Les vitraux de l'église de La Guerche-de-Bretagne : la baie 8 (1536) de l'Annonciation, et du Couronnement de la Vierge vénéré par l'évêque Yves Mahyeuc présenté par saint Yves.
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Sur l'ancienne collégiale Notre-Dame de La Guerche-de-Bretagne, voir :
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PRÉSENTATION GÉNÉRALE : voir baie n°14.
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La baie 8 éclaire le bas-coté sud. Elle mesure 4,20 m de haut et 2,10 m de large ; C'est une verrière d'une seule lancette, datée par inscription de 1536 et associant en haut un Couronnement de la Vierge et en dessous une Annonciation contemplée par Yves Mahyeuc, évêque de Rennes entre 1507 et 1541, présenté par son saint patron.
Dans les années 1530, un bas-coté sud fut édifié avec quatre travées précédées d’une sacristie surmontée d’une chapelle dédiée à sainte Catherine. La chapelle de Tous-les-Saints ou Toussaints de la baie n°8 formait le pendant de celle de Marguerite d’Alençon fondée du coté nord en 1520 par son neveu Charles et détruit ensuite.
"Le bas-côté sud a donc été réalisé en symétrie avec celui du nord, en profitant de l’expérience acquise. Il semble toutefois que la famille d’Alençon ne s’en soit pas occupée : l’organisation des travaux fut probablement gérée par le chapitre des chanoines, en lien avec la confrérie de Notre-Dame et de tous les Saints, dont les archives ont malheureusement disparu pour cette période mais dont nous supposons qu’elle était florissante. Le programme s’échelonna sûrement sur quelques années, mais il paraît relativement homogène, tant pour l’organisation architecturale que pour le programme des vitraux." (R. Blot)
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L'édifice subit au XIXe siècle d'importants remaniements, notamment de 1859 à 1863 (ajout du bas-coté nord de la nef à des fins de contrebutement, puis en 1888 (modification des parties hautes du chevet). Ce qui restait de ses verrières anciennes fut regroupé dans quatre baies du bas-coté méridional, vers 1865 semble-t-il par le Nantais Échappé. Les panneaux conservés correspondent en majorité aux principales campagnes des travaux d'architecture, celles du début du XVe siècle et celle du deuxième quart du siècle suivant.
Les vitraux du XVIe siècle peuvent être demeurés à leur place d'origine mais la forme des baies qu'ils occupent, dépourvus de meneaux, est le fruit d'une remaniement ultérieur. La seule œuvre restée homogène, quoique faite initialement pour une fenêtre à deux lancettes, est cette baie n°8 exécutée en 1536 aux frais d'Yves Mahyeuc, né à Plouvorn en 1462, dominicain à Morlaix puis à Rennes, confesseur de la reine Anne de Bretagne, et évêque de Rennes depuis 1507. Un admirable portrait le présente ici comme donateur,
La verrière, fut remise en valeur en 1889 par le parisien Charles Champigneulle fils (inscription).
Les restaurations les plus récentes ont été pratiquées en 1998 par Michaël Messonnet et en 1999 par Antoine Le Bihan.
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L'étude de ce vitrail par Roger Blot.
Il est rare de trouver dans la littérature contemporaine une étude aussi précise et attentive, aussi érudite et aussi passionnée d'une seule verrière que celle publiée par Roger Blot, "prêtre du diocèse de Rennes, chargé du patrimoine religieux" dans son chapitre Yves Mahyeuc et la chapelle de Tous les Saints à la collégiale de La Guerche, mis en ligne par books.openedition. Je me permets d'en citer de larges extraits.
