Chapelle Notre-Dame de Carmès à Neuillac :
Pourquoi tant de scapulaires ?
Tous les visiteurs qui découvrent la chapelle Notre-Dame de Carmès à Neulliac ne font pas la même erreur que moi, qui avait compris "Notre-Dame des Carmes", et qui pensait découvrir un ancien couvent de Pères Carmes, comme à Vannes, Rennes, Pont-L'Abbé, Brest ou Carhaix, à Nantes, à Dol ou Crehen (22). Dans le cadre de la manifestation L'Art dans les chapelles, la guide m'expliqua que le nom, Carmès et non Carmes, dérivait, sans-doute, d'un ancien Ker maes, ou Car ar maes, "hameau des champs", et que jamais aucune communauté de carmes ou de carmélites ne s'y était installée.
Tout serait simple si, en réalité, l'histoire, ou le subconscient des paroissiens, n'avait cessé de jouer sur l'ambiguïté du toponyme : car au XVIIe siècle link, la chapelle était aussi connue sous le nom de Notre-Dame du Mont Carmel ; et, par ailleurs, des scapulaires, dont on sait qu'ils sont comme l'attribut vestimentaire essentiel de l'Ordre des Carmes, sont représentés partout dans la chapelle.
On découvre ces paires de rectangles décorés de quelques pieux motifs et reliès par un ruban, par exemple, sur les bannières :
1. Bannière N.D de Carmès en Neuillac. (au verso : Notre-Dame de Lourdes)
Ici, la Vierge et son Fils portent en outre autour du cou un coeur suspendu à un ruban. Les images du scapulaire sont le Christ en croix et la Vierge.
2.Bannière N.D de Carmesse. (au verso ; saint Joseph, inscription paroisse de Neulliac)
Cette bannière là est intitulée N.D de Carmesse, indiquant que l'orthographe du nom n'est . pas fixé. Les deux "plaquettes" (je ne sais si ces rectangles portent un nom spécifique) présentées par une Vierge de l'Apocalypse représentent Marie, et deux anges en adoration devant le Sacré-Coeur.
3. Statue de procession , Vierge à l'Enfant.
On le trouve aussi présenté par la statue de la Vierge couronnée, qui est portée en procession lors du pardon, puis offerte à l'admiration des fidèles sous un voile de tulle et une guirlande d'ampoules électriques durant la fin août avant de regagner sa niche vitrée à gauche du choeur. Le scapulaire est un élément rapporté, en textile, et non sculpté à l'origine, et il porte les images de la Vierge et du Christ crucifié.
La statue est menée en procession le dimanche qui suit le 15 août . Portée jadis par 6 jeunes conscrits avant leur départ pour le Service Militaire, alors que les rubans étaient tenus par les communiantes de l'année, elle est actuellement portée par deux hommes jusqu'à la fontaine voisine pour le feu de joie.
4. Lambris du choeur, à droite.
Levant les yeux, on l'observe encore sur le lambris du choeur sur la peinture dite "du voeu de Louis XIII". Ce titre m'étonne car ce thème iconographique fréquent célébre la décision de Louis XIII de consacrer le 10 février 1658, la France à la Vierge Marie pour rendre grâce de la grossesse d'Anne d'Autriche, laquelle accouchera en septembre du futur Louis XIV. Mais c'est la Vierge de l'Assomption qui est invoquée, chaque paroisse devant marquer le jour du 15 août par une procession. Ici, on voit la Vierge ou plutôt son Fils faire descendre du ciel le précieux scapulaire vers une assemblée comprenant le roi (imberbe comme Louis XIV) deux ou trois religieux, une religieuse et quatre autres personnes, tandis que deux angelots agitent deux autres scapulaires, dont l'un est illustré par le coeur et la croix du scapulaire des chouans. Chacun sait que Louis XIII est reconnaissable à sa moustache.
Le lambris a été peint en 1705 par La Palme.
5. Tableau du retable central du maître-autel.
Dans le choeur enfin, à la place centrale sur le retable principal, une toile du XVIIe siècle représente Notre-Dame du Scapulaire remettant celui-ci à Simon Stock (cf infra) et à Thérèse d'Avila.
" L'explication " (qui n'explique pas tout, si on écarte l'homonymie approximative Carmès / Carmes) est que ce lieu est devenu central pour les Confréries du Scapulaire du département ou de la région, qui s'y rassemblaient lors du pardon du mois d'août.
