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Dans l'Océan de mes nuits, je vois apparaître des corps opalescents qui nagent devant mes yeux clos. Rêverais-je ? Quelles sont ces comètes traversant les aurores boréales dans un déshabillé de mousseline ?
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Ces simulacres sont parfaitement silencieux, comme le sont les esprits de mes songes, mais se livrent, lors de danses très lentes, à des métamorphoses inouïes.
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Ces filles de Protée et de Salomé abusent de mes sens qui dérivent avec elles, et sombrent dans une torpeur louche.
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Lentement j'échappe à l'ivresse des profondeurs, et tente d'y voir clair. Sont-ce là des Suminagashi, encres fluides échappées d'un calame et réagissant au souffle avisé d'un Maître du papier marbré ?
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Des rayons X traversent-ils les os diaphanes de quelques petits oiseaux extraits d'une pelote de Hulotte ?
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Dans le Train de la Nuit de la Voie Lacté, avons-nous atteint la constellation du Chat ?
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Un Oiseau de Braque se déforme-t-il dans les moirés de mes souvenirs ?
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Ces demoiselles aux robes vaporeuses et aux voiles de gaze forment des rondes aux effets narcotiques.
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Et puis ces anges du Mystère soudain ouvrent leurs ailes et glissent vers d'autres Cieux.
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Ces squelettes de ptérodactyles s'animent et valsent avec des chiroptères.
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Ces cirrus épousent des stratus où étrangement viennent se refléter des fragments d'arc-en-ciel .
Nuages, merveilleux nuages de quelque cigarette aux opiums toxiques...
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Cette station orbitale m'emporte, pour où, et pour combien de temps, dans d'infinis espaces qui, forcément, m'effraient.
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Les plus étranges créatures surgissent devant les hublots et s'évanouissent, sans que j'ai le temps de deviner la question qu'il faudrait ici poser pour rompre le maléfice.
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Fantômes de mes insomnies, disparaissez, abracadabra !
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Mnemiopsis leidyi, A. Agassiz, 1865, photographié à Océanopolis (Brest), doit son nom de genre aux racines grecques mnem-, "souvenir", et opsis, "forme". Ce sont donc bien, comme mes rêves me le suggéraient, des souvenirs qui prennent forme devant nos yeux, se transforment et se déforment par ces condensations, déplacements, et figurations du travail du rêve afin de mieux brouiller les pistes du songeur, "permettant à la satisfaction hallucinatoire de désirs inconscients de se déguiser".
En me livrant à une élaboration secondaire des figures oniriques, j'ai donc dévoilé un Ça fait d'Oiseaux du Paradis aux plumes électriques, de Papillons irisés comme les ocelles des Paons du Jour, de Poisson-Chats, de Sirènes, de Licornes et de Mélusines, dont je n'ai pas à rougir. Les recoins pélagiques de mon esprit conservaient un Bestiaire pulsionnel longuement sédimenté mais fort enchanteur.
Joseph — chaque Moi pharaonique a un Joseph à son service—, lorsqu'il délaisse les bras de ma Putiphar pour explorer ceux de ma Morphée, soutient que je suis un songe-creux, nourrissant ses rêves de billevesées, ces outres ventrues mais remplies de vent, et de pensées fumeuses. Et qu'aucun projet d'avenir ne s'y élabore. Certes, mais n'est-ce pas le privilège de l'âge et de l'hypertrophie cétacée de la mémoire de faire de ses souvenirs passés son plancton, son krill, sa source énergétique , à défaut de croquer l'avenir à pleine dents ?
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Ajoutons que l'épithète spécifique, leydii, rend hommage au paléontologue américain Joseph Leidy (1823-1891).
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