J'avais écrit en titre Ballade avec deux ailes, et cette faute d'orthographe transformait mon article en une poésie de l'ancien temps, une chanson à danser, la ballade venant , comme bal, ballerine, baladin ou ballet du latin ballare, danser, par le grec ballein, jeter.
Mais la création de balade, mot d'argot du XIX ème siécle pour désigner l ' oisive promenade, n'est-elle pas inspirée par ces termes chorégraphiques ?
Après tout, ne dit-on pas, lorsqu'on s'est fait envoyer promener, ou envoyer balader : "il -elle- m'a envoyé valser" ?
Quoiqu'il en soit , foin des randonnées (pédestres, équestres), des excursions ou des parcours (sportifs, de santé, ..) : moi je suis partisan des balades : L'amateur -c'est toujours un amateur - s'y livre à son humeur vagabonde et aux doux plaisirs de la paresse active. Un rien aventurier, il va à l'improviste; il flâne, et comme ce -â-circonflexe il s'étire en baillant. Pour une fleur, un parfum, un chant d'oiseau,il ne craint pas de s'écarter des GR battus et balisés, mais sans risque ni goût pour la performance. Ce n'est pas lui qui mène la danse, et il va, le nez au vent, les sens en alerte, chassant la belle occasion, la jolie rencontre, l'ange qui passe ou l'instant qui s'éternise. Il musarde, il baguenaude, il est heureux.
Balade donc le 27 avril en Baie de Douarnenez par temps estival, sur la Pointe de Tréfeuntec et celle de Talagrip : lézards verts, Tariers pâtres sur tous les arceaux de ronce, Linottes mélodieuses sur les tiges disponibles, belle collection d'orchis à Tréfeuntec, papillons voletant partout,(Procris, Tircis, Paon du jour, Azuré) et, à Talagrip, le superbe spectacle d'un Machaon, ou Grand porte-queue butinant l' Armeria maritima.
Môssieur Saxicola rubicola recherche sans-doute à conquérir un coeur avec cette offrande d'une chenille appétissante.
Cet imago est resté en hibernation de septembre à mars et découvre pour la première -et seule-fois les joies
du printemps breton, les courses folles sur les landes, la beauté de la pelouse rase maritime. Il folâtre parmi les têtes roses de l'Almeria maritima:
On remarque que notre Porte-queue en a perdu une. Ces prolongements effilés des ailes ressemblent aux "filets" des hirondelles rustiques, ce qui explique que le machaon soit nommé en anglais Swallowtail, queue d'hirondelle.
Voilà Papilio machaon déployant bien ses ailes : un conseil néanmoins, évitez de lui dire qu'il est tiré à quatre épingles, les papillons n'aiment pas.
Machaon et Asclepios
Ce papillon tire son nom d'un héros de la guerre de Troie, Machaon, qui fut avec son frère Podalire l'un des médecins des combattants achéens venus venger l'honneur de Ménelas dont l'épouse Heléne a été enlevé par Pâris. Tous les deux se trouvaient dans le fameux cheval qui mena Troie à sa perte...
Machaon est d'une famille qui se consacre à la Santé puisque son père n'est autre qu'Asclépios, dieu de la médecine, sa mère est la nymphe Epione "celle qui soulage les maux", il compte parmi ses soeurs Hygie, déesse de la santé et de l'hygiène, et Panacée, déesse qui soigne tout par les remèdes à base de plante.
Ses deux frères sont Podalire, médecin de la Guerre de Troie, et Télésphore, dieu de la convalescence.
Machaon tirerait son nom de makhaira, couteau, et il excelle en chirurgie : c'est lui qui soigne Menelas atteint d'une flèche, otant celle-ci puis appliquant des remèdes sur la plaie. C'est à son propos qu'Idoménée eut ce commentaire devenu proverbial : "un médecin, à lui-seul, vaut beaucoup d'hommes".
Bien, bien, mais quel rapport Linné a-t-il pu trouver entre ce papillon et cette famille de toubibs ?
