La verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32 (vers 1340) de la cathédrale de Strasbourg, commanditée par l’évêque Jean de Dirpheim en 1328.
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Voir :
- Le vitrail des cent visages (2015) de Véronique Ellena et Pierre-Alain Parot à la chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale de Strasbourg. Baies 22 et 24.
- La verrière de la Vie de la Vierge (baie 26, vers 1328, bas-coté sud) de la cathédrale de Strasbourg.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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PRÉSENTATION.
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Haute de huit mètres, cette verrière du bas-coté sud appartient à une série de cinq verrières quadruples de huit mètres de hauteur sur les épisodes de la vie de la Vierge et l’enfance du Christ (baie 26), la vie publique du Christ (baie 28), la Passion (baie 30), la vie glorieuse du Christ (baie 32) et enfin la représentation du jugement dernier (baie 34). En effet, en 1328, l’évêque Jean de Dirpheim avait décidé de faire remplacer les figures de l’ancien cycle des Saints par ce cycle, qui s’étendait initialement non sur cinq mais sur sept fenêtres du bas-côté sud. Quelques années après le début du chantier, l’édification de la chapelle Sainte-Catherine (fondée en 1331 par l’évêque Berthold de Buchegg) consacrée en 1349 provoqua la destruction des baies 22 et 24 qui venaient juste d’être vitrées. Les panneaux sacrifiés furent conservés et réutilisés vers l’ouest où les vitraux n’étaient pas encore en place (cf. Becksmann et Ch. Wild-Block).
J'ai déjà décrit la baie 26.
Entre 2009 et 2012, des travaux de restauration des cinq verrières du bas côté sud de la cathédrale ont été réalisés sous la direction de Christiane Schmuckle-Mollard, architecte en chef des monuments historiques, architecte de l’Oeuvre Notre-Dame, par deux entreprises : l’Atelier Parot à Aiseray et le Vitrail Vinum à Troyes. Ils ont été financés conjointement par l’État, l’Évêché et la Ville de Strasbourg. Une opération inédite de mécénat culturel a permis d’apporter un complément d’1,5 million d’euros, pour un coût total de 2,2 millions d’euros. L’État a porté, à la base de la 2e verrière représentant la Vie du Christ, sur la bordure inférieure de quatre lancettes, l’inscription suivante du propriétaire : « LA RESTAURATION DES VERRIERES DU BAS COTE SUD A ETE ACHEVEE EN MMXI [2011] ». les nouvelles mesures de protection ont été retenues avec la mise en place de verrières de doublage à 4 cm des verrières anciennes.
"Dans les verrières du bas-côté sud, d’est en ouest, un vaste cycle narratif se déploie dans les lancettes de cinq verrières quadruples, chacune compartimentée en seize scènes. À la suite des épisodes de la Vie de la Vierge et de l'Enfance de Jésus se trouvent exposés ceux de la Vie publique, de la Passion et de la Vie Glorieuse du Christ, qui précèdent une représentation du Jugement dernier.
Ces verrières sont postérieures à l'incendie de 1298, qui a ravagé la série de prophètes située face à celle des souverains. L’harmonie des fonds bleu clair, les traits des visages, les rendus des vêtements, le maintien des figures, mais aussi les éléments architecturaux ou décoratifs leur servant de cadre sont typiques du début du XIVe siècle.
Une volonté de lisibilité
À la portée des fidèles pour être parfaitement lisibles, des commentaires sont inscrits et ce, sur des épisodes moins familiers. Tout cela témoigne d’une pédagogie de l’image, de la volonté d’être compris au mieux. Cette démarche rend aussi compte de la vitalité de la pensée théologique dans le contexte rhénan des années 1320, sous l'influence des ordres mendiants." Claire Lingenheim
Victor Beyer souligne les relations entre ces vitraux strasbourgeois et ceux du chœur de l’église du couvent double de Franciscains et de Clarisses de Königsfelden en Suisse, réalisés sans doute vers 1330-1340 à Bâle .
Le plan suivant par Christiane Schmuckle-Mollard montre les datations des vitraux de la cathédrale : en rouge, les verrières du XIVe siècle, dont les baies 26, 28, 30, 32 et 34 dans le bas-coté sud. J'ai encadré le cycle de 1328, et indiqué d'une flèche la baie 32.
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La baie 32 est consacrée à la Vie Glorieuse du Christ.
Elle comporte quatre lancettes divisées en quatre registres, et un tympan à trois oculi polycycliques et des écoinçons.
Les lancettes offrent, par cette partition, seize scènes successives :
- 1. Descente de Jésus aux Limbes.
- 2. Le Diable enchaîné aux Enfers cf.Descente de Jésus aux Enfers.
- 3. Résurrection, sortie du Tombeau.
- 4. Apparition d'un ange aux saintes femmes venues au tombeau.
- 5. Apparition du Christ à Marie-Madeleine : Noli me tangere.
- 6. Apparition du Christ aux sainte femmes et à saint Pierre.
- 7. Apparition du Christ aux pèlerins d'Emmaüs.
- 8. Apparition du Christ aux apôtres en l'absence de Thomas.
- 9. Apparition du Christ à saint Thomas.
- 10. Apparition du Christ aux apôtres
- 11. Apparition du Christ à saint Pierre au lac de Tibériade.
- 12. Apparition du Christ aux apôtres lors d'un repas.
- 13-14. Ascension du Christ (lancette 1, 2 et 3)
- 15-16. Descente du Paraclet, Pentecôte (lancette 4)
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"La Vie surnaturelle du Christ illustré ici est l'un des cycles les plus importants qui soient au XIVe siècle. Il est étonnant que les ouvrages d'iconographie n'en aient pas fait mention dans leurs liste et références : cela est dû sans doute au discrédit dans lequel l'a tenu la monographie de R. Bruck.
Comptant au Moyen-Âge entre dix et quatorze sujets – ils sont bien quatorze sur cette verrière – ces cycles s'inspirent tant des évangiles canoniques que des apocryphes et des auteurs, en particulier Jacques de Voragine (Legenda aurea), le Pseudo-Bonaventure (Meditationes vitae Christi) et Ludolphe le Saxon (Vitii Christi). Force est donnée à certains thèmes par leurs références aux péricopes de la messe pour la Semaine Sainte. Sans vouloir assigner aux panneaux de cette verrière l'ordre stricte des péricopes, du dimanche de Pâques — Visite des Trois Femmes au tombeau —, au dimanche de l'Octave —Apparition du Christ aux disciples et Incrédulité de saint Thomas (Jn 20:19-30) —, il se peut que le sujet contenu en s VI 5 b, le diable enchaîné dans les enfers aux derniers jours, qui vraisemblablement provient de la lancette obstruées VII 5d, ait non seulement pris la place du panneau original en sVI, mais également perturbé quelque peu l'ordonnance des sujets, du moins au premier registre, de 5 a à 5 d, attendu que la visite des Femmes au tombeau inaugure la série iconographique des apparitions du Christ — avec tout de même la Descente aux Limbes (5a). Cependant l'emplacement du panneau du Diable enchaîné se justifie de toute façon à la suite de la Descente aux limbes, Descendus ad Infernos. La suite du Noli me tangere, de l'Apparition du Christ aux saintes Femmes, puis à Pierre, des disciples d'Emmaüs s'agence parfaitement. Toujours est-il que dans l'état actuel des panneaux l'illustration des quatorze apparitions est assurée, bien que figure parmi elle la résurrection qui, en fait, n'en est pas une car elle est sans témoin."
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Victor Guerber l'a décrit ainsi
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Quatrième fenêtre. Rosaces : Couronnement de la Ste Vierge; anges.— Lancettes: Descente de Jésus-Christ dans les limbes, au-dessus desquels on lit: Adam, Eva (Ephes., IV); les limbes eux-mêmes; résurrection du Sauveur (S. Matth., XXVIII); ange assis sur la pierre du tombeau (ibid.); apparition de Jésus-Christ à Madeleine (S. Marc, XVI); les anges apparaissent aux saintes femmes (S. Luc, XXIV); voyage d'Emmaüs (ibid.), avec la suscription Lucas, Cleophas; Jésus-Christ apparaît aux apôtres (S. Marc, XVI); incrédulité de S. Thomas (S. Jean, XX); seconde apparition aux disciples (ibid.); pêche miraculeuse (S.Luc,V); autre apparition aux disciples quand ils prennent leur repas (S. Luc, XXIV); Ascension (ibid.); le Sauveur disparaît dans les nues (Actes des apôtres, I); attente du Saint-Esprit (ibid.); Pentecôte (Actes, II).
Les bordures manquent, et les sujets prennent toute la largeur des lancettes. Au bas de la fenêtre se trouve une inscription allemande passablement détériorée; elle répond exactement aux quatre premiers sujets de la baie:
Got brach der Helle Tur,
Und nain die sine lier furf
Und erstund am dritten Tag,
Dus was Tiefel gro (sse) Klag.
(Dieu brisa les portes des limbes, et en lit sortir les siens; il ressuscita le troisième jour, au grand regret du démon.)
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Sur le plan iconographique, il m'a semblé intéressant de tracer un parallèle entre deux groupes d'œuvres :
a) les Bibles moralisées du début du XIIIe siècle, et notamment le volume de la Bible de Saint Louis consacré au Nouveau Testament (Tolède III), réalisée à Paris vers 1226-1235 dont 31 médaillons (folio 69v-79v) illustrent la Vie Glorieuse dans le cycle Résurrection-Ascension. Bien que les images ne soient pas disponibles en ligne, son intérêt provient de l'ampleur de ce cycle, de sa précocité, et du fait que ce cycle a été étudié par Boespflug et Zaluska en 2017 dans les Commentaires du fac-similé des éditions Moleiro. (Les Bibles antérieures, Vienna 2554 et Vienna 1779, ne contiennent pas le Nouveau Testament).
b) Les Bibles moralisées du XIVe siècle, contemporaine de la verrière. Je retiens surtout la Bible moralisée BnF fr.167 , qui présente quatre intérêts majeurs : d'une part, par sa datation de 1349-1352, elle est quasiment contemporaine de cette verrière de Strasbourg. Elle était sans doute destinée à Jean Le Bon.D'autre part, ses images sont numérisées par Gallica. Ensuite, le texte est bilingue en français et en latin de manière plus aisée à déchiffrer que la Bible de Saint-Louis. Enfin (comme toute Bible moralisée), le texte évangélique est accompagnée de sa moralisation illustrée qui nous permet de comprendre quel sens les clercs donnaient à ces épisodes évangéliques et quel interprétation, souvent très éloignée de nos suppositions, pouvaient développer les prédicateurs.
