Les sablières et les blochets de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre à Châtelaudren.
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La chapelle Notre-Dame-du-Tertre renferme deux ensembles de sablières et de blochets et clefs : celles de la nef et celles du porche sud. Comme le visiteur rentre par la porte de la chapelle Sainte-Marguerite, au sud-est, il découvre d'abord la nef, puis pénètre de l'intérieur dans le petit porche sud, fermé de l'extérieur par une grille.
Datation.
Les sablières ont été sommairement décrites en 1936 par Couffon qui datent celles du porche de la seconde moitié, ou de la fin du XVe,. Sophie Duhem, dans sa thèse, les datent par estimation, de "la fin XVe-début XVIe / 1re moitié XVIe" (Duhem p. 328), sans distinguer les deux ensembles. J.L. Matte date le motif du couple de sonneur, et donc les sablières de la nef, comme n'étant "pas inférieures à la moitié du XVIe" (cf. infra).
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I. LA NEF.
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Le blochet du Bélier.
Il sort de la charpente et s'appuie de ses pattes sur une pièce de bois comme s'il faisait son petit curieux ; et il a une bonne tête, comme ces animaux des fables à qui il ne manque même pas la parole.
Vous allez rire : je l'ai d'abord confondu avec un bouc, et j'ai dû me livrer à de longues révisions avant de corriger mon erreur. Le bouc est le mâle de la Chèvre et le bélier de mâle non châtré du Mouton. Ce sont ses cornes en spirales et annelées qui m'ont permis d'éviter de me ridiculiser (ce que je suis en train de faire).
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Cliquez sur l'image. Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Le blochet de l'Homme main sur la tête.
Cet homme, en buste et en position horizontale, pose une main sur son crâne (largement dégarni et l'autre sur son ventre. Il ne sembla pas bien vieux, avec une belle paire de moustaches et une barbe bien taillée. Il porte une veste à bouton, une chupenn.
Sa bouche est entrouverte : lance-t-il un cri après avoir guetté l'arrivée d'un personnage, d'un navire ou d'une proie ? Vient-il d'apercevoir son bélier qui s'était sauvé ? Le cherche-t-il encore ?
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La clef pendante du Visage encagoulé.
J'y vois une femme portant la guimpe, mais arrêtez-moi si je me trompe, je ne suis plus sûr de rien pour reconnaître la femelle ou le mâle de quoi que ce soit.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La sablière de Renard et de la Poule.
À la différence d'autres corniches, ces charpentes sculptées ne portent que deux motifs, réunis en une (très brève) saynète.
Ici, un Renard se dirige à pas de loup vers une Poule. Je mets des majuscules car il ne s'agit pas d'individus, mais, comme dans les fables, de l'animal représentant son Espèce : un Type, que dis-je, un Archétype.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Renard ou Goupil, Vulpes vulpes, progresse vers sa proie, la gueule carnassière tendue, salivant déjà (j'en suis sûr) et se forgeant une félicité qui le ferait pleurer de tendresse, s'il était Loup (mais comment différencier les deux ?).
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La Poule.
Elle n'a rien vu, et picore en caquetant. (Faux : j'apprends que les poules ne caquettent que lorsqu'elles pondent). Disons alors que Poule ici cagnette, à moins qu'elle ne claquette, ou qu'elle ne glousse. Elle cloquera quand elle parlera à ses poussins dans l'œuf, et elle cloussera quand elle couvera les œufs qu'elle a fini par pondre. À moins qu'elle ne crételât. Mais d'ici là, elle sera croquée.
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Renard et Poule font le bonheur des paroissiens depuis que les sablières existent. Je les ai vu, entre cent exemples, à la chapelle Saint-Sébastien et à la chapelle Saint-Fiacre du Faouët. Sophie Duhem, qui a recensé 1252 pièces sculptées dans les Côtes d'Armor, y a trouvé 29 renards et 23 "animaux de basse-cour". Elle en a fait un article entier : "«Quant li goupil happe les jélines... », ou les représentations de Renart dans la sculpture sur bois bretonne du XVe au XVIIe siècle" (cf. biblio)
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Pièce de bois sculptée suivante : l'Objet mystérieux.
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Peut-être peu inspiré, l'ymagier a représenté ici quatre feuilles placées en croix, et une sorte de pain quadrillé entouré d'une couronne de fleurs.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Les deux âges de la vie : la Jeune et la Vieille.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La Vieille.
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"Marquise, si mon visage,
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits.