"Les vitraux du bas-côté sud
Apportons quelques précisions sur l’ensemble des vitraux créés à la suite de la construction du bas-côté. Cette série de La Guerche est l’une des plus importantes de cette époque dans le diocèse de Rennes puisqu’elle concerne six grandes baies. Actuellement, on pourrait croire qu’il n’y eut que quatre verrières, le bas-côté n’ayant que quatre travées : la verrière de l’Annonciation (1536), qui nous intéresse particulièrement ; la verrière du Couronnement de Marie reine du Ciel (même époque), dont subsiste la moitié supérieure ; la verrière du Jugement Dernier (1537), assez intelligible depuis la restauration de 1918 par les frères Tournel; la verrière de l’Arbre de Jessé (même époque), dont quelques panneaux sont plus laborieusement disposés.
Mais nous devons ajouter celle de l’étage de la sacristie, où se trouvait la chapelle Sainte-Catherine, déjà utilisée en 1537, et celle du mur ouest de la dernière travée, dont les restes importants furent éliminés lorsqu’on ajouta une chapelle à l’ouest dans les années 1870. D’après une description précise d’A. Ramé en 1861, cette verrière était dédiée aux Sept Vertus. Des traces infimes de ces deux verrières subsistent d’ailleurs, dans un panneau « patchwork » de la verrière du Couronnement : un petit buste de princesse ligotée, qui doit correspondre à une scène du martyre de sainte Catherine et un grand visage de femme de profil, qui d’après A. Ramé pourrait être la Vertu de Tempérance.
Si l’on met à part la verrière de sainte Catherine, isolée dans sa chapelle, on peut voir que les cinq verrières du bas-côté esquissent un programme très cohérent avec les préoccupations de la confrérie de Tous les Saints : comment parvenir au Paradis ? Les vertus sont les moyens, la Vierge (omniprésente) et saint Michel les meilleurs médiateurs, et la miséricorde de Dieu la seule vraie garantie.
L’école de Vitré
Tout porte à croire que cette série fut réalisée en peu de temps, puisque le vitrail de l’Annonciation porte la date de 1536 et celui du Jugement dernier, deux travées plus loin, celle de 1537. Mais il est facile de voir également, par simple observation, que ces verrières ne furent pas confiées à un seul artiste. D’où venaient-ils ? Malgré des pertes trop nombreuses, le pays de Vitré garde des traces particulièrement riches de l’art du vitrail de la Renaissance, dans des sites comme Vitré, Champeaux, Louvigné-de-Bais, Moulins, Visseiche, La Guerche… Il y a lieu de se demander quelle est la part revenant aux ateliers de Vitré proprement dits. L’un des premiers vitraux bien caractéristiques de la Renaissance, celui de la Pentecôte en 1529 à Champeaux, est attribué avec raison à Jan Adrian qui s’était établi à Rennes ; ceux, plus tardifs, de Moulins et de Visseiche relèvent à l’évidence de Michel Baionne l’ancien, Rennais lui aussi. Par contre, les ateliers vitréens sont présents à Louvigné-de-Bais et à Notre-Dame de Vitré, selon des sources bien établies. Les noms de Gilles de la Croixvallée, Pierre Symon ou Guyon Colin nous sont ainsi familiers. Qu’en est-il pour la Guerche ? Nous allons bientôt nous prononcer en faveur de Pierre Symon pour la verrière de l’Annonciation." (Roger Blot)
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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LE COURONNEMENT DE LA VIERGE (1536).
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Dans une nuée, le Christ de Gloire torse nu et drapé du manteau de la résurrection, et Dieu-le-Père en tiare et chape, posent la couronne d'or sur le Vierge, dans une trouée de lumière éblouissante centrée par la colombe de l'Esprit. Six putti occupent l'encadrement architecturé, dont ceux qui présentent le cartouche au chronogramme de 1536.
