Petite épigraphie des églises et chapelles du Finistère :
Les vitraux latéraux de l'église Notre-Dame de Confort à Confort-Meilars :
Outre la vitre-maîtresse de l'église consacrée à l'Arbre de Jessé, Notre-Dame de Confort est dotée de deux vitraux du XVIème siècle situés à gauche de la nef. L'un, dit de la Résurrection, est incomplet et n'offre que 3 panneaux parmi des ensembles de verres colorés contemporains, l'autre est plus homogène et se consacre à des scènes de la Sainte Famille.
I LE VITRAIL DES SCÉNES DE LA SAINTE FAMILLE.
Daté des années 1540 par l'inventaire régional, et de 1554 par une inscription, il se compose de deux registres, le registre inférieur représentant Jésus parmi les docteurs, et le registre supérieur consacré à la Sainte Famille dans l'atelier de Nazareth. L'ensemble est surmonté d'un soufflet de trois panneaux.
1°) Registre inférieur : Jésus parmi les docteurs.
C'est la représentation du passage de l' Évangile de Luc, 2 :
Luc, 2, 41-50 :
"Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Paque. Et lorsqu'il eut douze ans, ils y montèrent, comme c'était la coutume pour la fête. Une fois les jours écoulés, alors qu'ils s'en retournaient, l'enfant Jésus resta à Jérusalem à l'insu de ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi les parents et connaissances. Ne l'ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa recherche, à Jérusalem.
Et il advint, au bout de trois jours, qu'ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Et tout ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. A sa vue, ils furent saisis d'émotion, et sa mère lui dit : "Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois ! ton père et moi, nous te cherchons, angoissés." Et il leur dit : Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon père ?" Mais eux ne comprirent pas ce qu'il venait de leur dire."
Cette scène est un thème iconographique fréquent, permettant de traiter du thème de la précocité du Fils de Dieu, d'opposer les valeurs à leur contraire (Vieillesse/jeunesse, érudition ancienne/ nouvelle science), d'illustrer la révolution et la contestation dans l'interprétation des textes qui s'annonce entre les Pharisiens et Jésus, mais aussi de montrer la première manifestation de la vie publique de Jésus et le désarroi de ses parents ou l'angoisse de Marie qui présent les dangers auxquels son fils s'expose, et qui présent le sacrifice final.
Il a été magnifiquement traité par Albert Dürer en 1506 (Madrid):
Mais beaucoup d'autres artistes l'on traités, comme Giotto, Simon Bening, G. Pretti, Rembrand, Véronèse... De même, on le retrouve dans les vitraux de la Collégiale Sainte Waudru de Mons (XVIè), de l'église Saint Grevais de Paris (1607), de la cathédrale Saint Etinne de Chalons en Champagne, de l'église Saint Denis de l'Estrée à Saint Denis, de la cathédrale Notre-Dame de Laons, de l'église Saint-Pierre de Dreux ou de l'église adventice de Neuilly-sur-Seine.
a) les panneaux inférieurs :
Ces deux panneaux nous montrent un titulus portant la date 1554, et un autre avec l'inscription IHANFIOC FABRIQUE qui est compris par Barrié et Quillivic comme JEAN FLOCH, FABRIQUE. On note le N rétrograde qui montre une unité avec le vitrail axial de l'Arbre de Jessé., et la forme du H que l'on retrouve également sur celui-ci.
Je note deux détails :
-la bourse verte à franges contenant un objet dont le manche a la forme d'une croix ; faut-il y voir une allusion au destin de Jésus qui se prépare ?
- les trois livres à fermoirs dont deux sont à terre, alors que dans la partie supèrieure aucun livre ne sera visible. L'un des aspects en jeu dans le thème de Jésus parmi les docteurs est d'opposer l'oralité au savoir livresque, d'annoncer le recours évangélique, aux exemples vécus ou aux paraboles opposé à la littéralité de la Loi.