[ "Les moralisations des Bibles moralisées, quant à elles, sont des interprétations spirituelles de l’Ecriture élaborées à partir de diverses œuvres dont les Postilles d’Hugues de Saint-Cher, la Glossa ordinaria, l’Aurora de Pierre Riga ou encore l’Historia scholastica de Pierre le Mangeur ; elles puisent aussi quelquefois dans les sources juives. Ces passages, bibliques et moralisés, ne sont pas l’œuvre de grands théologiens. Ils ont été écrits pour un public laïc royal ou princier et non pour des exégètes de la Bible. Le rapport entre le passage biblique et la moralisation ne s’établit pas systématiquement sur la typologie qui voit dans l’Ancien Testament la préfiguration du Nouveau. Les moralisations tiennent aussi compte de l’Église contemporaine générant une iconographie innovante qui en reflète les préoccupations. Ainsi se remarquent la place importante donnée à la vie sacramentelle, un fort cléricalisme et un antijudaïsme. Au fur et à mesure du temps, les ordres mendiants, puis, parmi eux, les dominicains remplacent dans les enluminures les figures d’évêques et de prélats. De même la personnification de l’Ecclesia évolue d’une silhouette féminine vers une sorte de double du prêtre administrant les sacrements et prêchant." Aline Debert ]
Comme la Bible de Saint Louis, chaque folio de la Bible français 167 comporte huit "vignettes" (enluminures rectangulaires), appariées, donnant l'illustration et le texte évangélique d'abord (vignettes A1 et A3 à gauche, B1 et B3 à droite) et juste en dessous la moralisation (vignettes A2 et A4 à gauche, B2 et B4 à droite). Les 11 médaillons évangéliques de ce cycle — moins que la Bible de Saint Louis— se trouvent aux folio 172r à 173v.
La Bible dite de Naples, BnF fr. 9561, elle aussi numérisée, de datation très proche de la précédente (1340-1350), offre pour le cycle étudiée des peintures en pleine page avec une légende en français en dessous.
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J'assume donc la surcharge brouillonne de ma présentation des vitraux en y ajoutant la description de Victor Beyer (Corpus vitrearum 1986), les indications de Boepflug et Zaluska sur la Bible de Saint-Louis, et les enluminures et les textes de la Bible français 167 et parfois de la Bible de Naples.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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LE REGISTRE INFÉRIEUR.
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Une inscription rimée et vers de sept syllabes en vieil allemand court à la base des quatre lancettes :
GOT . BRACH . DER HELLE . TUR
VND . NAM . DIE SINEN . HER FUR
V[ND] ERSTUNT . AM . DRITEN . TAG.
DAS. VAS . TIEFEL . GRO[SSE] KLAG.
"Dieu brisa les portes des limbes, et en fit sortir les siens; et il ressuscita le troisième jour, au grand regret du démon."
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1. Descente de Jésus aux Limbes.
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Ephésiens 4:8-10. "C'est pourquoi il est dit: Étant monté en haut, il a emmené des captifs, Et il a fait des dons aux hommes."
"Assisté par deux anges, le Christ a brisé les portes de l'Enfer, et de la main gauche, saisi Adam au poignet. Derrière le premier homme s'empressent Ève et les justes de l'ancienne Loi.
Au dessus des têtes respectives, les inscriptions : ADAM et [E]VE. Anges, tuniques blanches à parements jaunes, nimbes jaune d'or, ailes jaunes clair. Christ , tunique blanche sous grisaille brune , manteau rouge à pans violets , nimbe rouge à croisillons verts ; portail de l'Enfer jaune verdâtre clair ; intérieur cognac sombre, porte jaunâtre. Ressuscités de carnation rose chaud. Traces de rouge dans la maçonnerie du portail à droite.
Conservation : 4a : panneau inversé. 5a pièces remplacées, plombs de casse dans les visages ; tête d'Adam à peinture inversée. 6a : quelques pièces rapportées."
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Ce sujet est représenté dans la Bible moralisée de Naples BnF fr. 9561 folio 185r avec la légende suivante :
C'est l'hystoire. Coment nostre seignour ihu crist descendi en enfer et deslia les doslours d'enfer. Ensi que len les trueve en les faits des apostles u secont capitle.
La référence est donc Actes des Apôtres 2, peut-être verset 24 ou 31.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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2. Le Diable enchaîné aux Enfers et Diablotins tourmentant des Réprouvés. cf.Descente de Jésus aux Enfers.
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Source : Apocalypse 20:1_3.
"Au centre, le Diable à cornes de cervidé, à pieds en serres d'aigle, à nez en forme de trompe, assis à même le sol, les poignets enchaînés autour d'un pilier. Les flammes de l'enfer l'environnent, comme la troupe des diablotins grouillant alentour parmi les réprouvés. Fond de flammes rouges. Satan, blanc sous grisaille brune, cornes blanches, cheveux jaunes, chaînes jaunâtres aux pieds. "
"La descente aux Enfers, l'Anastasis byzantine, est traitée ici de la manière dramatique héritée d'Ephrem le Syrien, que l'émail du retable de Klosterneuburg révèle bien à la fin du XIIe siècle. Le diable enchaîné dans les Enfers, environné de diablotins et de réprouvés, répond à l'évangile de Nicodème et à l'Apocalypse de saint Jean Jn 20:1-2 : « il a tenu le dragon, l'antique serpent qui est le diable et le Satan et il l'a enchaîné pour mille ans."
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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3. Résurrection, sortie du Tombeau.
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"La Résurrection offre les prémices de la Vie surnaturelle du Christ. Le traitement du thème est habituel, avec le Christ enjambant le tombeau muni de la croix-bannière qui le distingue du Jésus de la Vie publique, ainsi qu'il est traité en III 1 A et dans la première verrière de la chapelle Saint-Laurent en provenance de l'ancienne église des Dominicains. Deux anges en aube assistent à la scène, quatre guerriers sont endormis, portant rondaches. Un chêne et un autre arbre feuillu dominent la composition, comme en 4/6d"
Ce sujet n'est pas représenté dans les Bibles moralisées. Dans la Bible français 167 au f. 272r, trois gardes sont placés devant le tombeau.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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4. Apparition d'un ange aux saintes femmes venues au tombeau.
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https://books.google.fr/books?id=A8BJAQAAIAAJ&q=%22grisaille,+ailes+jaune+%22&dq=%22grisaille,+ailes+jaune+%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjEl5_y3sreAhXHAcAKHYYPBIMQ6AEIKTAA
" La visite des saintes Femmes au tombeau, selon Marc 16:1-7, avec l'ange assis sur son bord, est de composition traditionnelle ; elle a pu inspirer de l'ange élégamment assis dans le tympan du portail central de la façade de la cathédrale, autour de 1280. Les Femmes sont deux, selon Matthieu qui a la préférence de la tradition byzantine, trois selon Marc et Luc. « L'autre Femme » est, en Occident et sous une influence syrienne, assimilée à la mère du Christ."
Matthieu 28:1-7
Luc 24:1-8
"Assis sur le rebord du tombeau, ailes déployées, sceptre en main, les pieds sur la dalle tombée à terre, l'ange désigne le tombeau aux trois femmes (deux d'entre elles sont en 4 d et en 6 d). Ange, tunique blanche à treillis de grisaille, ailes jaune verdâtre à terminaisons rougissantes, nimbe rouge (érodé); sainte femme au centre, tunique vert foncé, manteau rouge, voile grisâtre, nimbe et pot d'aromates jaunes. Sainte femme à gauche, tunique violette, manteau grenat léger, voile blanc, nimbe rouge. Sainte femme à droite, tunique bleu clair, manteau rose violacé, voile blanc sous grisaille, nimbe rouge. Tombeau de même aspect que dans le panneau 5,c, mais à face interne lie-de-vin. Sol blanc avec traînées d'adhérences rouges."
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— Bible de Saint Louis : 4 médaillons des folio 69v et 70. Les Saintes Femmes constatent que le tombeau est vide. Marie-Madeleine va avertir Pierre et Jean. Pierre et Jean vont au sépulcre (trois médaillons).
— La Bible français 167 comporte trois vignettes :
f. 272 B1 : Marie Madeleine, Marie "jaques" et Marie Salomé achetèrent des onguents pour venir oindre le corps de Jésus Christ (texte) mais l'enluminure les représentent devant le tombeau vide entouré des soldats endormis.
En B3 "Or vint Marie Magdelene à Pierre et a Jehan et leur dist ils ont osté mon seigneur du sepulchre et ne savon ou ils lon mis. Et lors ces deux coururent au monument". La vignette montre Pierre et Jean devant le tombeau vide.
f.272v A1 : les trois femmes tenant leur pot d'aromates font face à un ange assis sur le tombeau. C'est l'équivalent du panneau de la verrière. "Lors vint marie magdeleine et estout deles en plovant par dehors et puis senclina et regarda dedens le monument"
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— L'enluminure de la Bible de Naples est commentée ainsi :
Cest lhystoire coment les trois maries alerent au sepulcre de nostre seignour et trouverent deux angles vestus de robe resplandisant; ensi que saint luc le dis dans son evangile u vingte quatrime capitle.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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LE DEUXIÈME REGISTRE .
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5. Apparition du Christ à Marie-Madeleine : Noli me tangere.
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"L'Apparition du Christ à Marie-Madeleine (Matthieu XXVIII) est remarquable par le mouvement pathétique de la sainte agenouillée, tendue vers ... tenant son pot d'aromates. Une préfigure en est donnée par les portes de bronze d'Hildesheim, achevées en 1015. La bêche désigne le «Christ jardinier. » Les arbres cantonnant la scène, comme en 4/6 c sont, selon la tradition byzantine, d'essences différentes."
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— Bible de Saint Louis : un médaillon f.71v B3 montre d'abord Marie Madeleine restée seule au tombeau et pleurant. Un autre f 72 A1 la montre discutant avec deux anges. Puis le médaillon f.72 A3 représente le Noli me tangere. Le texte de Jean 20 est donc suivi verset par verset.
— Bible français 167 : la vignette A3 du folio 272v montre l'apparition du Christ à Marie-Madeleine, dans un jardin figuré par deux arbres. La sainte est à genoux, les mains tendus tandis que le Christ tenant l'étendard recule et s'éloigne dans la direction opposée.
