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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 21:45

Les inscriptions du tombeau en kersanton (XVe siècle) de l'abbé Guillaume de Kerlec'h de l'abbaye de Saint-Mathieu de Fine-Terre à Plougonvelin.

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Cette façade armoriée d'un tombeau en kersanton est l'un des rares éléments sculptés figurés des ruines de l'abbaye de Saint-Mathieu, et a été bien décrit par Yves-Pascal Castel en 1995 et par Paul-François Broucke pour la partie héraldique. Il est placé sous un enfeu de la chapelle absidiale. 

"Les armoiries sont à l’abbé Guillaume de Kerlec’h († vers 1470), abbé en 1430 (Levot 1873, p. 365 ; Torchet 2010, p. 214), dont la famille blasonnait fascé d’or et de gueules de six pièces, au lambel à trois pendants d’azur brochant (Potier de Courcy 1993, p. 104). Le relief pourrait cependant ne pas s’être rapporté au tombeau de Guillaume de Kerlec’h lui-même, mais à l’un de deux abbés homonymes du XIVe siècle, ses ancêtres, dans l’éventualité improbable, mais qui ne saurait être écartée, d’une commande mémorielle pour leurs tombeaux. La sépulture de l’un de ces abbés était attestée sous la première arcade du chœur au sud." (P.F. Broucke)

La façade est faite de la réunion  de cinq blocs de kersantite. Des pilastres et des accolades délimitent quatre tableau. Dans le premier, deux anges présentent un blason centré par une crosse en pal, le crosseron tourné vers notre gauche : ce sont les armes d'un abbé. Dans le deuxième, l'abbé, tenant sa crosse, est présenté par un saint patron. Ce saint aux cheveux longs et à la barbe pointue  est vêtu d'une chape ; il pose la main sur les mains croisées du donateur agenouillé. Dans le troisième, la Vierge à l'Enfant est assise sur un banc et nous fait face. Elle porte des chaussures pointues (poulaine) indiquant une datation au XVe siècle. L'Enfant vêtu d'une tunique longue est assis sur le genou droit de sa Mère et tourne le dos au donateur. Enfin dans le quatrième tableau se retrouve le motif initial de deux anges tenant les armoiries abbatiales. Toutes les têtes ont été buchées.

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Les inscriptions.

 Je voudrais ici déchiffrer les deux inscriptions, en caractères gothiques. L'une s'inscrit sur un phylactère déployé entre le donateur, et la Vierge à l'Enfant . L'autre court sur un phylactère découpé en huit portions qui miment une banderole dépliée sous l'entablement.

Sur la première, en latin, est écrit MISERERE MEI DEUS, "Dieu aie pitié de moi". C'est l'incipit du psaume 50, qui est mis ici dans la bouche de l'abbé Guillaume de Kerlec'h et est adressé à la Vierge comme intercessrice.

La deuxième, en français est une apostrophe s'adressant aux fidèles (ou aux religieux) et dit :

VOUS QUI / PAR YCI  PASSES / PRIES POUR / LES TREPASSES

Cette invocation demandant aux vivant de prier pour les âmes du Purgatoire est fréquent retrouvée sur les tombeaux, ou dans les ossuaires, sous une forme identique ou proche. 

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Rapprochement avec des inscriptions semblables.

 

-La même inscription exactement se lit sur un calvaire de Sigean (Aude) avec la date de 1611

https://www.sigean.fr/decouvrir-sigean/histoire-et-patrimoine/calvraire.html?showall=1

-L'ange de gauche du porche de Lampaul-Guimiliau, datant vers 1533, porte le phylactère :

BONES : GENZ : QUE : YCY : PASSEZ/ PRIEZ : DIEU : POUR : LEs : TREPASSEZ

Le porche de l'église de Lampaul-Guimiliau II : les quinze anges. Prigent vers 1533

-L'ange du bénitier  en kersantite à l'angle du contrefort de l'ossuaire de Ploudiry porte sur son phylactère :

BONES: GENTZ: QVI: PAR: ICY: PA /SSEZ: PRIEZ: DIEU: POUR LES: TREPASSEZ: 1635.