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"La verrière de l’Annonciation et Yves Mahyeuc (1536)
Une œuvre de la Renaissance
C’est peut-être en Bretagne le vitrail le plus représentatif de l’art de la Renaissance. La Renaissance, c’est la maîtrise de la perspective (ici très aboutie), la maîtrise des couleurs (et ici des blancs !), la maîtrise de la composition. La maîtrise technique aussi, qui permet d’utiliser un minimum de plomb en dehors des grandes lignes du dessin. Une des innovations principales est l’abandon du remplage habituel de granit pour une simple structure de métal qui, si l’on est habile, saura se faire oublier et permettra de développer de grands tableaux peints, comme dans les retables. La présence d’une structure architecturée servant d’encadrement aux tableaux accentue la comparaison avec le retable, mais cette comparaison tourne à l’avantage du vitrail : le marbre des colonnes et de l’entablement est blanc comme du Carrare et l’or abonde dans la partie haute, qui encadre une vision céleste. Les soubassements sont des marbres vert tendre. Les reliefs du bas ont le bleu profond du lapis-lazuli…"
Annonciation et Couronnement, deux thèmes liés
Contrairement aux autres vitraux qui n’auront qu’un seul sujet, celui-ci superpose deux scènes bien connues, liées à Marie. En bas, comme scène principale, l’Annonciation où Marie se fait la « servante du Seigneur » ; en haut son Couronnement au Ciel par la Trinité. Ces deux sujets sont chacun très répandus, mais ici leur choix et leur rapprochement ont des raisons particulières de satisfaire le chapitre des chanoines et la confrérie de Tous les Saints, aussi bien que le religieux Yves Mahyeuc (On rappellera ici les travaux d’Yves Mahyeuc dans le chœur de la cathédrale de Rennes, telles qu’ils sont décrits dans le procès en béatification (Déposition 49) : « Fait le chœur de la dite église élever, mettre en lambris et peindre toutes colonnes dudit chœur en image de Paradis et couronnement de la béate Vierge comme il paraît encore. »)
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L’acte de fondation de la collégiale, on l’a vu, était lié à la fête de l’Annonciation, le 25 mars 1206 (juste 330 ans avant le 25 mars 1536 !), et le 15 août, fête de l’Assomption et du Couronnement de la Vierge au Ciel, était depuis toujours la fête patronale. Dans la verrière axiale du chœur, du début du XVe siècle, c’est d’ailleurs cette scène du Couronnement qui était mise en avant et elle ne cessera de l’être tout au long de l’histoire de cette église : on la retrouve en grand format dans la verrière qui suit celle d’Yves Mahyeuc [baie 10], mais également dans la grande verrière actuelle du chœur (1867) comme dans celle du bas de l’église (1875) ; elle est peinte sur l’actuel autel de dévotion (vers 1864)… On la voit également sur les armes du chapitre et sur les cloches. Toutefois, c’est l’Annonciation qui, dans cette verrière, reste le sujet principal et c’est bien logique puisqu’elle est le vitrail inaugural de la série. Au début d’une chapelle à forte coloration mariale, le message angélique permet aussi d’engager la prière à Marie, l’Ave Maria, qui se lit sur le phylactère à côté de l’Archange Raphaël. La même logique a présidé au programme des vitraux dans le bas-coté nord qui commence aussi par une Annonciation (1865).
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En bon dominicain, Yves Mahyeuc a de bonnes raisons d’apprécier le choix de ces deux scènes, puisqu’elles correspondent à deux des quinze mystères du Rosaire, le premier et le dernier. Depuis quelques décennies en effet, avec le Breton Alain de la Roche notamment, les Dominicains sont devenus les grands propagateurs de cette dévotion. [...]" (R. Blot)
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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L'ANNONCIATION (1536).
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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L'ange Gabriel porte un spectaculaire manteau vert à franges de passementerie jaunes. Son front est orné, selon la tradition, d'un bandeau d'or doté d'une croix.
On remarquera, juste devant son genou fléchi, un paysage en verre bleu gravé et teinté au jaune d'argent.
Le vase aux lys blancs (ici marqués d'étamines orangées, comme tout lys martagon) dont le symbole de pureté sépare, dans la tradition iconographique, l'ange de Marie se retrouve placé entre la Vierge et le donateur, qui est en contre-bas de cette Annonciation.