Texte latin : Jean 20:14: Conversa est maria retrorsum et vidit Ihesus stantem et non sciebat quia Ihesus est ; Et Jean 20:16 : Dicit ei Ihesus Maria. Conversa illa dicit ei Raboni etc
Texte français : "Marie se retourna et vit Ihesum en estant et au doit que ce fust un jardinier et ne le reconnut pas sitost. Et Jésus Christ lui dist Marie Lors saiusa la magdeleine et le cognust et dist a maistre."
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Quel est la moralisation ? Elle est développée sur la vignette A4 : cinq personnes sont réunies autour d'un crucifix surmonté de Dieu entre deux anges. L'une de ces personnes s'oppose par un index de refus à un démon.
Ce que Jésus Christ apparut à Marie plourant se manifesta à loi seigneur quand de tant comme personne pleure plus ses pesches et quelle demeure plus en penance et en la memoire de la passion jesus christ de tant la veiele jesus christ plus de ses pesches.
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L'enluminure de la Bible de Naples fr.9561 folio 186r.
Cest lhystoire . Coment nostre seignour ih~u crist apparut a sainte marie madeleine et li dist fame non me toucher. Ensi que saint jehan le dist en son evangile u vingtime capitle.
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Comparez à Duccio di Buoninsegna (vers 1310).
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Remarque sur l'étendard de la Résurrection.
Cet étendard témoignant de la victoire du Christ sur la mort est, comme c'est la règle, rouge, mais il n'est pas frappé de la croix. Il est remarquable par ses quatre bandes : son aspect évoque alors immédiatement l'Oriflamme Saint-Denis représenté sur la baie 116 ( 1225-1235 ) de la cathédrale de Chartres .
Je note que le nombre des bandes augmente progressivement, passant de trois au tombeau, à quatre ici, puis à cinq (repas ; Tibériade) et enfin à six dans l'apparition sur la montagne.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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6. Apparition du Christ aux sainte femmes et à saint Pierre.
Le panneau est divisé en deux scènes : à gauche, le Christ apparaît aux Trois Femmes, et, à droite, il apparait à saint Pierre.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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6a Le Christ apparaît aux Trois Femmes.
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L'inscription AVETE ("JE VOUS SALUE") Mt 28:9 nous indique la source de cette scène : l'évangile de Matthieu 28:10. Voici le verset 28:9
Et ecce Jesus occurrit illis, dicens: Avete. Illae autem accesserunt, et tenuerunt pedes ejus, et adoraverunt eum.
καὶ ἰδοὺ Ἰησοῦς ὑπήντησεν αὐταῖς λέγων· Χαίρετε· αἱ δὲ προσελθοῦσαι ἐκράτησαν αὐτοῦ τοὺς πόδας καὶ προσεκύνησαν αὐτῷ.
Et voici, Jésus vint à leur rencontre, et dit: Je vous salue. Elles s'approchèrent pour saisir ses pieds, et elles se prosternèrent devant lui.
Voici le passage en entier :
Après le sabbat, à l'aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l'autre Marie allèrent voir le sépulcre.
2 Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s'assit dessus.
3 Son aspect était comme l'éclair, et son vêtement blanc comme la neige.
4 Les gardes tremblèrent de peur, et devinrent comme morts.
5 Mais l'ange prit la parole, et dit aux femmes: Pour vous, ne craignez pas; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié.
6 Il n'est point ici; il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez, voyez le lieu où il était couché,
7 et allez promptement dire à ses disciples qu'il est ressuscité des morts. Et voici, il vous précède en Galilée: c'est là que vous le verrez. Voici, je vous l'ai dit.
8 Elles s'éloignèrent promptement du sépulcre, avec crainte et avec une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle aux disciples.
9 Et voici, Jésus vint à leur rencontre, et dit: Je vous salue. Elles s'approchèrent pour saisir ses pieds, et elles se prosternèrent devant lui.
10 Alors Jésus leur dit: Ne craignez pas; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée: c'est là qu'ils me verront.
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— La Bible français 167 consacre à cette scène la vignette f.272v B3. Trois femmes, à gauche, font face au Christ qui les saluent. Deux lèvent les mains en signe de surprise et de joie, la troisième (en qui je vois Marie-Madeleine) s'agenouille et saisit le pied gauche du Christ.
-Texte latin : c'est précisément le verset Matthieu 28:9 de la Vulgate qui est cité : Et ecce jhc occurit mulieribus dicens. Avete. Ille autem accesserunt et tenuerunt pedes ejus, et adoraverunt eum.
La présence du mot AVETE rapproche encore Bnf Fr.167 de la verrière de Strasbourg.
-Texte français en donne la traduction. "Apres ce jhc vint au devant des fames devotes et les salua et elles sapprocherent deli et li tinrent les pies et la oinrerent."
-la moralisation est illustrée par une vignette F. 272 B4 où un clerc s'adresse à trois jeunes gens : "Par les pies ihc a entendue aucune fois lumanite ihu que len tient en creant [croyant] fermement que ihs a resusate parfaitemlent en pleine gloire."
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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6b Le Christ apparaît à Pierre.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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7. Apparition du Christ aux pèlerins d'Emmaüs..
Le dernier chapitre de l'Évangile selon Luc offre un écrit complet de la rencontre des pèlerins d'Emmaüs en Lc 24,13-35, alors que l'épisode se limite à une simple allusion dans Mc 16,12-13.
Ce cycle fut maintes fois illustré avant la réalisation de la Bible de Saint Louis : les auteurs de cycles picturaux lui ont consacré en général deux scènes, parfois trois. La rencontre en chemin et le repas à l'auberge, pendant lequel les disciples ont reconnu Jésus "à la fraction du pain" sont certainement les plus représentés. À partir du XIIe siècle s'y ajoute parfois la disparition de Jésus à la fin de repas." (Boesplug et Zaluska)
- Mosaïque de la basilique de Ravennes, VIe siècle
- Codex Egberti (v. 980)
- Vézelay (Sainte-Madeleine, bas-relief du portail gauche, lère moitié du XIIe s.)
- Vienne (cathédrale Saint-Maurice, chapiteau, premier tiers du XIIe s.).
- Cloitre de la cathédrale Saint-Trophime d'Arles statues-colonnes fin XIIe
- Cloître de l’abbaye de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert) ,statues-colonnes années 1180-1210,
- Abbaye San Domingo de Silos, années 1180-1210
- Psautier de Saint-Albans à Hildesheim (entre 1119 et 1146)
- Psautier de Londres Brit. Lib. Royal I D X, f.7v (1200-1220)
- Portail royal de Chartres,
- verrière de la Passion de la cathédrale de Chartres (1144-1155)
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— La Bible de Saint Louis consacre pas moins de 5 médaillons au récit de l'apparition aux pèlerins d'Emmaüs (10 au total avec les moralisations) : la Rencontre en chemin f.73v B1 ; Jésus expliquant en chemin les Saintes Écritures f. 73v B3 ; L'insistance des disciples pour que Jésus reste avec eux à l'auberge f.74 A1 ; le Repas f.74 A3 ; et la Disparition de Jésus f.74 B1, où Jésus disparaît vers le haut dans des nuées comme dans une Ascension, seul le bas des jambes étant visible. Dans les 2 à 4 premiers médaillons, le Christ est présenté en pèlerin, le bourdon en main (73v B1 et 74r A1), la tête recouverte d'un capuchon retombant en courte pèlerine sur les épaules, et, en 73vB1, avec le chapeau caractéristique suspendu par une sangle à l'épaule gauche et avec la besace accroché à la ceinture. Au contraire, les deux disciples sont tête nue, sans bâton, et vêtus de robe et manteau colorés : voir infra.
Digression : Je m'arrête un instant sur ce dernier médaillon. Le texte de la Vulgate en Luc 24:31-32 est celui-ci : Et ipse euanuit ab oculi eorum. Et dixerunt ad invicem: Nonne cor nostrum ardens erat in nobis dum loqueretur in via, et aperiret nobis scripturas? [Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux. Et ils se dirent l'un à l'autre: Notre coeur ne brûlait-il pas au dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures?] La version en français, dans la marge, est celle-ci : "Ici sesvanuit ihc de lor ieux et clist li uns al autre dune ne furent nos quers ardanz en nos tant qu il parla a nos en la voie et nos ouri les escritures ?"
La moralisation de cette Disparition de Jésus, en f. 74v B2, est singulière. Le texte, tel que je peux le déchiffre, dit "Ce que nostre sire après la joie de sa presence ces ii [deux] esmus [émules] et les fet angoisser signifie la pres[fi]gur delices . nostre sire suefre a ses amis tribulation avoir . si cume apres richesse enfermete de cors".
Le texte latin vous aidera peut-être à comprendre mieux ma transcription ? Hoc signifiat quae per exhibitam presentiam suam euanuit ab oculi eorum et istes fecit : signifiat quae magnas delicias permicit dominus amicos suos tribulari veluti si per clinicias permitrat aliqui infirmari.
Ma leçon du mot clinicias me parait correcte, pourtant, le mot est incorrect sur le plan grammatical ; clinicus peut se traduire soit par "médecin" soit par "malade alité". Infirmari est le verbe "être malade" et correspondrait au français "enfermeté de cors"
Mais c'est le médaillon qui retient mon attention : un homme est alité, tourné vers la gauche; un clerc (tonsure) mire ses urines dans un matula qu'il élève à la lumière, tandis qu'un docteur (assis, portant bonnet) goûte ces urines dans un récipient. Le clerc montre d'un index le ciel, où un ange arrive en volant, la main levée. Le résultat de l'uroscopie est donc funeste, le patient apprend sa mort proche, mais on l'exhorte à des retrouvailles avec le Christ.
Il s'agit peut-être de la représentation la plus précise et la plus précoce de l'uroscopie visuelle et gustative. Le site Mandragore propose 79 images numérisées de l'uroscopie, mais la plupart sont plus tardives, ou ne montrent qu'un homme tenant l'urinal, sans qu'il soit, comme ici, au chevet d'un patient, ni que le texte ne soit en rapport avec l'enjeu du verdict.
On voudra bien me pardonner cette digression en y voyant un exemple des directions inattendues que prennent les moralisations vis à vis du texte évangélique . C'est en réalité une glose sur le rôle de la souffrance comme préalable à l'accès au Royaume, selon Luc 28 : Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'il entrât dans sa gloire?
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— La Bible français 167 ne montre aucune vignette des pèlerins d'Emmaüs.