On connaît les travaux de Marcel Jousse, ce jésuite anthropologue élève de Marcel Mauss qui s'est consacré à l'anthropologie du geste et à l'oralité dans la vie courante, et dans la tradition biblique : il semble, lorsqu'on découvre ses travaux, que Jésus parmi les docteurs est une illustration parfaite de sa pensée. Rappelons que pour Jousse, notre mémoire est d' abord une mémoire corporelle , gestuelle et rythmique issue du mimétisme humain et de la "manducation de la parole", rappelons aussi qu'il a montré que la tradition orale du texte biblique, mémorisé en récitatifs rythmiques parallèles, précède le recueil écrit de cette tradition, et que s'il a pu appliquer ces arguments au texte évangélique énoncé oralement en araméen selon le "formulisme araméen" et mémorisé selon la technique du collier de perle, chaque unité de texte étant considérée comme une perle et mémorisée indépendamment avant d'être enfilé dans le collier du récit [la perle "en vérité en vérité je vous le dis" par exemple est enfilée régulièrement], il l'a appliqué également aux textes bibliques dans son article Les rabbis d'Israël, les récitatifs rythmiques parallèles, genre de la maxime, 1930.
Quelques titres de Marcel Jousse illustrent sa réflexion:
Les formules targoumiques du Pater dans le milieu ethnique palestinien.
La manducation de la leçon dans le milieu ethnique palestinien.
Le formulisme araméen des récits évangéliques.
Mimétisme humain et style manuel,
et les travaux de Pierre Perrier et de Gabrielle Baron.
Je serais plus concis sur ce sujet si l'image du vitrail ne devenait pas, à la lumière de ces travaux, singulièrement plus forte, illustrant comment, réveillés, rendus à leur tradition orale originelle par le talent d'orateur de Jésus, les Rabbis délaissent les livres, se lèvent, s'animent, répondent par mimétisme aux gestes de l'enfant de 12 ans (dont la mémoire rythmique et corporelle est toute fraîche), retrouvent les balancements du corps qui doit traditionnellement accompagner la lecture, se passionnent d'être ainsi rendus à la sève vive de leurs psaumes, de leurs cantiques, des versets connus "par coeur".
De même, l'importance si particulière donnée, par tous les artistes qui traitent ce thème, aux mains et plus exactement aux jeux des doigts est d'habitude interprétèe à la lumière de la tradition médièvale de compter ainsi les arguments. C'est le comput digital de la mémorisation d'abord, puis de l'énumération ensuite des parties du discours que Béde le Vénérable avait prônée dans son De loquela per gestum digitorum. Un Ars memoriae. Mais le discours scholastique des "sorbonnards", des Docteurs [ dont Rabelais se moquera dans son Pantagruel en faisant livrer à Pantagruel une dispute "par signes seulement, sans parler"] traduit mal la belle vivacité échauffée de la discussion à laquelle nous assistons, alors que notre plaisir devient plus vif si nous imaginons ces dignes docteurs de la Loi qui se mettent à parler avec leurs mains par mimétisme impérieux.
Cette interprétation explique que cette image est dénuée de toute caricature et de tout manichéisme : ce n'est pas l'opposition paulinienne de la Loi et de la grâce, de l'Ancien Testament et du Nouveau, mais les retrouvailles, par les vieux rabbis, de l'ancrage corporel, rythmique et oral de leurs connaissances.
Seul un des docteurs n'a pas été pris par la danse des gestes, ets resté assis et s'obstine à trouver un verset approprié.
On peut noter que le verset 2,51 de l'évangile de Luc qui conclut la citation que j'ai donné, "Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth;et il leur était soumis. Et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses dans son coeur" (Bible de Jérusalem) est parfois traduit : "et sa mère conservait toutes ces paroles dans son coeur", ce qui correspond exactement à la mémorisation par manducation et inscription rythmo-mélodique corporelle et affective dont parle Marcel Jousse.
b) les panneaux supérieurs :
On y voit Marie et Joseph à droite, saisis par la stupeur de retrouver leur fils en pleine discussion avec les docteurs. Trois de ceux-ci sont debout, l'un est assis et consulte les textes. Un autre se dissimule derrière la cathèdre pour profiter de l'enseignement. Le jeu des mains symbolise l'animation des discussions et la primauté de Jésus et rappelle, en plus serein, l'entrelacs des mains du tableau de Dürer. Les visages sont dignes, sans aucune caricature.
Trois inscriptions sont visibles. La plus distincte se trouve sur le galon du manteau rouge et vert, on y lit : MODICUM RE(I). La seconde est inscrite autour du col du Christ, où on lit :NOVI R/IO
Les deux personnage se faisant face, il est tentant de lire ces inscriptions comme les deux termes de leur dialogue ; mais la traduction ne peut être qu' imprécise.
