VIII n'accompagne pas le motif, il faut écarter l'idée du chanoine Le Menée qui. à propos de la chapelle de Rohan, rapporte l'initiale à Anne de Bretagne. Sur la même cheminée l'écu de Rohan-Bretagne indique l'alliance de Jehan II de Rohan avec la fille de François II. Cette alliance, nous le pensons, doit à plus d'un titre avoir sa place à Josselin; Jehan II possédait une fortune considérable en terres, mais, par suite des voyages, des prises d'armes, des séjours à la Cour, où il put, à Amboise comme à Blois, prendre le goût des habitations luxueuses et le sentiment, des beautés artistiques, ses biens suffirent difficilement à ses dépenses excessives et peut-être ne put-il entreprendre la restauration de Josselin que grâce à la dot de Marie de Bretagne qui, après un très long procès, fut définitivement payée par la duchesse Anne.
Quand se fut accompli le mariage de l'unique héritière de Bretagne, ayant vu, malgré toutes les promesses royales, ses plus chères espérances anéanties, Jehan II se retira dans sa province d'origine. Alors, dit Dom Morice, il employa ses revenus à réparer ses châteaux et à les embellir (*) . C'est dans cette occupation qu'il termina ses jours à Blain. le 1er avril 1516. Son corps fut transporté à Bon-Repos et placé avec ceux de ses ancêtres. » (*) : Pierre de Rohan, connu dans l'histoire sous le nom de maréchal de Gié, lui donna l'exemple en édifiant le fameux château du Verger, « le plus somptueux de tous ceux d'Anjou )', célèbre par sa galerie vitrée « renfermant tout ce que l'art d'alors avait de plus merveilleux ». Les possesseurs du Verger ne péchaient pas non plus par modestie. Leur devise Duc ne daigne, roi ne puis, Rohan suis-je figura en bonne place dans leur demeure. Rohan-Porhoet et Rohan-Gié n'eurent rien a s'envier.
Après ce qui vient d'être dit, il semble que la façade septentrionale du château de Josselin doive être datée des dernières années de Jehan II de Rohan, et nous sommes heureux ici d'être d'accord avec un savant inspecteur des Monuments historiques, Mérimée, qui reconnut que ce travail architectural ne pouvait être antérieur au XVIe siècle. Avant lui Viollet-le-Duc l'avait classé dans les dernières années du XV siècle. Si Louis II s'est plu à favoriser en France l'influence de l'architecture classique, à la fin de son règne l'art gothique est en pleine vie.
L'aspect pittoresque des lucarnes flamboyantes de Josselin nous remet de suite en mémoire le palais de justice de Rouen, les hôtels de ville de Compiegne et de Saumur, l'hôtel de Cluny à Paris. Les constructeurs accordent alors aux lucarnes une importance qu'elles n'ont jamais eue en d'autres temps: elles deviennent parfois la partie principale de la décoration et prennent la physionomie de véritables pignons masquant les combles, agrémentes de sculptures, de chiffres, devises et armoiries. Outre les édifices remarquables qui viennent d'être cites, on peut rapprocher le château des Rohan. par les détails comme par le style, d'un grand nombre d'autres monuments du commencement du XVIe siècle, caractérisant la dernière période gothique: les châteaux de Nantes en Bretagne, de Meillant et d'Ainay-leViel en Berry, l'hôtel de Bourgtheroulde à Rouen. le logis du roi à Loches, etc.
D'ailleurs, il est bon de faire remarquer ici que le style gothique n'a cessé généralement d'être en usage en Bretagne qu'un demi-siècle après que la plupart des autres provinces. et surtout celles du centre de la France, l'avaient abandonné. Cependant, si les traditions de ce style persistaient ainsi, les artistes n'étaient pas insensibles a certaines tendances ni à certaines inspirations qui laissent deviner l'esprit des débuts de la Renaissance. Josselin, d'une si belle exécution d' ensemble contribue à en fournir la preuve.