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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La Vierge est assise ou le genou ployé devant un drap d'honneur damassé et sous un dais (correspondant peut-être au lit drapé de sa chambre); devant elle, le livre de prières est ouvert sur un prie-dieu recouvert d'une étoffe verte. Elle se tourne vers l'ange et ébauche le geste du "fiat".
La tête a été refaite en 1889.
Deux verres rouges sont gravés : le drap d'honneur et le ciel de lit.
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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L'ÉVÊQUE YVES MAHYEUC PRÉSENTÉ PAR SAINT YVES.
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L'évêque, agenouillé sur un coussin à glands de passementerie verts, mains jointes montrant les chirothèques, l'anneau et les bagues, a endossé sur le surplis et l'étole verte la chape cérémoniale. Les bordures de celles-ci sont brodées de personnages sous un dais (les apôtres en général), et l'étoffe de drap rouge est damassée de grenades et d'épis. Le crosseron de la crosse épiscopale est gravé d'une scène de bénédiction ou, plutôt, de couronnement de la Vierge.
Yves Mahyeuc est devant son Livre de prières, ouvert sur un prie-dieu ; et ce livre dispose d'une couverte rouge, étoffe de protection de la reliure. Le drap du prie-dieu est damassé de rouelles.
Saint Yves est tête nue et nimbé sur ses cheveux blancs. Il porte la robe d'official (juge ecclésiastique) de Tréguier, recouverte d'une tunique d'hermines, à très larges manches. Il tient en main gauche le rouleau d'une des pièces du procès dont il mène l'instruction.
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Un ouvrage entier a été consacré à ce prélat : Augustin PIC et Georges PROVOST (dir.), Yves Mahyeuc, 1462-1541, Rennes en Renaissance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 365 p. Et c'est dans cet ouvrage que Roger Blot a publié son étude de ce vitrail (§. 21-32).
Voici pour faire bref un extrait de la notice de Wikipédia (une confusion entre deux personnages homonymes, oncle et neveu peut-être, compliquerait les choses):
"Yves Mahyeuc (1462-1541) embrassa la vie religieuse au couvent des frères prêcheurs de Morlaix avant que de rejoindre celui de Bonne Nouvelle à Rennes.
Tour à tour confesseur d'Anne de Bretagne, de Charles VIII puis de Louis XII, il fut nommé évêque de Rennes par le pape Jules II le 29 janvier 1507.
Il accompagna la duchesse Anne lors de son voyage en Bretagne en 1505.
En 1532 il accueillit le dauphin François de France à l'occasion de son entrée dans la ville de Rennes et le couronna duc de Bretagne en sa cathédrale sous le nom de François III.
Yves Mahyeuc mourut en odeur de sainteté au manoir épiscopal de Saint-Armel de Bruz le 20 septembre 1541 et fut enseveli dans le transept méridional de sa cathédrale, près de l'autel Saint-Sébastien."
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Le Pontifical d'Yves Mahyeuc, conservé à la BM de Rennes M. 1278 ( Tours ou Paris v.1535, 116 feuillets), est illustré de 3 petites enluminures, peut-être par le Maître de Rohan. Deux représentent l'évêque devant l'autel, face au crucifix et au calice, mais nous ne pouvons rien en déduire.
http://www.tablettes-rennaises.fr/app/photopro.sk/rennes/detail?docid=22224
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Enfin, la jouée nord des stalles de La Guerche (stalles jugées si irrévérencieuses par R. Blot) porte la statue de saint Yves en ronde bosse, et un bas-relief d'une femme portant la couronne d'épines. La jouée sud porte des mouchetures d'hermines . Ce sont là trois références à l'évêque de Rennes et à ses armoiries.
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Roger Blot a proposé d'y reconnaître l'œuvre du verrier Pierre Symon.
