La coccinelle asiatique ! Depuis le temps qu'on signale les progrès de son "invasion", je ne l'avais jamais vu, et voilà qu'à l'occasion d'un séjour à Carolles (Manche), ma cousine me la signale dans sa maison : j'accoure, et effectivement je découvre, dans sa cuisine, arpentant le plafond ou agglutinées dans les coins des murs, les fameuses Harmonia axyridis(Pallas 1773).
On aura compris que je ne tiens ce blog que pour m'amuser, eh bien, l'occasion était fameuse ce soir là : soutenu par un cousin _lorsqu'il ne se précipitait pas à la recherche d'un autre spécimen_ et par deux de mes cousines ( question fécondité, notre famille n'a rien a envié aux coléoptères que nous poursuivions), et grimpé sur une chaise, je tachais de saisir une bestiole dont le forme lisse dépourvue de prises échappait à mes doigts et qui, malgré mes ruses, parvenait à choir sur le carrelage rouge-brique avec lequel elle se confondait. Renonçant à celle-ci, je traquais celle que mon cousin avait fait sortir d'un amas, mais elle s'envolait vers les faïences de l'évier et y grimpait avec une célérité telle que je n'obtenais d'elle qu'un cliché bougé. Ou encore on me l'a présentait saisie entre pouce et index, et je réalisais une belle image de dermatoglyphes et d' unguis sordida. Placée dans une coupelle métallique, elle disparaissait parmi les reflets ; trop éloignée du pauvre néon de cuisine, elle s'assombrissait tant que, comble pour une coccinelle, on ne dénombrait plus ses points. Enfin j'en tenais une qui, entre le robinet et le crochet à torchon, interrompait sa course vers ses collègues amassées pour reprendre son souffle, las, c'est alors qu' un de mes assistants me mettait sous le nez sa paume afin que je sente l'odeur prétendument nauséabonde (un doux parfum de feuille séchée ou _et c'est la même chose_ de tabac ) que l'animal laissait derrière lui sous forme d'un liquide jaunâtre afin -m'assurait-on de prévenir par un message phéromonal ses congénères.
Le but de ces grandes manoeuvres était de contempler le pronotum de ces dames (les coccinelles, pas mes cousines), cette région du thorax qui porte les signes distinctifs de l'espèce mais qui n'est pas plus grosse que la moitiè d'une tête d'allumette : on y cherchait "la patte de chat" ou le M caractéristique qui associés à la couleur rousse des pattes, à la taille supérieure au modèle habituel et à cette façon de se réfugier à l'intérieur des maisons, allait nous permettre d' authentifier l'identité de nos hôtes. Après bien des combats, j'obtenais de piètres images qui allaient servir de preuve :c' en étaient !
Le "M" ou "W" :
La "patte de chat" incomplète, il manque l'élément central.
Il me faut revenir sur un point : ce liquide jaune qu' avait produit l'aimable insecte n'était pas du tout une phéromone (composé sémiochimique à action intraspécifique), et nous venions d'assister à des "pleurs de sang", une "saignée réflexe ", une autohémorrhée : moyen de défense exclusif des coccinelles et des chrysomèles consistant à sécreter de l'hémolymphe riche en alcaloïdes toxiques au niveau de l'orifice buccal ou des articulations fémoro-tibiales. Moore & al 1990 ont montré que l'hémolymphe est non seulement riche en alcaloïdes (22 alcaloïdes ont été décrits chez les coccinellideae dont la coccinelline et l'adaline) mais aussi en alkylmethoxypyrazines volatils agissant comme signal d'alerte spécifique.
( L'autre technique face à un agresseur est la thanatose où la bestiole fait le mort.)
Dans leur article publié dans Behav Ecol Sociobiol (2007) 61:1401–1408 ",Elytra color as a signal of chemical defense in the Asian ladybird bettle Harmonia axyridis", Alexander L.Bezzerides & al ont travaillé sur les rapports entre l'intensité de la coloration rouge des elytres, due à la quantité de pigments caroténoides, et la concentration de l'alcaloïde propre à la coccinelle asiatique, l'harmonine : chez cette coccinelle, le nombre de tache varie de zéro à 22, et la couleur elle-même peut aller de l'orange pâle au rouge brillant. Les mâles ont des élytres plus petites mais la proportion de taches est moins élevé que pour les femelles, et ces taches sont moins sombres.