— La Bible de Naples n'offre aucune enluminure des pèlerins d'Emmaüs.
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Description du vitrail :
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"Le récit était lu le lundi de Pâques. La scène se passe en chemin, à proximité du bourg d'Emmaüs, « à soixante stades de Jérusalem ». La porte de la cité et un chêne situent le lieu. I Corinthien 15,5 relate que le Christ « a été vu de Képhas, puis des Douze »."
Désignés par l'inscription au-dessus de leurs têtes, deux hommes s'entretiennent avec lui, à gauche S.LVCAS, à droite S.CLEOPHAS. A gauche se trouve un chêne.
A droite, la porte du castel d'Emmaüs; dans les créneaux sont pratiquées de petites ouvertures en perspective. Christ, tunique blanche, manteau et chef gris bleuté, nimbe rouge à croisillons jaunes ; Lucas, tunique ocre jaune, manteau brun légèrement rosé, revers rose ; Cléophas, tunique rouge manteau ocre jaune ; nimbes verts, sol blanc à grisaille brunâtre. arbres vert-jaune clair. Maçonnerie du castel blanc jaunâtre, porte brun clair, intérieur couleur violine. Conservation : 7c ,peu de verres remplacés. 8C verres remplacés dans les fonds, quelques uns dans les tuniques des disciples. 9C panneau ouvrant orné de petits quatrelobes. (V. Beyer)
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Pour ma part, je constate deux "détails" qui me semblent importants
1°) les deux noms S.LUCAS et S.CLEOPHAS. Le texte évangélique Luc 28:18 ne donne que le nom de Cléophas. Le nom de Lucas n'apparaît que dans les Mystères de la Passion et de la Résurrection, ce qui témoigne ici de l'hypothèse d'Émile Mâle sur le lien entre l’iconographie de l’apparition à Emmaüs et ses développements dans le cadre du drame liturgique. (L’Art religieux du XIIe siècle en France, 1922).
À l’appui de plusieurs témoignages issus du XIIe siècle, l’auteur a défendu la thèse selon laquelle le drame liturgique des « pèlerins » aurait agi sur la production figurée dès la première moitié du XIIe siècle. Il faut reconnaître à Émile Mâle l’initiative d’avoir associé dans une même réflexion deux formes d’expression essentielles de la sensibilité médiévale, jusqu’alors appréhendées de façon entièrement dissociée. Son intuition s’avère particulièrement fine en ce qui concerne l’iconographie d’Emmaüs, dans la mesure où son analyse anticipait la parution en 1933 de l’anthologie de Karl Young (Karl Young, Drama of the Medieval Church, 2 vol. , Oxford, Clarendon press, 1933 (réed. 1967) ) qui recensait l’ensemble des textes se rapportant à la péricope lucanienne." (Bonnotte)
Si j'interroge le moteur de recherche, ces deux noms S. LUCAS et S. CLEOPHAS apparaissent en effet dans Le Mystère de la résurrection: Angers (1456)., Volume 2 publié par Pierre Servet , dans La passion de Jésus-Christ jouée à Valenciennes l'an 1547: BnF fr. 12536, dans la Passion et la Résurrection bretonnes de 1530 publiés à Paris par Quillivéré (BnF res. YN11), mais ces "drames" sont connus depuis le XIe siècle :
"Selon une hypothèse largement adoptée, le berceau originel de cette pièce serait la Normandie, et plus précisément la cathédrale de Rouen. Interprété en latin de la fin du XIe siècle jusqu’au XVe siècle environ, le drame des Pèlerins se jouait durant les premiers jours de l’octave pascale. Conformément au récit lucanien, la représentation avait généralement lieu le soir durant lequel l’apparition du Christ était censée s’être produite. Elle intervenait, selon les coutumes locales, durant les vêpres du lundi de Pâques (Rouen, Beauvais) ou plus rarement au cours de celles du mardi (Saint-Benoît-sur-Loire). L’intérêt essentiel de ces pièces réside dans les éléments de paratexte fournissant diverses indications « scéniques », généralement indiquées en couleur dans les sources. Plusieurs pièces se distinguent par la grande richesse de ces annotations : ainsi celles provenant de la cathédrale de Rouen ou celle provenant du monastère de Saint-Benoît-sur-Loire. Ces indications fournissent, à divers degrés et registres, un éclairage sur les « acteurs » et la « mise en scène » de ces représentations.
Nous conservons la trace de trois drames liturgiques des Pèlerins d’Emmaüs provenant de la cathédrale de Rouen et conservés aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de Rouen : le ms. 222 (f°43v-45r), le ms. 382 (f°73r-v) et le ms. 384 (f°86 r-v). Le plus ancien drame rouennais que nous conservons remonte au XIIIe siècle (ms. 222), mais il s’agirait selon Gustave Cohen d’une copie d’un texte antérieur, en date du siècle précédent (cf. Gustave Cohen, Anthologie du drame liturgique en France au Moyen-Âge, Paris, Le Cerf, 1955, p. 66)." (Bonnotte)
J'ignore si le Mystère de la Résurrection a été joué à Strasbourg, mais ce vitrail en donne un indice.
Le nom de Lucas comme compagnon de Cleophas n'apparaît ni dans les textes liturgiques, ni dans les livres d'heures ou leurs enluminures. [Origène, dans Contre Celsius, avait donné à ce deuxième disciple le nom de Simon, par une mauvaise interprétation de l'évangile de Luc.]
La "preuve" qu'un vitrail trouve sa source dans le théâtre religieux est rare. Mais il y a mieux : nous avons aussi la preuve que ce panneau s'est inspiré aussi du jeu des acteurs, ou — ce qui est la même chose — des Notes de régisseur ou didascalies, les consignes données aux acteurs.
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2°) Le Christ est représenté en pèlerin.
Le Christ identifié par son nimbe crucifère ne tient plus l'étendard de la Résurrection, mais le bourdon du pèlerin. Il n'est pas vêtu du manteau rouge, et la robe blanche du panneau précédent est recouvert d'un manteau porté en pèlerine. Surtout, pour la seule fois du cycle, il est coiffé d'un chapeau à bords larges, typique des pèlerins. Comme dans la Bible de Saint-Louis, Lucas et Cleophas ne portent ni chapeau, ni bâton, ni pèlerine, mais une robe et un manteau (jaune et violet pour Lucas, rouge et jaune pour Cléophas). Là encore, ce sont des indices d'une source dans le théâtre médiéval :
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"... c’est à l’abbaye San Domingo de Silos [chapiteau de l'angle nord-ouest du cloître] que l’apparition d’Emmaüs fut traitée de la façon la plus magistrale, entre la fin du XIe siècle et le début du siècle suivant. Le Christ se présente ici à la manière d’un pèlerin, coiffé d’un bonnet à cotte et portant une besace ornée de plusieurs coquilles. Ce bas-relief constitue un exemple particulièrement célèbre du changement d’échelle – mais aussi d’interprétation – apportés à l’iconographie de l’apparition du Christ à Emmaüs au cours de ces décennies. C’est en effet à partir de la fin du XIe siècle que l’on commença à représenter– tout d’abord le Christ, ensuite les deux disciples – à la manière de pèlerins. Ce changement émana, tout d’abord, de l’évolution sémantique du terme peregrinus , contenu dans la version latine de la péricope lucanienne (Lc. 24, 13-35) . Les théologiens et les exégètes du Moyen Âge établirent assez tôt une corrélation entre cet épisode évangélique et le pèlerinage en raison de l’usage de ce terme qui, dans son sens premier, signifiait l’étranger, l’exilé, et par extension celui qui voyageait loin de chez lui. À partir du XIe siècle, et de façon encore plus nette à compter du siècle suivant, il commença à caractériser uniquement le pèlerin. Une séparation linguistique s’opéra ainsi entre les pèlerins ( peregrini ), que l’on distinguait désormais des étrangers (advenas ), et des pauvres ( pauperes ). Inhérente à cette évolution, une autre explication réside dans l’amplification de la pratique des pèlerinages. Leur développement au siècle de l’An Mil, qui s’accéléra au cours du XIIe siècle dans le monde occidental, occasionna un changement radical de paradigme quant à l’interprétation de la péricope d’Emmaüs, désormais quasi systématiquement affiliée à cette nouvelle dimension. Le troisième et dernier facteur se rapporte à l’émergence, à partir de la fin du XIe siècle, d’un drame liturgique consacré à l’apparition du Christ à Emmaüs. Jouée aux vêpres du lundi ou du mardi de Pâques, la scène était généralement interprétée par le prêtre, jouant le Christ, et par deux officiants, endossant les rôles de Cléophas et de son compagnon. Comme l’atteste un drame liturgique provenant de la cathédrale de Rouen, ces « pseudo-acteurs » pouvaient être représentés en pèlerins. Les éléments de paratexte – ou « didascalies » – y précisaient que les disciples devaient être « revêtus de tuniques et de chapes pardessus, portant bâtons et besaces à la guise des pèlerins ». (Bonnotte)
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"Les premiers éléments dont nous ayons connaissance à ce sujet sont attestés à partir des années 1130-1140 dans le cadre du drame liturgique. Comme nous l’avons souligné, les disciples sont décrits comme des pèlerins dans les drames de Rouen et de Saint-Benoît-sur-Loire. Le Christ, quant à lui, n’apparaît de cette façon que dans ce dernier exemple. Ainsi, cette spécificité « orléanaise » n’est pas sans évoquer certaines figurations issues de la même période. Même si les détails sont souvent moins précis que dans les rubriques des drames liturgiques précédents, il semble parfaitement d’usage que les disciples, mais aussi le Christ [Dans la Passion de Gréban, il est stipulé qu’« Icy vient Jhesus en fourme d’un pelerin ». Dans l’ensemble des Passions, il est d’ailleurs rappelé que l’acteur incarnant Jésus doit apparaître à la manière d’un pèlerin. Au début du XVIe siècle, l’une des didascalies de la Passion de Mons précise même qu’il faut « Advertir Jhesus de se metre en forme de pellerin pour comparoir aux Pelerins d’Emaulx » ], soient ainsi vêtus dans le cadre plus tardif des mystères. Sur ce point, un même phénomène s’observe dans le registre de l’iconographie sur l’ensemble de la période envisagée (1100-1550).