Nous n'étions pas là, mais on peut noter que carl von Linné avait déjà baptisé une plante herbacée généreuse en nectar mais délaissée par les oiseaux en raison de sa toxicité Asclèpias, l'Asclépiade .
On sait que Esculape, ou Asclepios est représenté avec son caducée, non pas celui d'Hermes, à deux serpents, mais le " Bâton d'Asclepios" où s'enroule un seul serpent. C'est le symbole de la puissance du dieu, puis celle des Asclepiades (ses deux fils Machaon et Podalire) et de leurs descendants c'est-à dire l'ensemble des carabins : la
capacité de maitriser la dualité de tout remède, qui est à la fois poison mortifère et élément de guérison.
On sait aussi que les anciens nommaient asklepios les plantes médicinales comme le "dompte-venin médicinal".
Or, de même que les larves du Monarque se nourrissent exclusivement de l'Asclépiade qui est toxique pour ses autres prédateurs, celles du Machaon se nourrit de la Rue fétide, ou Ruta gravaeolens, autre plante médicinale ambivalente puisque répulsive pour les insectes (puces et pucerons) _et pour les chats_ alors qu'elle est thérapeutique depuis l'Antiquité et qu'elle entrait au Moyen-Age dans la composition du Vinaigre des quatre voleurs réputé protéger de la peste.
Tout cela est bien compliqué mais ne peut-on donc pas penser que le grand Linné, dans sa sagesse, a voulu donner le nom du fils d'Asclepios à ce papillon pour souligner sa capacité à tirer profit des plantes mi-vénéneuses, mi-guérisseuses ?
Deuxième balade le 4 mai 2010 : La Pointe de Talagrip.
Le 4 mai, par un temps toujours estival mais par vent de Nord-Ouest, j' ai parcouru à nouveau la Pointe de Talagrip, d'abord pour compléter l'exploration du sentier côtier, ensuite pour voir si je retrouvais le machaon. Eh bien, au même endroit exactement où j'avais aperçu le premier, j'en vis deux. L'un, au moins, avait ses deux prolongements des ailes postérieures intacts.
Un peu plus loin, je vis à nouveau un Grand porte-queue, et encore un autre un peu plus tard. Je ne pus résister à reprendre des clichés, et on détaille peut-être mieux les antennes et la tête.
L'un d'entre eux avait l'aile perforé.
Je tentais même la digiscopie, mais mes modèles étaient trop remuant :
Un peu plus loin, le lézard vert, Lacerta viridis, prenait son bain de soleil, ou se faufilait parmi les tiges de fougéres en tirant la langue en avant de manière répétitive; ceci attira mon attention : bien m'en pris, car j' appris ainsi que cette langue était fourchue ("notre photo") mais surtout que c'était un outil remarquable de ce reptile car relié à un organe spécialisé : cet organe voméro-nasal dit de Jacobson,situé au niveau du palais analyse avec une sensibilité et une spécificité extraordinaire les particules odorantes pour repérer les proies ou les partenaires sexuels.
Cette zone voméro-nasal est celle qui détecte les fameuses phéromones, dont les performances nous surprennent toujours. Chez les mammiféres, (le chat par exemple,par le lip-curl , inspire par la bouche vers sa papille incisive) c'est le fait de renifler, le "flehmen" qui amène les particules odorantes. Et chez l' homme, dont on admet désormais qu'il est un mammifère mené par le bout du nez comme les autres, cet organe permet au bébé de reconnaître sa mère par l'odeur, et détermine une part du comportement sexuel et social qu'on ne fait que découvrir.
Que découvrir encore ? Là, ce beau papillon noir et orange ! vite, mon guide : c'est le Bronzé, ou Cuivré commun, Lycaena phlaeas.
Dans les buissons, que de remue-ménage, que d'occasions de pointer les jumelles : le plus souvent vers les pinsons des arbres ou l'accenteur mouchet, ou vers les linottes et les tariers, mais parfois sur des couples de Fauvettes grisettes.
Celle-là, qui a joué à cache-cache dans les ronciers et les épines, je lui enverrai la facture de mon pantalon.