Parmi les pigments responsables de la couleur des élytres, on connaît les ptérines, extraits dés 1889 des ailes de papillons, obtenus à l'état pur (xanthoptérine) des ailes du Citron en 1924 par H.O Wieland, et formant une classe de pigments allant du jaune au rouge, ou au blanc.
D' autres pigments, responsables de colorations orange à rouge, sont les caroténoïdes, molécules antiradicalaires, immunostimulantes et photoprotectrices : une forte concentration est donc un avantage en terme de survie.
La troisième classe est représenté par les pigments mélaniques des taches sombres. Les coccinelles les plus mélaniques absorbent mieux l'energie solaire, et sont donc plus actives .
On sait que la couleur rouge des insectes fonctionne comme signal aposématique avertissant les prédateurs de la toxicité et des désagréments qu'encourrait l'oiseau, par exemple, à avaler l'insecte. Alexander L. Bezzerides a effectivement prouvé que les coccinelles Harmonia les plus rouges, avec le moins de taches et les taches les moins foncées, si elles étaient les moins actives, étaient plus attractives sexuellement et mieux défendues chimiquement par un taux plus élevé d'alcaloïde harmonine . Certes les coccinelles ne distinguent pas la longueur d'onde rouge, mais on pense qu'elles sont sensibles au contraste rouge-noir.
Une espèce qui présente à la fois des formes rouge vif, et d'autres moins, et des formes avec un nombre élevé de taches (formes mélaniques) et d'autres non-mélaniques, dispose donc à priori d'une superiorité adaptative sur d'autres espèces aux caractères pigmentaires stéréotypées.
On distingue sur ce cliché une gouttelette de cette arme de la dernière chance :
Nous en étions là, à raconter des histoires de coccinelles qui ont des points de cotè, où à deviser sur ce coléoptère adiphiphage (mangeur de pucerons) d'origine chinoise utilisé pour la lutte biologique en Amérique depuis 1916, en Europe depuis 1990, devenu soudain invasif en 1988 en Amérique du Nord-Est par un foyer initial qui, selon l'INRA, servit de tête de pont pour s'installer en Europe où la population présente actuellement 60% de matériel génétique "américain" et 40% de la souche originaire importée par l'INRA en 1982, lorsque j'en vins à parler de la punaise californienne inféodée aux pins que le site d'André Lequet, insectes.net avait magnifiquement présenté récemment. La propriétaire de la cuisine leva les bras et s'écria : "des punaises ? mais j'en suis envahi dans ma chambre sous le grand pin !" Elle gravit l'escalier avec la rapidité enthousiaste que procurent les grandes révélations et revint en brandissant un grand insecte aux antennes proéminentes : comme dans le plus beau de mes rêves, j'avais, à n'en point douter, devant moi, l'illustre Leptoglossus occidentalis !
Encore fallait-il voir replié sous son abdomen, le long rostre ventral qui, déployé en avant, permettra à un stylet de perforer le végétal afin de sucer la substantifique sève. Et je le vis, le rostre qui vaut à cette punaise le doux nom de lepto (fine) glossus (langue).
je vous passerai la séance photo autour de la lampe halogène, les commentaires sur ses cuisses de grenouille à épines, ou sur ses tibias en forme de feuille :la voilà, avec son zigzag blanc sur ses hémiélytres :
Je rappellerai que ce "bug" (punaise) californien, après avoir conquis toute Amérique et y avoir reçu le titre de ravageur des plantations de conifères (la "peste" californienne") est apparu en Italie en 1999, en France en 2005 où il remonta rapidement la vallée du Rhône et fut noté le 9 août 2008 à Trouville. Le 17 août 2008 Mael Garrin le découvre dans son appartement rennais, et cette année il a été remarqué dans toute la Bretagne.