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"Il y a tout de même une injustice à réparer. L’artiste qui le fait vivre est aujourd’hui ignoré. Dans le Corpus Vitrearum de Bretagne (Françoise Gatouillat, Michel Hérold), qui faute de mieux fait autorité [sic !], il est rattaché vaguement à Rennes et l’attribution à Pierre Symon est exclue. Nous nous demandons bien pourquoi, car le fait qu’il soit attesté que ce Vitréen travaillait à Notre-Dame de Vitré en 1537 peut tout de même être vu comme un indice qu’il ait pu réaliser, dans cette église la même année, la verrière de l’Entrée de Jésus à Jérusalem. Dès lors, de minutieuses comparaisons avec la verrière de l’Annonciation de La Guerche d’une part (1536) et des verrières de la région de Fougères où il s’établit peu après (Saint-Léonard de Fougères, notamment dans le fragment d’une autre Entrée à Jérusalem, Javené, La Chapelle-Janson et même Gahard ou le Musée de Vitré) font peu à peu surgir un corpus magnifique, dont la Résurrection de Lazare à Saint-Léonard de Fougères serait le chef-d’œuvre. Mais l’Annonciation de La Guerche, sa première œuvre connue, est très belle aussi. Quant au portrait d’Yves Mahyeuc, nous ne saurions dire s’il le fit d’après nature, de mémoire, ou à partir d’un modèle préexistant. Mais de son temps, n’en cherchez pas d’autres. Et c’est déjà beaucoup." (Roger Blot)
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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Les armoiries épiscopales d'Yves Mahyeuc .
Elles se blasonnent d'argent à trois mouchetures d'hermines de sable 2,1, au chef d'or chargé de trois couronnes d'épines de sinople.
"Sans doute Yves prit-il ces trois couronnes d’épines par dévotion à la Passion et par humilité religieuse, ce qui n’est pas sans ajouter aux indications de spiritualité données ci-dessus. Il choisit les hermines parce qu’il était breton et servait la Duchesse mais peut-être y vit-il par la suite le symbole du lien que lui donnait l’épiscopat au peuple de Bretagne." (Augustin Pic) https://books.openedition.org/pur/127257#bodyftn42
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Augustin Pic, dans le portrait qu'il dégage du Procès de canonisation, décrit Yves Mahyeuc comme "un spirituel autant qu’un intellectuel" en tant que membre d’une congrégation dominicaine de réforme (dont faisaient partie son couvent de Morlaix et celui de Rennes). Il cultiva la prière intime (qu'un témoin décrit comme pratiquée "gisant dessus la nue terre, à bras étendus, en lequel état passa la part plus grande de la nuit ") et adepte de la devotio moderna. Le témoin ignorait sans doute que c’était là une des neuf manières de prier, la deuxième, qu’un opuscule de la seconde moitié du XIIIe siècle attribuait à saint Dominique, De novem modis orandi s. Dominici. Que ces scènes aient ou non le sens implicite d’une intercession, elles supposent certainement une expérience spirituelle faite de purification par la componction (l’affliction sur les péchés), d’élévation à l’illumination intérieure, dont la lumière visible doit être regardée comme la manifestation, et de mystique christologique centrée sur la Passion.
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Si on ajoute que ces postures de prières étaient réalisées face au Christ en croix dans la contemplation de ses Plaies et de son Sang, il est donc difficile de ne pas voir dans le choix de ces couronnes d'épines un emblème d'une dévotion aux Cinq Plaies.
Cette hypothèse se renforce devant la déposition d'un témoin du procès de l'évêque : « … lui tendant un jour ses vêtements, dessus son sein vit trois croix blanches et au bout de l’une une goutte de sang imprimée. Lors ploya le genou pour les adorer mais le dit Yves Mahyeuc lui dit : Avez découvert mon secret ! Sainte Brigitte me bailla ces croix »
Or les Révélations de sainte Brigitte de Suède (1302-1373) sont centrales dans la diffusion de ce culte. Voici ce qu'écrivait Émile Mâle :
"Veut-on voir maintenant ce qu'imagine le XIVe siècle ? Ouvrons les Révélations de sainte Brigitte, un de ces livres ardents qui ont laissé une trace profonde. C'est la Vierge elle-même qui parle à la sainte, et qui lui raconte tout ce qu elle a souffert. Elle a vu mettre son fils en croix, et elle s'est évanouie; et voici dans quel état elle l'a revu, quand elle est revenue à elle : « Il était couronné d épines, ses yeux, ses oreilles et sa barbe ruisselaient de sang... Ses mâchoires étaient distendues, sa bouche ouverte, sa langue sanguinolente. Le ventre, ramené en arrière, touchait le dos, comme s'il n'avait plus d'intestins. » Sainte Brigitte, Révélations, Rome, 1628, 2 vol. in-fo. Tome I, p. 22.