Contrairement aux deux disciples qui évoluaient d’un bout à l’autre de la pièce sans disparaître du « champ visuel », l’acteur qui interprétait le Christ était parfois amené à changer de costume entre le moment de sa disparition (lors du repas à Emmaüs) et sa réapparition (dans les scènes ultérieures, notamment parmi les Onze). Ainsi, dans le drame de Saint-Benoît-sur-Loire, le personnage de Jésus se présentait tout d’abord sous l’apparence d’un pèlerin aux deux disciples, puis adoptait une tenue différente lorsqu’il apparaissait aux apôtres[ Lorsqu’il apparaît aux Onze, il est vêtu d’une tunique blanche et d’une chape rouge (cf. Thierry Revol, Représentations…,) ]. De nouveau, un même phénomène se vérifie dans l’imagerie, comme l’atteste un des médaillons de la Bible moralisée de saint Louis, au début du XIIIe siècle [Tolède, cathédrale, t. III, f° 73v-74r). ].
Le drame des pèlerins de Saint-Benoît-sur-Loire (Orléans, Bibliothèque municipale, 201) rapporte que le Christ doit apparaître « portant une besace et une longue palme, bien préparé à la manière du pèlerin, un bonnet sur la tête, vêtu d’un surcot et d’une tunique, les pieds nus » (« peram cum longa palma gestans, bene ad modum Peregrini paratus, pileum in capite habens, hacla vestitus et tunica, nudus pedes ») (trad. Edmond-René Labande, Pauper et peregrinus. Problèmes, comportements et mentalités du pèlerin chrétien, Turnhout, Brepols, 2004, p. 516).
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Claire Bonnotte illustre ses propos par trois manuscrits enluminés de textes de théâtre illustrant le thème d’Emmaüs : une Passion d’Arras ( Passion d’Arras (Arras, Bibliothèque municipale, 697, f° 284v à 290v), Arras, ca. 1420-1430. ) des années 1420-1430 et deux Passions d’Arnoul Gréban (Arnoul Gréban, Passion, Paris, Bibliothèque nationale de France, français 815, f° 246v ; Arnoul Gréban, Passion, Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal 6431, f° 231r, 233v, 235r, 235v. ) datées respectivement de 1458 et de 1470. Mais dans ces enluminures, les disciples sont représentés en pèlerins tout comme le Christ. Il en va de même dans Bibl. Mazarine ms 976 f.116v l'ABC des gens simples, v.1470) ou seul le nimbe distingue Jésus parmi les trois pèlerins.
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Le Christ figuré en pèlerin renvoie au Pèlerinage de vie humaine, au Pèlerinage de l'âme, et surtout au Pèlerinage Jésus-Christ du cistercien Guy de Digulleville, écrits en 1355-1358, donc peu après la réalisation de ce vitrail. Toutes les apparitions du Christ ressuscité y donnent occasion à des réflexions allégoriques mais le thème principal des trois poèmes est l'Homo viator, la vie n'étant qu'un pèlerinage rempli d'embûches vers la Jérusalem céleste.
Cette œuvre avait été précédée par une réflexion monastique :
"À partir du XIIe siècle, la signification de l’apparition d’Emmaüs se vit aussi orientée de façon à promouvoir une forme de pèlerinage symbolique, mais non réel. À travers l’évocation de la péricope lucanienne, le pèlerinage, tel qu’il était promu par – et pour – les moines, se voulait avant tout allégorisé, spirituel ou intérieur, réalisable en restant à l’intérieur de l’enceinte monastique, par la déambulation à l’intérieur du cloître. Dans ce cadre, le pèlerinage apparaît moins comme une pratique que comme un état d’esprit, qui tenait à l’obligation de conformité à l’exemple christique, tout en garantissant le respect de la règle. [...]À l’intérieur de l’enceinte claustrale, c’était donc le cœur du moine qui était amené à changer de place, et non son corps." (C. Bonnotte)
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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8. Première Apparition du Christ aux onze apôtres en l'absence de Thomas.
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Le christ, au centre, nimbe crucifère, étendard à quatre bandes, cape et robe blanche, bénit les disciples (ou montre la plaie de sa main droite ??). On compte exactement onze nimbes et donc onze apôtres, parmi lesquels Pierre à sa droite et Jean à sa gauche qui approchent la main vers lui. À gauche, les apôtres montrent par leurs gestes et leur visage détourné leur inquiétude et leurs interrogations ; à droite, les apôtres ont des mines réjouies et tournent leur regard vers Jésus.
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La source est-elle, comme je le pense, Luc (dans la suite de l'apparition aux pèlerins) ou bien Jean ?
Luc 28:33-40 : "Se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés et disant: Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon. Et ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu au moment où il rompit le pain. Tandis qu'ils parlaient de la sorte, lui-même se présenta au milieu d'eux, et leur dit: La paix soit avec vous! Saisis de frayeur et d'épouvante, ils croyaient voir un esprit. Mais il leur dit: Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi pareilles pensées s'élèvent-elles dans vos coeurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi; touchez-moi et voyez: un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'ai. Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds."
Jean 20:18-23. "Marie de Magdala alla annoncer aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur, et qu'il lui avait dit ces choses. Le soir de ce jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étant fermées, à cause de la crainte qu'ils avaient des Juifs, Jésus vint, se présenta au milieu d'eux, et leur dit: La paix soit avec vous! Et quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent dans la joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau: La paix soit avec vous! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit: Recevez le Saint Esprit. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus."
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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9. Deuxième Apparition du Christ aux Apôtres au complet. Incrédulité de saint Thomas.
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Description.
La première apparition était située à l'extérieur, le sol y était rocheux et le ciel dépourvu de toit. Ici, la scène est située à l'intérieur, sous un toit de tuiles, entre deux murs et au dessus d'un sol carrelé. Le fond rouge flammé figure sans doute quelque tenture. Les disciples sont bien au nombre de douze cette fois, dans des poses variées, certains étant assis et la plupart semblant, par leurs gestes et leurs regards, en pleine discussion.
Ce qui m'intéresse, c'est la symétrie qui, comme toujours, s'effectue avec la scène du Noli me tangere : dans les deux cas, le corps du Christ forme un arc de cercle sous l'effet de la main et du bras tendu du disciple . Et bien qu'il soit à l'initiative de ce toucher, et qu'il dénude son flanc, sa main droite semble s'en défendre.
La symétrie visuelle des scènes souligne pourtant leur opposition : Le toucher (tangere) est évité et proscrit à Marie-Madeleine tandis qu'il est sollicité et prescrit à Thomas.
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— La Bible de Saint-Louis consacre à cette scène le médaillon f.76, A1
— La Bible BnF français 167 lui consacre la vignette A3 du folio 173r.
Elle cite Jean 20:26-27 Et post dies octo, iterum erant discipuli ejus intus, et Thomas cum eis. Venit Jesus januis clausis, et stetit in medio, et dixit: Pax vobis. Deinde dicit Thomae: Infer digitum tuum huc, et vide manus meas, et affer manum tuam, et mitte in latus meum: et noli esse incredulus, sed fidelis.
"Huit jours après, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison, et Thomas se trouvait avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, se présenta au milieu d'eux, et dit: La paix soit avec vous! Puis il dit à Thomas: Avance ici ton doigt, et regarde mes mains; avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté; et ne sois pas incrédule, mais crois."
La moralisation est illustrée dans la vignette A4 où un évêque, devant quatre clercs, donne un objet rond (anneau ? hostie ?) à deux hommes dont l'un est à genoux. Le texte dit Par Thomas sont segnefiés les bons qui la foy quils ont de la resurrection prennent par les mains et par les doiz de vertueuse opération."
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— La Bible de Naples folio 187v.
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C'est lystoire. Coment nre seignour ihu crist apres la resurrection apparut a ses disciples et a saint thomas. ili dist thomas regarde mes mains et met ta main en mon costey qu nos vueylles etre mécreant mais soyes fiel ensi que le dist jehan en son evangile u vingtisme capitle
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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10. Apparition du Christ aux apôtres sur la montagne.
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La présence d'une montagne (le monticule rocheux sur lequel le Christ est placé) indique que l'artiste illustre le passage suivant de Matthieu 28:16-19. "
"Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée. Quand ils le virent, ils se prosternèrent devant lui. Mais quelques-uns eurent des doutes. Jésus, s'étant approché, leur parla ainsi: Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde."
Le fond bleu indique, comme en 8., le ciel. Le Christ vêtu de blanc tient l'oriflamme à six bandes, frappé d'un quadrilobe. À sa droite, sous un arbre, six apôtres, dont Pierre. À sa gauche, six autres apôtres. Plusieurs mains sont levées.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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11. Troisième Apparition du Christ aux apôtres, au lac de Tibériade.
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— Description.
"La Pêche miraculeuse sur le lac de Tibériade est décrite selon Jean 21:18-23, Matthieu 14:28-33 et Ps.69. Ici la scène du Christ marchant sur les eaux et Pierre voulant l'y rejoindre est peu claire : l'apôtre qui n'est manifestement pas Pierre, qui apparaît en second. Ce thème est traité dans de nombreux évangéliaires et évangélistaires ; il n'est pas à confondre avec Luc 6:1-11 et Matthieu 14:28-33, la Pêche miraculeuse qui se passe du vivant de Jésus sur le lac de Génézareth. " (V. Beyer)
À la différence de V. Beyer, je ne vois pas le Christ marchant sur les eaux, mais (malgré la présence de deux poissons), debout sur les rochers de la rive (le traitement du sol est différent de celui des eaux, marquées de vaguelettes) et tenant l'étendard de la résurrection, ici à cinq bandes. Son corps, à l'opposé des scènes des apparitions à Marie-Madeleine et à Thomas, est en arc convexe vers ses interlocuteurs.
À droite, une barque accoste, son filet (vide de poissons) suspendu sur le coté gauche par sa ligne nunie de flotteurs, et le gouvernail latéral fixé par une estrope. Sept apôtres, nimbés, sont à bord, quatre d'entre eux tournés vers le Christ et comme tendus par l'impatience de le retrouver. Pierre est le premier, une jambe ayant franchi le plat-bord et le pied étant dans l'eau : on le reconnaît à son "toupet" au dessus du front. Il est vêtu d'un manteau serré par une ceinture. Le deuxième, barbu et , à la calvitie respectant une couronne, pourrait être André. Jean se reconnait ensuite par sa jeunesse et l'absence de barbe.