Scapulaire, Confrérie du Scapulaire, voilà des noms qui n'évoquent peut-être plus grand-chose, et dont j'ai dû, je le confesse, approfondir le sens. Ainsi, j'ai appris (Revue de Bretagne n°45-46) quen Bretagne, deux principales confréries s'établirent au XVI et XVIIe siècle dans la plupart des paroisses, celle du Rosaire et celle du Scapulaire ; affaiblies par la Révolution, elles réapparurent vers 1814, et pour le diocèse de Rennes (comme très vraisemblablement pour les autres diocèses bretons), on pouvait écrire en 1911 qu'elles existaient dans chaque paroisse ety que : "La confrérie du scapulaire du Mont-Carmel est aussi répandue que celle du rosaire et ses associés sont encore plus nombreux ; il est même des paroisses, comme Bains et Parigné, où tous les habitants en font partie. D'ailleurs c'est une coutume générale dans tout le diocèse d'enrôler tous les enfants dans la Confrérie du scapulaire à l'époque de leur première communion, et il en est bien peu, surtout dans nos campagnes, qui abandonnent plus tard, même par négligence ce précieux souvenir qui leur rappelle leur consécration à Marie et les joies inéffables qu'ils ont goûtés pour la première fois au banquet eucharistique ; tous considèrent avec raison le scapulaire comme une sauvegarde contre tous les dangers de l'âme et du corps".link Ce qui fut confirmé par un monsieur peut-être septuagénaire qui signala, lors de notre visite, qu'il avait reçu le scapulaire dans sa jeunesse, au plus tard juste avant la dernière guerre.
On pourra consulter un ouvrage pieux paru en 1837 au Mans et nommé Recueil abrégé de l'institution, privilèges indulgences et devoirs de la confrèrie du scapulaire de Notre-Dame du Mont Carmel, avec la manière de le bénir, de le recevoir. linkOn y trouvera , si on ne se laisse pas décourager par ce titre dévot, les renseignements les plus clairs sur la confrérie.
C'est bien des premiers moines disciples d'Élie établis autour du Mont-Carmel en Palestine, et du vêtement qui couvrait leurs épaules (scapula en latin), que dérive le scapulaire. Lors qu'ils furent chassés au XIIIe siècle vers l'Occident, les ermites se regroupèrent. Dans la nuit du 15 au 16 juillet 1251, la très Sainte Vierge apparut à leur général de l'Ordre, saint Simon Stock alors qu'il priait dans son couvent d'Aylesfort en Angleterre : elle lui remis le scapulaire en disant Dilectissime Filii, hoc accipe tui Ordinis Scapulare meae confraternitatis signum, tibi et cunctis carmelitis privilegium, in quo quis moriens, aeternum non patietur incendium ; ecce signum salutis, salus in periculis, foedus pacis et pacti sempiterni. Ce qui signifie pour ceux qui ne parlent ni le latin de cuisine ni le latin marial, "Quiconque mourra revêtu de cet habit sera préservé des flammes éternelles" et en outre il sera protégé de tous les dangers du corps et de l'âme pendant toute sa vie. C'était un vêtement constitué de deux parties d'étoffes, dont l'un descend dans le dos alors que l'autre tombe devant l'abdomen.
Ce privilège fabuleux (échapper à la damnation !), réservé aux Pères Carmes, fut étendu cinquante ans plus tard après que la Vierge soit apparue à Jean XXII pour promettre à tous les fidèles qui rentreraient dans la Confrérie non seulement la préservation des feux infernaux, mais aussi la délivrance du Purgatoire le samedi suivant la mort. Il suffit de lire la Bulle Sabbatine de 1316 Sacratissimo uti culmine pour découvrir qu'il suffit, pour jouir de ce second privilège, ou "privilège sabbatin", de remplir trois conditions :
- Porter le Scapulaire, dans sa dimension réduite, c'est à dire "deux morceaux de laine brune tissée de forme rectangulaire, reliés entre eux par deux cordons de manière à être portés autour du cou." Ceux et seulement ceux qui auraient de graves inconvénients à porter cette étoffe peuvent porter la médaille du scapulaire.
- "Garder la chasteté de son état", ce qui signifie la chasteté la plus stricte pour les célibataires, et, pour les personnes mariès, l'observance des lois du mariage.
- La récitation quotidienne du Petit Office de la Vierge, ou du chapelet.
On devient membre de la Confrérie par imposition du scapulaire préalablement béni par un prêtre (ou un diacre). Il doit alors être porté jour et nuit, dissimulé sous les vêtements.