https://www.lavieb-aile.com/2020/04/l-ossuaire-de-l-enclos-de-ploudiry.html

-L'ossuaire de Trémaouezan porte deux inscriptions dont l'une en breton Gant Doue Han Bed Milliguet Eo Nep Na Lavar Mat Pe Nat Eo ("De Dieu et du monde est maudit qui ne dit la vérité ou ne se tait") et l'autre en français BONE GENT QUE YCI PASSES PRIE DIEU POUR LE TREPASSES

 

- Alfred Lebars dans  Les ossuaires bretons, signale cet exemple à Sizun :

VOUS NOS ANFENS QUI PAR ICY PASSES

SOUVENEZ VOUS QUE NOUS SOMMES TREPASSES

HIRIO DIME VARHOAS DIDE (aujourd'hui à moi, demain à toi)

Il ajoute :

"Il subsiste de l'ossuaire Saint-Melaine de Morlaix une plaque en pierre de Locquirec dont l'inscription gothique maintenant en grande partie illisible était ainsi conçue :

BONES GENS QUI PAR ILLEC PASSES

PRIES DIEU POUR LES TREPASSES.

L'ossuaire de la cathédrale de Quimper, détruit vers 1842, comportait une inscription du même genre :

VOUS QUI PAR ILLECQUES PASSEZ

SOUVENEZ VOUS QUE NOUS SOMMES TREPASSES

Des inscriptions à peu près semblables rappelant l'idée de la mort, de la prière pour les trépassés, se lisaient autrefois sur l'ossuaire de Marville (Meuse), ; à Monfort-l'Amaury (Seine-et-Oise), au cimetière des Innocents et à la porte de celui de Saint-Séverin à Paris ; à l'entrée du grand canal d'Orléans ; contre le mur extérieur de l'église de Beauval (Somme) et sans doute dans les cimetières de la plupart des régions de France."

 

On trouve encore :

Bonnes gens, qui en ce moustier

venez chascun jour pour prier

Pour Dieu, ne vueillez oublier les Trepassez.

Cet exemple est cité par A de la Borderie (L'Imprimerie en Bretagne), comme tiré de Les Loys des Trepassés, Bréant-Loudéac, 1484-1485, mais je ne le retrouve pas dans l'exemplaire de la Bnf

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511301d/f15.image

https://m.shabretagne.com/scripts/files/63cfd0b2ea9298.15622297/1961_04.pdf

On trouve ce distique rimé  exhortant les fidèles en Midi-Pyrénées, à La Couvertoirade, vers 1500, mais en occitan (Bonas gens que per aissi passatz, Pregatz Dieu per los trespassatz)

On le trouve à Paris sur une pierre du cimetière de la porte  Saint-Séverin. Ou bien on signale: "Bonnes gens qui par ici passez, Priez Dieu pour les trépassés Et pour le Maître Grégoire Qui ne mourut que de trop boire."

Robert Favreau  signale à Poitiers l'inscription Vous qui par cy passés/... [Priés D]i[e]u pour les trépassés, une apostrophe pour une demande de prières, signalée au cimetière de l'église Saint-Germain de Poitiers au Xve/XVIe siècle. "Elle  se rencontre à diverses reprises dès 1324: Vous qui par ci passés priez pour les trespassés (Etiolles, Essonne) : mais surtout au XVe siècle ou au tout début du XVIe : Bonas gens que per aissi passatz / Pregatz Dieu pour les trespassatz (La Couvertoirade, Aveyron, XVe s.), Vous qui par icy passés / priez Dieu pour les trépassez (Saint-Emilion, Gironde, Musée du Vieux Saint-Émilion), Vous qui par cy passés / priez Dieu pour les trespassés (Bourges, Cher, Saint-Pierre-le Guillard), Vous qui par cy devant passez / priez Dieu pour les trespassez (Beauvais, Oise, Musée), Vous mortels qui par ici passés / songés toujours a l’ame des trépassés (Courville-sur-Eure, Eure-et-Loir, en 1501), Vous qui ci passez / priez Dieu pour les trespasscez / cent jours de pardon gaignerez (Loudun, Vienne), Bones gens qui par cy passés / priez Dieu pour les trespassés (L’Épine, Marne, Notre-Dame), Bonnes gens qui par cy passés / de Dieu prier ne vous lassés / pour l’ame du corps qui repose cy (Taverny, Val-d’Oise), Vous qui par ici passés / priés Dieu pour les trépassés (Nevers, Nièvre, cathédrale)."

