Lieu : Poraon, Crozon (29)
date :21 septembre 2011
La chenille de la Noctuelle de la patience Acronicta rumicis (Linnaeus, 1758)
Poraon est un lieu-dit de Tal ar Groas à Crozon où de belles prairies humides le long de la rivière de l' Aber sentaient bon la menthe et me permettaient de découvrir, dans un calme champêtre, les Gazés et les Demi-deuils, les Petites Violettes et les Mélitées du Plantain, le Citron et le Souci, la Melitée du mélampyre, l'Azuré commun, le Cuivré commun, les libellules comme le Cordulegaster boltoni, les gomphes, les calopteryx, les ischnures, les lestes, quand ce n'étaient pas une demi-douzaine d'espèces d'araignées, une belle variété d'orthoptères, ou des plants de Lobelia, tout cela à proximité d'une station de pompage. Jadis s'y trouvait le Moulin de Poraon. La communauté de commune a fait l'acquisition de 10000m2 de parcelles, et dés cet été, toutes ces belles prairies ont été nivelées par des bulldozers : c'est le "chantier de modernisation de l'usine de production d'eau et la création de la prise d'eau de moulin Kereuzen" qui durera un an durant lequel une grande circulation de poids lourds et d'engins de terrassement est annoncée.
Impuissant devant la destruction de mon terrain de jeu préféré, j'ai été une dernière fois y traîner mes bottes. J'ai été consolé par la découverte d'une belle chenille en train de déguster une feuille de laiteron épineux, Sonchus asper, plante des décombres:
C'était la chenille de la Noctuelle de la patience, qui allait me permettre d'admirer ses lignes et ses taches blanches et rouges, et de jouer au petit jeu de la zoonymie.
Elle n'est pas difficile, Acronicta rumicis ! Son nom français, comme son épithète rumicis indique qu'elle sait se contenter de la Patience sauvage, Rumex obtusifolius , et cette plante modeste qui se développe "sur les terres agricoles régulièrement engraissées de purin " ( Guide Nathan papillon de H Bellman) et les "prairies occasionnellement inondées" n'est pas rare en Bretagne. Mais elle goûte aussi à la Ronce frutescente, au Plantain lancéolé, au Pissenlit dent-de-lion, à l'Euphorbe petit-cyprès ou à la Centaurée jacée, quand elle ne s'attaque pas à la Bruyère commune ou au saule marsault : ici, elle était comme dans un hypermarché où tous ces biens de grande consommation étaient à sa disposition.
Son nom latin d'Acronicta (Ochsenheimer, 1816) vient du grec akronux, le crépuscule. On la rencontre encore sous le nom de genre Viminia, actuellement considéré comme synonyme non valide d'Acronicta.
Son nom vernaculaire de Noctuelle de la Patience a été donné par Guillaume-Antoine Olivier dans l' Encyclopédie Méthodique, mais notre médecin toulonnais n'a pas eu besoin de beaucoup d'imagination pour traduire mot à mot le Phalaena Noctua rumicis qu'il trouvait à la page 516 du Systema Naturae de 1758 de Linné.
La postérité a pourtant retenu son "invention" face à celle de Charles de Geer qui avait créé le zoonyme de "Phalène cendrée noirâtre" (Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, tome I p. 185 et Tome II p. 41) repris par Jacques Louis Engramelle sous la forme " La Cendrée noirâtre" dans le tome VI de Papillons d'Europe en 1788, p. 15 n° 288.
La postérité, ce fut donc Jean-Baptiste Godart et Philogène Auguste Joseph Duponchel qui reprirent le nom de Noctuelle de la Patience dans le tome 6 de leur Histoire Naturelle des Lépidoptères de 1826 (p. 241, n° 331).