Date : 10 septembre.
Lieu : Landerneau, tourbières de la vallée du Pencran menacée par un projet routier.
La chenille de l'Étoilée Orgya antiqua (Linnaeus, 1758).
Elle est superbe avec ses quatre brosses de poils jaunes sur les segments abdominaux. Je n'ai jamais vu l'imago, mais je découvre sur mon guide une espèce dont le mâle est brun-roux avec deux marques blanches sur les ailes antérieures, alors que la femelle ressemble à un cocon gris : elle est à peine pourvue d'ailes minuscules et reste près du cocon dont elle a émergée pour attirer un mâle en émettant force de phéromones.
La tête noire de la chenille semble encadrée par deux plumeaux noirs, ce sont des pinceaux latéraux.
A l'arriére, le huitiéme segment porte également un plumet noir. Tout cela lui donne fière allure.
Pourquoi se nomme-t-elle "orgya" ? Se livre-t-elle à des orgies ? Il faudrait demander à Ochsenheimer, qui a nommer ce genre en 1810. A.M. Emmet révèle que ce nom vient du grec orguia, une unité de mesure qui correspond à notre "brasse", c'est-à-dire l' envergure des bras, la distance entre les deux bras étendus, poings fermés.
L'orgyie ! mais bien-sûr, nous connaissons cette unité de mesure depuis que nous avons fait connaissance avec le goéland marin dit catarhacte, que cela nous a permis de découvrir le pléthre, qui est égal à 16 orgyies 1/3 : Du Goéland brun Larus fuscus, & de la cataracte. Mais j'étais loin de me douter alors que c'était le nom d'un genre de papillon.
La brasse mesure toujours six pieds. Les grecs mesuraient tout avec une partie du corps, le doigt (1,84 cm), le pouce, l'écart maximal entre pouce et auriculaire (le spithame ou empan), la largeur de la paume ( palaistrée), ou le pied.
La brasse est utile à connaître si on doit préciser sa position à bord d'un bateau dont la table à carte, format grand-aigle nécessairement, ne recéle que des cartes marines anglaises, car les profondeurs y sont données en fathom, symbole fm, traduction de nos brasses. On procéde à la mesure en disposant sur le pont la ligne de sonde, de 25 brasses. Une extrémité est fixée au bastingage, l'autre est déjà reliée au plomb de sonde, une pyramide tronquée dont le fond est creusée d'une cavité pour y recevoir le suif. Puisque, depuis le poète, les objets inanimés ont une âme, cette cavité qui reçoit la réserve de graisse se nomme l'âme de la sonde.
On ralentit l'allure, on se place au vent, on love le cordage, dans le sens des aiguilles d'une montre si le cordage à trois torons est commis à droite. On lance la sonde loin vers l'avant, de sorte que pendant le temps nécessaire au plomb pour atteindre le fond, celui-ci soit à l'aplomb du matelot sondeur. On perçoit le choc amorti de la masse qui touche le fond, et la ligne mollit, c'est alors qu'on lit la mesure sur le cordage. Celui-ci a été gradué par une étamine rouge à sept et à dix-sept brasses, par un morceau de coton blanc à cinq et quinze brasses, par un morceau de cuir à deux, trois, dix et vingt brasses. Si le cordier ou le voilier a omis de proter ces repéres, on remonte le plomb en écartant les bras réguliérement et en calculant le nombre de brasses éffectuées.
On consulte l'âme et son suif : ramène-t-il du sable fin (sand, S) ? du sable coquillier (shell, sh? de la vase molle (mud, M) ? De la fange limoneuse ( silt, Si) ou au contraire du corail ou des algues corallines ( Coral, Co) ? Autant d'indices pour trouver la position, ou pour mouiller le navire sur un fond de bonne tenue, si on sait qu'une brasse des sondes anglaises vaut 1,8288 mètres.
Quand on a dûment sondé, on peut facilement déterminer le nombre de maillon de chaîne il faut mouiller, car un "maillon", c'est exactement quinze brasses de chaîne.
Certains soutiennent que la toise est identique à la brasse, puisque le mot toise vient du latin tendere, tendre (les bras), et mesure la distance entre les pulpes des doigts, bras grands ouverts. Ce serait notre envergure, et d'ailleurs la toise (ou brasse) de six pieds mesure deux verges. Mais on se perd vite parmi toutes ces unités, même si on retient que la brasse grecque, ou orgyie, de dix doigts (digit) fait 1,84 mètres. Avec dix orgyies, vous avez un amma, et avec cent orgyies, un stadion, un stade de 184 mètres.
Tout cela ne nous indique pas pourquoi ce nom d' orgya a été choisi pour un papillon. Ce serait en raison de cette façon particulière de se tenir posé avec les ailes antèrieures étendues.
L'épithète spécifique a été choisi par Linné (Systema Naturae 1758 : 503-504 n° 37) sous le protonyme Phalaena Bombyx antiqua. Spudler traduit antiqua par "vieux", alors qu'Emmet approfondi le sens de l'adjectif latin qui signifie certes "antique, du temps passé", mais aussi " digne des temps antiques, pur, innocent, vertueux", voire, pour Emmet, " chaste". la justification de l'adjectif serait à trouver dans les moeurs des imagos dont la femelle est décrite par Linné comme aptère. Peut-être la voyait-il, suggére Emmet, comme une femme de l'age d'or qui restait à la maison et ne sortait pas avec les hommes.
Godart indique que ce papillon "est ainsi nommé à cause de sa couleur", sans en écrire plus. Mais, plus loin, il cite Linné selon qui " mas foeminam apteram copula connexam ex arborum defect", "le mâle porte la femelle d'arbre en arbre pendant l'accouplement". ( Selon de Geer, c'est Roesel qui donne cette information).
Linné aurait-il utilisé l'épithète antiqua dans le sens de "archaïque" ?
Le nom vernaculaire est également mystérieux. Ce nom de l'Étoilée nous vient d' Etienne Louis Geoffroy en 1762, Histoire abrégée des insesctes qui se trouve aux environs de Paris, tome II, p. 120 n° 23. J'aurai tendance à penser que ce nom s'applique mieux à la chenille qu'à l'imago, mais rien en elle n'a une forme d'étoile.
Le zoonyme est repris par Jacques Louis Engramelle en 1779 dans Papillons d'Europe vol. 4 p. 185 n° 211.
De Geer la nomme Phalène paradoxale ( Mémoires 2 (1) en 1771, et Bory de Saint-Vincent l'Orgye étoilée dans le Dictionnaire classique d'histoire naturelle de 1827, vol.12.
Jean-Baptiste Godart le nomme Bombyx antique en 1822 (Hist. Nat. Lépidoptères, vol.4, p. 253 n° 72.