On m'a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis." Pierre Corneille, Stances à Marquise, 1658.
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La Jeune.
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"Peut-être que je serai vieille
Répond Marquise, cependant
J’ai vingt-six ans mon vieux Corneille
Et je t’emmerde en attendant." (Tristan Bernard)
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Le Hibou.
Faire la différence entre le Hibou et la Chouette, ça, je sais faire.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Le Lièvre poète.
Comme il sait s'émerveiller devant Fleurette !
"Ses deux oreilles droites marquent l'heure suprême.
Puis elles se cassent." (Jules Renard)
Et si c'était un Lapin ?
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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L'Écureuil qui a le sens de l'Épargne.
Comme il sait ne pas attendre l'hiver pour mettre en lieu sûr ses réserves de glands !
"Leste allumeur de l’automne, il passe et repasse sous les feuilles la petite torche de sa queue." (Jules Renard)
Sophie Duhem déjà citée, parmi les 1252 pièces sculptées des Côtes d'Armor, les 1895 pièces du Finistère, les 1593 pièces du Morbihan... et les 103 pièces d'Ille-et-Vilaine (ouh, ouh) ou les 37 pièces de Loire-Atlantique (...) a recensé 393 animaux sauvages et exotiques. Parmi lesquels 100 chiens, 34 lapins, et UN seul écureuil, celui-ci.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Le Moissonneur.
Retour chez les humains. Notre homme est vêtu d'une tunique aux manches remontées, serrée par une ceinture au dessus de brais sur des jambes nues. Il se chausse de sabots.Quelque soit le siècle, le Moissonneur penché sur les épis et armés de sa faucille est un Type. Il rythme les douze travaux du mois, comme ici pour le mois de Juillet par Maître Honoré (1250). Il fait chaud, et soif.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Les sonneurs.
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Jean-Luc Matte en donne la description suivante :
http://jeanluc.matte.free.fr/invcbis.htm#chatelaudren
"Sc/bois : sablière, joueur de cornemuse face à un joueur de hautbois, tous deux jambes repliées et croisées. Sous le hautbois on aperçoit une forme ronde qui pourrait être un sac mais le musicien embouche directement celui-ci et la cornemuse en face est suffisamment bien représentée pour que l'on ne puisse penser qu'il s'agit d'une cornemuse et non d'un hautbois. Le joueur de cornemuse est visiblement inspiré des tableaux de Brueghel, ce qui explique les deux bourdons (sur souche commune), peu communs en Bretagne à cette époque.
Fin XVème début XVIème estimé par S. Duhem mais si l'on prend en compte l'inspiration brueghelienne (1520/25-1569), ne peut être inférieur à la mi-XVIème
Deux bourdons d'épaule (presque verticaux), accolés, de même forme et même longueur, quasi cylindriques à légers pavillons, montés sur souche commune. Hautbois de forme et taille assez similaire à celle des bourdons."
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Pieter Brueghel l'Ancien, La Danse des paysans (détail), 1568. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Danse_des_paysans
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La Chauve-souris.
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Charpente sculptée de la nef de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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II. LE PORCHE SUD.
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Vous venez que quitter la nef, et vous pénétrez dans un espace riquiqui, blafard et lunaire, sentant l'ail, où, comme dans une fumerie d'opium d'un album de Tintin, un magot chinois vous regarde de ses yeux rouges. Kezce cek cebinz ? Aïe-aïe-aïe ! Quelle congaï de Shangaï s'accroche à votre chandail ? Bye-bye ! Pas envie de servir de cobaye au recteur et à ses ouailles.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La berlue ! Deux oniriques dragons volent et se disputent un petit pain, après avoir renversé le sac de farine du meunier !
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Une monstruosité qui a volé le collier de perle de la Castafiore veille sur ces bestioles avec un sourire aussi débonnaire que sardonique. Qu'est-ce qui se mijote ici ? Quelle est cette Chose ?
Parfois, comme quelqu’un qui cherche, elle touchait
Le mur prodigieux de la cave du monde.
Elle serpentait, lente et souple comme une onde,
Dans l’abîme où l’esprit lit ce mot triste : Absent.
Souvent elle laissait derrière elle en passant
Le bleuissement pâle et fugitif du soufre.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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À droite du mandarin, dans cet espace restreint, un mâtin colle son tarin à l'arrière-train d'un cerf plein d'entrain. Quel tintouin. Le daguet est dans un sale pétrin.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Faites cesser cette chasse à cour ! Chercher la sortie de secours ! Arrêtez le compte-à-rebours ! Une pluie de sang tombe du lambris et va tacher mon pantacourt.