Puisque le hasard a réuni une coccinelle, qui appartient à l'ordre des coléoptères, et une punaise, de l'ordre des hémiptères (les insectes, comme les congrégations religieuses, appartiennent à des Ordres et si une âme pieuse ne confond pas un picpusien avec un caracciolin, un bénédictin, un franciscain ou encore un barnabite,de même les Collemboles,les Orthoptères, les Thysanoptères, et les Phasmoptères, s'ils sont tous frères, n' ont pas prononcé les mêmes voeux), j'en profite pour réviser mon entomologie sous l'égide de son Prince, Pierre-André Latreille.
En 1822, son Histoire naturelle et iconographie des Insectes coléoptères d'Europe nous définit en effet les coléoptères comme ayant "deux ailes membraneuses pliées transversalement sous deux élytres crustacés" d'où leur nom tiré du grec coléo, étui, remplaçant, avantageusement sans-doute le"vaginipenne" que les auteurs latins utilisaient pour rassembler ces scarabées. Mais ces critéres doivent être complétés par la présence d' une machoire, car ce sont des masticateurs et non des suceurs.
Tout au contraire, les hémiptères qui incluent les punaises et les cigales, les cicadelles, les pucerons et les cochenilles sont des suceurs qui ont, toujours selon notre pape de l'entomologie,deux paires d'ailes dont l'une, en partie cornée, est transformée en hémiélytre, et des pièces buccales piqueuses avec un long rostre, ce bec tubulaire articulé et courbé en dessous.
Or notre Latreille, illustre enfant de Brive-la-Gaillarde qui le vit naître d'une union illégitime du baron d' Espagnac et y être abandonné à son sort vagissant, s'est longtemps occupé de ranger les collections d'insectes du Museum National d' histoire naturelle avant de diriger en 1833 la chaire d'Histoire naturelle des crustacées, arachnides et insectes, puis d' être le premier président de la Société Entomologique de France ; c'est lui l'auteur taxinomique du sous-ordre des Heteroptères, de la famille des coccinellidae (1807), de la sous-famille des coccinelinae, mais aussi de la super-famille des cucujoidae (1802) ! En matière de coccinelle, de punaise et de cucujii (je crois que cucujus est le nom brésilien d'un insecte qui a servi a baptisé cette famille à laquelle appartiennent les coccinelles ), on peut lui faire confiance, non ? Mieux vaut avoir à faire au Bon Dieu qu'à ses saints quand il s'agit de sa bête à lui, la bête à Bon Dieu.
Notre rubrique etymologique pour finir.
1)Coccinelle
Le Robert historique de la langue française fait remonter au grec kokkos, "noyau, pépin", noyau dont la forme de coque fait attribuer à la cochenille, puis à la teinture écarlate qu'on en tire le nom de kokkinos . Le latin impérial coccinusqui en est issu avec la même signification d'écarlate a été utilisé par Linnépour créer coccin/ ella en 1740 et en baptiser la bête à bon dieu Coccinella septempunctata en 1758.
Mais quel terme utilisait René-Antoine Ferchault de Réaumur ? Vivre avant Linné, n'est-ce pas vivre avant Adam? Celui-ci n'est-il pas sensé avoir nommé toute chose ? Quelle existence y a-t-il sans le mot coccinelle ?
Nos ancêtres parlaient-ils (site l'écho des Chênaies) de la vache de Dieu, la poulette de Dieu, la poulette de la Madone, des oiseaux de la Vierge, des petits veaux du Seigneur, de la Géline du bon Dieu, de la bête du paradis, des catherinettes , ou bien chantaient-ils comme dans le Comté de Nice :
Catarineta, vola, vola,vola,
Catarineta, vola volera , ?
En Bretagne on parlait de Buoc'h Doué, Yarig-Doué, C'hwilig-Doué, (vache de Dieu, dindonneau de Dieu, scarabée de Dieu ), et on récitait :
Buoc' hig-Doue me ho ped
Va zremenit dreist d'ar gloued
Va c'hasit d'ar baradoz
Me ho ped deiz ha noz.