Les travaux qui s'effectuaient au château de Josselin les années 1505 et 1506 n'étaient que la continuation d'une œuvre importante, nous en avons aujourd'hui la preuve par de nouveaux documents découverts pendant l'impression de notre article. MM. Chappée et Aubert ont cité deux ordres de paiement pour ces travaux, mais les archives particulières des châteaux de Lanouée et de Kerguehennec nous fournissent d'autres lettres missives du même genre. L'une, datée du 27 mai 1503, porte mandement à Guillaume Le Kerme, receveur des bois et forêts dè Loudeac et Branguilly, de paier soixante et onze livres monnoie au charpentier Guillaume Le Bailly, pour le marché de la charpenterie du corps de maison que a present faisons faire de nostre chastel de Jocelin. Une autre, du 17 avril 1504, porte mandement de verser deux cent cinquante cinq livres monnoie au connétable de Jocelin, pour employer au fait de l'œupvre et edifice de nostre chastel de Jocelin ". On peut donc définitivement admettre que Jehan II de Rohan exécutait pour Josselin un plan vaste de reconstruction, d'autant que différentes déductions nous portent à croire que les travaux étaient commencés dès 1500."
Vicomte Hervé du HALGOUET
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SOURCES ET LIENS.
—L'excellent site http://www.patrimoine-histoire.fr/P_Bretagne/Josselin/Josselin-Chateau.htm
—Le site officiel du château http://www.chateaudejosselin.com/fr/
— L'article Infobretagne http://www.infobretagne.com/josselin.htm
—Un historique complet sur le site Mon Finistère :
https://www.facebook.com/MonFinistere/posts/589389514491642
— CHAPPÉE (Julien) & AUBERT (Marcel) 1910, La date de la façade septentrionale du château de Josselin. Bulletin monumental publié sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques ; et dirigé par M. de Caumont Vol. LXXIV page 489-493
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k311003/f676.vertical.r=josselin
—GICQUEL (Yvonig), 1994, Jean II de Josselin (1452-1516) ou l'indépendance brisée de la Bretagne, Jean Picollec Coop Breizh.
— GRAND (Roger), 1954 Le château de Josselin, monographie de 64 p. Henri Laurens ed.
— HALGOUET (Hervé du), 1911, Discussion sur la date de la façade nord du château de Josselin, Bulletin monumental publié sous les auspices de la Société française pour la conservation et la description des monuments historiques ; et dirigé par M. de Caumont Vol. LXXV page 489-497
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31101f/f650.vertical.r=%22jehan%20II%20de%20rohan%22
—MUSSAT ( André), 1983, Le château de Josselin présenté pendantCongrès archéologique de France. 141ème session. Morbihan. 1983.
— VIOLLET-LE-DUC (Eugène-Emmanuel), 1867, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle,Ed. Bance-Morel, tome 2 : "Balustrade" page 99.
http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/11496-dictionnaire-raisonne-de-l-architecture/
ou Wikisource : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Viollet-le-Duc_-_Dictionnaire_raisonn%C3%A9_de_l%E2%80%99architecture_fran%C3%A7aise_du_XIe_au_XVIe_si%C3%A8cle,_1854-1868,_tome_2.djvu/99
— VIOLLET-LE-DUC (Eugène-Emmanuel), 1868, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, Ed. Bance-Morel, tome 6 : "Lucarne" page 190.
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Viollet-le-Duc_-_Dictionnaire_raisonn%C3%A9_de_l%E2%80%99architecture_fran%C3%A7aise_du_XIe_au_XVIe_si%C3%A8cle,_1854-1868,_tome_6.djvu/193
— VIOLLET-LE-DUC (Eugène-Emmanuel), 1867, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, Ed. Bance-Morel, tome 3 : "Chiffre" page 190. https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_raisonn%C3%A9_de_l%E2%80%99architecture_fran%C3%A7aise_du_XIe_au_XVIe_si%C3%A8cle/Chiffre