Une forme, parfois soudain évanouie,
Puis renaissant, flottant au loin, puis s’abîmant,
Sorte de voile ayant un vague mouvement,
Glissait sous ce plafond qu’on prendrait pour un rêve.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Faire demi-tour ! C'est pire ! clairez, il fait noir comme dans un four.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Un dragon ! Un lion ! Tous les deux armés d'un rouleau à pâtisserie qui montrent bien leurs intentions : semer la désolation sans discrimination.
Lui, l’immense oeil de tigre ouvert sur l’infini....
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Et voila le pompon ! La Mesnie Hellequin ! Ce veneur du diable aux yeux hallucinés danse une gavotte du plus mauvais effet et son bâton ne me dit rien qui vaille. Kaï kaï kaï ! Quelle racaille ! Il faut que je m'en aille.
Le démon fulgurant, dans cette transparence,
Horrible, se tordait comme un éclair noyé.
Puis la nuit revenait, glacée et sans pitié;
La vaste cécité refluait sous la voûte
De l’éternel silence et l’engloutissait toute;
Et l’enfer, un instant montré, se refermant,
Lugubre, s’emplissait d’évanouissement.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Vais-je sortir de ce Train-fantôme ? Non. Deux bêtes féroces viennent de me bousculer dans un hurlement d'enfer, un chien et un sanglier tout aussi animatroniques que terrifiques.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Et ça recommence. Une licorne embroche un lion, à moins que ce brutal animal ne se soit saisi de l'appendice monumental.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Mais qui je vois ? Monsieur Bélier, qui a quitté la nef pour rentrer sans alibi dans ce cagibi. Il me regarde comme un zombie. Je suis cuit.
La rondeur de sa rouge et fatale prunelle
Semblait, dans la terreur de ces lieux inouïs,
Une goutte de flamme au fond du puits des nuits.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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Z'avez rien vu ! C'était de la gnognotte. Du pipi de chat. Roupie de sansonnet et fantasmagorie Walt-Dysney.
Oyez et voyez !
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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—Naïf : Qu'est-ce-que c'est ? Un cul-de-lampe ?
—Instruit : C'est la redevance du pet ? Un pétangueule ?
— Observateur : Belzébuth ? Et il nous chie dessus ?
—Non madame. C'est bien pire.
C'est l'infernale Lilith et sa vulve maudite.
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Charpente sculptée du porche de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre. Photographie lavieb-aile septembre 2017.
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La vaste cécité refluait sous la voûte
De l’éternel silence et l’engloutissait toute;
Et l’enfer, un instant montré, se refermant,
Lugubre, s’emplissait d’évanouissement.
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SOURCES ET LIENS.
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SOURCES ET LIENS.
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— SITE DE CHÂTELAUDREN
http://www.chatelaudren.fr/fr/information/29512/les-lambris-peints-chapelle-rouge
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http://cdn1_3.reseaudescommunes.fr/cities/169/documents/8z79rggvywtfnx1.pdf
— COUFFON (René), 1936 Quelques notes sur les Origines de Châtelaudren et les Peintures de la Chapelle N.-D. du Tertre", Bull, et mém. de la Société d'émulation des Côtes-d'Armor T. 68 p.145-159.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58027444/f181.image
— DUHEM, (Sophie), 1997, "Les sablières sculptées en Bretagne", Presses universitaires de Rennes,
— DUHEM (Sophie), 1997, Les sablières, images, ouvriers du bois et culture paroissiale au temps de la prospérité bretonne, XVe-XVIIe s. Presses Universitaires de Rennes 385 p.-[16] p. de pl. en coul. Note : Bibliogr. p. 367-379. Notes bibliogr. Index . Voir pages 19, 169 (licorne), 226 et 227 (cornemuse), 238 (moissonneur), 241 (écureuil et lapin).
— DUHEM (Sophie), 1998, "«Quant li goupil happe les jélines... », ou les représentations de Renart dans la sculpture sur bois bretonne du XVe au XVIIe siècle" Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest Année 1998 Volume 105 Numéro 1 pp. 53-69 http://www.persee.fr/doc/abpo_0399-0826_1998_num_105_1_3972
— MATTE (Jean-Luc), Iconographie de la cornemuse, en ligne.
http://jeanluc.matte.free.fr/invcbis.htm#chatelaudren