Le mot latin modicum signifie " médiocre, ordinaire, raisonnable, modique", et on le trouve dans l'Ancien Testament dans Aggée, 2,7 dans l'expression adhuc unum modicum, "encore un peu de temps (et j'ébranlerai le ciel et la terre)", parole de l'Éternel. On le trouve aussi dans le Nouveau Testament en Jean 16, 16 rapportant une parole du Christ à ses disciples :modicum, et jam non videbitis me ; et iterum modicum, et videbitis me : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et encore un peu de temps, et vous me verrez", leur annonçant ainsi sa mort et sa résurrection.
Les lettres REI peuvent , difficilement, être lues comme le pluriel de reus ( celui qui est partie prenante dans un procès ; prévenu, accusé) ou comme le pluriel de res (13 sens différents dont Les affaires, les débats, les exploits ; le pouvoir, etc...)
On peut supputer sur Modicum rei en proposant d'y lire le discours intérieur de l'érudit : dans peu de temps, celui-là va prendre le pouvoir... ou bientôt, nous lui ferons un procès, et il sera amené devant le Sanhédrin. Mais je ne détecte aucune trace d'animosité sur les visages, et cela ne correspond pas à ce que je viens d'écrire sur la joie corporelle et juvénile qui s'empare des docteurs.
Du coté du Christ, Novi est le pluriel de Novum et signifie "choses nouvelles, nouveautés", ce qui se comprend très bien, Jésus étant en train de surprendre les docteurs de la loi en en renouvelant l' exégèse ; Novi peut aussi être compris en relation avec le Nouveau Testament, ou la Nouvelle religion. Mais que faire des lettres qui suivent, que je voudrais bien pouvoir lire Rei (Novi rei,des choses nouvelles) mais qui s'obstinent à se lire R/IO ?
MODICUM et NOVI se répondent : "Encore un peu de temps" et des "choses nouvelles" vont survenir. Cette scène de Jésus parmi les docteurs est prophétique de ce qui va arriver dans la vie de Jésus et dans le cours de l'humanité. Il y aura un Avant et un Après Jésus-Christ.
La troisième inscription se trouve sur la kippa du rabbin que nous voyons de profil : il y est écrit : IPVLORM. Va-t-on découvrir la signature d'un Vincent de Lorme ? J'ai déjà poussé trop loin l'extravagance.
2°) registre supérieur : la Sainte-Famille dans l'atelier à Nazareth :
C'est une scène d'intimité à l'intérieur de la maison de Marie et Joseph à Nazareth : Marie est absorbée dans la reprise des chausses de son charpentier de mari pendant que le petit Jésus joue avec la corbeille et les affaires de couture, alors qu'à gauche Joseph, dans son atelier , taille à la hache un madrier. L'outil est plus vraisemblablement une herminette, mais son fer n'apparaît pas clairement perpendiculaire au manche comme il le devrait.Deux anges se disputent les chutes de bois de la corbeille.
a) les panneaux inférieurs : Papa pique et Maman coud:
Parmi les objets, on note du coté de Marie la corbeille de couture et la boite à bijoux ou à boutons, toutes les deux en osier, tandis que du coté de Joseph se trouvent un compas et une règle ou Té.
On lit sur le galon de la tunique de Joseph son nom, et d'autres lettres : IOSEF / MAR..
Le S est inversé.
Au coin inférieur gauche, un masque de grotesque et l'inscription du christogramme IHS avec un tilde sur le H pour l'omission des lettres du nom de Jésus en grec IHΣOYΣ .
b) les panneaux supérieurs :
On s'amuse de découvrir des petits anges bien curieux qui se sont installés, deux chez le papa et deux chez la maman, tandis que deux autres, en cuirasse d'opérette, jouent du tambour et soufflent dans un fifre .
3°) Le soufflet .
A droite, un ange joue de la lyre dans les nues.
A gauche, un autre lui tourne le dos et forme le duo.
Au sommet, dans un quadrilobe,une très belle composition de Jésus enfant, faisant ses devoirs sur une table de marqueterie ( son beau-père n'est pas charpentier pour rien). Les couleurs sont superbes, notamment le jaune d'argent des cheveux, de l'auréole et du bois des meubles.