La formule était donc courante.

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Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu  à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu  à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu  à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu  à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu  à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

Façade du tombeau (kersanton, XVe siècle) de Guillaume de Kerlec'h, abbé de Saint-Mathieu, abbaye de Saint-Mathieu à Plougonvelin. Photographie lavieb-aile 2023.

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SOURCES ET LIENS.

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—BROUCKE (Paul-François), Plougonvelin, abbaye de Saint-Mathieu (église), https://armma.saprat.fr/monument/plougonvelin-abbaye-de-saint-mathieu-eglise/, consulté le 03/10/2023.
 

"Au chevet, la chapelle absidale, très endommagée, est percée d’un enfeu au nord, abritant la façade armoriée d’un tombeau. De l’enfeu, il ne reste qu’un arrachement à vif, de sorte qu’il est impossible de déterminer s’il fut percé d’origine, ou s’il résulte d’une redisposition. Scellé dans l’épaisseur du mur, le bas-relief armorié en kersanton (2,60 m par 0,65 m) est sculpté de cinq pilastres délimitant quatre arcades, sous lesquelles un priant présenté par son saint patron à une Vierge à l’Enfant est encadré d’armoiries (Castel 1995, p. 245) (armoiries 2a-b). Ce relief aurait l’apparence d’être le soubassement du tombeau abrité sous l’enfeu, s’il n’était le témoignage de Potier de Courcy qui signalait « parmi les ruines […] un autel en kersanton » dont la description concordante ne laisse aucune place au doute (Potier 1859, p. 402-403). Le scellement grossier du relief, son rehaussement approximatif, le raccord incertain aux maçonneries coincées de pierres de calage sont les indices d’un remontage moderne destiné à préserver et présenter sous l’enfeu un ensemble lapidaire dispersé, appartenant à un tombeau démembré. Il faut sans doute y reconnaître un autre bas-relief armorié conservé au musée voisin, de facture similaire et orné des mêmes armes, qui aurait pu former un petit côté. Les armoiries sont à l’abbé Guillaume de Kerlec’h († vers 1470), abbé en 1430 (Levot 1873, p. 365 ; Torchet 2010, p. 214), dont la famille blasonnait fascé d’or et de gueules de six pièces, au lambel à trois pendants d’azur brochant (Potier de Courcy 1993, p. 104) (armoiries 2a-b). Le relief pourrait cependant ne pas s’être rapporté au tombeau de Guillaume de Kerlec’h lui-même, mais à l’un de deux abbés homonymes du XIVe siècle, ses ancêtres, dans l’éventualité improbable, mais qui ne saurait être écartée, d’une commande mémorielle pour leurs tombeaux. La sépulture de l’un de ces abbés était attestée sous la première arcade du chœur au sud."

Texte original sur : https://armma.saprat.fr. Lire plus sur : https://armma.saprat.fr/monument/plougonvelin-abbaye-de-saint-mathieu-eglise/ .

—FAVREAU (Robert), 2017 , Les inscriptions de Poitiers (fin VIIIe-début XVIe siècle). Une source pour l’histoire de la ville et de ses monuments

https://www.persee.fr/doc/cifm_0000-0000_2017_cat_1_1

— GROS (Gérard) De la Ballade des Pendus à la Complainte des Trépassés de Jean Molinet : permanence d'un thème, Presses universitaires de Provence

https://books.openedition.org/pup/2828?lang=fr

https://www.patrimoine-iroise.fr/culturel/religieux/Saint-Mathieu.php

 

https://www.savoie-mont-blanc.com/sites-culturels/chapelle-saint-bon-129014/

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans Inscriptions Héraldique

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