Le nombre des pêcheurs correspond au texte de Jean Jn 21:2: "Simon Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël, de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres disciples de Jésus, étaient ensemble." Le vitrail représente le moment où les pêcheurs reviennent à terre les filets vides :
"Ils sortirent et montèrent dans une barque, et cette nuit-là ils ne prirent rien. Le matin étant venu, Jésus se trouva sur le rivage; mais les disciples ne savaient pas que c'était Jésus. Jésus leur dit: Enfants, n'avez-vous rien à manger? Ils lui répondirent: Non. Il leur dit: Jetez le filet du côté droit de la barque, et vous trouverez." (Jn 21:3:6)
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— La Bible de Saint-Louis donne à l'apparition sur les bords du lac de Tibériade un développement exceptionnel en douze médaillons folio 76 A3 à folio 79v, A1. Boespflug et Zaluska les décrivent page 432-436 et donnent en illustration les folios 76r et 77v de Tolède III. Mais le récit de cet épisode dans l'évangile de Jean occupe presque tout le chapitre 21 soit 23 versets . Les médaillons développent donc la suite de l'histoire que le vitrail de Strasbourg a débuté : après le retour filets vides, la barque repart sur le lac et revient avec 153 poissons. Jésus les invite à partager un repas de poissons grillés et de pain. "Jésus s'approcha, prit le pain, et leur en donna; il fit de même du poisson. C'était déjà la troisième fois que Jésus se montrait à ses disciples depuis qu'il était ressuscité des morts."
Le premier médaillon du cycle, 76r A3, correspond si mon interprétation est bonne, aux panneaux 11 de la verrière : elle est commentée ainsi : Ici pesche pierre ouece vi de ses compaignons tote la nuit : sans rien prendre. La moralisation du médaillon 76r A4 montre quatre Juifs offrant un sacrifice de gibier ou de chevreaux, avec ce commentaire en marge : cette nuit segnefie le tens de la loi en cui mi[nistr]e unit a gloire par les eures de la loi.
Cela suggère que la scène nocturne à la barque aux filet vide n'est pas forcément un temps mort du récit, stérile s'il n'est pas fécondé par la suite, mais qu'il peut être considéré comme un tableau au riche sens allégorique honorant la figure de Pierre. Cela peut modifier notre regard sur le vitrail.
— La Bible BnF français 167 ne représente pas cette apparition.
— La Bible de Naples non plus.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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12. Le Christ partage un repas de miel et de poissons avec les apôtres .
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Le Christ partage deux repas avec les tous les disciples après sa résurrection : un repas de pain et de poisson, au bord du lac de Tibériade en Jean 21, et l'autre fait d'un rayon de miel et de poisson, après la rencontre d'Emmaüs en Luc 24:41-43. Puisque nous avons affaire à une scène d'intérieur (murs, sol carrelé, toit de tuiles), il s'agit ici de ce dernier.
Le Christ vêtu de blanc et tenant l'oriflamme rouge à six bandes et croix en quadrilobe lève la main droite et incline la tête vers sa droite pour fixer saint Pierre, à qui il doit s'adresser. Nous comptons six apôtres à droite et autant à gauche, tous nimbés : les pèlerins d'Emmaüs ne sont pas représentés. Sur la table se voient six coupes contenant des poissons, cinq pots de miel munis de leurs couvercles, et deux couteaux.
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Texte de l'évangile de Luc : il faut lire le contexte Lc 24:33-40 pour comprendre que les pèlerins d'Emmaüs rejoignent les onze apôtres à Jérusalem : Jésus leur apparaît mais ils croient à un esprit : c'est pour les convaincre du contraire qu'il mange devant eux le miel et le poisson.
" Se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés et disant: Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon. Et ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu au moment où il rompit le pain. Tandis qu'ils parlaient de la sorte, lui-même se présenta au milieu d'eux, et leur dit: La paix soit avec vous! Saisis de frayeur et d'épouvante, ils croyaient voir un esprit. Mais il leur dit: Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi pareilles pensées s'élèvent-elles dans vos coeurs? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi; touchez-moi et voyez: un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'ai. Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds.
Comme, dans leur joie, ils ne croyaient point encore, et qu'ils étaient dans l'étonnement, il leur dit: Avez-vous ici quelque chose à manger? Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel. Il en prit, et il mangea devant eux. (Lc 24:41-43)
Puis il leur dit: C'est là ce que je vous disais lorsque j'étais encore avec vous, qu'il fallait que s'accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l'esprit, afin qu'ils comprissent les Écritures.Et il leur dit: Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, et qu'il ressusciterait des morts le troisième jour, et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. Vous êtes témoins de ces choses. Et voici, j'enverrai sur vous ce que mon Père a promis; mais vous, restez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la puissance d'en haut."
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— La Bible de Saint Louis illustre cet épisode en Tolède III f.75v, A1, par un médaillon auquel Boesplug et Zalustra ne nous donne pas d'illustration. Nous n'avons donc pas accès non plus à la moralisation (les volumes de Tolède ne sont pas accessibles en ligne). Les auteurs signalent que ce récit était lu le ùmercredi de Pâques dans l'ancienne liturgie romaine et qu'elle eut un certain succès dans les manuscrits médiévaux [Bible de Ripoll, f.370], notamment parce que la manducation du miel et du poisson par le Christ ressuscité était vu comme une preuve indiscutable de sa résurrection.
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— La Bible BnF Français 167 illustre la scène dans la vignette A1 du folio 273r, avec le texte latin Lc 24:41-43 Adhuc autem illis non credentibus, et mirantibus prae gaudio, dixit: Habetis hic aliquid quod manducetur? At illi obtulerunt ei partem piscis assi et favum mellis. Et cum manducasset coram eis, sumens reliquias dedit eis.
La traduction est plus précise que celle de L. Segond que j'ai donné supra : Encore quant les deciples veoient ihu crist et ne le creaient mes posa joie qui les comprenoit se merveilloient. ihc leur dist apostres a menger et ils apporterent partie dun poisson rosti et miel et quant il ot meng e il leur donna le relief.
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La moralisation est la suivante : "Ce que ihesu crist menga du poisson rosti segnefie quil trait a soi ceux qui sont rosti par tribulation et par penitance et qui ont le miel de douce patience." La vignette montre le Christ entraînant par la main trois saints tonsurés, dont saint Laurent (grill) et Étienne (pierre) en leur indiquant le ciel au dessus d'eux, où quatre personnages nus élèvent leurs mains.
Nous retrouvons ici ce qui semble le fil rouge des moralisations de ces Apparitions : comme le Christ a vaincu la Mort par sa Passion, ce sont les souffrances des croyants leur donnent accès aux Cieux. Un mot revient sans cesse, celui de "tribulation". Venant du latin chrétien tribulatio « tourment, angoisse », dérivé de tribulare « presser avec la herse, écraser », il a le sens figuré de « tourmenter; torturer l'âme pour éprouver sa foi » (CNRTL).
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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13-14. Ascension du Christ (lancette 1, 2 et 3)
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"Dans l'Ascension (en 13/14/15 a), le Christ disparaît dans la nuée, enlevé par deux anges de dessus un monticule feuillu, entre la Vierge et saint Pierre agenouillés sous un chêne et un érable, assistés de sept apôtres." (V. Beyer)
Les panneaux de la lancette 1 pourraient être placées en lancette 2, entourés des deux scènes montrant, en plein air sous des arbres, un certain nombre de disciples (non nimbés) à genoux ou debout mais mains jointes et le regard tourné vers le ciel.
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La Bible moralisée Bnf fr.167 folio 273r B1
Elle cite Luc 24:50-51 Eduxit autem eos foras in Bethaniam, et elevatis manibus suis benedixit eis. Et factum est, dum benediceret illis, recessit ab eis, et ferebatur in caelum.
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La moralisation en vignette B2 montre, comme dans la scène du repas de poisson en 273rA4, le Christ entraînant par la main un évêque et un moine en leur montrant trois personnages mains jointes dans le ciel. Ceci segnefit que ihu crist ceus quil aime met hors de la noise du monde et les elieve en contemplation et pui ou ciel.
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— La Bible de Naples folio 188r :
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Cest hystoyre . Coment notre seignour ihu crist de puis quil ot parley sen munta u ciel. Ensi que saint marc le dist en son evangile u seizieme capitle.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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15-16. Descente du Paraclet, Pentecôte (lancette 4)
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Une colombe apparaît au sommet d'une voûte de briques rouges, irradiant de son feu la Vierge et les apôtres, assis et mains jointes.
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— La Bible moralisée français 167 f. 273 A3.
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— La Bible moralisée de Naples :
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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LE TYMPAN
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Verrière de la Vie glorieuse du Christ, baie 32, cathédrale de Strasbourg. Photographie lavieb-aile 2016.
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CONCLUSION.
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La confrontation de cette verrière des Apparitions du Christ de la fin de la deuxième moitié du XIVe siècle avec deux Bibles moralisées quasi contemporaines permet d'aller au delà d'une démarche iconographique de comparaison des images, pour resituer celles-ci dans la pensée théologique médiévale : si la scène des Pèlerins d'Emmaüs prouve que les artistes ou commanditaires de verrières pouvaient trouver leurs modèles dans la dramaturgie médiévale des Mystères, ce que Emile Mâle avait déjà argumenté pour la sculpture, c'est la démarche de glose des Écritures entreprise au XIIe siècle par l'école de Paris et les Ordres monastiques et illustrée sous la commande de Blanche de Castille dans les Bibles moralisées destinées au monarques qui est la partie muette de ces vitraux.
Si elle est muette pour nous, elle ne l'était certainement pas pour les membres du Grand chapitre cathédral, rompus à ces lectures biblico-morales des épisodes évangéliques. Ces Apparitions incitent le clerc à considérer les épreuves de l'existence comme des conditions de l'accès au Royaume des Cieux, au cours d'un pèlerinage de l'âme riche en tribulations, en maladies et blessures, en perte d'êtres chers, ou en nuit de pêche infructueuse, mais soutenu par "le miel de patience".
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SOURCES ET LIENS.
— BEYER (Victor) WILD-BLOCK (Christiane ) , ZSCHOKKE (Fridtjorf ) , 1986, Les vitraux de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg par Victor Beyer, Christiane Wild-Block, Fridtjof Zschokke avec la collaboration de Claudine Lautier ouvrage publié sous la direction du Comité français du Corpus Vitrearum collection : Département du Bas-Rhin CNRS Editions Format in-4° 599 pages.