"Les Révélations de sainte Brigitte eurent grande diffusion imprimée dès la fin du XVe siècle, à partir de l’Allemagne puis des Flandres et de Rome, d’où leur possible fréquentation par Yves, comme religieux ou comme évêque. Des dominicains s’étaient montrés favorables à cet écrit controversé, Juan de Torquemada (vers 1388-1468) en particulier, avec son Defensorium, contre le projet de condamnation en cent vingt-trois articles avancé au concile de Bâle en 1436. L’évêque de Rennes trouva peut-être chez cette mystique, fascinée, comme sa contemporaine la dominicaine sainte Catherine de Sienne, par le Christ aux douleurs et, comme elle, soucieuse de la réforme de l’Église in capite et membris, l’amour de la Passion (d’où les couronnes d’épines de ses armoiries, antérieures à l’épiscopat) et l’inspiration ou la confirmation de son désir d’un renouveau chrétien. Pour préciser le thème du sang, on peut signaler les quinze Oraisons sur la Passion dites de sainte Brigitte, apocryphe déjà répandu au XVIe siècle. Ces oraisons sont à méditer chaque jour de l’année, soit cinq mille quatre cent soixante fois (15 par 365) en l’honneur des blessures du Christ qui auraient eu même nombre. Selon le Pater et Ave, autre apocryphe, on récite chaque jour pendant douze ans sept fois l’une et l’autre prière pour obtenir le nombre des gouttes de sang du Christ, de sa naissance à sa mort, soit soixante et un mille trois cent soixante-deux." (A. Pic)
On voit combien, un demi-siècle après la duchesse de Bretagne Isabeau Stuart (en 1464-14 et le duc Pierre II, cette dévotion, que dévoile les armes d'Yves Mahyeuc, aux Arma Christi et au sang s'écoulant des plaies, est persistante. Mais la verrière n'y fait pas allusion.
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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L'ENCADREMENT ARCHITECTURÉ.
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La verrière est structurée par un important encadrement d'architecture peint en grisaille et jaune d'argent et relevant de cette Renaissance bretonne qui, sous l'influence de la cour royale en Val de Loire, était d'abord apparue à Dol-de-Bretagne sur le tombeau de l'évêque Thomas James en 1507 et qui se manifeste précocement à La Guerche-de-Bretagne sur les dossiers des stalles (1518-1525).
On retrouve ici les médaillons de profil à l'antique, les bugranes, les masques léonins, les guirlandes ou les rondes de putti qui la caractérise, ainsi que les entablements à volutes de rinceaux, les colonnes baguées de cartouches, ou la disposition générale de monument romain à fronton triangulaire, même si celle-ci ouvre sur une perspective toute relative. Ou un combat de putti imitant les panneaux d'un sarcophage antique.
Nous retrouverons ce vocabulaire de la première Renaissance bretonne à l'ancienne collégiale de Champeaux, sur ses stalles, sur les tombeaux, les vitraux ou la porte commandités par les seigneurs d'Espinay.
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Sur le décor Renaissance en Bretagne, voir :
- Les 54 stalles (vers 1530-1550) de l'ancienne collégiale de La Madeleine de Champeaux (35).
- Les vitraux du XVIe siècle de l'ancienne collégiale La Madeleine de Champeaux (35). I. La maîtresse-vitre (1539-1541) de la Crucifixion et de l'Extase de Marie-Madeleine.