(Coccinelle, je t'en prie,
fais-moi passer la barrière
emportes-moi au paradis
Je t'en prie jour et nuit )
Les anglophones y voient une lady : ladybird pour les anglais, ladybug pour les américains, lady beetles pour les entomologistes qui se refusent à prendre les coccinelles pour des oiseaux ou des punaises. Que diraient-ils à ceux qui les désignent par des ladyclock, ladycow, ou ladyfly ? Mais l'essentiel semble d'utiliser le mot lady.
Puisque nous rencontrons le mot beetle (coléoptère,scarabée, ), signalons que les Beatles doivent leur nom à la fusion de beetle et des rythmes beat .
Le mot coccinelle vient donc de la couleur de ses élytres , couleur qui lui a valu d'être comparé à la teinture rouge qu'on obtient en broyant des cochenilles desséchées.
Les cochenilles sont des insectes phytophages. Notre cochenille méditerranéenne,Kermes vermilio
(petit ver) ou Kermes des teinturiers est un parasite du chêne vert et du chêne kermes. Le femelle était récoltée dans le Languedoc et en Provence et produisait une teinte rouge-sang (vermilio a donné vermillon) ; il fallait 1kg de cochenilles pour 10 à 15 grammes de ce pigment qui servait à teindre les étoffes royales. L'invention de l'alizarine, pigment de synthése, a mis fin à cette production.
Son concurrent est la cochenille d'origine méxicaine, Dactylopus coccus, qui parasite les cactus et notamment le figuier de barbarie, Opuntia ficus-indica. Avec 70 000 insectes riches en ac. carminique on obtient une livre de teinture " Rouge cochenille", de couleur carmin. Le Pérou et les Iles Canaries continuent à élever ces dactylopus et à exporter le colorant, c'est l' E120 des saucisses de francfort et de l'Orangina rouge.
Sans-doute a-t-on jadis tenté de récolter de milliers de coccinelles pour en faire une teinture ?
Cela peut servir : pour jouer, non au tarot ou à la belote, mais au petit entomologiste, comment compter les points ?Face aux espèces de coccinelles nommées Calvia 14-punctata, Coccinella 11-punctata, ou encore Psyllobora 22-punctata, voici comment prononcer ces chiffres:
1 à 9 : . duo. quatuor quinque . septem . ex : Chylocorrus 2-pustulatus, Exochomus 4-pustul, Coccinella 5-punctata, .
10 : decem ex Adalia 10-punctata
11 : undecim
12 : duodecim,
13 : tredecim
14 : quatuordecim ex : Propylea 14-punctata, Calvia 14-guttata, Harmonia 14-punctata
15 : quindecim
16 : sedecim ex ; Halyzia 16-punctata, Tytthaspsis 16-punctata
17 septendecim
18 duodeviginti ex : Myrrha 18-guttata
19 novemdecim ou undeviginti ex : Anisosticta 19-punctata (Coccinelle des roseaux)
21 viginti unus
22 vigintiduo ex Psyllobora 22 -punctata, Thea 22-punctata
24 vigintiquatuor ex : Subcoccinella 24-punctata
Quelques images de notre Coccinella septempunctata. Ce qu'il y a de délicat pour ce genre de photos, c'est bien-sûr...la mise au point:
2) Punaise:
Selon le Robert historique de la langue française , le mot, qui date des années 1200, est le féminin substantivé de l'adjectif punais qui signifie "puant , fétide", issu lui-même du latin putinasius, "qui pue" composé de l'adjectif putidus
"gâté, fétide" dérivé de putere "pourrir, se corrompre" et qui a donné aussi "pute" et "putain", et de nasus, le nez. Charmant !
Mes bonnes lectures :
- Synthèse bibliographique 2010 sur l'écologie chimique des coccinelles par l'Unité d'entomologie fonctionnelle de l'Université de Liège : http://www.pressesagro.be/base/text/v14n2/351.pdf
- l'article Wikipédia sur les glucosinolates : les moyens de défense du chou et des crucifères contre les prédateurs et l'adaptation du puceron et de la piéride de la rave.
.