— IDEM, compte-rendu par B. Kurmann-Schwarz dans le Bulmo.
http://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1989_num_147_2_4736_t1_0195_0000_6
— BOESPLUG (François), YALUSKA (Yolanta), 2017, Le Nouveau Testament (moins l'Apocalypse) dans la Bible de Saint Louis, in La Bible de Saint Louis, volume de commentaire de l'édition en fac-simile, ed Moleiro, pages 419-424.
— BONNOTTE (Claire), 2015, La figuration de l’apparition du Christ à Emmaüs au sein des cloîtres romans : un substitut de pèlerinage ? », Les cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLVI, 2015, p. 149-156 :
//www.academia.edu/12952028/_La_figuration_de_l_apparition_du_Christ_%C3%A0_Emma%C3%BCs_au_sein_des_clo%C3%AEtres_romans_un_substitut_de_p%C3%A8lerinage_Les_cahiers_de_Saint-Michel_de_Cuxa_XLVI_2015_p._149-156
"Attestée à Ravenne dès le VIe siècle, l’iconographie de l’apparition du Christ à Emmaüs connut un important développement en Occident entre la fin du XIe siècle et le milieu du siècle suivant. Cette faveur se manifesta notamment dans le décor sculpté des cloîtres romans, à l’intérieur desquels se répandit la théophanie, modulée sous différentes formes. Provenant du territoire français et de la péninsule ibérique, une dizaine de chapiteaux historiés des XIIe-XIIIe siècles en conservent le motif, dont deux relèvent aujourd’hui des collections du musée des Augustins de Toulouse : le premier provenant du cloître détruit de Saint-Paul de Narbonne ; le second de celui de La Daurade de Toulouse. Dans les années 1180-1210, l’iconographie se déclina également, à plus grande échelle, sur des statues-colonnes ; ainsi aux cloîtres de la cathédrale Saint-Trophime d’Arles et de l’abbaye de Gellone (Saint-Guilhem-le-Désert) . Mais c’est à l’abbaye San Domingo de Silos que l’apparition d’Emmaüs fut traitée de la façon la plus magistrale, entre la fin du XIe siècle et le début du siècle suivant. Le Christ se présente ici à la manière d’un pèlerin, coiffé d’un bonnet à cotte et portant une besace ornée de plusieurs coquilles. Ce bas-relief constitue un exemple particulièrement célèbre du changement d’échelle – mais aussi d’interprétation – apportés à l’iconographie de l’apparition du Christ à Emmaüs au cours de ces décennies. C’est en effet à partir de la fin du XIe siècle que l’on commença à représenter– tout d’abord le Christ, ensuite les deux disciples – à la manière de pèlerins. Ce changement émana, tout d’abord, de l’évolution sémantique du terme peregrinus , contenu dans la version latine de la péricope lucanienne (Lc. 24, 13-35) . Les théologiens et les exégètes du Moyen Âge établirent assez tôt une corrélation entre cet épisode évangélique et le pèlerinage en raison de l’usage de ce terme qui, dans son sens premier, signifiait l’étranger, l’exilé, et par extension celui qui voyageait loin de chez lui. À partir du XIe siècle, et de façon encore plus nette à compter du siècle suivant, il commença à caractériser uniquement le pèlerin. Une séparation linguistique s’opéra ainsi entre les pèlerins ( peregrini ), que l’on distinguait désormais des étrangers (advenas ), et des pauvres ( pauperes ). Inhérente à cette évolution, une autre explication réside dans l’amplification de la pratique des pèlerinages. Leur développement au siècle de l’An Mil, qui s’accéléra au cours du XIIe siècle dans le monde occidental, occasionna un changement radical de paradigme quant à l’interprétation de la péricope d’Emmaüs, désormais quasi systématiquement affiliée à cette nouvelle dimension. Le troisième et dernier facteur se rapporte à l’émergence, à partir de la fin du XIe siècle, d’un drame liturgique consacré à l’apparition du Christ à Emmaüs. Jouée aux vêpres du lundi ou du mardi de Pâques, la scène était généralement interprétée par le prêtre, jouant le Christ, et par deux officiants, endossant les rôles de Cléophas et de son compagnon. Comme l’atteste un drame liturgique provenant de la cathédrale de Rouen, ces « pseudo-acteurs » pouvaient être représentés en pèlerins. Les éléments de paratexte – ou « didascalies » – y précisaient que les disciples devaient être « revêtus de tuniques et de chapes pardessus, portant bâtons et besaces à la guise des pèlerins ».
À partir du XIIe siècle, la signification de l’apparition d’Emmaüs se vit aussi orientée de façon à promouvoir une forme de pèlerinage symbolique, mais non réel. À travers l’évocation de la péricope lucanienne, le pèlerinage, tel qu’il était promu par – et pour – les moines, se voulait avant tout allégorisé, spirituel ou intérieur, réalisable en restant à l’intérieur de l’enceinte monastique, par la déambulation à l’intérieur du cloître. Dans ce cadre, le pèlerinage apparaît moins comme une pratique que comme un état d’esprit, qui tenait à l’obligation de conformité à l’exemple christique, tout en garantissant le respect de la règle. Comme le stipula le « Pseudo-Bernard », parfois identifié à Bernard de Clairvaux, dans son sermon du lundi de Pâques : « Lorsque nous examinons les délices heureuses qui abondent dans le cloître, notre cœur est tout saisi, et par un mouvement de doux respect, il change de place ».
À l’intérieur de l’enceinte claustrale, c’était donc le cœur du moine qui était amené à changer de place, et non son corps. Dans un même registre s’inscrivent certains commentaires du moine bénédictin Pierre de Celle, contenus dans son ouvrage intitulé l’École du cloître : « Celui qui quitte le monde et vient au cloître commence déjà à fouler le monde et son propre corps. Et le cloître est bien un désert, "une terre déserte sans chemin et sans eau". "Déserte" en raison de l’aspérité, "sans chemin" en raison de la rareté des voyageurs, "sans eau", en raison de la sévérité de la discipline ». D’après la péricope lucanienne, la révélation divine se manifesta progressivement en chemin aux deux disciples, avant de se révéler au cours de la fraction du pain, dans l’enceinte fermée de la ville d’Emmaüs, et non à l’extérieur de celle-ci. Le chemin les conduisant de Jérusalem à Emmaüs n’en constitua donc qu’un seul moyen de passage. À l’image des chapiteaux de Saint-Pons-de-Tomières et de Savigny-en-Lyonnais, la représentation du castellum d’Emmaüs pourrait emprunter un profil assez similaire à la clôture d’une abbaye ou bien à celle d’un cloître – dont l’iconographie offrirait un reflet métaphorique. Ainsi, la figuration aurait pu constituer un instrument destiné à convaincre les religieux de cheminer dans le seul périmètre claustral. Le silence étant strictement prescrit dans le cloître, le dialogue qu’ils pouvaient engager en chemin afin d’y rencontrer le Christ ne pouvait être néanmoins que silencieux et spiritualisé, contrairement à l’expérience qu’en firent Cléophas et son compagnon sur la route d’Emmaüs. Comme le rappela au XIe siècle le moine bénédictin Guillaume du Merle dans son sermon pour le lundi de Pâques, les yeux des moines étaient fermés lorsqu’ils traversaient le cloître, induisant une forme de recueillement ; ce qui nous est confirmé, plusieurs décennies plus tard, par le Pseudo-Bernard : « Cette nuit n’était-elle pas l’éclat qui illuminait nos délicieuses jouissances ? Notre cœur ne brûlait-il pas en nos poitrines, lorsque, dans le cloître, nous méditions en silence ? »
On rappellera également le fait que l’imagerie d’Emmaüs n’était pas propre au cloître mais s’inscrivait, à cette période, plus fréquemment dans d’autres contextes architecturaux, comme par exemple au portail occidental de l’édifice ecclésial. Cette présence témoignait, de nouveau, d’un lien avec la pratique des pèlerinages, mais cette fois-ci réelle, et non métaphorique. Si le rapport avec le pèlerinage spirituel était plus probant dans le cadre du cloître,les moines ou les chanoines ne pouvaient ignorer la prééminence d’une telle pratique, dont ils étaient aussi les principaux bénéficiaires. Un grand nombre de figurations de l’apparition du Christ à Emmaüs se rattachaient d’ailleurs à des édifices de pèlerinage (comme à Saint-Trophime d’Arles ou à Saint-Guilhem-le-Désert) ou étaient apparentées à des complexes disséminés sur les routes empruntées par les pèlerins.De même, si l’iconographie s’est principalement développée à partir de la fin du XIe siècle, sans doute à la faveur des pèlerinages, on remarquera que la caractérisation « pèlerine » de l’iconographie d’Emmaüs n’était pas réservée au seul contexte claustral mais s’avère commune à bien d’autres supports,notamment l’enluminure, qui en constitua l’un des cadres privilégiés. De plus, la prépondérance de la figuration de la marche à Emmaüs sur celle du repas correspond à une tendance visible tout au long des XIe-XIIe siècles ; le phénomène n’était donc pas propre au cloître. D’autres figurations ont pu,par ailleurs, servir de support « mental » au pèlerinage spirituel, notamment celles représentées dans le cadre du livre. À bien des égards, l’apparition du Christ à Emmaüs – et l’image qui en résulte – a probablement été érigée en modèle, mais aussi en contre-modèle par l’Église au cours du Moyen Âge. Mais sa signification ne se restreignait pas à la seule dimension du pèlerinage. Bien que souvent apparentée à cette pratique, elle pouvait aussi être affiliée à une dimension d’hospitalité, également prépondérante dans les textes et les sermons des XIe-XIIe siècles ; ou à une dimension eucharistique. Le caractère polymorphe de l’iconographie résulte,en effet, en grande partie de la richesse du texte dont elle est issue, et tire son aura de sa dimension théophanique"
— BONNOTTE (Claire), 2017, , « Les interactions entre la dramaturgie et la conception des images au Moyen Âge. », Perspectives médiévales [En ligne], 38 | 2017, mis en ligne le 10 octobre 2017, consulté le 12 novembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/peme/12734 ; DOI : 10.4000/peme.12734
— CASTINEIRAS (Manuel), LE NOUVEAU TESTAMENT DE LA BIBLE DE RIPOLL ET LES ANCIENNES TRADITIONS DE L'ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE: DU SCRIPTORIUM DE L'ABBÉ OLIBA À LA PEINTURE ROMANE SUR BOIS
https://www.academia.edu/3385054/LE_NOUVEAU_TESTAMENT_DE_LA_BIBLE_DE_RIPOLL_ET_LES_ANCIENNES_TRADITIONS_DE_LICONOGRAPHIE_CHR%C3%89TIENNE_DU_SCRIPTORIUM_DE_LABB%C3%89_OLIBA_%C3%80_LA_PEINTURE_ROMANE_SUR_BOIS?auto=download
— Blaise Pascal, Carlo Carena, Enrico Castelnuovo, Roland Recht The Gospel of the Gospels: Abrégé de la vie de Jésus-Christ U. Allemandi, 1 janv. 1999 - 181 pages
https://books.google.fr/books?id=FHZOAAAAYAAJ&q=die+david+%22egcletes%22&dq=die+david+%22egcletes%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiqg6yDhPPXAhXCwKQKHd0VCnIQ6AEIJzAA
— DELAHACHE ( Georges), AARON Lucien, 1910, La cathédrale de Strasbourg : notice historique et archéologique. Paris, D.A. Longuet, 191 pages (et 1925 - 221 pages).
https://archive.org/stream/lacathdraledes00delauoft#page/162/mode/2up/search/blena
—GATOUILLAT (Françoise), , C. Loisel, P.-A. Parot, S. Piéchaud, G. Poinsot et C. Schmuckle-Mollard, 2012, Strasbourg, cathédrale Notre-Dame : restauration des vitraux du bas-côté sud, Strasbourg, DRAC Alsace, coll. « Patrimoine restauré Alsace », n° 16, septembre 2012, 29 p. Non consulté car non diffusé en ligne.