En Finistère plus tardivement :
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L'église de Goulven IV : la tribune d'orgue, ancien jubé du XVIe siècle.
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La tribune (bois polychrome, XVIe siècle) ou ancien jubé de l'église d'Esquibien.
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Le jubé de l'église de La Roche-Maurice.
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Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
Baie n°8 (Couronnement et Annonciation, 1536) de l'église Notre-Dame de La-Guerche-de-Bretagne. Photographie lavieb-aile août 2020.
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SOURCES ET LIENS.
— AUBRY (Ernest), 1901, Notes chronologiques sur La Guerche-de-Bretagne. Paris : Office d'édition et de diffusion du livre d'histoire, 1994. (Monographies des villes et villages de France). Non consulté.
— BANEAT, Paul. Le département d'Ille-et-Vilaine, Histoire, Archéologie, Monuments. Rennes : J. Larcher, 1929. p. 133-149.Non consulté.
— BLOT (Roger), 2010, Yves Mahyeuc et la chapelle de Tous les Saints à la collégiale de La Guerche in Augustin Pic et Georges Provost, "Yves Mahyeuc, 1462-1541: Rennes en Renaissance" © Presses universitaires de Rennes, 2010.
https://books.openedition.org/pur/127311
— BRUNE, 1846, Résumé page 318-319 ; 1849, Résumé page 29
— BRUNE, 1849, Indication et descriptions des principales verrières du diocèse de Rennes, Bull. Archéologie association Bretonne t.II, 2, p 199.
— BRUNE, 1861, Indication et descriptions des principales verrières du diocèse de Rennes, Bull. Archéologie association Bretonne t.II, 2, p 72.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077553/f75.item
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2005, Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum, France VII, Inventaire général du patrimoine culturel ; Rennes : Presses universitaires de Rennes , impr. 2005
—GUILLOTIN DE CORSON, (Amédée),1880-1884. Pouillé historique de l'archevêché de Rennes. Rennes : Fougeray, Paris : René Haton, 1884. TI p. 83-85 et TIII p. 4-19
https://archive.org/stream/pouillhistoriqu05corsgoog/pouillhistoriqu05corsgoog_djvu.txt
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55608m.pdf
Premier vitrail. — Sous un riche portique de la renaissance, l'évêque de Rennes Yves Mahyeuc est agenouillé au pied d'un autel que surmonte la scène de l'Annonciation de l'ange à Marie ; derrière le prélat se tient debout son patron, saint Yves, vêtit d'une robe rouge avec un surcot d'hermines et un rouleau de papiers à la main. Aux pieds d'Yves Mahyeuc, deux petits anges tiennent l'écu épiscopal : d'argent à trois mouchetures d'hermines de sable, au chef d'or chargé de trois couronnes d'épines de sinople. A côté, sur un cartouche, on lit la date 1536. Le Bienheureux Yves Mahyeuc, mort en odeur de sainteté en 1541, affectionnait beaucoup Notre-Dame de la Guerche ; il faisait partie de la confrérie de Toussaints établie en cette église ; aussi voulut-il y être représenté aux pieds de Marie. Ce vitrail est d'autant plus précieux que nous ne connaissons pas d'autre portrait de ce saint prélat.
—JARRY, (Alphonse), 1941. Le sanctuaire de Notre-Dame de la Guerche à travers les âges. Rennes : Imprimerie Bretonne, 1941.
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/f19eba6aa5113393960b376867db3b78.pdf
— MENANT (Marie-Dominique), L'HARIDON (Erwana), 2005, Inventaire Général dossier IM35016953, la verrières de la baie 8 :
http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/verriere-de-la-baie-10-annonciation/85cd7d32-7a3b-4449-9a41-2f0b61a0ebce
— TOURNEL (Charles), 1917, Vitraux de l'église Notre-Dame de La Guerche-de-Bretagne, Bull. Et mémoires de la société archéologique d'Ille-et-Vilaine TXLV p. 233-238. Non consulté.
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