Outre la Confrérie du Scapulaire, il existait aussi à Carmès une Confrérie des Âmes du Purgatoire, pour prier pour ceux qui, sans-doute, n'avaient pas leur scapulaire sur eux le jour de leur décès, afin de raccourcir par les messes et dévotions des bonnes âmes ici-bas le triste séjour purificateur (purgatoire vient de purgatorius, "qui purifie"). Il est étonnant que l'on ne mentionne pas ici une Confrérie du Rosaire, alors même que le lambris est consacré aux quinze Mystères du Rosaire, et que nous avons vu que les deux confréries du scapulaire et du rosaire étaient très répandues.
On pouvait gagner des jours de Purgatoire aussi en assistant aux offices grâce aux Indulgences : on les obtient pour soi, ou pour une âme du purgatoire.
Le port de vêtement sacré aux vertus protectrice est répandu. On sait peut-être que les Mormons reçoivent, lors de leur initiation au temple, des sous-vêtements sacrés nommés "garments" ou "vêtement de la sainte prètrise" qu'ils s'engagent à porter en permanence. Les chouans portaient en protection un scapulaire marqué de l'emblème du Sacré-Coeur, et qui est l'origine de l'insigne vendéen, un coeur rouge avec une croix.
Disposant de ces informations, nous pouvons partir à la découverte de la chapelle Notre-Dame de Carmès :
La nef :
Les lambris ont été peints en 1705 par La Palme, un peintre d'origine espagnole . Ils ont été rénovés en 1814 par Jean Blévin (peintre de Loudéac auteur d'une Vierge de Miséricorde datée de 1793 pour le retable nord, et d'une Éducation de la Vierge à Lannebert en 1796), puis par l'atelier François Bailly à Paris de 1986 à 1990.
L'ensemble est constitué de 16 panneaux peints sur bois et quatre peints sur toile. Les 16 panneaux sur bois sont consacrés aux Mystères de Rosaire, sauf celui que nous avons découvert sous le titre Notre-Dame du Scapulaire :Voeu de Louis XIII. On dénombre donc cinq mystères joyeux, cinq mystères douloureux et cinq mystères glorieux.
Ces lambris sont complétés par quatre toiles marouflées de 1772 : Adoration des mages, fuite en Égypte, Sainte-Famille et Sainte Trinité, et la Vierge de l'Apocalypse.
On remarque aussi les portraits des quatre évangélistes et des quatre Pères de l'Église (Ambroise, Augustin, Grégoire et Jérome), ceux de sainte Catherine et de saint Pierre, les médaillons de diverses hommes ou femmes, les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales.
Le choeur :
Le maître-autel, le retable du don du Scapulaire, la statue de N.D de Carmès en haut, la Vierge de procession au premier plan à droite:
La statue de saint Laurent, surmontant une inscription commémorative de 1810: elle est signée J. Perzo, nom du fabricien. Le patronyme Perzo est répandu à Neulliac, c'est aussi celui d'un lieu-dit de cette commune.
La statue de saint Étienne et une inscription commémorative de 1887.
Transept sud.
Inscription : le point remarquable est la notion "d'autel de la frairie". Il s'agit d'une subdivision de la paroisse, chaque frairie ayant sa chapelle, son autel, son saint et ses assemblées ou pardons. Mais les Confréries avaient aussi leur chapelle.
Un tableau (classé Monuments historiques) est placé dans le bras sud du transept. Restauré en 1975, il porte l'inscription Donné par testament de deffunt Missire Jean Toumelot, P. Piriou recteur, 1641. On y voit Dieu le Père, l'Esprit-Saint, deux anges en adoration, quatre chérubins, deux putti écartant largement le manteau de protection que la Vierge étend au dessus d'une foule parmi laquelle se distinguent un pape, un cardinal, un évêque, un prêtre à genoux en surplis. La Vierge porte à la ceinture un objet, mais rien ne me permet d'y voir un scapulaire.
Transept nord :
Détail du lambris, bras nord du transept : Mystère glorieux, la Pentecôte.
Détail de blochets :
détails de sablière :
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Saint Nicodème, coincé dans le fond du transept nord et portant la couronne d'épine et la paire de tenaille, puisque c'est lui qui s'est chargé de la Déposition du Christ.:
La sacristie : elle date de 1768.
La fontaine :
A 150 mètres en contre-bas de la chapelle, elle porte le nom de Notre-Dame de la Clarté et date de la fin du XVIII-début XIXe.