—GUERBER (Abbé Victor), 1848, Essai sur les vitraux de la cathédrale de Strasbourg, Le Roux, Strasbourg https://books.google.com.gt/books?id=zWGFZ5boKM4C&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
— JANITSCHEK (Julius), 1968, Die älteren Glasgemälde des Strassburger Münsters, in Repertorium für Kunstwissenschaft, Volume 4 Walter de Gruyter, 1968 - 539 pages pages 46-60 ?
https://books.google.fr/books?id=cYjioLBIB-gC&dq=%22Gott+hat+dich+erhoeret%22+anna&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
—MÂLE (Emile), 1922, "L'art religieux du XIIe siècle en France : Etude sur les origines de l'iconographie du Moyen Age" 1922, page 130 et ss
https://archive.org/details/lartreligieuxdux00ml/page/130
— MOULINIER-BROGI (Laurence). L’uroscopie au Moyen Âge. « Lire dans un verre la nature de l’homme ». Paris, Librairie Honoré Champion, 2012 ; un vol. 16 x 24 cm, 253 p., ill. (Sciences, techniques et civilisations du Moyen Âge à l’aube des Lumières, 14). Prix : 65 €. isbn 978-2-7453-305-7.
https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2013_num_91_2_8442_t23_0534_0000_1
– Avec en sous-titre une citation de Bertold de Ratisbonne, franciscain allemand du xiiie siècle : « les grands savants possèdent l’art de lire dans un verre d’urine la nature de l’homme, sa maladie ainsi que le remède correspondant, si le mal est curable », cette synthèse introduit le lecteur dans l’histoire de l’uroscopie, une branche importante du savoir médical médiéval. Pour ce faire, l’auteur met en œuvre une riche documentation, constituée surtout de traités techniques (traités des urines), mais aussi de témoignages iconographiques (nombreuses scènes d’uroscopie) et archéologiques (notamment des flacons).
L’auteur rappelle d’abord l’ambiguïté du statut de l’urine dans l’Occident médiéval. Alors comme aujourd’hui, ce fluide passe pour répugnant et vil. Toutefois, considéré par les médecins comme le résultat des « coctions » opérées dans le corps, il apparaît comme un précieux révélateur des dysfonctionnements de l’organisme, et donc de l’état de santé des individus. Une science des urines, l’uroscopie, orientée vers la pratique et non vers la spéculation, comme c’est souvent le cas au Moyen Âge se développe. L’auteur s’intéresse à la formation de ce savoir ainsi qu’à sa pratique par les médecins. Une mise en perspective de l’uroscopie dans le corpus des connaissances enseignés par les facultés médiévales de médecine clôt l’ouvrage. Déjà utilisée à cet effet en Mésopotamie et dans l’Égypte ancienne, l’urine est, avec le pouls, un élément du diagnostic chez Hippocrate et Galien. Les Anciens lui attribuent aussi une valeur prédictive (notamment sur l’issue des maladies et les chances de survie d’un patient), qui sera conservée par la médecine monastique du haut Moyen Âge. C’est surtout le Peri ouron, de Théophile Protospatharios (viie siècle) qui fait de l’uroscopie une méthode privilégiée de diagnostic, à Byzance comme dans le monde arabe. Le traité de Théophile est traduit en latin au xie siècle. Il devient avec le Liber urinarum d’Isaac Israeli la base de l’uroscopie occidentale. Associés à d’autres textes, dont le De pulsis de Théophile, ces traités se retrouvent à la fin du Moyen Âge dans l’Articella, qui constitue alors la base de l’enseignement médical. Entre temps, les médecins occidentaux ont, à leur tour, enrichi le contenu de l’uroscopie. Ainsi, Maurus de Salerne ou, après lui, Gilles de Corbeil ont pu déceler dans l’urine des « régions », correspondantes à des zones précises du corps humain.
La deuxième partie étudie la pratique de l’uroscopie. Elle s’intéresse aussi à l’urinal, son instrument en même temps que l’emblème de la fonction médicale pour l’iconographie du temps. Les médecins qui examinent l’urine scrutent son aspect (couleur, clarté), sa quantité, sa consistance (visqueuse ou fluide), ses sédiments. Ils testent aussi son odeur, voire son goût. Cet examen peut se passer en présence du malade et se doubler d’un examen du pouls. Mais beaucoup de patients font porter leur urine chez le médecin. L’analyse s’avère souvent aléatoire et est perçue comme telle. Surtout s’ils la font porter au praticien, les patients peuvent en effet trafiquer leur urine (par exemple, en la colorant avec du safran) et tricher sur sa qualité, pour masquer leur véritable état ou pour éprouver la sagacité du médecin. L’uroscopie devient alors l’objet d’une double épreuve : tandis que le médecin teste la maladie de son patient, ce dernier vérifie par un subterfuge la science du praticien. L’auteur s’intéresse enfin à quelques usages particuliers de l’uroscopie, et notamment à son rôle en gynécologie. L’urine révèle les maladies féminines et signifie la stérilité ou la grossesse. Mais l’aspect du fluide peut aussi dévoiler la virginité ou sa perte. De thérapeute, le praticien se mue alors en auxiliaire de la morale sociale et de son contrôle.
La dernière partie du livre étudie l’évolution de l’uroscopie dans la littérature médicale. Elle la confronte aux conceptions physiologiques relatives à l’urine d’une part et à l’évolution des critères de jugement de l’autre. Parmi ceux-ci, la couleur de l’urine suscite nombre de commentaires. Du xiie au xve siècle, la palette passe d’une vingtaine de teintes possibles (chez Gilles de Corbeil), à quarante-deux, matérialisées sur des « roues des urines » toujours plus complexes. Cette interrogation sur la couleur des urines fera d’ailleurs de l’uroscopie un jalon important dans l’histoire des théories de la vision et de la lumière. L’urine alimente en outre beaucoup de controverses universitaires et, comme son pendant noble (le sang), appartient donc à la scolastique médicale. Néanmoins, sa vilenie dévalorise la médecine dans l’échelle de dignité des sciences. Dès les xiie et xiiie siècles, mise en balance avec l’astronomie, elle lui est jugée inférieure. Au xive siècle, Pétrarque associe dans une même réprobation l’attrait des médecins et pour le gain, et pour les déjections. En Italie enfin, la confrontation de la médecine et du droit, dans la « dispute des arts », conduit souvent à la défaite de la médecine, à laquelle est reprochée la primauté donnée aux réalités sensibles plutôt qu’aux causalités théoriques. Quoi qu’il en soit de ces remises en question, au Moyen Âge, rien n’entame vraiment la popularité de la science des urines. Si la peste jette le doute sur le savoir médical dans son ensemble, l’uroscopie conserve son crédit, car elle sert surtout pour le pronostic. À la fin du Moyen Âge d’ailleurs, la littérature médicale qui se diffuse largement et se vulgarise renforce son enracinement et sa pratique dans la vie courante. Il arrive même que l’on y recoure en art vétérinaire. Au xvi e siècle, elle sort indemne des remises en cause de la médecine traditionnelle par le Paracelsisme. "
— RAPP (Francis), 2000, Les évêques de Strasbourg à l'époque de Jean Tauler , Revue des Sciences Religieuses Année 2001 75-4 pp. 410-421
— SCHMUCKLE-MOLLARD 2012
https://docpatdrac.hypotheses.org/tag/restauration
— SIEBERT (Guido), 2014, Glass painters and Manuscript Illuminators, in The Use of Models in Medieval Book Painting publié par Monika E. Müller Cambridge Scholars Publishing, 2 juin 2014 - 235 pages , pages 58
— Kurmann-Schwarz, 2005a : Brigitte Kurmann-Schwarz, « ‘Fenestre vitree ... significant Sacram Scripturam’. Zur Medialität mittelalterlicher Glasmalerei des 12. und 13. Jahrhunderts », dans Becksmann, 2005a, p. 61-73.
— VOGEL (Cyrille), 1966, Le repas sacré au poisson chez les Chrétiens Revue des Sciences Religieuses Année 1966 40-1 pp. 1-26
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1966_num_40_1_2430
—Site
http://www.enluminures.culture.fr/documentation/enlumine/fr/LISTES/sujet_00.htm
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— BIBLES MORALISEES :
— Vienna 2554 numérisée :
Wien, Österreichische Nationalbibliothek (ÖNB), Cod. 2554
http://digital.onb.ac.at/RepViewer/viewer.faces?doc=DTL_2246547&order=1&view=SINGLE
— Le manuscrit Fr. 167 de la Bibliothèque nationale de France, enluminé par Jean Pucelle et autres a été entièrement repensé afin d’accorder les images avec un texte double latin et français. Cette Bible moralisée, commandée par Jean le Bon vers 1350-1355, est la seule qui soit complète.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8447300c/f552.image
— La Bible moralisée de Naples BNF fr 9561 a été commanditée par le roi de Naples, Robert d’Anjou le Sage et achevée sous le règne de sa petite-fille Jeanne au début des années 1350.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7200010r/f371.image
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7200010r/f377.item.zoom
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