Dans le standard de jazz Caravan, où sont les chameaux ? Pourquoi il est inutile d'attendre que les chiens aboient en écoutant the Duke.
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J'ai toujours pensé que le standard de Duke Ellington et Juan Tyrol évoquait le lent balancement des chameaux et les campements des bédouins, le charme des oasis tapies derrière les étendues de sable brûlant. Les sonorités orientales de la musique, souvent accentuées à plaisir par le saxo (ou la clarinette de Barney Bigard), suffisaient à faire apparaître la longue procession des chameliers escortant de précieux chargements vers les caravansérails. Je délirais de soif vers Tombouctou, j'écoutais les contes de Shéhérazade, j'étais accueilli par Sémiramis, ou encore c'était à Samarkand que le rythme chaloupé de ma monture faisait monter en moi les vers du Majoun et Leila du persan Nizami.
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Le thème a été écrit par Juan Tyrol puis Duke Ellington a composé l'arrangement et la partie centrale. La première version, purement instrumentale, date de 1936.
Ah, très bien, mais si nous écoutons les paroles composées par Irving Mills , nous devons quitter le Sahara ou la Route de la Soie pour venir nous blottir à l'intérieur de notre petite caravane pour une nuit sous les étoiles.
La première version vocale par Duke Ellington et Juan Tyrol a été chantée par Ivie Anderson en 1936, mais c'est surtout par l'enregistrement d'Ella Fitzgerald en 1957 qu'on peut écouter ces paroles.
https://www.youtube.com/watch?v=5O_ICpYMUds
Je n'y entends parler ni de chameaux, ni de Sahara, mais d'un home sweet home tracté : "Caravan" c'est une roulotte, et la chanson évoque les bonheurs d'une nuit de camping.
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La preuve ? voici les paroles originales . Ce sont principalement et non sans écart, des octosyllabes
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Night and stars above that shine so bright
The myst'ry of their fading light
That shines upon our caravan
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Sleep upon my shoulder as we creep
Across the sand so I may keep
This mem'ry of our caravan
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This is so exciting, you are so inviting
Resting in my arms
As I thrill to the magic charms
Of you beside me here, beneath the blue
My dream of love is coming true
Within our desert caravan
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Oui, on y trouve le mot "désert", mais comme adjectif dans le sens de "isolée, solitaire" : rien à voir avec les dunes modelées par le vent brûlant.
Sait-on si Irving Mills, auteur des paroles, s'adonnait au caravaning ? Non, et pas d'avantage Duke Ellington et Juan Tyrol. Ils ne possédaient, ni caravan, ni travel trailer, ni camper, ni camper trailer, ni tent. Même si le caravaning devint populaire aux Etats-Unis dans les années 1920, et si un Caravan Club fut fondé en 1907, le seul point d'intersection entre la patate "jazz" et la patate "camping" est celui où nous voyons la caravane de Django Reinhardt (qui était né dans une roulotte de gitans) brûler dans un incendie en 1928 : il sauva sa guitare mais fut sérieusement brûlé à la main et à la jambe et perdit l'usage de deux doigts de la main gauche, comme chacun le sait. Mais cela se passait à Saint-Ouen et non à Washington.
En fait, Irving Mills aurait acheté les paroles d'un auteur dont nous ne savons pas s'il avait passé la nuit au bord d'une plage (across the sand) dans sa roulotte avec sa petite amie. L'enquête s'avère difficile.
Y-a-t-il ici une allusion aux roulottes des Gypsy ? Aux attelage des cow-boy ? Pas plus.
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Ces paroles ont été traduites (ou adaptées) par Philippe Elan pour Laura Figgy
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Nuit semée d'étoiles qui brillent si fort
Le mystère de leur reflet d'or,
Illumine notre caravane.
Dors, sur mon épaule tout en rampant,
Dans le vent le sable mouvant,
Souvenir de notre caravane.
Tout semble possible, tu es irrésistible
Blottie dans mes bras je subis
Ton mystérieux charme
Oh toi, si près de moi sous le ciel roi,
mon rêve se réalisera
Au cœur de notre caravane.
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Enfin, dans une de ces adaptation dont elle a le secret, voici la version de Brigitte Fontaine (1997) : cette fois-ci, les chameaux sont bien là ... dans la baie du Mont-Saint-Michel :
L’air se cabre dans la nuit d’hiver
Tout est silence, terre et ciel
Le désert luit loin de la mer
Tout en bas du mont Saint-Michel
Au sommet j’avale un vent muet
Grisant comme un vin de Toscane
Mon regard plonge dans la baie
Je vois passer la caravane
Ils sont bien cinquante
Les chameaux, les gens
Sous la lune errante
Là, se balançant
Le rythme royal
Me charme et m’appelle
Volant, je dévale
Les longues ruelles
Sur le sable doux comme un miroir
Je cours vers eux tout en criant
Ils passent, ils passent sans me voir
Détachés sur le ciel d’argent
Seul, un homme un regard embrasé
Fier comme un prince d’Erevan
Me tend une rose embaumée
Et il rejoint la caravane
Je reste figée
Dans ma peau d’hermine
Et puis je m’en vais
Vers ma limousine
Je pose la rose
Sur le siège avant
Je marque une pause
Je rentre à Dinan
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Je n'ai plus qu'à proposer ma petite composition, comme ça, je pourrais la chanter cet été, au camping de Gazouillis-les Pins :
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Nuit, et tes étoiles scintillantes,
Le mystère des étoiles filantes,
Au dessus de notre caravane.
Danse, tes pas s'impriment sur la plage,
Tu peux descendre jusqu'au rivage,
En face de notre caravane.
C'est un petit camping,
qui secoue et qui swingue,
un nouveau style de cabane.
Tu peux
tirer les petits rideaux bleus
Le paradis des amoureux
C'est notre nouvelle caravane !
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Mon interprétation du moment ? Celle de l'Avalon Jazz Band, car je succombe au charme de la voix de Tatiana Eva-Marie :
https://www.youtube.com/watch?v=w_HcB84GqxA
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je ne peux mentionner tous mes enthousiasmes, mais je suis bien obligé de citer aussi Mélody Gardot à Juan-les-Pins avec Irwin Hall (saxophone, flûte, clarinette, Stephan Braun (violoncelle !) , Charnett Moffett (contrebasse) et Charles Staab ( batterie).
https://www.youtube.com/watch?v=svfYFgqBjW0&list=RDuJ8LiUFJBaQ&index=6
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